Des Orateurs
I. Tu me demandes souvent, Justus Fabius, pourquoi les siècles précédens ayant brillé de la gloire et du génie de tant d’éminens orateurs, notre époque, abandonnée par l’éloquence, semble en être veuve, et avoir même oublié tout-à-fait le nom d’orateur : car nous ne donnons plus ce nom qu’aux anciens ; pour les gens de talent contemporains, nous les appelons défenseurs, patrons, avocats, ou de toute autre dénomination, plutôt qu’orateurs. Répondre seul à ta demande, et prendre la responsabilité d’une si grande question, ce serait ou donner mal à penser de nos esprits, si nous ne pouvons parvenir aux mêmes résultats, ou de nos jugemens, si nous ne le voulons pas ; et certes je n’aurais pas cette audace, si je n’avais à émettre que mon propre avis, et si je ne pouvais te répéter les observations des hommes les plus diserts de nos temps, que, fort jeune encore, j’ai entendus traiter celte même question. Ainsi il ne me sera pas besoin de génie, mais seulement de mémoire et de souvenirs, pour rappeler ce que j’ai entendu spirituellement émettre et gravement discuter par ces hommes du plus haut mérite, qui exposaient leurs opinions, diverses ou semblables, mais toujours plausibles, chacun avec les formes de son esprit et de son caractère. Je les reproduirai aujourd’hui avec leurs. méthodes et leurs raisonnemens, en conservant l’ordre de la discussion : car il ne manqua pas d’orateurs qui soutinrent une opinion contradictoire, et qui, après avoir maltraité et ridiculisé le vieux temps, osèrent mettre au dessus des génies antiques l’éloquence de notre époque.
II. En effet, le lendemain du jour où Curiatius Maternus lut publiquement sa tragédie de Caton, dans laquelle, oubliant sa propre sûreté, il avait, dit-on, offensé les puissans du jour, pour ne penser qu’à son personnage, ce fut par la ville un grand sujet d’entretien, et il reçut la visite de M. Aper et de Julius Secundus, alors les plus illustres génies de notre barreau. Non-seulement je me faisais une étude de les écouter l’un et l’autre au forum, mais je les visitais chez eux ; je les suivais en public, poussé par une merveilleuse passion de m’instruire et par une certaine ardeur de jeune homme ; je faisais profit de leurs discours, de leurs discussions, et des secrets même de leur conversation intime, quoique généralement la malignité jugeât que Secundus était lourd dans ses plaidoyers, et qu’Aper devait sa réputation d’éloquence plutôt à son caractère et à la force de la nature qu’à l’étude et aux lettres. En effet, Secundus ne manquait pas d’une élocution pure, serrée et abondante autant qu’il était nécessaire ; et Aper, nourri de l’érudition ordinaire, dédaignait les belles-lettres plutôt qu’il ne les ignorait : il pensait acquérir une plus grande réputation de science et de talent en ne cherchant pas pour appui à son génie de petits emprunts dans les arts étrangers. Ainsi donc, étant entrés dans la chambre de Maternus, nous le trouvâmes assis et tenant à la main son ouvrage, qu’il avait lu la veille.
III. Alors Secundus : Quoi ! Maternus, les propos de la malignité ne te détourneront-ils pas de ton affection pour ton cher Caton et ses traits offensifs ? ou bien n’as-tu pris cet ouvrage que pour le retoucher avec soin, enlever ce qui donne matière à de sinistres interprétations, et publier une tragédie de Caton, sinon meilleure, moins dangereuse ? Maternus répondit : Lis, si tu veux, et tu reconnaîtras ce que tu as ouï à la première lecture. Si quelque trait est omis par Caton, Thyeste le rappellera dans ma prochaine tragédie : car j’ai déjà disposé le plan de celle-ci, et il est tout tracé en mon esprit. Aussi je me hâte de mettre au jour le premier ouvrage, afin que, dégagée de ce soin, toute ma pensée soit consacrée à cette nouvelle conception. — N’en as-tu donc pas assez de ces œuvres tragiques ? interrompit Aper ; et faut-il que, négligeant et tes harangues et l’étude de tant de causes, tu consumes toutes tes veilles tantôt pour Médée et tantôt pour Thyeste, pendant que la défense de tant d’amis, les clientelles de tant de colonies et de municipes, t’appellent au barreau ? A peine y suffirais-tu, lors même que tu ne t’imposerais pas pour nouveau travail des tragédies de Domitius, de Caton, c’est-à-dire de t’occuper à la fois, et de nos propres histoires et des noms romains et des fables de la Grèce !
IV. Maternus répondit : Je serais déconcerté par ta sévérité, si une opposition fréquente et continuelle ne s’était changée pour nous en une espèce d’habitude. Car, toi, tu ne cesses de harceler et de poursuivre les poètes ; et moi, à qui tu reproches ma paresse pour les plaidoiries, chaque jour je plaide contre toi en faveur de la poésie. Je m’en réjouis d’autant plus, qu’il nous soit offert un juge qui va ou me défendre de jamais faire de vers à l’avenir, ou bien, ce que je désire depuis longtemps, m’encourager par son autorité à renoncer aux routes obscures et étroites des plaidoiries du forum dans lesquelles j’ai versé assez et trop de sueurs, pour me vouer au culte de cette autre éloquence plus sainte et plus auguste.
V. Pour moi, reprit Secundus, avant qu’Aper ne me récuse, je ferai comme ces juges intègres et modestes qui s’excusent de prononcer dans les causes où il est évident qu’une des parties trouverait en eux des juges trop favorables. Qui ne sait, en effet, que personne ne m’est plus attaché, et par tous les rapports de l’amitié et par l’habitude de vivre ensemble, que Saleius Bassus, homme aussi excellent que poète accompli ? Or, si la poésie est mise en accusation, je ne vois nulle part un coupable plus riche en méfaits. Je ne veux troubler, dit Aper, ni Saleius Bassus, ni quiconque se livre à l’étude des vers et en recherche la gloire, parce qu’il ne peut atteindre à celle de l’éloquence : quant à moi, puisque voici un juge de ce débat, je ne souffrirai pas que l’on défende Maternus en lui associant plusieurs complices ; mais j’arguerai contre lui seul auprès de vous. Né pour cette éloquence virile et oratoire par laquelle il eût pu acquérir et conserver tant d’amis, se concilier des nations, s’attacher des provinces, il abandonne la profession qui, plus qu’aucune autre dans notre ville, assure les plus utiles produits, la plus ample considération, la plus belle renommée dans Rome, et, dans tout l’empire et chez toutes les nations. la réputation la plus illustre que l’on puisse imaginer. En effet, si c’est vers notre intérêt personnel que doivent tendre nos plans et nos actions, qu’y aura-t-il de plus sûr que d’exercer cet art par lequel, toujours sous les armes, on peut à son gré porter secours à l’amitié, appui à l’étranger, assistance aux malheureux en péril, crainte et terreur à l’envie et à l’inimitié, en restant soi-même à l’abri et comme protégé par une force et un pouvoir continuels ? La puissance et l’utilité de cet art, si la fortune t’est prospère, se révèlent par les appuis et la protection que tu prêtes à autrui : si tu es en péril toi-même, non, grands dieux, ni cuirasse ni épée ne t’offriraient sur le champ de bataille un plus ferme secours qu’au barreau l’éloquence, arme qui préserve et qui blesse ; également propre à la défense et à l’attaque, dans le palais, au sénat, devant le prince. Et, naguère, qu’opposa donc aux sénateurs irrités Eprius Marcellus ? son éloquence : armé de ses traits, et menaçant, il échappa au sage Helvidius, disert sans doute, mais inexpérimenté et peu fait à ce genre de combats. Je n’en dirai pas plus sur l’utilité de l’art oratoire, et je ne pense pas que mon cher Maternus me contredise en ce point.
VI. Je passe aux charmes de l’éloquence oratoire, dont les douceurs nous ravissent non pour quelques momens, mais presque tous les jours et presque à chaque heure. Quoi de plus doux pour un esprit libre, généreux et né pour les plaisirs honnêtes, que de voir sa maison toujours fréquentée et remplie d’un concours de personnes du rang le plus élevé, et de savoir que ce n’est ni votre argent, ni votre héritage, ni quelque place dans l’administration, mais votre propre mérite que l’on recherche ? Bien plus, ce sont des vieillards sans enfans, des riches, des puissans, qui le plus souvent viennent trouver le jeune avocat pauvre, pour lui confier leurs intérêts et ceux de leurs amis. Jamais le plaisir que donnent de grandes richesses et une haute puissance fut-il aussi vrai que celui de voir des hommes anciens et vieux, que Rome entière appuie de sa faveur, dans l’abondance complète de toutes choses, avouer que ce premier des biens, l’éloquence, leur manque ? Il sort, et déjà quel cortège de personnes en toge ! quel appareil au dehors ! quelle vénération dans le sanctuaire de la justice ! quelle joie dès qu’il se lève et parle au milieu du silence, tous les regards fixés sur lui ! lorsque la foule attirée fait cercle, et reçoit toutes les impressions dont il s’affecte lui-même ! Je décris les joies vulgaires des plaideurs, telles qu’elles frappent les yeux des moins clairvoyans ; il en est de plus secrètes, et ce sont les plus grandes, connues seulement de l’orateur. Apporte-t-il une harangue méditée avec soin, sa diction est mesurée, son triomphe est calme et assuré : arrive-t-il avec une composition nouvelle et à peine achevée, ce n’est pas sans un certain trouble d’esprit, et cette inquiétude même favorise son succès et augmente le plaisir. Mais la jouissance vient particulièrement de l’audace et d’une témérité inattendue : car, dans les œuvres d’esprit, ainsi qu’en un. champ, quoique bien des fruits soient produits par les semences et le travail, toutefois nous admirons davantage ceux qui naissent d’eux-mêmes.
VII. Et, pour parler franchement des jours heureux pour moi, ni celui où je fus décoré du laticlave, ni ceux où, quoique homme nouveau dans Rome, et né dans une ville peu en faveur, je fus nommé questeur, puis tribun, puis préteur, aucun n’est plus beau que celui où, malgré la faiblesse de mes facultés en l’art oratoire, il m’est donné ou de sauver un accusé ou de plaider heureusement devant les centumvirs, ou de défendre avec succès auprès du souverain les affranchis et les procurateurs des souverains précédens. Alors je pie crois au dessus des tribunats, des prétures et des consulats ; je crois posséder ce qui nous vient de nous-mêmes et non d’autrui, ce que ne donnent point des titres, ce, qui ne vient pas à la suite d’une faveur. Eh quoi ! est-il aucune renommée, aucune louange dans un art quelconque, comparable à la gloire des grands orateurs qui sont remarqués dans Rome, non-seulement par ces hommes affairés tout entiers à leur négoce, mais aussi par ces jeunes gens, par ces adolescens, pour peu qu’ils joignent à un esprit droit une honorable ambition ? Quels noms les pères inculquent-ils préférablement à leurs fils ? quels personnages le vulgaire illettré et ce peuple en simple tunique appellent-ils plus souvent de leurs noms, et montrent-ils du doigt ? Les étrangers même et les voyageurs, qui déjà en ont entendu parler dans les municipes et les colonies, dès leur abord dans Rome, les cherchent, et désirent connaître leurs traits.
VIII. Je ne crains pas d’avancer que Marcellus Eprius, dont je parlais tout-à-l’heure, et Crispus Vibius (je me sers plus volontiers d’exemples nouveaux et récens que d’exemples vieillis et oubliés), ne sont pas moins connus aux extrémités du monde qu’à Capoue et à Verceil, où Ton dit qu’ils sont nés ; et cette renommée, pour l’un ni pour l’autre, n’est point due à leurs trois cent millions de sesterces, quoique ces richesses puissent être considérées comme le prix de leur éloquence, mais à leur éloquence même, dont la puissance admirable et divine a si souvent prouvé, dans tous les siècles, à quelle haute fortune parviennent les hommes par les seules forces de leur génie. Et ces faits sont, comme je l’ai dit, tout près de nous ; nous n’avons pas à les apprendre par ouïdire, mais à les voir de nos yeux : car plus ces hommes sont nés dans une position humble et abjecte, plus a été notable leur indigence, plus de gêne les a entourés dès leur berceau, plus aussi ils sont des exemples illustres et brillans qui démontrent l’utilité de l’art oratoire. En effet, sans recommandation de naissance, sans appui d’ambition, tous deux de mœurs équivoques, l’un même d’extérieur assez ridicule, ils sont devenus, et depuis long-temps, les plus puissans de l’état ; et, après avoir été tant qu’il leur a plu les premiers au forum, ils sont aujourd’hui les premiers dans l’amitié du souverain, mènent et dirigent tout, et sont chéris du prince même avec une sorte de respect : c’est que Vespasien, vieillard vénérable, et le plus patient écouteur de la vérité, comprend bien que ses autres amis se sont élevés par les avantages qu’il leur a accordés, et qu’il lui est si aisé d’accumuler pour lui-même et de déverser à autrui ; mais que Marcellus et Crispus ont apporté à son amitié des titres qu’ils n’ont point reçus du prince, et qui n’en pouvaient être reçus. Parmi tant et de si grands biens, à peine est-il une place pour des images, des titres, des statues, que toutefois l’on ne dédaigne point, pas plus que la fortune et les richesses, sur lesquelles on jette si facilement tant de blâme, mais peu de dédains. Eh bien, ces honneurs, ces décorations, ce crédit, nous les voyons affluer dans les maisons de ceux qui, dès leur adolescence, se sont adonnés aux causes du forum et aux études oratoires.
IX. Mais la poésie, les vers, auxquels Maternus désire de consacrer sa vie entière, car de là vient tout ce discours, ne donnent aucune dignité à leurs auteurs, ne les mènent à aucun but utile. Un plaisir bien court, une louange vaine et sans fruit, voilà ce qu ? ils acquièrent. Peut-être mes paroles et celles que je vais y ajouter fatiguent tes oreilles, Maternus ? A quoi bon qu’en tes vers parlent éloquemment Jason ou Agamemnon ? quelqu’un, par toi défendu, en retourne-t-il en sa demeure ton obligé ? Notre Saleius est un poète excellent, ou, si l’on veut un titre plus magnifique, c’est le plus illustre amant des Muses : qui le salue ou l’accompagne ? Mais si son ami, si son parent, si enfin lui-même a quelque affaire sur les bras, il recourra à Secundus, ou à toi, Maternus, non parce que tu es poète, ni afin que tu fasses des vers pour sa cause, car les vers naissent d’eux-mêmes chez Bassus ; ils sont beaux, agréables : eh bien ! quelle est leur fin ? Après qu’il les a retravaillés toute une année, chaque jour, une partie des nuits, et en a fait un volume, il est forcé d’aller solliciter et mendier des auditeurs qui daignent l’écouter ; et ce n’est pas même gratis, car il lui faut emprunter le local, disposer la salle, louer les banquettes, distribuer les programmes. Et quand même le plus heureux succès a suivi la lecture, toute cette gloire dure un jour ou deux, semblable à ces plantes coupées en herbe ou en fleur, et dont aucun fruit utile et certain ne peut provenir ; de tout ceci il ne rapporte ni amitié, ni clientelle, ni reconnaissance gravée au cœur de qui que ce soit, mais une acclamation vague, de vains bruits, une joie fugitive. Naguère nous avons loué comme admirable et extraordinaire la libéralité de Vespasien, qui fit don à Bassus de cinq cent mille sesterces. Il est beau sans doute de mériter l’intérêt du prince par son talent : mais combien n’est-il pas plus beau, quand la position l’exige, de recourir à soi-même, de se rendre son génie propice, et de n’éprouver que sa propre libéralité ! Ajoutez que les poètes, s’ils veulent élaborer et produire quelque œuvre digne, doivent renoncer aux rapports de l’amitié, aux charmes de la ville, abandonner tous devoirs, et, comme ils le disent eux-mêmes, se recéler dans le sein des forêts, c’est-à-dire dans la solitude.
X. L’opinion même et la renommée, auxquelles seules ils sacrifient, et qu’ils avouent être l’unique prix de tout leur labeur, ne sont pas aussi fidèles aux poètes qu’aux orateurs, parce que personne ne connaît les poètes médiocres, bien peu les excellens. Quand, en effet, la renommée des lectures lès plus intéressantes a-t-elle pénétré dans tout Rome, loin de s’étendre à travers tant de provinces ? quel est celui qui, venant ou d’Asie ou d’Espagne, je ne parle pas de nos Gaulois, en arrivant à Rome, s’enquiert du poète Saleius Bassus ? puis, s’il l’a recherché et aperçu une fois, il passe, il est satisfait comme s’il avait vu quelque peinture ou statue. Cependant il ne faut pas penser d’après mon discours que je veuille détourner de la poésie ceux auxquels la nature a refusé le génie de l’éloquence, si toutefois ils peuvent charmer par ce genre de travail leur oisiveté et confier leur nom à la renommée : je pense, au contraire, que toute l’éloquence et toutes ses parties sont sacrées et respectables ; et non-seulement votre cothurne ou l’éclat du vers héroïque, mais aussi la grâce du vers lyrique, les caprices de l’élégie, la verve mordante de l’ïambe, les jeux de l’épigramme et toutes les formes que revêt l’art de la parole, me semblent préférables à toute autre étude. Mais voici l’objet de mon débat avec toi, Maternus : Quand la nature t’a placé dans le sanctuaire même de l’éloquence, tu aimes mieux errer, et, parvenu au sommet, tu aspires à descendre. Si tu étais né en Grèce, où il est honorable de s’exercer aux jeux du gymnase ; si tu étais doué par les dieux de la force et de la vigueur de Nicostrate, je ne souffrirais pas que ces bras puissans et formés pour la lutte s’amollissent à lancer un disque ou un léger javelot : de même aujourd’hui, du théâtre et des salles de lecture, je t’appelle au forum, aux plaidoiries, à devrais combats ; quand surtout tu ne peux recourir à cet argument, invoqué si souvent, que Fart du poète est moins exposé à offenser que celui de l’orateur. C’est faire briller tout l’éclat de ton beau naturel, et pourtant ce n’est pas pour attaquer un ami, mais, ce qui est bien plus dangereux, c’est Caton que tu offenses ; et cette offense n’a pour excuse ni l’exigence du devoir, ni le besoin de la cause, ni l’impétuosité hardie d’une improvisation subite. Tu parais avoir choisi avec méditation un personnage notable, dont la parole fasse autorité. Je sais ce qu’on peut répondre : de là naissent cet assentiment général, ces applaudissemens de tous les auditeurs, et bientôt ces échos répétés par toutes les bouches. Ne donne donc plus pour excuses et ton repos et ta sécurité, puisque tu attaques un adversaire qui te vaincra. C’est assez pour nous de défendre les intérêts privés et de notre siècle : si, dans nos expressions, un ami en péril nous force à blesser l’oreille du pouvoir, on excusera la liberté, on louera le zèle.
XI. Dès qu’Aper eut terminé son discours d’un ton âpre et accentué, suivant sa coutume, calme et souriant Maternus répondit : Je me suis préparé à faire le procès aux orateurs non moins long-temps qu’Aper en a fait l’éloge ; je m’attendais même qu’après sa digression toute louangère, il en viendrait à déblatérer contre les poètes et à fouler aux pieds l’art de la poésie. Il a mitigé son arrêt avec un certain art, en concédant à ceux qui ne peuvent s’élever au barreau la permission de faire des vers. Pour moi, si je puis dans les plaidoiries montrer quelque talent et faire quelque tentative hasardeuse, c’est en récitant mes tragédies que j’ai pu préluder à ma renommée, alors que, dans ma pièce de Néron, j’ai brisé cette puissance barbare qui profanait même le culte sacré des Muses. Et aujourd’hui, s’il m’est resté quelque nom, quelque célébrité, je crois devoir cette gloire plus aux vers qu’à des plaidoyers. Déjà j’ai résolu de me séquestrer des travaux du forum. Ces cortèges, ces visites, cette foule de gens qui saluent, je ne les désire pas plus que ces bronzes et ces images qui, même malgré moi, ont envahi ma demeure. En effet, la position d’un citoyen, sa sécurité, n’a-t-elle pas pour sûr garant son innocence plutôt que son éloquence ? et je ne crains pas d’avoir jamais à porter la parole devant le sénat, si ce n’est pour le péril d’autrui.
XII. Les forêts, les bocages, leur solitude, ridiculisés par Aper, me donnent une si parfaite volupté, que je compte parmi les plus dignes prix de la poésie, qu’elle ne s’inspire pas au milieu du bruit, avec un plaideur qui assiège notre porte, ni dans le deuil et les larmes des accusés ; mais l’âme se retire en des lieux purs et innocens, et elle y jouit de sa retraite sacrée : tel fut le berceau de l’éloquence, tel est son sanctuaire. Ce fut d’abord sous cette forme, sous cette parure, que, charmant les mortels, elle s’infiltra dans des cœurs chastes et qu’aucun vice n’avait souillés : ainsi parlaient les oracles. Car, cette éloquence lucrative et sanglante, l’usage en est récent : elle est née des mauvaises mœurs, et, comme tu disais, Aper, elle fut inventée pour servir d’arme. Age heureux ! siècle d’or, pour parler notre langage ! Sans accusations et saus orateurs, il abondait en poètes inspirés qui chantaient les bienfaits, et n’avaient pas à défendre ce qui était mal. Pour nul autre, ni gloire plus grande, ni honneurs plus brillans ; d’abord, auprès des dieux, dont ils passaient pour proférer les oracles et partager les festins ; ensuite, auprès des fils des dieux, ces rois sacrés, parmi lesquels il ne se trouve aucune espèce d’avocat, mais un Orphée, un Linus, et, si vous voulez regarder plus haut, Apollon lui-même : ou bien, si ce que j’avance vous paraît fabuleux et le fruit de mon imaginative, du moins vous m’accorderez bien, Aper, que la postérité accueille avec autant d’honneur Homère que Démosthène, et que la renommée d’Euripide ou de Sophocle n’a pas de limites plus restreintes que celle de Lysias ou d’Hypéride. Vous trouverez aujourd’hui plus de détracteurs de la gloire de Cicéron que de celle de Virgile, et aucun ouvrage d’Asinius ou de Messalla n’a autant de célébrité que la Médée d’Ovide ou le Thyeste de Varius.
XIII. Quant à la position du poète et cette heureuse cohabitation avec la poésie, je ne craindrai pas non plus de les comparer à la vie agitée— et inquiète des orateurs. Quoique des combats et des périls les aient élevés jusqu’au consulat, je préfère la retraite paisible et secrète de Virgile, retraite où il ne manqua ni des faveurs de l’empereur Auguste, ni des applaudissemens du peuple romain : témoin les lettres d’Auguste, témoin le peuple même qui, entendant au théâtre les vers de Virgile, se leva tout entier, et offrit à Virgile, par hasard spectateur et présent, ses témoignages de vénération comme à Auguste même. Et, de nos jours, Pomponius Secundus le cède-t-il à Domitius Afer, soit par la dignité de sa vie, soit par la renommée qui se perpétue avec son nom ? En effet, Crispus et Marcellus, dont vous me rappelez les exemples, qu’ont-ils de si désirable en leur fortune ? est-ce parce qu’ils craignent ou sont à craindre ? est-ce parce que chaque jour on les prie, en maudissant leurs services ? est-ce parce que, enchaînés à l’adulation, ils ne paraissent jamais assez serviles au pouvoir, jamais à nous assez indépendans ? Quelle est donc cette puissance si haute ? pouvoir autant que peuvent des affranchis. Pour moi, veuillent les Muses, si pleines de douceur, comme le dit Virgile, m’éloigner et des soucis et des inquiétudes, et de cette nécessité de faire chaque jour quelque chose contre ma pensée ! qu’elles me transportent à leurs fontaines, en des retraites sacrées ! Je n’irai pas, tremblant, faire épreuve de ce barreau si glissant, si fou, ni de cette renommée au teint pâle ; les frémissemens des salutations, l’affranchi haletant, ne m’éveilleront pas ; je ne ferai pas, incertain de l’avenir, un testament pour sauver mon patrimoine ; je n’aurai pas tant de biens, que je ne puisse les laisser à qui je voudrai, quand mon jour suprême viendra : alors, mon image sera gravée sur ma tombe, nçm pas triste et fière, mais joyeuse, avec une couronne, et, pour consacrer ma mémoire, il lie faudra ni enquête ni supplications.
XIV. A peine Maternus avait-il fini, encore plein de son enthousiasme, et, pour ainsi dire, de son inspiration, Vipstanus Messalla entra dans la chambre et soupçonna, à l’air attentif de chacun, que la conversation était des plus relevées : Ne suis-je point venu mal-à-propos, dit-il, interrompre une conférence secrète où l’on inédite sur une cause ? Point du tout, dit Secundus, et même je voudrais que tu fusses intervenu plus tôt : tu aurais eu plaisir au discours si élégant de notre cher Aper, qui exhortait Maternus à ne plus employer ses études et son talent qu’à défendre des causes, autant qu’au discours de Maternus, qui protège ses vers chéris, comme il convient de parler de la poésie, avec énergie et en termes plus poétiques qu’oratoires. Pour moi, dit Messalla, ce qui me charme le plus, c’est de voir des hommes pleins de vertus et les orateurs de nos temps ne pas exercer leurs talens seulement aux affaires du barreau et au genre déclamatoire, mais y joindre aussi des débats qui nourrissent l’esprit et offrent les plus douces jouissances de l’érudition et des belles-lettres, tant pour vous, qui discutez, que pour ceux qui peuvent vous entendre. Aussi, grands dieux ! je vois, Secundus, qu’on ne t’approuve pas moins d’avoir, par ta Vie de Julius Asiaticus, donné l’espoir que tu composeras plusieurs livres de ce genre, qu’on n’approuve Aper de n’avoir pas renoncé aux controverses de l’école, et de préférer employer ses loisirs comme nos rhéteurs modernes et non comme les anciens orateurs.
XV. Alors Aper : Tu ne cesses, Messalla, d’admirer exclusivement le passé et l’antiquité, de railler et de mépriser les travaux de notre époque ; car souvent je t’ai entendu répéter, oubliant ton éloquence et celle de ton frère, que tu prétendais qu’il n’y avait pas un seul orateur dans notre siècle, et tu le soutenais, je crois, avec d’autant plus d’assurance, que tu ne redoutais pas en ceci le reproche de malignité, puisque tu te refusais à toi-même cette gloire qui t’est concédée. Je ne me repens nullement de ce langage, répondit Messalla, et je ne crains pas que ni Secundus, ni Maternus, ni toi-même, Aper, quoique tu défendes quelquefois l’avis contraire, vous pensiez autrement : je voudrais même obtenir de l’un de vous qu’il voulût bien discuter et déterminer les causes de cette extrême différence, causes que souvent j’ai recherchées moi-même. Et une remarque qui complique pour moi la question, quand elle l’éclaircit pour d’autres, c’est que même chose est arrivée chez les Grecs. Certes, ce Sacerdos Nicétès, et tout autre rhéteur qui ébranle Ephèse ou Mitylène de ses déclamations ampoulées et pédantesques, sont plus loin d’Eschine et de Démosthène qu’Afer, Africanus, et vous-mêmes, n’êtes loin de Cicéron ou d’Asinius.
XVI. Tu as, dit Secundus, soulevé une grande question, digne d’examen ; mais qui la traitera avec plus d’exactitude que toi, qui as su joindre à une très-haute érudition et au génie le plus brillant, l’étude et la méditation ? Messalla répondit : Je vous découvrirai toute ma pensée, si j’obtiens d’abord que vous me secondiez vous-mêmes dans mes raisonnemens. Je m’engage pour deux, dit Maternus : Secundus et moi nous développerons les points que tu auras non pas omis, mais que tu nous auras abandonnés. Quant à Aper, son rôle est l’opposition, toi-même viens de l’avouer, et il montre que depuis long-temps il est prêt à la répartie, et qu’il ne supporte pas patiemment notre intelligence en faveur de la gloire des anciens. Non certes, dit Aper, je ne souffrirai pas que notre siècle succombe, sans examen et sans défenseur, sous votre conspiration. Mais d’abord je demanderai : Qu’appelez-vous anciens ? à quelle époque limitez-vous cet âge des orateurs ? Pour moi, quand on me parle des anciens, je me figure quelques personnages nés jadis, et à mes yeux se présentent Ulysse et Nestor, dont l’époque remonte à près de treize cents années au delà de notre siècle. Mais vous nous citez Démosthène et Hypéride, qui fleurirent, on le sait, aux temps de Philippe et d’Alexandre, et qui même leur ont survécu ; d’où il est clair qu’il n’y a pas beaucoup plus de quatre siècles entre Démosthène et notre époque. Cet espace de temps, si on le rapporte à notre faiblesse physique, doit sans doute paraître long ; si c’est à la durée des siècles et à celle de cet immense univers, il est court et vous touche pour ainsi dire. En effet, si, comme dit Cicéron dans son Hortensius, il n’y a de véritable et entière année que celle où la position du ciel et des astres, dans toute leur étendue, se reproduit en entier, et si cette année en comprend douze mille neuf cent cinquante-quatre des nôtres, votre Démosthène, que vous nous faites vieux et antique, a existé non-seulement la même année que vous, mais presque le même mois.
XVII. Mais je viens aux orateurs romains : l’un d’eux, Menenius Agrippa, peut passer pour un ancien ; ce n’est pas lui, je pense, que vous préférerez aux talens de notre époque, à Cicéron, César, Célius, Calvus, Brutus, Asinius et Messalla. Quant à ceux-ci, je ne vois pas pourquoi vous les rattacheriez aux anciens temps plutôt qu’aux temps modernes. En effet, pour parler seulement de Cicéron, ce fut sous le consulat d’Hirtius et de Pansa, comme l’a écrit son affranchi Tiron, qu’il fut assassiné, le sept des ides de décembre, cette même année où Auguste se nomma consul avec Q. Pedius à la place de Pansa et d’Hirtius. Comptez les cinquante-six années qu’Auguste gouverna la république, ajoutez les vingt-trois années de Tibère, les quatre ans à peu près de Caligula, les vingt-huit de Claude et de Néron, cette seule année aussi des règnes de Galba, d’Othon et de Vitellius, et l’espace de six ans de cet heureux gouvernement de Vespasien, tout entier au bien de l’état : de la mort de Cicéron à ce moment nous trouvons cent vingt ans ; c’est la vie d’un seul homme. Car j’ai vu moi-même en Bretagne un vieillard qui déclara avoir pris part à la bataille où les Barbares essayèrent de repousser de leurs rivages et de chasser César, dont l’armée allait les envahir. Or, si ce guerrier qui combattit César eût été par captivité, par sa volonté ou par quelque hasard, amené dans Rome, il eût pu y entendre et ce même César et Cicéron, et assister encore à nos discussions. Aux dernières distributions, vous avez vu des vieillards qui disaient en avoir reçu une ou deux fois d’Auguste, d’où l’on doit conclure qu’ils ont pu entendre et Corvinus et Asinius ; car Corvinus prolongea son existence jusqu’au milieu du règne d’Auguste, Asinius presque jusqu’à la fin. Ne divisez donc pas le siècle ; n’appelez pas anciens et nouveaux des orateurs que les thèmes hommes ont pu connaître, et, pour ainsi dire, réunir et rapprocher.
XVIII. J’ai commencé par m’exprimer de la sorte, afin que, si quelque gloire est acquise au siècle de ces orateurs par leur renommée et par leurs succès, elle ne nous soit pas étrangère, et nous appartienne plus qu’à S. Galba, à C. Carbon, et à quelques autres que nous appellerions à juste titre des anciens. En effet, ceux-ci sont hérissés, âpres, rudes et sans formes, et plût aux dieux qu’en aucune partie ils n’eussent été imités ni par votre Calvus, ni par Célius, ni même par Cicéron ! car je veux m’expliquer maintenant avec plus d’énergie et de hardiesse, quand j’aurai dit que les époques changent la forme et le genre de l’art de la parole. Ainsi, comparé au vieux Caton, C. Gracchus est plus plein, plus abondant ; ainsi Crassus est plus poli et plus orné que Gracchus ; ainsi, plus que l’un et l’autre, Cicéron a de la variété, de l’urbanité et de l’élévation ; Corvinus est plus doux que Cicéron, plus séduisant et plus travaillé en son style. Je ne cherche pas lequel est le plus disert : il me suffit d’avoir prouvé ceci, que l’éloquence n’a pas une seule physionomie, mais que l’on en découvre plusieurs genres, même chez ceux que vous appelez anciens ; qu’un genre n’est pas pire par cela seul qu’il est différent ; mais, par ce penchant vicieux de la malignité humaine, toujours ce qui est ancien est loué, toujours le présent est dédaigné. Doutons-nous qu’il se soit trouvé des admirateurs d’Appius Cécus au détriment de Caton. On sait assez que Cicéron ne manqua pas de détracteurs, auxquels il paraissait enflé et ampoulé, pas assez serré, mais bouffi outre mesure, redondant et trop peu attique. Vous avez lu, sans doute, les lettres écrites par Calvus et Brutus à Cicéron ; il est facile d’y découvrir que Calvus paraissait à Cicéron usé et sans vie, Brutus négligé et sans liaison. Et, de son côté, Cicéron était maltraité par Calvus comme un écrivain lâche et énervé, et par Brutus, dont je rappelle ici les termes mêmes, comme un orateur débile et sans reins. Si vous m’interrogez, tous me paraissent avoir dit vrai. Mais bientôt je reviendrai à chacun d’eux ; maintenant mon examen les comprend tous en masse.
XIX. En effet, puisque les admirateurs des anciens ont coutume d’assigner à l’antiquité pour limite l’époque de Cassius Severus, qui, selon leur dire, s’écarta le premier de cette voie directe et antique de l’éloquence : je prétends que ce ne fut point par la faiblesse de son génie ni par ignorance des lettres qu’il s’adonna à ce nouveau genre, mais par système et par combinaison. Car il découvrit, comme je disais peu auparavant, qu’il fallait modifier les formes et les genres de l’éloquence suivant l’esprit des temps et le changement d’auditeurs. Ce premier public, encore rude et ignorant, supportait facilement les longueurs des harangues les plus embrouillées, et c’était un motif de louange pour l’orateur que d’être un jour entier à parler. Alors donc les longues préparations de l’exorde, le fil de la narration repris de très-haut, ce luxe de divisions multipliées, ces mille degrés d’argumens, et tout ce qu’enseignent les livres si arides d’Hermagoras et d’Apollodore, étaient en honneur ; et si quelque orateur avec une odeur de philosophie en imprégnait certains endroits de son discours, 011 l’exaltait jusqu’aux cieux. Et ce n’est pas merveilleux ; car ces choses étaient nouvelles et inconnues, et très-peu de ces orateurs mêmes connaissaient les préceptes indiqués par les rhéteurs et les philosophes. Mais, grands dieux ! tout cela est tellement vulgaire aujourd’hui, que, dans une assemblée, à peine assiste-t-il une personne qui n’ait été sinon imbue, du moins instruite de ces élémens d’étude : il faut donc à l’éloquence des routes nouvelles et choisies, pour que l’orateur évite de rebuter ses auditeurs, surtout devant des juges qui procèdent par autorité et par force, et non par droit et par les lois ; qui ne se soumettent point au temps que demandent les audiences, mais le fixent ; qui ne croient pas devoir attendre qu’il plaise à l’orateur d’en venir enfin à son affaire, mais souvent l’avertissent, le rappellent s’il s’écarte, et déclarent qu’ils sont pressés.
XX. Qui supporterait aujourd’hui un orateur débutant par exposer la faiblesse de sa santé ? tels sont le plus souvent les exordes de Corvinus. Qui écouterait cinq livres contre Verrès ? Qui, sur une formule ou une exception, tolérerait ces immenses cahiers que nous lisons en faveur de M. Tullius et de Cécina ? De nos temps, le juge devance l’orateur ; et si la rapidité des argumens, le coloris des pensées ou l’éclat et la recherche des descriptions n’invitent et ne séduisent le juge, il prend en aversion le discoureur. La foule même des assistans, cet auditoire qui tour-à-tour vague et afflue, s’est déjà habitué à exiger que le plaidoyer lui plaise et le charme ; et il ne souffre point au barreau ce style antique, triste et sauvage, pas plus que si l’on venait sur la scène imiter les gestes de Roscius et de Turpion Ambivius. Et de plus, les jeunes gens encore posés sur l’enclume des études, et qui, pour se former, suivent les orateurs, veulent non-seulement les entendre, mais même rapporter chez eux quelque trait remarquable et digne de mémoire. Ils se les communiquent l’un à l’autre, ils écrivent dans leurs villes et dans leurs provinces, soit qu’une pensée neuve ait paru dans une courte et ingénieuse sentence, soit qu’un passage ait brillé d’un éclat poétique et nouveau : car déjà l’on exige de l’orateur ce vernis poétique, non pas souillé de la rouille d’Accius ou de Pacuvius, mais extrait du sanctuaire d’Horace, de Virgile ou de Lucain. Ainsi, pour complaire aux oreilles et au goût de ces auditeurs, les orateurs de notre âge se sont montrés plus ornés et plus brillans. Nos discours en sont-ils moins efficaces, parce qu’ils parviennent à l’oreille du juge en le charmant ? Quoi donc, croiriez-vous les temples de nos jours moins solides, parce qu’ils ne sont pas construits avec de grossier ciment et des briques informes, tandis que le marbre y brille et que l’or y scintille ?
XXI. Je vous avouerai même tout simplement, à propos des anciens, qu’en lisant quelques-uns je résiste à peine à l’envie de rire, en lisant quelques autres à l’envie de dormir ; et je n’èn cite pas un de cette multitude, ni Canutius, ni Arrius, ni Furnius, ni aucun autre de ceux qui, en cette même infirmerie, montrent à nu leur maigreur et leurs os. Calvus lui-même, qui a laissé, je crois, vingt-un volumes, me satisfait à peine en un ou deux petits plaidoyers. Et par ce jugement je ne vois pas que je diffère du jugement général. Qui a lu son discours contre Asitius ou Drusus ? mais, certes, les hommes studieux ont toujours sous la main ses accusations contre Vatinius et surtout le second discours. En effet les expressions, les pensées en sont brillantes, et disposées pour charmer l’oreille du juge : ce qui vous démontre que déjà Calvus avait le sentiment du beau, et que ce n’est pas sa volonté qui l’a empêché d’être plus sublime et plus orné, mais le manque de talent et de forces. Que dire des oraisons de Célius ? combien elles plaisent, sinon dans leur entier, du moins en ces parties où nous reconnaissons l’éclat et l’élévation de l’éloquence moderne ! Mais les ex » pressions ignobles, la composition embarrassée, le style décousu, sentent le vieux temps, et je ne pense pas que personne soit épris de l’antique au point de louer Célius en ce qu’il a d’antique. Pardonnons à César si, à cause de la grandeur de ses pensées et des occupations de tant de choses, il a fait en éloquence moins que ne le demandait son divin génie. Et laissons, grands dieux ! laissons Brutus à sa philosophie ; car il fut dans ses oraisons au dessous de sa réputation : ses admirateurs mêmes en conviennent. Et, sans doute, personne ne lit les plaidoyers de César pour Decius le Samnite, ni ceux de Brutus pour le roi Dejotarus, ni tant d’autres œuvres tièdes et languissantes, si ce n’est quelque admirateur de leurs poésies ; car César et Brutus ont aussi fait des vers, et les ont placés dans les bibliothèques publiques : poètes aussi faibles que Cicéron, mais plus heureux, parce que moins de personnes ont su qu’ils le furent. Asinius aussi, quoique né à une époque moins éloignée, me paraît avoir étudié parmi les Menenius et les Appius. Il rappelle certainement Pacuvius et Accius, non-seulement dans ses tragédies, mais même en ses discours : tant il est dur et sec. Or, le discours est ainsi que le corps humain, dont la beauté ne consiste pas en veines apparentes, en os que l’on compterait, mais dans un sang pur et tempéré qui remplit les chairs et les anime, dans un coloris qui recouvre les nerfs, et dans la grâce qu’il déploie. Je ne veux point m’attaquer à Corvinus, puisqu’il n’a point dépendu de lui qu’il n’exprimât l’enjouement et le brillant de notre époque ; nous pourrions voir jusqu’à quel point la force de son âme et de son génie a secondé son jugement.
XXII. J’en viens à Cicéron, qui eut avec ses contemporains le débat que j’ai avec vous-mêmes. Car ils admiraient les anciens, et, lui, il préférait l’éloquence de son époque, et par nulle autre chose il ne devança les orateurs de son siècle plus que par son jugement. Le premier il polit le langage, le premier il fit choix des expressions et composa avec art ; il risqua même quelques morceaux brillans, donna un tour neuf à quelques sentences, particulièrement dans ces oraisons qu’il produisit étant déjà vieux et près de sa fin, c’est-à-dire après qu’il eut mûri son talent et appris, par l’usage et l’expérience, quel était le meilleur genre d’éloquence. Car ses premiers discours ne sont pas exempts des défauts de l’antiquité : il est lent à ses débuts, long dans ses narrations, oiseux dans ses digressions ; il s’émeut tardivement, rarement il s’échauffe ; peu de ses phrases se terminent avec convenance et un certain éclat ; on ne peut rien détacher, rien retenir ; et, comme dans un édifice grossier, sans doute les murs sont fermes et durables, mais pas assez polis et brillans. Pour moi, je veux un orateur semblable à un père de famille riche et digne d’éloge, occupant une habitation non-seulement préservée de la pluie et du vent, mais qui charme la vue et les regards ; qui non-seulement soit garnie des meubles suffisans aux usages indispensables, mais étale dans son luxe, de l’or et des pierres fines qu’on puisse librement admirer et toucher. Je veux qu’il mette à l’écart les objets sales et vieillis ; qu’il n’ait pas une expression infectée, pour ainsi dire, par la rouille, aucune phrase d’une structure lente et inerte, composée en façon d’annales ; qu’il fuie la bouffonnerie ignoble et sans sel, qu’il varie sa composition, et qu’il ne termine pas toutes ses périodes d’une manière uniforme.
XXIII. Je ne veux pas me moquer de la roue de fortune, ni du jus Verrinum, ni de l’esse videatur, posé dans tous les discours, comme pensée, de trois en trois phrases ; car je n’en fais mention qu’à regret, et j’ai omis bien des traits, unique objet d’imitation et d’admiration pour ceux qui s’appellent orateurs antiques. Je ne nommerai personne ; il me suffit d’avoir signalé cette classe d’individus. Mais sous vos yeux passent sans cesse des gens qui lisent Lucilius au lieu d’Horace, et Lucrèce au lieu de Virgile ; pour qui l’éloquence de votre Aufidius Bassus et de Servilius Nonianus, comparée à celle de Sisenna et de Varron, n’offre que dégoût ; qui repoussent les commentaires de nos rhéteurs, les ont en aversion, et qui admirent Calvus ; qui, suivant l’ancienne mode, causent avec lé juge ; que nul auditeur n’entoure, que le public n’écoute pas, et qu’à peine leur propre client tolère, tant est triste et inculte cette santé dont ils se vantent, et qu’ils doivent plutôt au jeûne qu’à leur vigueur. Certes, les médecins n’approuvent pas que la santé s’obtienne par l’anxiété de l’âme. C’est peu de n’être pas malade, je veux qu’on soit fort, gai et alerte : on n’est pas loin de la maladie, quand il n’y a qu’absence des maux. Pour vous, amis doués de tant d’éloquence, comme vous le pouvez, comme vous le faites, illustrez notre siècle par les plus belles méthodes de l’art oratoire. En effet, je te vois, toi Messalla, imiter les traits les plus vifs des anciens ; vous, Maternus et Secundus, vous mêlez si bien à la profondeur des pensées l’éclat et le poli de l’expression ; un tel choix préside à l’invention, un tel ordre aux phrases, et quand la cause l’exige une telle abondance, et quand elle le permet une telle brièveté ; tel est le charme de la composition, telle est l’harmonie des sentences, les passions sont si bien exprimées, la liberté si bien tempérée, que si même la malignité et l’envie ont retardé la juste approbation de notre siècle, nos descendans proclameront la vérité qui vous est due.
XXIV. Quand Aper eut cessé : Reconnaissez-vous, dit Maternus, la force et l’ardeur de notre Aper ? Quel torrent, quelle impétuosité, pour défendre notre siècle ! quelle abondance, quelle variété pour déprimer les anciens ! avec quel génie, quel esprit, et même quelle érudition et quel art leur a-t-il emprunté les moyens de les attaquer eux-mêmes ! Toutefois, Messalla, tu ne dois pas manquer à ta promesse : nous n’exigeons pas de défenseurs pour les anciens, nous ne comparons aucun de nous, quoiqu’on vienne de nous louer, à ceux qu’Aper a combattus. Et lui-même ne pense pas ainsi ; mais, suivant un usage antique, souvent usité par vos philosophes, il a pris pour lui le rôle de la contradiction. Fais-nous donc, non pas un panégyrique des anciens, leur renommée suffit à leur éloge, mais l’exposé des causes qui nous ont tant éloignés de leur éloquence, puisque le calcul des temps ne nous offre que cent vingt années de la mort de Cicéron à nos jours.
XXV. Alors Messalla : Je suivrai, Maternus, la forme que tu me prescris ; car il ne faut pas plaider longtemps contre Aper, qui, je pense, n’a soulevé qu’une controverse de mots, en prétendant qu’il était impropre d’appeler anciens des orateurs qui, comme il est constant, ont vécu cent ans avant nous. Or, pour moi, point de querelle sur l’expression : soit anciens, soit ancêtres, qu’il les appelle du nom qu’il voudra, pourvu que l’on accorde la supériorité de l’éloquence de ces temps. Je me rends aussi à cette partie de son discours où il déclare qu’il a existé plusieurs formes oratoires dans les mêmes siècles, pour ne pas dire en des siècles différens. Mais comme parmi les orateurs antiques le premier rang est donné à Démosthène, les secondes places à Eschine, à Hypéride, à Lysias et à Lycurgue, et que, d’un avis unanime, cette époque des orateurs est celle qui est le plus approuvée ; de même chez nous Cicéron, sans nul doute, a dépassé les plus habiles de son temps ; puis Calvus, Asinius, César, Célius et Brutus, sont placés, à bon droit, au dessus de leurs devanciers et de leurs successeurs : et peu importe qu’ils diffèrent dans l’espèce, puisque le genre est le même. Calvus est plus serré, Asinius plus nombreux, César plus brillant, Célius plus amer, Brutus plus grave, Cicéron plus vigoureux, plus plein et plus puissant. Tous cependant ont également une saine éloquence ; et si vous prenez à la fois leurs ouvrages, vous découvrez en ces génies divers une certaine similitude de jugement et de principes, et comme une parenté. Car, s’ils se sont déchirés les uns les autres, si dans leurs lettres il s’est glissé une malignité réciproque qui se trahit, n’accusons pas l’art oratoire, mais l’humanité. En effet, ni Calvus, ni Asinius, ni Cicéron lui-même, 11e furent, je crois, exempts d’envie, de rivalités et des autres vices de l’infirmité humaine. Un seul entre eux, Brutus, sans malignité et sans haine, mais simplement et ingénument, me semble avoir mis à découvert le jugement de sa conscience. Eut-il été jaloux de Cicéron, lui qui ne paraît pas même l’avoir été de César ? Quant à Servius Galba, à C. Lélius, et aux autres anciens qu’Aper ne cesse de poursuivre, la défense n’est pas nécessaire, puisque je conviens que leur éloquence, encore naissante et non assez développée, eut des imperfections.
XXVI. Du reste si, laissant le genre d’éloquence le meilleur et le plus parfait, il en fallait choisir un autre, certes je préférerais la fougue de C. Gracchus ou la maturité de L. Crassus, aux ornemens coquets de Mécène et aux glapissemens de Gallion. Ne vaut-il pas mieux revêtir l’orateur de la toge la plus rude que de le présenter avec le fard et la toilette d’une courtisane ? Et en effet, grands dieux ! est-ce à un orateur, est-ce même à un homme que convient cette parure de la plupart des avocats d’aujourd’hui, qui, par leurs expressions capricieuses, leurs sentences légères, leurs compositions libres, nous rappellent une musique d’histrions ? Et ce que l’on ne devrait ouïr qu’avec honte, est pour eux une louange, une gloire et une preuve de génie : ils se vantent qu’on chante, qu’on danse leurs plaidoyers. De là est venue cette exclamation si ignoble, si déplacée, et toutefois trop fréquente : Quelle volupté dans le style de cet orateur ! quelle éloquence dans les pas de cet histrion ! Je ne nierai point sans doute que Cassius Severus, le seul qu’Aper ait osé nommer, si on le compare à ceux qui le suivirent, ne puisse être appelé orateur, quoiqu’en la plus grande partie de ses écrits il y ait plus de véhémence que de solidité : car, méprisant le premier tout ordre dans les choses, dédaignant la modestie et la pudeur dans les paroles, mal revêtu des armes choisies par lui-même, ne s’étudiant qu’à frapper, et toujours à découvert, il ne combat pas, il querelle. Du reste, comme je l’ai dit, comparé à ses successeurs, il s’élève de beaucoup au dessus d’eux et par la variété de son érudition, et par les grâces de son enjouement, et par l’ensemble vigoureux de ces moyens. Aussi Aper n’a-t-il osé en nommer aucun et l’amener sur le terrain. Pour moi, je m’attendais qu’ayant attaqué Asinius, Célius et Calvus, il ferait apparaître sur le rang opposé un plus grand ou du moins un même nombre d’adversaires, pour que nous les opposions, celui-ci à Cicéron, celui-là à César, et enfin chacun à chacun. Maintenant, content d’avoir dénigré nominativement les anciens orateurs, il n’a osé louer les nouveaux qu’en masse et en commun, craignant, je crois, de blesser trop de réputations en n’en signalant que peu. Combien de rhéteurs, en effet, dans leur propre persuasion, se placent avant Cicéron, qui devraient se placer bien après Gabinianus !
XXVII. Quant à moi, je ne craindrai pas de les désigner individuellement, pour qu’il apparaisse plus évidemment par les exemples donnés, comment par degrés l’éloquence a été morcelée et rapetissée. Hâte-toi plutôt, interrompit Maternus, de remplir ta promesse ; car nous ne voulons pas conclure que les anciens étaient plus habiles, ce qui, pour moi, est bien démontré ; niais nous en recherchons les causes, dont tu t’es souvent occupé, comme tu l’as dit tout-à-l’heure, plus doux et non encore irrité contre l’éloquence de nos temps, avant qu’Aper ne t’offensât par ses attaques contre tes aînés. Je ne suis point offensé, dit Messalla, de l’opposition d’Aper ; mais 11e vous offensez pas non plus si par hasard je blesse vos oreilles, puisque vous savez que la loi de ces discussions est d’exprimer le jugement de son esprit sans heurter l’affection. Continue, dit Maternus, et, puisque tu parles des anciens, use de cette liberté antique dont nous avons encore plus dégénéré que de l’éloquence.
XXVIII. Alors Messalla : Les causes que tu recherches, Maternus, ne sont pas introuvables ; elles ne sont inconnues, ni à toi, ni à Secundus, ni à Aper, quoique vous m’ayez assigné le rôle d’émettre ici ce que nous pensons tous également. Qui ignore en effet que l’éloquence et les autres arts sont déchus de leur gloire antique, non par le manque d’hommes capables, mais par la nonchalance de la jeunesse, la négligence des parens, l’ignorance des instituteurs, et l’oubli des mœurs antiques ? maux qui, nés d’abord dans Rome, bientôt répandus à travers l’Italie, déjà se glissent dans nos provinces. Quoique nos mœurs vous soient les plus connues, je vous parlerai de Rome et de ces vices propres et domestiques qui nous saisissent à peine nés, et s’aggravent à chaque degré de notre âge. Auparavant je dirai en peu de mots la sévérité et la discipline de nos aïeux pour élever et former les enfans. Et d’abord, chaque Romain gardait près de lui son fils, qui, né d’une mère chaste, croissait, non pas dans le réduit d’une nourrice à gages, mais au giron et au sein de sa mère, dont toute la gloire était l’entretien de sa maison et le soin de ses enfans. On choisissait aussi une parente d’un Age plus mûr : c’est à ses mœurs pures et exemplaires qu’étaient confiés tous les rejetons d’une même famille, et, devant elle, il n’était jamais permis de rien dire qui parût honteux, de rien faire qui semblât peu honorable ; et ce n’était pas seulement les études et les occupations des enfans, mais leurs jeux et leurs délassemens qu’elle tempérait par une certaine pureté, par une certaine retenue. Nous apprenons qu’ainsi Cornelia, mère des Gracques, Aurelia, mère de César. Attia, mère d’Auguste, présidèrent à leur éducation, et produisirent ainsi des hommes supérieurs. Il résultait de cette discipline et de cette sévérité que ces naturels francs, purs, qu’aucun vice n’avait détournés, se livraient aussitôt, et de tout cœur, aux arts honnêtes ; et soit qu’ils inclinassent vers l’art militaire, ou vers la science du droit, ou vers l’étude de l’éloquence, ils s’y portaient exclusivement, et en pénétraient à fond toutes les sources.
XXIX. Mais aujourd’hui, l’enfant avant de parler est confié à quelque petite servante grecque à laquelle on adjoint un ou deux esclaves pris sans choix, souvent même le plus vil et le moins propre à aucun devoir sérieux. C’est de leurs fables et de leurs préjugés qu’est imbue aussitôt cette âme neuve et tendre ; et personne dans toute la maison ne porte de sollicitude à ce qui est ou dit ou fait devant l’enfant, chef futur de maison. Quelquefois même ce sont les parens qui l’habituent, non pas à la vertu et à la modestie, mais à une licence et à un désordre qui peu à peu font germer l’impudeur et le mépris de soi et d’autrui. Déjà même il est des vices particuliers et inhérens à cette ville, et qui semblent naître dans le sein maternel : tels sont la passion pour les histrions et l’amour pour les chevaux et les gladiateurs, passions qui obsèdent et occupent l’âme, au point de ne laisser que bien peu de place pour les arts honnêtes. Combien peu de jeunes gens tiennent chez eux d’autres discours ! si nous entrons dans les écoles, entendons-nous autre chose ? Les maîtres eux-mêmes n’ont guère d’autres conversations avec leurs auditeurs ; car ils accaparent des élèves, non par la sévérité, la discipline, leurs talens reconnus, mais par les intrigues et les amorces de la flatterie. Je passe sur les premiers élémens d’instruction, dont on s’occupe trop peu : on donne peu de temps à la lecture des auteurs, à l’étude de l’antiquité, à la connaissance des choses, des hommes et des temps ; mais 011 court à des gens qu’on nomme des rhéteurs. A quelle époque leur profession fut-elle introduite dans cette ville ? combien peu de cas en ont fait nos ancêtres ? Je vous le dirai aussitôt.
XXX. Il est nécessaire de reporter ma pensée vers ces études sévères auxquelles se livraient les orateurs dont les travaux infinis, les méditations journalières, les exercices de tout genre se retrouvent même dans leurs propres écrits. Nous connaissons tous cet ouvrage de Cicéron intitulé Brutus : dans la dernière partie, car la première contient l’histoire des anciens orateurs, Cicéron fait connaître ses débuts, ses progrès, et, pour ainsi dire, l’éducation de son éloquence. Il apprit le droit civil chez Q. Mucius ; il étudia à fond toutes les partie/de la philosophie chez Philon l’Académique et chez Diodotus le Stoïcien ; et, non content de ces maîtres que Rome lui offrait en abondance, il parcourut la Grèce et l’Asie pour embrasser toutes les diverses parties de toutes les connaissances. Aussi, grands dieux, dans les ouvrages de Cicéron, on reconnaît que ni la géométrie, ni la musique, ni la grammaire, ni la science d’aucun art libéral ne lui ont manqué. Il connut les subtilités de la dialectique, l’importance de la morale, les causes et les effets des choses. C’est ainsi, chers amis, que de cette immense érudition, de cette variété de talens, de cette science de toutes choses, jaillit et déborde cette admirable éloquence. Les moyens et les facultés de l’orateur ne sont pas, comme tous autres objets, renfermés en des bornes étroites et resserrées ; mais celui-là est un orateur, qui, sur toute question, peut parler d’une manière noble, brillante et propre à persuader, suivant la dignité du sujet, la convenance du moment, et toujours en charmant ses auditeurs.
XXXI. Telles étaient les règles des anciens : pour y parvenir, ils comprenaient bien qu’il faut, non pas déclamer dans des écoles de rhéteurs, non pas exercer sa langue et sa voix à des controverses feintes et opposées à la vérité, mais nourrir son esprit des sciences qui établissent les différences du bien et du mal, du juste et de l’injuste, des choses honnêtes et des choses honteuses. Telle est, en effet, la matière où s’exercent les talens d’un orateur ; car, dans les jugemens, on disserte presque toujours sur l’équité ; dans les délibérations, sur la probité ; souvent, sur l’une et sur l’autre à la fois. Peut-on parler avec abondance, avec variété, avec talent, si l’on n’a pas approfondi la nature humaine, la puissance de la vertu, les excès du vice, et si l’on ne distingue ce qui ne peut être compté ni parmi les vices ni parmi les vertus ? De ces sources découlent encore ces avantages, que vous pourrez bien plus facilement ou exciter ou calmer le courroux du juge, si vous savez ce que c’est que la colère ; on le déterminera plus promptement à la compassion, quand on saura ce que c’est que la pitié, et par quels ressorts l’âme y est excitée. Formé par ces exercices et par ces études, l’orateur, qu’il ait à parler soit devant des ennemis, soit devant des ambitieux, soit devant des envieux, soit devant des caractères sombres, soit devant des gens timides, tiendra en ses mains les rênes des esprits ; et, selon que la nature de chacun le demandera, il saura les gouverner, tempérera son discours, et sera maître de tous moyens utiles et réservés à tout usage. Il est des gens qui ont plus de foi dans un genre d’éloquence serré, compacte, et qui conclut de suite à l’argument ; auprès d’eux l’art de la dialectique sera très-utile. D’autres se plaisent davantage à un discours abondant, égal, et qui suit les règles du bon sens général : pour les émouvoir, on fera quelque emprunt aux péripatéticiens. Ils nous donneront des armes disposées et préparées pour toute discussion : empruntons à l’Académie la polémique, à Platon l’élévation, à Xénophon la grâce, à Épicure même et à Métrodore quelques sentences convenables ; user de tous, quand la cause le demande, ne sera point interdit à l’orateur ; car nous ne formons pas un sage ni une cité de stoïciens, mais celui qui, sans approfondir seulement quelques sciences, doit puiser à toutes : aussi les anciens orateurs étudiaient d’abord toute la science du droit civil, puis prenaient une teinture des belles-lettres, de la musique et de la géométrie. Car, dans la plupart des causes, pour ne pas dire dans toutes, la science du droit est indispensable ; mais, dans la plupart aussi, ces autres connaissances peuvent être réclamées.
XXXII. Et qu’on ne me dise pas qu’il suffit, au moment utile, de s’instruire de quelque objet isolé et spécial ; car, d’abord, l’emploi de ce qui nous est propre est tout autre que celui des choses empruntées. Différence est grande, d’user de ce qu’on possède ou de ce qui est prêté. Ensuite la réunion de beaucoup de talens enrichit la parole, même lorsqu’on s’occupe d’autres objets ; et, où on le croirait le moins, ils la font briller et exceller. Et cela est senti non-seulement par un auditeur réfléchi et éclairé, mais même par le peuple. Aussitôt les louanges éclatent et proclament que vous avez fait toutes les études convenables, que vous avez parcouru tous les degrés de l’éloquence, et qu’enfin vous êtes un orateur. Selon moi, ou ne peut l’être, on ne le fut jamais, si, semblable au guerrier armé de toutes pièces, on ne paraît pas au Forum armé de toutes les sciences. Ce conseil est tellement négligé par les habiles de notre époque, que, dans leurs plaidoyers, on découvre toujours, comme la lie du parlage vulgaire, des défauts eloquans et honteux ; on y voit qu’ils ignorent les lois, ne possèdent pas les sénatus-consultes, se rient du droit civil, redoutent l’étude de la sagesse et les préceptes de l’expérience, et réduisent aux plus petits développemens, et à d’étroites pensées, l’éloquence qu’ils ont comme chassée de son empire : de sorte que cette souveraine de tous les talens, qui jadis remplissait les cœurs de toutes ses magnificences, aujourd’hui mutilée et amoindrie, sans cortège, sans honneurs, je dirais presque sans noblesse, est apprise ainsi que le plus vil métier. Telle est, suivant moi, la cause première et principale de notre éloignement île l’éloquence antique. Si l’on veut des témoignages, en pourrai-je produire de préférables à celui de Démosthène chez les Grecs ; Démosthène qui, dit-on, fut un des plus studieux élèves de Platon ? A celui de Cicéron, qui dit en propres termes que ses succès dans l’éloquence sont dus non pas aux rhéteurs, mais à la fréquentation de l’Académie. Il est d’autres causes importantes et graves que vous trouverez bon d’exposer, puisque, moi, j’ai rempli ma tâche, et, selon ma coutume, offensé assez de gens qui, s’ils m’eussent entendu, diraient certainement, qu’en louant la science du droit et de la philosophie comme indispensable à l’orateur, je n’ai fait qu’applaudir à mes propres inepties.
XXXIII. Alors Maternus : Tu me parais si loin encore, dit-il, d’avoir accompli ton entreprise, que tu me sembles l’avoir seulement commencée et ne nous en avoir tracé qu’une esquisse et quelques délinéamens. Car tu as dit comment se formaient les anciens orateurs ; tu as démontré combien notre paresse et notre ignorance diffèrent de leurs études si persévérantes et si fécondes. J’attends le reste ; et comme tu nous a appris combien ils savaient et combien nous ignorons, fais-nous aussi connaître par quels exercices leur jeunesse, à son entrée au Forum, nourrissait et fortifiait ses talens. En effet, ce n’est point un art, une science que l’éloquence ; mais bien plutôt une faculté ; tu ne le nieras pas, je pense, et je lis sur le visage de nos amis qu’ils m’approuvent. Alors Aper et Secundus firent un signe d’approbation, et Messalla, reprenant la parole, commença ainsi : Puisque j’ai paru vous démontrer suffisamment et l’origine et les germes de l’ancienne éloquence en développant par quelles études se formaient et s’instruisaient jadis les orateurs, maintenant j’exposerai leurs cours d’études. Du reste, les talens s’acquièrent par l’exercice, et personne ne peut acquérir tant de connaissances variées et ignorées du vulgaire, s’il ne joint pas la méditation à la science, à la méditation la faculté de la parole. et à cette faculté les moyens de l’éloquence : d’où il résulte que c’est même chose, et de percevoir les idées que l’on doit émettre, et de savoir émettre les idées que l’on a acquises. Mais si ceci vous paraît obscur, et si vous séparez la théorie de la pratique, vous accorderez du moins qu’un esprit plein et muni de ces sciences sera bien plus prêt aux exercices qui semblent appartenir en propre aux orateurs.
XXXIV. Ainsi, chez nos ancêtres, un jeune homme qui se destinait à l’art oratoire et au Forum, déjà pénétré de la discipline intérieure de sa maison, nourri d’études honorables, était conduit par son père ou ses proches vers l’orateur qui, dans la ville, tenait le rang le plus élevé : il se faisait une loi de le suivre, de raccompagner, d’écouter tout ce qu’il disait, soit dans les jugemens, soit dans les conférences, de sorte qu’il profitait des débats et des discussions, et apprenait, pour ainsi dire, l’art des combats au milieu même des combats. De là ce grand usage, cette haute assurance, cette faculté de discernement dont les jeunes gens étaient sitôt pourvus, étudiant ainsi en pleine lumière, au milieu même des controverses dans lesquelles ne pouvait se dire impunément quelque sottise, ou se donner quelque démenti, qu’ils ne fussent réprimés par le juge, reprochés par l’adversaire, et enfin condamnés au mépris par les avocats eux-mêmes. Ils étaient donc imbus tout aussitôt d’une éloquence pure et vierge ; et, quoique attachés à un seul orateur, ils apprenaient cependant à connaître, dans cette grande variété de causes et de jugemens, toutes les sommités du barreau de]l’époque ; ils recueillaient aussi cette multitude d’opinions si variées du public, et y saisissaient facilement ce qui, dans chaque avocat, plaisait ou déplaisait. Ainsi il ne leur manquait ni un maître : ils en avaient un excellent et de premier choix, qui ne leur montrait pas une vaine image de l’éloquence, mais l’éloquence dans tous ses traits ; ni des adversaires et des émules : ils en avaient qui escrimaient, non pas à la baguette, mais avec le fer : l’auditoire était toujours plein, toujours renouvelé et par l’envie et par la faveur, de sorte que rien n’était dissimulé, pas plus les traits heureux que les fautes. Car vous savez que cette grande et durable réputation d’éloquence ne s’établit pas moins sur les bancs opposés que sur les vôtres, et que, bien plus, c’est là qu’elle surgit avec force et se corrobore le plus vigoureusement. Et, grands dieux, sous de tels précepteurs, ce jeune homme dont nous parlons, disciple des orateurs, toujours écoutant au Forum, toujours assistant aux jugemens, instruit et façonné par les exemples d’autrui ; à qui, par une attention journalière, les lois étaient connues, les visages des juges point nouveaux ; dont les yeux étaient habitués au fréquent spectacle des assemblées ; qui avait souvent appris ce qui convenait aux oreilles des Romains, soit qu’il entreprît l’accusation ou la défense, était aussitôt, seul et sans appui, à la hauteur de toute cause, quelle qu’elle fût. A dix-neuf ans L. Crassus attaqua C. Carbon ; à vingt-un ans César, Dolabella ; à vingt-deux ans Asinius Pollion, C. Caton ; à peu d’années de plus Calvus, Vatinius ; et ils prononcèrent ces discours qu’aujourd’hui même nous lisons avec admiration.
XXXV. Mais maintenant, nos jeunes gens sont conduits sur les théâtres de ces déclamateurs que l’on nomme rhéteurs, qui parurent peu avant l’époque de Cicéron, et ne plurent pas à nos ancêtres, comme le prouve l’ordre qu’ils reçurent des censeurs Crassus et Domitius, de fermer, comme dit Cicéron, leur école d’impudence. Mais, ainsi que je le voulais expliquer, nos enfans sont conduits dans ces écoles où je ne puis dire facilement lequel est le plus pernicieux pour leurs esprits, ou du lieu même, ou de leurs condisciples, ou de leur genre d’étude. Car, en ce lieu, nul respect : tous y entrent avec une égale ignorance ; nulle instruction à retirer des condisciples : ce sont des en fans mêlés à des enfans, des jeunes gens à des jeunes gens ; ils parlent, ils écoutent avec une égale indifférence. Quant aux exercices, ils sont en grande partie opposés au but. Car, en effet, on traite chez ces rhéteurs deux matières, les suasonœ et les controversiœ. Les premières, comme plus faciles et exigeant moins d’expérience, sont confiées aux enfans ; les controverses sont réservées aux plus forts élèves : eh ! quelles controverses, quelles incroyables compositions ! Il s’ensuit qu’à un sujet opposé à toute vérité on leur fait joindre des déclamations. Il en résulte donc que les récompenses des tyrannicides, l’alternative laissée à la pudeur violée, les remèdes à la peste, les fils incestueux, et toutes ces questions agitées dans les écoles, rarement ou jamais au Forum, y sont discutées à grands mots : mais, lorsqu’ils paraissent devant les vrais juges
L’esprit plein du sujet, il ne pouvait rien dire de bas, rien d’abject.
XXXVI. La haute éloquence, comme la flamme, a besoin d’aliment ; elle s’anime par le mouvement, elle jette ses feux en brûlant. Une même cause a fait briller dans Borne l’éloquence antique. Car, quoique les orateurs de nos temps aient obtenu les succès que pouvaient leur fournir un état de choses régulier, paisible et heureux, cependant cette perturbation, cette licence précédentes, paraissent leur avoir donné plus de carrière ; lorsque, dans ce trouble général, on manquait d’un modérateur unique, l’habileté de chaque orateur consistait dans son plus ou moins de persuasion sur un peuple errant sans guide. De là ces lois sans cesse proposées et ces noms devenus populaires ; de là ces harangues de nos magistrats restant des nuits entières à la tribune ; de là ces accusations contre les puissans, ces inimitiés vouées à des familles entières ; de là ces factions des grands et ces luttes renouvelées du sénat contre le peuple : toutes choses qui, bien qu’elles déchirassent la république, exerçaient cependant l’éloquence de ces temps et paraissaient lui offrir de très-grands avantages ; parceque, plus on avait la puissance de la parole, plus facilement on acquérait les honneurs ; plus, dans ces mêmes honneurs, ou l’emportait sur ses collègues ; plus on obtenait de faveur auprès des grands, d’autorité auprès des sénateurs, de renom et de célébrité auprès du peuple. Les clientelles des nations étrangères affluaient vers ces orateurs ; nos magistrats, partant pour leurs provinces, leur apportaient leur respect ; à leur retour, ils les visitaient ; les prétures et les consulats semblaient les appeler : simples particuliers, alors même ils n’étaient pas sans pouvoir, puisqu’ils régissaient et le peuple et le sénat par leurs conseils et leur autorité : bien plus, eux-mêmes étaient persuadés que personne, sans éloquence, ne pouvait dans l’état ou parvenir à un rang éminent et remarquable, ou s’y maintenir. Et cela n’est pas étonnant, puisqu’on était souvent conduit vers le peuple même malgré soi ; lorsque c’était peu d’opiner brièvement au sénat, si l’on n’appuyait son opinion par le talent et l’éloquence ; lorsque, victime de l’envie ou d’une accusation, il fallait répondre par sa propre bouche ; lorsque, dans les causes publiques, il fallait témoigner non par un représentant ou par écrit, mais parler en personne devant l’assemblée. Ainsi, aux avantages les plus éminens de l’éloquence, s’unissait une grande nécessité ; et si la réputation de la parole était belle et glorieuse, celle au contraire de rester court et sans voix était humiliante. On n’était donc pas moins stimulé par la honte que par l’intérêt. On ne voulait pas être compté au nombre des cliens et perdre le rang de patron ; voir passer à d’autres des charges transmises par ses aïeux ; ni paraître inactif et indigne des honneurs, et ne plus en obtenir ou ne pas les conserver après les avoir obtenus.
XXXVII. Je ne sais s’il vous est tombé sous la main de ces vieux écrits qui se trouvent encore dans les anciennes bibliothèques, que Mucien s’occupe particulièrement à rassembler, et dont, je crois, il a déjà été réuni et édité onze livres d’Actes et trois de Lettres : on peut voir par ces recueils que Pompée et Crassus durent leur puissance, non-seulement à la force et aux armes, mais à leur génie jet à leur éloquence ; que les Lentulus, les Metellus, les Lucullus, les Curions et cette élite de nos illustrations, consacrèrent beaucoup de travail et de soins à ces études, et qu’en ces temps personne n’acquit une grande puissance sans le talent de la parole. Il s’y joignait l’éclat des sujets et l’importance des causes, qui aident puissamment l’éloquence. Car il importe beaucoup que vous ayez à parler d’un vol, d’une formule, d’un interdit, ou bien des brigues des comices, de nos alliés mis au pillage, de nos concitoyens égorgés : ces maux, il est sans doute mieux qu’ils n’arrivent pas, et l’état le plus parfait de la ville est celui où l’on n’a rien à souffrir de tel ; mais enfin, quand ils avaient lieu, ils fournissaient une ample matière à l’éloquence ; car avec la grandeur des choses s’accroît la force du génie ; et personne ne peut produire un discours remarquable et cligne d’illustration, s’il n’a trouvé un sujet qui l’inspire. Je ne pense pas que Démosthène se soit illustré par ses discours composés contre ses tuteurs, ni que Cicéron soit devenu un grand orateur par sa défense de P. Quintius ou de Licinius Archias : c’est Catilina, et Milon, et Verres, et Antoine, qui l’ont environné de toute cette gloire. Non pas qu’il fût heureux pour la république d’avoir produit ces mécbans citoyens, pour que les orateurs eussent une matière abondante à leurs discours ; mais, je vous en préviens encore, n’oublions pas la question, et sachons bien qu’il s’agit d’un art qui puise principalement sa vie dans les temps de trouble et d’inquiétude. Qui ne sait qu’il est meilleur et plus utile de jouir de la paix que d’être agité par la guerre ? cependant les guerres produisent plus de grands capitaines que la paix. L’éloquence est sous une loi semblable : car, plus elle se sera présentée comme pour un combat, plus elle aura porté et reçu de coups, plus son adversaire aura été grand et vigoureux, plus elle l’aura engagé à de rudes assauts ; plus aussi elle aura acquis d’élévation et de sublimité, plus elle se sera ennoblie en ces périls aux yeux des hommes, dont la nature est de ne vouloir pas le calme.
XXXVIII. Passons à la forme et aux usages des anciens tribunaux. Quoique la forme actuelle soit plus favorable à la vérité, toutefois alors le Forum exerçait davantage l’éloquence ; on n’était pas obligé de terminer en peu d’heures ; les remises étaient libres ; chacun prenait son temps à son gré, et l’on ne limitait ni le nombre des jours ni celui des avocats. Pompée, à son troisième consulat, restreignit le premier, et brida, pour ainsi dire, l’éloquence : toutefois les affaires furent traitées toutes au Forum, toutes selon les lois, toutes devant les préteurs : car c’était devant eux qu’il était alors d’usage de plaider les plus grandes affaires ; et ce qui le prouve le plus, c’est que les causes centumvirales, qui sont maintenant au premier rang, étaient tellement éclipsées par l’éclat des autres jugemens, que pas un seul plaidoyer de Cicéron, de César, de Brutus, de Célius, de Calvus, ni enfin d’aucun autre grand orateur, ne fut prononcé devant les centumvirs, excepté les discours d’Asinius pour les héritiers d’Urbinia ; encore furent-ils composés vers le milieu de l’empire d’Auguste, après qu’un long temps de sécurité, un repos sans interruption chez le peuple, une tranquillité non troublée au sénat, et l’administration sévère du plus grand prince, eurent imposé le calme à l’éloquence ainsi qu’à tout le reste.
XXXIX. Peut-être ce que je vais dire paraîtra-t-il méticuleux et ridicule : je le dirai toutefois, même pour qu’on en rie. A quel degré d’humiliation pensez-vous qu’aient réduit l’éloquence ces manteaux étroits qui nous gênent et qui, pour ainsi dire, nous emprisonnent lorsque nous parlons aux juges ? combien le discours ne perd-il pas d’énergie dans ces auditoires, dans ces greffes où maintenant se plaident la plupart des causes ? Ainsi que les nobles coursiers demandent de l’espace pour s’élancer dans la lice, de même il faut à l’orateur un champ où il s’avance sans contrainte et sans gêne : sinon son éloquence se débilite et tombe. Et bien plus, les soins et les peines que nous prenons pour orner le style tournent contre nous-mêmes, parce que souvent le juge interroge quand on va commencer : sa question force alors à un tout autre début. Fréquemment l’avocat s’interrompt pour ouïr preuves et témoins : sur ce, il ne lui reste qu’un ou deux auditeurs, et la cause se plaide comme en un désert. Or, il faut à l’orateur acclamations, applaudissemens et théâtre, avantages qu’avaient chaque jour les anciens orateurs, alors que tant et de si nobles personnages encombraient le Forum, alors que les clientelles, les tribus et même les envoyés des municipes et une partie de l’Italie venaient soutenir des accusés en péril, alors qu’en la plupart des affaires le peuple romain pensait que ce qui allait être jugé était sa propre cause. On sait assez que, dans les accusations et les défenses de C. Cornelius, de M. Scaurus, de T. Milon, de L. Bestia, de P. Vatinius, la ville entière accourut et y prit une telle pari, que le choc même des affections du peuple eût pu exciter et enflammer les orateurs les plus froids. Aussi, grands dieux, de tels plaidoyers n’ont pas péri, et ceux qui les ont prononcés n’ont point de plus beaux titres au barreau.
XL. Bien plus, ces harangues continuelles, ce droit donné à chacun de poursuivre l’homme le plus puissant, et la gloire même des inimitiés, alors que beaucoup d’orateurs habiles ne ménageaient même ni Scipion, ni Sylla, ni Pompée ; alors que, pour attaquer des sommités sociales (telle est la nature de l’envie), des histrions s’adressaient aux oreilles même du peuple : quelles ardeurs toutes ces circonstances ne donnaient-elles pas aux génies, quels feux aux orateurs ? Nous ne discutons pas sur un art oisif et paisible, qui se réjouit de vertu et de modération, mais sur cette grande et magnifique éloquence, nourrisson de cette licence nommée liberté par la sottise ; sur cette éloquence, compagne des séditions, aiguillon d’un peuple sans frein, ennemie du respect et de la soumission, prête à la révolte, téméraire, arrogante, et ne naissant jamais dans les états calmes et fixes. En effet, de quels orateurs de Lacédémone ou de Crète nous a-t-on parlé ? C’est que, dans ces cités, très-sévère était la discipline, très-sévères les lois. Nous ne connaissons pas non plus d’éloquence ni en Macédoine, ni en Perse, ni chez aucune autre nation qui s’est contentée d’un gouvernement régulier. A Rhodes il y eut quelques orateurs, à Athènes un grand nombre : dans ces états le peuple pouvait tout, les inhabiles tout, enfin tous, pour ainsi parler, pouvaient toutes choses. Notre ville aussi, tant qu’elle n’eut point de règles fixes, tant qu’elle fut en proie aux partis, aux dissensions, aux discordes, tant qu’il n’y eut point de calme au Forum, de concorde au sénat, de modération dans les jugemens, nul respect pour les grands, nulle règle pour les magistrats, nourrit sans doute une éloquence plus ferme, semblable au champ qui, encore inculte, produit alors des plantes plus vigoureuses. Mais l’éloquence des Gracques ne profita pas à la république, puisqu’il fallut subir leurs lois, et les beautés de la plus pure éloquence de Cicéron n’ont point compensé sa fin déplorable.
XLI. Aujourd’hui, par ce qui nous reste de l’antique éloquence, le Forum ne prouve pas un état de choses épuré et qui remplisse tous les vœux : en effet, qui nous appelle, si ce n’est le coupable ou le malheureux. ? quel municipe envoie vers nous à Rome, si ce n’est celui que trouble quelque peuple voisin ou quelque discorde intérieure ? quelle province nous faut-il défendre, sinon celle qui est spoliée ou opprimée ? Or, il serait mieux de n’avoir pas à se plaindre que de se venger. S’il se trouvait quelque cité où personne ne pût être coupable, un orateur serait superflu parmi ces âmes pures, comme le médecin parmi des gens bien portans. Et comme l’art médical n’est nullement usité, nullement progressif chez les peuples dont les corps sains jouissent d’une santé inaltérable ; de même l’éclat du barreau est moindre et plus faible chez ceux qui ont des mœurs pures, et qui obéissent avec respect à qui les commande. Qu’est-il besoin, en effet, de longues discussions dans un sénat, si les bons esprits sont aussitôt d’accord ? A quoi servent tant de harangues au peuple, quand les délibérations sur l’état ne sont pas livrées à l’ignorance de la multitude, mais à la sagesse d’un seul ? Pourquoi ces voix toujours accusatrices, quand le délit est si faible et si rare ? Pourquoi d’aigres défenses excédant toutes limites, lorsque la clémence du juge court au devant de l’accusé en péril ? Croyez-moi, excellens amis, hommes savans autant qu’on peut l’être, si vous étiez nés, vous, dans ces siècles antérieurs, et ces hommes que nous admirons, dans le nôtre, et qu’un dieu eût tout à coup changé vos existences et vos époques, vous n’eussiez pas manqué, vous, ni de cette gloire supérieure ni des louanges dues à l’éloquence ; eux, ni de mesures ni de convenances. Maintenant, puisque personne ne peut obtenir à la fois une grande renommée et une grande tranquillité, que chacun use des biens que lui offre son siècle, sans dénigrer les autres époques.
XLII. Maternus avait fini. Alors Messalla : J’aurais bien à contredire et beaucoup à demander, si déjà la journée n’était terminée. On fera plus tard, reprit Maternus, suivant ton gré ; et si, dans mes paroles, quelques parties t’ont paru obscures, nous en conférerons de nouveau. En même temps il se leva ; puis, embrassant Aper : Nous te dénoncerons, s’écria-t-il, moi aux poètes, et Messalla aux amans de choses antiques. Et moi, dit Aper, je vous déférerai tous deux aux rhéteurs et aux scolastiques. Tous se prirent à rire, et nous nous séparâmes.
Cet ouvrage est un de ceux qui ont le plus exercé la critique et la sagacité des traducteurs et des commentateurs. Le titre de cet écrit, l’époque de sa composition, et jusqu’au nom même de son auteur, ont été vivement et long-temps contestés.
Quant au titre, Brotier a trouvé celui-ci dans les manuscrits du Vatican : C. Corn. Taciti Dialogus de Oratoribus. Celui de l’édition Princeps est ainsi conçu : Cornelii Taciti equitis romani Dialogus de Oratoribus claris. Ceux de Puteol. et Bér. portent : Cornelii Taciti equitis romani Dialogus, an sui sœculi oratores antiquioribus, et quare concedant. Nous avons suivi celui d’Ernesti, qui lit : De Oratoribus, sive de causis corruptæ eloquentiæ Dialogus.
L’époque supposée de ce Dialogue se rapporte à l’an de R. 831, de J.-C. 78, sous le consulat de Flavius Vespasianus Augustus et de Titus Vespasianus César.
Quant à l’auteur, on s’accorde généralement aujourd’hui à le reconnaître dans Tacite, contre l’opinion d’Ernesti, dont les savantes recherches et les précieux commentaires semblent attribuer cet ouvrage à tout autre écrivain. Si notre conviction à cet égard n’atteint pas le même degré de certitude que celle de MM. Dureau Delamalle et Burnouf, nous ne saurions non plus nous ranger entièrement à l’opinion des commentateurs et traducteurs, qui sont d’un avis opposé. Qu’il nous suffise donc de renvoyer le lecteur aux raisons plus ou moins fortes, plus ou moins spécieuses, que font valoir à l’appui de leur sentiment ces judicieux critiques, et qu’il serait trop long d’énumérer ici.
I. Justus Fabius. On voit par les lettres de Pline le Jeune (1, 11 et 7, 2) que ce Fabius Justus fut aussi son ami. M. Dureau Delamalle trouve, dans cette circonstance, une légère probabilité de plus que ce Dialogue est de Tacite : « Car, dit-il, d’aussi intimes amis que Tacite et Pline devaient avoir des amis communs. »
II. Curiatius Maternus. Poète qui n’est guère connu que par ce Dialogue et par ce passage de Dion (Domitien, lxvii, 12) : Ματαρνόν δά σοφιστύν, ότι χατά τυράννων αίπά τι άπέχτειυε. Du reste, M. de Sigrais pense que le Maternus dont parle Dion n’est pas celui dont il s’agit ici. M. Dureau Delamalle inclinerait à croire le contraire.
Marcus Aper et Julius Secundus. Ce Marcus Aper est peut-être le père de M. Flav. Aper, consul l’an de Rome 883. Quintilien (x, 1, et xii, 10) célèbre les louanges de J. Secundus.
Nourri de l’érudition ordinaire. On lisait, avant Rhenanus, cum eruditione, au lieu de communi eruditione. L’érudition ordinaire s’entend des arts libéraux auxquels se livrent communément les hommes bien nés. Communi vient de Rhen. ; Heins. conjecturait comi ; Acid., omni.
III. Domitius. Il parait que ce fut celui qui montra tant d’acharnement contre César, et qui resta sur le champ de bataille à Pharsale. Suétone (Néron, 2) et Cicéron (Orateur, ii, 56) font mention de ce Domitius, surnommé Énobarbus.
T’occuper à la fois. Au lieu de la leçon commune adgregares, Pithou et Muret mettent adgregare, en le rapportant à negotium. Oberlin et Schulze l’ont aussi reçu, et font dépendre cet infinitif de negotium importasses. Cette prétendue correction, dit M. Burnouf, gâte une phrase très-claire et très-élégante. Domitium et Catonem ne sont point régimes du verbe aggregare ; c’est tout simplement une apposition à negotium.
V. Saleius Bassus. Quintilien (x, 1) dit que ce poète avait de la véhémence et de l’imagination, mais que la vieillesse même ne put mûrir son talent : « Nec ipsa senectute maturum. » Le petit poëme à C. Pison, ordinairement attribué à Lucain, serait, suivant Wernsdorff, l’ouvrage de Bassus.
Eprius Marcellus. Fameux délateur qui fit condamner Pétus Thraséas, beau-père d’Helvidius Priscus. (Voy. Tacite, Hist, iv, 6 et 43.)
Helvidius. Gendre de Pétus Thraséas, dont il est question dans la note précédente. Tacite (Hist., iv, 5) parle d’Helvidius avec beaucoup d’éloges.
VII. Né dans une ville peu en faveur. Maternus, Secundus, Aper, étaient Gaulois. On lit en effet, chap. x de ce Dialogue : Ne quid de Gallis nostris loquamur. — Voyez aussi la note du chapitre xvii, relative à l’origine d’Aper. Mais pourquoi la ville où il était né était-elle peu en faveur auprès des Romains ? « C’est, dit M. de Sigrais, que plusieurs villes des Gaules avaient été des dernières à reconnaître Vespasien. »
VIII. Crispus Vibius. Complaisant et parasite de Vitellius, suivant Dion (lxv, 2). Quintilien (x, 1) en parle avec éloge, comme d’un orateur doué d’une éloquence facile et agréable. (Voyez aussi Tacite, Hist., ii, 10.)
Trois cent millions de sesterces. Cette somme, à l’époque de Vespasien, équivalait à 53, 079, 679 fr. de notre monnaie. L’accusation de Thraséas avait valu à Marcellus cinq millions de sesterces. (Tacite, Annal., xvi, 33.)
Mènent et dirigent tout. — Voyez, pour l’explication de ces mois, agunt feruntque cuncta, la note que nous avons donnée, page 319, tome iv de notre Tacite.
IX. Mendier des auditeurs. Ce fut sous Auguste qu’eurent lieu ces premières lectures : Pline le Jeune récita son Panégyrique de Trajan devant une assemblée choisie, et Ammien Marcellin eut recours au même moyen pour faire connaître les premiers livres de ses Histoires.
Qui fit don à Bassus de cinq cent mille sesterces. Cette somme, à l’époque de Vespasien, équivalait à 88, 466 fr. de notre monnaie. Cet empereur fut le premier qui rétribua les rhéteurs qui enseignaient cet art. Leur traitement fut de cent mille sesterces par an (17, 693 fr.).
X. Nicostrate. Athlète qui vécut dans le premier siècle, et dont Quintilien fait mention (ii, 8).
Un adversaire qui te vaincra. C’est-à-dire le prince, que vous offenserez avec votre Caton.
Si, dans nos expressions. A la place de ces mots, in quibus expressis si quando necesse sit, peut-être faudrait-il in quibus expressit si quando necessitas. Acid. convient qu’il ne comprend point ce que c’est que expressis, Schulting. conjecture in quibus ex professis, ce qui est beaucoup plus obscur. Schelius approuve la conjecture de Lipse. Schulze retranche avec Heumann, expressis comme une glose. Expressis est pour Oberlin la même chose que expositis ; c’est ainsi que Cicéron (pour Archias, chap. ix) se sert de ce mot : « Mithridaticum… bellum… totum ab hoc expressum est. »
XI. Dans ma pièce de Néron. Gronovius voulait qu’à la place de ces mots, improbam et studiorum quoque sacra profanantem vaticinii, on lût : Quum in Nerone improbatam et studiorum quoque sacra profanantem Vatinii potentiam fregi. Il est évident, dit Emesti, que le discours roule sur un homme : c’est pourquoi j’ai reçu Vatinii. Brotier a fait de même. Ou demande, dit Oberlin, comment Maternus improbatam (car je reçois ce texte) in Nerone et musarum sacra profanantem Vatinii potentiam frangere potuerit ? Gron, à l’endroit cité, conjecture que Vatinius avait profané les muses par une tragédie qu’il récita aux fêtes de Néron (dont parle Suétone, chap. xii), mais que Maternus fut couronné, et que Vatinius succomba. In Nerone improbata Vatinii potentia, c’est-à-dire blâmée dans ce prince par tous les gens de bien dont nous avons parlé plus haut (Ann., xv, 34). Heumann, que suit Schulze, lit : Ipsi Neroni improbatam, ce qui n’est pas mal. Il en est qui conservent le mot de vaticinii. En effet Barthius lit : In Nerone improbam… vaticinii potentiam fregi, et il pense que Maternus fait allusion à certains endroits de ces tragédies où le peuple avait applaudi à toute outrance contre Néron. Dureau Delamalle aussi, ayant suivi M. de Sigrais, conserve vaticinii, et traduit ainsi cet endroit : « Lorsque, dans mon Néron, j’humiliai ce tyran, profanateur d’un art sacré, qui avait besoin de soutenir ses vers de tout l’appareil de son pouvoir. » Enfin, lorsque Schulting. refait les mots à sa manière, sa témérité est extraordinaire. Cf. Schulze. M. Burnouf convient aussi qu’il est impossible de rien prononcer de certain sur ce passage. Cependant il n’admet pas la leçon Vatinii, mais bien vaticinii, qu’il enferme dans des crochets comme glose de studiorum. Nous dirons avec lui : « Le champ reste ouvert à la sagacité du lecteur. »
Ces bronzes et ces images. Au lieu de non magis quam œra et imagines, Cujacius lisait non magis quam ceras et imagines, c’est-à-dire les images de cire de ses ancêtres, dont parle Juvénal (viii, 19). Pour Brotier, œra sont les statues d’airain et les tables d’hospitalité dont il est fait mention chap. iii.
La position d’un citoyen, sa sécurité. A la place de ces mots statum cujusque ac securitatem, Juste-Lipse préférerait statum hucusque. Maternus, dit-il, parle de lui-méme, et répond à cette partie du discours d’Aper, où il prétend que l’éloquence est un trait qui doit repousser tous les dangers. Pichena conserve cujusque, et lit tuetur, pour que l’innocence et l’éloquence soient en première ligne. Brotier et les éditions de Deux-Ponts pensent comme Lipse.
XII. Asinius. Asinius Pollion, si souvent célébré par Horace, protecteur de Virgile et fondateur de la première bibliothèque publique qui fut ouverte à Rome.
Messalla. Valerius Messalla Corvinus, qu’il ne faut pas confondre avec le Messalla de ce Dialogue.
La Médée d’Ovide. Cette pièce n’est pas venue jusqu’à nous. Quintilien en fait l’éloge (x, 1).
Le Thyeste de Varius. Ce Varius était l’ami de Virgile et d’Horace, qui en parle dans le Voyage à Brindes. Le Thyeste nous est inconnu.
XIII. Cette heureuse cohabitation avec la poésie. Gronovius, au lieu de ces mots et illud felix contubernium, conjecturait et illud secum contubernium, d’après Perse (iv, 52), tecum habita. Les éditions de Deux-Ponts entendent bien le felix contubernium, des forêts, des bois sacrés et de la solitude où les poètes vivent avec eux-mêmes, et prétendent cohabiter avec les dieux et les héros. Ainsi il n’est point nécessaire d’ajouter Elysii avec Barthius, ou sedens avec Schulting.
Pomponius Secundus. Écrivain tragique dont il est fait mention (Ann., xii, 28). Quant à Domitius Afer, il en est parlé (Ann., iv, 52), et dans Quintilien (x, 1, et xii, 11).
En maudissant leurs services. Juste-Lipse voulait qu’à ces mots hi quibus prœstant, indignantur, on ajoutât la négation, hi quibus non prœstant. Il se trompe, dit Gronovius, car cela signifie la même chose que ce que dit Florus de César (iv, 2) : « Clementiam principis vicit invidia, gravisque erat liberis ipsa beneficiorum potentia. »
Pour sauver mon patrimoine. — Pro pignore, c’est-à-dire pour ma tranquillité, en adjoignant à mes héritiers ceux dont le crédit me soit un gage que mon testament sera ratifié. C’est ainsi que nous lisons dans la Vie d’Agricola, chap. xliii : « Tam cæca et corrupta mens adsiduis adulationibus erat, ut nesciret a bono patre non scribi hæredem, nisi malum principem. »
Ni enquête ni supplications. D’après un usage reçu chez les Romains, il fallait une délibération du sénat ou une autorisation du prince pour honorer la mémoire d’un citoyen, ou décorer son tombeau, quand, en cessant de vivre, il s’était trouvé sous le poids d’une condamnation ou d’une accusation quelconque. Gronovius cite une inscription lapidaire qui prouve cet usage : M. Annæo. Lucàno. Cordvbensi. Beneficio. Neronis. Fama. Servata.
XIV. Vipstanus Messalla. On lisait auparavant Urbanus Messala ; mais un ancien manuscrit porte Vibanus, d’où il a été facile de rendre à cet homme célèbre son vrai nom de famille, Vipstanus Messalla. C’est le même dont il est question (Hist., liv. iii, chap. 9, et liv. iv, chap. 42). Répétons ici ce que nous avons déjà dit dans nos notes sur le liv. iii des Histoires : « L’éloge que Tacite y fait de ce personnage ne fournirait-il pas un appui à l’opinion que ce Dialogue est bien réellement l’ouvrage de ce grand historien ? »
Julius Asiaticus. C’est vraisemblablement ce chef gaulois qui avait combattu pour Vindex, et dont on demandait le supplice à Vitellius (Hist., ii, 94).
XV. De ton frère. Quel est ce frère de Messalla ? Je pense, dit Juste-Lipse, qu’il s’agit de Regulus, de celui qui vécut du temps de Pline, et qui fut loué plus pour son élocution que pour sa conduite. Ce qui me le fait soupçonner, c’est cet endroit de Tacite (Hist., iv, 42) : Magnam eo die pietatis eloquentiœque famam Vipstanus Messalla adeptus est, nondum senatoria astate, ausus pro fratre Aquilio Regulo deprecari. Sur Regulus, voyez Pline le Jeune, Lett. i, 5 ; iv, 7.
Sacerdoce Nicétès. Fameux déclamateur de cette époque. Pline (Lettr., vi, 6) convient l’avoir entendu : « Erat non studiosorum tantum, verum etiam studiorum amantissimus, ac prope quotidie ad audiendos, quos tunc ego frequentabam, Quinctilianum et Sacerdotem Nicetem ventitabat. » Il y a dans les Vies des Sophistes, par Philostrate de Lemnos (i, 19), un éloge de ce Nicétès, à ce que dit Pithou. Sénèque le père le nomme aussi (Cont., ix, 2) : « Nec Julio nec alii contigisse suo (j’écrirais nec Vibio, nec alii contigisse scio), quam apud Græcos Nicetæ, apud Romanos Latroni, ut a discipulis non audiri desiderarent ; » et, dans le même livre : « Nicetes egregie dixit in eodem loco. » (suédois.)
Afer, Africanus. — Voyez ce qu’en dit Quintiiien (Instit. Orat., x, 1) ; sur Asinius Pollion, voyez Quintilien, ibid., et, plus haut, chap. xii.
XVI. Quatre siècles entre Démosthène et notre époque. On lisait, avant Juste-Lipse, ccc annos. C’est lui qui, le premier, a proposé la correction cccc annos, qu’ont admise depuis tous les éditeurs. Le premier nombre était évidemment fautif, puisque la mort de Démosthène eut lieu l’an 322 avant J.-C. Du reste, ce chiffre de quatre cents ans, depuis la mort de Démosthène, présente un nombre rond, comme l’observe Mercier.
Et si cette année en comprend douze mille neuf cent cinquante-quatre des nôtres. Ce nombre varie dans les exemplaires de Servius (ad Æneid., i, 269, et iii, 284), et aussi dans Censorinus (chap. xviii), sur le jour natal à Q. Cerellius ; Macrobe, Commentaire sur le Songe de Scipion, ii, 11, et Jul. Firmicus (liv. i). comme en prévient avec raison Pithou. Le vrai nombre est xii m. dccccliv, écrit en entier dans le Fragment d’Hortensius à Cicéron, et nous l’avons admis. L’année de la révolution complète de tous les astres, qui est la grande de Platon, d’après le calcul
des astronomes, est de 25, 920.XVII. Menenius Agrippa. — Voyez, sur ce personnage, Tite-Live, ii, 32.
Célius. M. Célius Rufus. Il se trouve de ses lettres parmi celles de Cicéron. Voyez aussi, sur ce personnage, Cicéron, Brutus, 79.
Calvus. — Voyez Sénèque, Contr., iii, 19 ; Cicéron, Brutus, 82, et chap. xviii de ce Dialogue.
Brutus. M. Junius Brutus, celui même dont Cicéron a donné le nom à son Dialogue de Claris oratoribus.
Cette seule armée aussi des règnes de Galba, etc. Il y a’dans l’édition Princeps : Atque unum G. et O. et V. longum et unum annum. De même, dans Put. et Bér., en omettant longum et. Lipse a mis, d’après son ancien manuscrit, ipsum, qui, peut-être, est de trop aussi bien que unum, qui est avant ; autrement, ipsum unum serait prœcise unum. — Longum semble être inutile. Toutefois, Schurzfl. pense que cela est dit, parce que, entre la mort de Néron et le commencement du règne de Vespasien, il y a eu un intervalle d’une année et vingt-deux jours.
J’ai vu moi-même en Bretagne. De cet endroit, Schulze conjecture, dans les 'Prolégom., p. 38, et avec lui Louis G. Crome, dans le programme sur la lecture du Dialogue des Orat., in-4o, Luneb., 1790, qu’Aper était Breton, ce qu’ils pensent être confirmé par le chap. vii, où il se dit in civitate minime favorabili natum. Ce qu’il dit expressément au chap. x, ne quid de Gallis nostris loquamur, s’oppose à cette opinion.
Aux dernières distributions. Brotier, sur cet endroit, donne, avec beaucoup de clarté, l’historique des congiaires (distributions extraordinaires). Celui dont il est ici question avait été donné sous Vespasien par son fils Titus, l’an de Rome 826.
XVIII. S. Galba. Schulting. croit avec assez de probabilité qu’il a échappé ici C. Lœlio, qui est plus bas, chap. xxv ; il est nommé avec Galba parmi ceux dont Aper a fait mention. Quant à Galba, voyez Cicéron, de Claris orat., xxi et suiv ; et à C. Carbon, ibid., xxvii.
Comparé au vieux Caton, etc. Sur Caton, voyez Quintil., xii, 11 ; sur Gracchus, Plut., et Cic. dans Brutus, 33 ; sur Crassus, Cic., de Orat., iii, 1, in Verr., iii, 1, et aussi dans Brut., 38.
Toujours ce qui est ancien est loué. Velleius (ii, 92) dit exactement la même chose : « Praesentia invidia, præterita veneratione prosequimur. »
Appius Cécus au détriment de Caton ? Au lieu de pro Catone, Groslotius préférait prœ Catone. D’autres, parmi lesquels Schurzfl., veulent qu’on retranche magis ; un autre veut qu’on efface pro. Emesti admet la correction de Groslotins. Les éditeurs de Deux-Ponts lisent Porcio Catone. Sur Appius Cécus, voyez Cicéron, Brutus, xiv, et de Senect., vi.
Cicéron ne manqua pas de détracteurs. — Voyez à ce sujet Quintilien, xii, 10.
XIX. L’époque de Cassius Severus. Juste-Lipse, en admettant ad Cassium Severum faciunt, observe cependant qu’un ancien manuscrit donne Cassium quem reum faciunt. Brotier, d’après les traces des manuscrits du Vatican et l’édition Princeps, refait ainsi le texte : Solent usque ad Cassium Severum quem reum faciunt quemque primum adf., etc., ce qui ne plait point à Ernesti. Constituere teiminum ad aliquem, dit-il, n’est point latin. Déjà Puteol. a donné usque ad Cassium Severum. A ce sujet, voyez Tacite ; Annales, iv, 2 ; Quintilien, x, 1, et Sénéque, Exc. contr. 3, Prœf.
Des harangues les plus embrouillées. On lisait auparavant, imperitissimarum orationum. Quintilien explique très-bien l’impedita oratio, viii, 6, de l’Institution oratoire.
D’Hermagoras et d’Apollodore. Il faut entendre ici cet Hermagoras qui vécut sous Auguste, et que cite Quintilien (iii, 1), et non un autre rhéteur nommé aussi Hermagoras, dont il est fait mention dans Cicéron, Brut., 78, et Quintilien, passim. Apollodore de Pergame fut précepteur d’Auguste : il lui enseigna l’éloquence dans la ville d’Apollonie. Voyez, sur ces rhéteurs, Quintilien, iii, 1 ; Suétone, Auguste, 89 ; Strabon, 13, et Suidas, aux mots Hermagoras et Apollodore.
Dans une assemblée. D’autres lisent corona. Si corlina est bon, dit Juste-Lipse, je ne le recevrai que comme signifiant les banquettes ménagées près du tribunal, où étaient placés les avocats, les greffiers, les huissiers, et tout ce qui tenait au barreau. Sévère, dans le poëme de l’Etna, vers 295, semble s’en être servi pour signifier la partie courbe du théâtre : « Magni cortina theatri. » Il faut examiner, déplus, si assistere ne s’entend pas ici des cliens et des témoins qui se joignaient à l’avocat. C’est de là qu’on trouve aussitôt vulgus quoque assistentium et affluens et vagus auditor. Il les distingue des auditeurs qui se trouvent là par hasard. Ernesti et Brotier ont conservé cortina, qu’approuve Dureau Delamalle, et qu’a maintenu M. Burnouf.
XX. Sur une formule ou une exception. — Voy. le Digeste, xliv, titre Ier. Formula s’entend de celle qui est prescrite pour chaque action.
En faveur de M. Tullius. Macrobe, de Diff et soc. grœci latinique verbi, ch. du temps parfait, loue cette oraison qui est perdue.
Les gestes de Roscius et de Turpion Ambivius. Les manuscrits ajoutent mal-à-propos une disjonction : Turpionis aut Ambivü ; car les inscriptions de Terentius, et Cicéron (de Senect., xiv), apprennent que c’est un même individu. Roscius est ce fameux comédien, seul digne, par son talent, de monter sur la scène, et, par son caractère, de n’y monter jamais. (Voyez Cicéron, pro Quintio, xxv.) — Turpion Ambivius, beaucoup plus ancien que Roscius, jouit aussi d’une grande célébrité. C’était un des chefs de la troupe qui joua presque toutes les comédies de Térence.
Non pas souillé de la rouille d’Accius ou de Pacuvius. C’est ainsi qu’on lit dans Sidon. Apoll., Epit. i : « Veternosum dicendi genus. » Accius, poète tragique, naquit à Rome l’an 584, et mourut à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Pacuvius naquit à Brindes, vécut à Rome vers le commencement du septième siècle, et mourut à Tarente en 624. Voyez, pour le jugement que Quintilien porte de ces deux poètes, Institut, orat., liv. x, chap. 1.
XXI. Ni Canutius, ni Arrius, ni Furnius. Cicéron donne au premier de ces personnages le surnom de Publius dans son Brutus, 56, et dans l’Oraison pour Cluentius, 18 : « Accusabat P. Canutius, homo in primis ingeniosus et in dicendo exercitatus ; » mais il l’appelle Titus dans la Philipp. iii, 9 : « T. Canutius, a quo erat honestissimis contentionibus et sæpe et jure vexatus. » Suétone (de Clar. rhet, vi), le nomme Caïus. Dans le Brutus de Cicéron, 6, 9, il est question d’Arrius : « Quod idem faciebat Q. Arrius, qui fuit M. Crassi quasi secundarum. » Nous pensons que ce Furnius est celui dont César parle à Cicéron, liv. ix, après l’épître vi à Atticus, où ces paroles font voir qu’il fut un avocat célèbre, et mis au rang des hommes diserts : « O mi Furni, quam tu causam tuam non nosti, qui alienas tam facile discas ! »
Contre Vatinius. Quintilien (vi, 1 et 3 ; ix, 2) fait mention des discours de Calvus contre ce Vatinius, le même que Cicéron écrasa par cette foudroyante invective parvenue jusqu’à nous, et que, deux ans plus tard, il défendit d’une accusation de brigne intentée par Calvus.
Que dire des oraisons de Célius ? — Voyez, sur cet orateur, le jugement qu’en porte Quinlilien (x, i et 2).
Pardonnons à César. — Voyez, à ce sujet, Quintilien, x, 1.
Laissons Brutus à sa philosophie. Conf. Quintilien, x, 1. Les anciennes éditions avaient auparavant, Brutum in eloquentia sua relinquamus.
Parmi les Menenius et les Appius. Voici ce qu’on lit au sujet d’Asinius dans Quintilien (x, 1) : « Asinius Pollion est tellement éloigné du style net et agréable de Cicéron, que l’on pourrait croire qu’il vivait un siècle auparavant. »
XXII. Peu de ses phrases se terminent avec convenance et un certain éclat. Au lieu de pauci sensus apte et cum quodam lumine termi nantur, on lisait : Pauci sensus opt. et cum quodam lum. term. Acidalius et Freinshemius ont lu apte, que nous préférons. C’est ainsi qu’on lit dans Cicéron : « Clausulæ apte numeroseque cadentes. » On voit évidemment ce que signifie cum lumine, d’après ces mots du chap. xx : Ubi sensus arguta et brevi sententia effulsit. L’usage a prévalu, dit Quintilien (viii, 5), et l’on appelle sensus les conceptions de notre esprit, et sententias les traits saillans placés à la fin des phrases.
XXIII. La roue de fortune. Jeu de mots qui se trouve dans le Discours contre Pison, 10. Cicéron y dit, en parlant de Gabinius : « Quum ipse nudus in convivio saltaret, in quo ne tum quidem, quum illum suum saltatorium versaret orbem, fortunæ rotam pertimescebat. »
Du jus Verrinum. Autre jeu de mots, plus ridicule encore que le précédent : détestable équivoque qui résulte de ce que jus Verrinum peut signifier à la fois et justice de Verrès et jus de pourceau. C’est dans la première Verrine que se trouve celte plaisanterie de mauvais goût. Du reste, Cicéron lui-même désapprouve ces pointes chez les autres. (Voyez Quintilien, vi, 3.)
Lucilius au lieu d’Horace.— Voyez, à ce sujet, Quintilien, x, 1 ; Horace, Sat, i, 4 et 10. Lucilius naquit l’an 606 de la fondation de Rome. Ce fut le premier Romain qui se distingua dans le genre satirique.
De votre Aufidius Bassus et de Servilius Nonianus. — Voyez, sur chacun de ces historiens, Quintilien, x, 1, et aussi Tacite, Ann., xiv, i9.
Sisenna. L. Cornelius Sisenna, orateur médiocre, assez bon historien, quoique fort éloigné de la perfection. Cicéron parle de lui dans son Brutus, 64.
Varron, M. Terentius Varron, le plus savant de son siècle, mais beaucoup plus érudit qu’éloquent. Voyez ce qu’en dit Quintilien, x, 1.
Les ont en aversion. Il y a dans le texte, fastidiunt, oderunt. Schulze et Heumann retranchent le dernier mot comme une glose ; mais notre auteur emploie souvent les synonymes.
Telle est l’harmonie des sentences. Je ne sais, dit Juste-Lipse, si, au lieu de ea sententiarum planitas, il ne faudrait pas lire sanitas. Ernesti croit vraie la conjecture de Lipse. Planitas peut se confirmer d’après Quintilien, qui dit (viii, 5) : « Les mouvemens qui s’élèvent par des efforts fréquens et faibles ne sont qu’inégaux et comme rompus ; ils n’obtiennent point l’admiration des endroits brillans ni la grâce de ce qui coule de source. » Schulting. préférerait gravitas ; les éditeurs de Deux-Ponts, plenitas, pour que la phrase fût pleine, achevée, mesurée et opposée au style déchiqueté. Ce qui favorise l’opinion des éditeurs de Deux-Ponts, c’est qu’au chap. xxv on reproche trop de plénitude à Cicéron. Oberlin croit en conséquence qu’on doit l’admettre. Nous avons conservé planitas avec M. Burnouf, qui justifie ainsi cette expression : « Les pensées sont planæ, dit-il, lorsqu’elles ne font point, en quelque sorte, une saillie trop marquée ; lorsqu’elles ne s’élèvent point d’une manière inattendue et choquante ; enfin, lorsqu’elles sont amenées si naturellement et si bien fondues avec le reste, qu’elles semblent ne pas sortir du niveau commun. »
XXVI. Aux omemens coquets de Mécène. — Voyez, à ce sujet, Suétone, Aug., 86 ; Quintilien, ix, 4 ; Sénèque, Lettr., 114 ; Macrobe, Saturn., ii, 4. Calamister, ou calamistrum, est, au propre, le fer qu’on employait pour friser les cheveux ; au figuré, il désigne la recherche et l’afféterie du style.
Aux glapissement de Gallion. Quintilien (ii, 3) raille aussi les tinnulos oratores ; il cite également (iii, 1) les travaux oratoires de Gallion le père. C’est peut-être celui dont il est parlé Annales, xv, 73. Il est assez difficile de trouver dans notre langue un mot qui rende exactement ce tinnitus. M. Burnouf traduit « les cliquetis de Gallion ; » nous avons peine à admettre cette expression, sans nous flatter toutefois d’avoir été beaucoup plus heureux que lui. Disons cependant que glapissemens nous semble mieux convenir à un être animé que cliquetis.
Quelle volupté dans le style de cet orateur ! Juste-Lipse déclare qu’il a rétabli hardiment tenere dicere, quoique par conjecture ; car, dans tous les livres, il y a temere. Pline éclaire assez cette correction, et la confirme (Lettr., ii, 14) : « Pudet referre, quæ, quam fracta pronunciatione, dicantur : quibus, quam teneris clamoribus excipiantur. Plausus tantum, ac potius sola cymbala et tympana, illis cantibus desunt. » Cicéron (in Pis., 36), « Saltatores teneri. »
Gabinianus. Il fut rhéteur du temps de Vespasien. C’est de lui qu’Eusèbe dit dans sa Chronique, l’an 8 du règne de Vespasien : « Gabinianus, celeberrimi nominis rhetor, in Gallia docuit. » La construction de cette phrase a long-temps embarrassé les éditeurs et les commentateurs. Oberlin voulait qu’on lût ainsi : Ut se non quidem ante Ciceronem numeret ; Dronke, ut se ante Ciceronem numeret. M. Burnouf, dont nous adoptons le texte, lit ainsi : Ut se ante Ciceronem numeret, sed plane post Gabinianum. Le sens est parfaitement clair, dit-il ; chacun de ces beaux-esprits se mettait bien au dessus de Cicéron ; mais, comme il ne sied pas de s’adjuger à soi-même le premier rang, il y plaçait Gabinianus.
XXVII. Par ses attaques contre tes aînés. M. Dureau Delamalle traduit : « En attaquant tes ancêtres. » M. Burnouf : » En attaquant vos ancêtres. » La double acception du mot ancêtres devait nous empêcher d’admettre cette expression. M. Burnouf lui-même a cru ne pouvoir la faire passer qu’à la faveur de la note suivante : « Ceci, dit-il, est une allusion évidente aux mots du chap. xxv, sive illos antiquos, sive majores… appellet, que l’auteur met dans la bouche de Messalla. Il ne faut donc pas entendre, par majores, les propres ancêtres de Messalla, qu’on supposerait attaqués dans la personne de Corvinus : le Messalla du Dialogue s’appelait Vipstanus, et Corvinus Messalla était de la maison des Valerius. Lorsque Maternus dit à son ami qu’Aper a attaqué ses ancêtres, il ne fait que jouer sur le mot majores, que celui-ci avait proposé pour désigner les anciens. »
XXVIII. Comélie. — Voyez, à son sujet, Cic., Brut., xxvii, et Pline, xxxiv, 6 (13) ; sur Aurélie, Plut., Cés., ch. 9 ; sur Atia, Suétone, Aug., 4.
XXIX. Quelque petite servante grecque. C’est ainsi qu’on lit dans le Panégyrique de Pline (xiii) : « Graeculus magister. »
Mais à une licence et a un désordre. Au lieu de sed lasciviæ et libertati, l’ancienne leçon portait lasciviæ et bibacitati, dit Juste-Lipse. Rutgers. conjecture vivacitati. Les éditeurs de Deux-Ponts mettent dicacitati, correction qu’admet Oberlin avec Schulze. C’est ainsi qu’on lit dans Quintilien (vi, 3), « lascivi et dicaces. » Malgré les exemples que cite Oberlin en faveur de la leçon qu’il adopte, nous conserverons libertati qui s’accorde fort bien avec lascivitæ. L’expérience de tous les jours prouve que, chez les enfans surtout, la liberté non réprimée dégénère bientôt en licence. Aussi avons-nous traduit libertati par désordre.
Par les intrigues. Au lieu de ces mots, ambitione salutantium, Acidalius et Schelius préfèrent ambitione salutationum, c’est-à-dire, suivant Ernesti, qu’ils captent la faveur en saluant les parens. Mais salutantium présente le même sens : il ne faut, pour cela, que sous-entendre ipsorum.
XXX. Q. Mucius. — Voyez, sur ce personnage, Cic., Brutus, 89, où il parle de Philon, et 90, où il est fait mention de Diodotus ; car c’est ainsi qu’on doit le nommer, et non Diodore. Voyez aussi de Peregrinatione, c. 91.
XXXI. Aux péripatéticiens. Ils nous donneront des armes, Juste-Lipse voudrait qu’on écrivît et qu’on ponctuât ainsi : A peripateticis. Aptos et in omnem disciplinam paratos jam locos dabunt academici, stoici pugnacitatem. Mais il se trompe, dit Gronovius ; car Cicéron, dans le livre qu’il a intitulé Topiques, accorde aux péripatéticiens « disciplinam inveniendorum argumentorum, ut sine ullo errore ad eam rationem via perveniremus ab Aristotele inventa, contineri. « Nous avons suivi, avec Schulze et M. Burnouf, la leçon et la ponctuation le plus généralement reçues.
A l’académie la polémique. On lit dans Cicéron (Orat., i, 18) : « Carneades vero multo uberius de iisdem rebus loquebatur ; non quo aperiret sententiam suam (hic enim mos erat patrius academiæ, adversari semper omnibus in disputando), sed tum maxime tamen hoc significabat, etc. ; neque posse quemquam facultatem assequi dicendi, nisi qui philosophorum inventa didicisset. » Voyez aussi Quintilien, xii, 2.
A Platon l’élévation. Pline (Lettr., i, 10) lui accorde d’être sublime et profond.
Métrodore. L’ami et le principal disciple d’Épicure, qui n’hésita pas à lui donner le nom de sage. (Voyez Cicér., de Finibus, iii, 2.)
XXXIV. Pas plus les traits heureux que les fautes. Le texte porte seulement : ut nec bene dicta. Rodolphe l’allonge ainsi : nec male nec bene. A la vérité, le sens l’indique, dit Juste-Lipse. Ce n’est point l’avis d’Oberlin ; il prétend que le sens ne favorise point ce sentiment : car, dit-il, notre auteur tend ici à instruire, et, comme en avertit avec raison Schulze, la réputation d’éloquence vient même des adversaires et des envieux.
A dix-neuf ans L. Crassus. L. Crassus, dans le Traité de l’Orateur de Cicéron, dit qu’il avait alors vingt-un ans. Le succès de Crassus, en cette occasion, épouvanta tellement Carbon, que, désespérant de sa cause, celui-ci prévint sa condamnation, en s’empoisonnant avec des cantharides.
A vingt-un ans César, Dolabella. Suétone (César, iv) reporte cette accusation au temps de la guerre de Lepidus, c’est-à-dire sous le consulat de M. Émilius Lepidus et de D. Junius Brutus. Or, dit Juste-Lipse, César avait alors vingt-quatre ans, d’après les fastes et son jour natal.
C. Caton. C. Porcius Caton, qui fut tribun du peuple l’an 698 de la fondation de Rome.
Vatinius. — Voyez, à ce sujet, les chap. xvii et xxi de ce Dialogue, et les notes qui s’y rapportent. Voyez aussi Quint., xii, 6.
XXXV. Comme dit Cicéron. Voyez Orateur', iii, 24. Comme, en d’autres endroits des anciens, il paraît que c’est le censeur L. Crassus qui fit cet édit, Ernesti n’a pas hésité de rétablir L. Crasso pour M. Crasso ; mais il craint que Tacite n’ait ajouté le prénom, car il n’y en a aucun devant Domitius. Suétone (de Clar. rhet., c. i) et Quintilien (xv, 11) nous apprennent qu’un sénatus-consulte et cet édit des censeurs avaient été rendus contre les rhéteurs, dès les années 592 et 632.
Les suasoriæ et les controversiæ. Les suasoriæ, dit M. Dureau Delamalle, étaient dans le genre délibératif ; on demandait, par exemple, si, après la bataille de Cannes, Annibal devait marcher droit à Rome ; si Sylla devait abdiquer ou non la dictature, etc. Les controversiæ étaient dans le genre judiciaire. Il y en a un volume entier dans Quintilien ; ce qui paraît, et avec raison, à M. de Sigrais, une nouvelle preuve que le Dialogue sur les orateurs n’est pas de lui ; car, certainement, un homme qui avait passé toute sa vie à faire des controversiæ, n’en eût pas dit autant de mal.
On leur fait joindre des déclamations. Il paraît, dit Ernesti, qu’il manque un mot : declamatio quoque par, ou similis, ou talis adhibeatur, comme en a averti Acidalius. Schulze suppléait æqua, dont est venu quoque ; il n’y a rien là à corriger.
L’alternative laissée à la pudeur violée. Allusion à la loi de l’école dite des rapts : Rapta raptorum mortem vel nuptias optet, comme l’a déjà observé Pithou. On trouve des exemples de ces inepties dans Sénèque, Calpurnius Flaccus, Libanius, et même jusque dans Quintilien, quoiqu’il les blâme lui-même dans son Institution oratoire, ii, 10.
Les remèdes à la peste. Pétrone, au commencement du Satiricon, agite cette matière, et il s’exprime éloquemment en disant : Responsa in pestilentiam data. — Voyez tout cet endroit. Conférez aussi, pour toutes ces questions, les Déclamations attribuées à Quintilien, 268, 288, 309, 326 et 384.
Mais, lorsqu’ils paraissent devant les vrais juges. C’est ici qu’il y a une grande lacune dont on ne se doute même point, dit Juste-Lipse ; mais un vieux manuscrit le fait voir, et, après avoir laissé un grand espace jusqu’à ces mots, rem cogitare, il ajoute, hic multum deficit ; ce qui est évident, puisqu’au chapitre suivant, ce n’est plus Messalla qui parle, mais Maternus. L’éditeur de l’édition Princeps ne s’était pas aperçu de cette lacune, car il n’a rien laissé en blanc, ni Puteolanus ni Béroalde. Brotier pense qu’il manque la fin du discours de Messalla, le discours entier de Julius Secundus, et le commencement de celui de Maternus, et il y a suppléé de son propre mouvement. Schulting. pense qu’il y manque bien pen de chose ; l’on peut voir dans l’édition de Gronovius comment il le remplace.
XXXVI. On était souvent conduit par le peuple même malgré soi. Les orateurs, les consuls eux-mêmes, pouvaient être produits à la tribune aux harangues par les tribuns, pour qu’ils rendissent compte au peuple de l’affaire qu’on agitait dans le sénat, comme Apuleius produisit Cicéron sous le consulat d’Antoine, époque où il prononça sa sixième Philippique.
XXXVII. Pompée et Crassus. — Voyez, à ce sujet, Cicéron, 'de Clar. oratoribus, chap. lxvi, lxviii et suiv. ; pro lege Manilia, 14 ; et Quintilien, Institut, orat., xi, 1.
D’un vol, d’une formule, d’un interdit. Voyez De furto et interdicto, le Digeste, xliii, tit. 1, et xlvii, tit. 2. — De formula, ci-dessus, chap. xx, et la note qui s’y rattache. Conf. aussi le discours de Cicéron pour Cécina.
Qui l’ont environné de toute cette gloire. On lit ainsi dans la Vie d’Agricola (chap. xx) : « Egregiam famam paci circumdedit. » Conf. aussi les Histoires (iv, 11). Nouvelle probabilité en faveur de l’opinion qui attribue à Tacite ce Dialogue.
De ne vouloir pas le calme. On lisait auparavant, ut secura velint. Rodolphe met une parenthèse, et lit, ut dubia laudent, secura nolint. Vouloir nier, dit Juste-Lipse, qu’elle soit convenable au sens, c’est manquer soi-même de sens. Toutefois, il ne la reçut
point, et admit seulement la correction de Rhenanus, ut secura nolint. Acidalius donnait, ut dubia laudent, secura malint. Schulzc a bien exposé la leçon reçue.XXXVIII. Pompée, à son troisième consulat. — Voyez, à cet égard, Cicéron, Brutus, 94.
Les causes centumvirales. — Voyez Cicéron, Oratio, i, 38. Pline (Lettr. ii, 14 ; v, 21 ; vi, 33) parle des jugemens des centumvirs.
Pour les héritiers d’Urbinia. Quintilien (iv, 1, et vii, 2) parle avec de grands éloges d’Asinius, à propos des héritiers d’Urbinia. Dans les éditions communes il y avait Ironiœ, et, dans une ancienne, Urirœ : c’est Juste-Lipse qui a fait cette correction, d’après Quintilien.
XXXIX. Ces manteaux étroits. Cicéron (pro Milone, xx) parle de cette espèce de manteaux, qui d’abord ne se portèrent qu’en voyage. On peut, d’après ce passage, deviner presque l’époque où a été composé ce Dialogue ; car, dit Ernesti, l’usage des manteaux au Forum paraît n’avoir été en usage que depuis Domitien, comme le fait observer Magius dans son traité de l’un et de l’autre pœnula, page 318.
Fréquemment l’avocat s’interrompt. Morabin lit patrono indicit ; De la Monnoye, patronis. Brotier rejette cette conjecture, et pense que l’avocat, comme si l’affaire était assez instruite, et les juges ne s’y opposant point, avait imposé silence aux preuves et aux témoins. Mais, dit Oberlin, l’auteur me semble vouloir faire connaître comment le juge mettait fin aux débats. Cela arrivait lorsqu’il demandait les preuves et les témoins avant que les avocats eussent fini. Je lis donc patronis, et je reporte le verbe à judicem. Ici, dit M. Burnouf, l’auteur ne parle plus des causes qui empêchent l’avocat de profiter, devant le tribunal, du travail qu’il avait savamment élaboré dans son cabinet : il signale une circonstance qui frappe son génie d’un froid mortel, le désagrément de parler dans la solitude. Or, souvent c’est l’orateur lui-même, ou plutôt le besoin de sa cause, qui donne lieu à la désertion de l’auditoire : au milieu de son plaidoyer, il s’interrompt pour faire lire les pièces ou produire les témoins, et, pendant ce temps, le public disparaît. J’entends, par silentium probationibus et testibus indicit, non pas que l’avocat impose silence aux preuves et aux témoins, comme si la cause était assez éclaircie (cela ne ferait pas fuir le public), mais qu’il garde lui-même le silence pour faire entendre les témoins et les preuves. Silentium indicere signifiera donc ici « annoncer le silence, annoncer qu’on va se taire. »
L. Bestia. Asconius Pedianus n’a conservé que de faibles restes des oraisons pour Cornelius et M. Scaurus. L’oraison pour Bestia a péri. Cicéron en fait mention dans une lettre à son frère Quintus (ii, 3).
XLI. Il serait mieux de n’avoir pas à se plaindre que de se venger. On lisait d’abord non queri, quam judicari ; Juste-Lipse a mis, quam vindicari. Acidalius, tout en approuvant la leçon de Lipse, dit que ce n’est pas assez, et que Muret a parfaitement corrigé tout le passage : Atqui melius fuisset non fieri, quam vindicari. Gronovius ne partage point cette opinion : Non queri signifie, dit-il, qu’ils ne furent pas outragés, et qu’ils n’eurent, par conséquent, point de plaintes à faire.
A la sagesse d’un seul. C’est Vespasien. (Conf. Pline, ii, 7.)VARIANTES.
I. Iisdemque rationibus. On lisait autrefois orationibus. J. Lipse est le premier qui l’a corrigé dans ses dernières éditions.
III. Leges tu quidem, si volueris. Le manuscrit porte tout autrement : Leges, quid Maternus sibi, debuerit, et agnosces, etc. (J.-L.) Les deux manuscrits du Vatican ont de même ; l’un a quod Maternus. (E.) L’édition Princeps de Spire, leges : tu quidem Maternus sibi debueris, et agnosces. Puteolanus en a fait : Leges tu quidem, si volueris. Béroalde l’a suivi. De même Lipse, qui cependant, dans l’édition de 1674, juge cette leçon comme introduite.
V. Amittit studium. Rhén. préférait omittit, adopté par Dronke ; mais nous avons déjà remarqué ailleurs que omittit se dit dans le même sens. (E) Conf. Ann., XIV, 26.
VIII. Patientissimus veri. Acidalius lit sapientissimus vir. Oberlin et Dronke rétablissent dans leur texte patientissimus vir, qui se trouvait dans toutes les éditions avant Juste-Lipse.
IX. Non quia poeta es. Oberlin, lorsqu’il écrit ad hunc Secundum recurret, non ad te, Materne, quia poeta es, oublie que Maternus était orateur aussi bien que Secundus.
X. Recitationum. L’édition Princeps de Spire et celle de Puteolanus ont narrationum. C’est Béroalde qui a corrigé ce texte.
XV. Solatio est. Acidalius corrigeait solutio. Brotier l’a admis. (E.) Néanmoins cela n’est point nécessaire. La leçon ordinaire est bonne.
XVI. Significatione ista determinetis ? L’édition de Rome porte signatione. (L.) Pichena a rétabli signatione, que j’ai trouvé dans toutes les éditions avant celles de Lipse. (E.)
XVIII. Merito vocaremus. Brotier préfère vocaverimus des manuscrits du Vatican ; mais docerem demande vocaremus. (E.) Cela revient au même. Il faut donc faire honneur aux manuscrits du Vatican.
Num dubitamus. Lipse a mis ainsi. Avant on lisait, nam non dubitamus. Muret voulait numnam. Acidalius, num dubitabimus, quum satis constet.
XIX. Argumentorum gradus. L’édition de Rome, argumentorum genera. (J.-L.) Il y a ainsi dans toutes les éditions jusqu’à Lipse, qui a misgnacius. Dr on ko rétablit genera.
Paucissimi prœcepta. Avant Rhenanus il y avait paucissima. (E.)
XXI. In A sitium. N’est-ce pas Asinium ? ( J.-L.) Murpt lit Ascitium, d’après son manuscrit. Schnrzfl., Fuscinium.
XXII. Ac liudatum pâtremfamiliœ. Je n’hésite point d’écrire ac lautum. (J.-L.) Bien. (E.) Nepos s’exprime de même dan e Atticus, chap. xiii.
XXIII. Nam et hoc invitus retuli. Le manuscrit de Rome et l’édition Princeps ont invitatus, qui est assez bien, parce qne cela signifie qu’il élait lui même fatigué de faire ces sortes de demandes à Messalla. (J.-l*.) Invilus vaut mieux, aussi bien que/tÆc, qui plaît à Acidalius. (E.)
XXVI. Fas esse debeat. Muret lit delæbat. Bien. ( E.) Acidalius l’approuve.
XXVIII. Etiamsi mihi. Les anciennes éditions ont et jam mihi. Pithou le conserve. Dans un autre manuscrit il y avait etenim jam si. d’où Pichena a fait sa correction.
Quæ omnes sentimus. Tel est le texte de l’édition Princeps. Puteolanus et Béroalde ont omis sentimus. Lipse i’a rétabli.
XXIX. In notitia.Pichena a mis ainsi. Il y avait auparavant in notitiam. —Expetuntur qui suit vient de Pithou : on lisait avant exspectantur.
XXXI. Oratori subjecta, met Juste-Lipse ; il y avait auparavant oratoris.
Ex comm. ducta sensibus. Les anciennes éditions ont ex omnibus ducta sermonibus. Lipse a fait la correction.
XXXIII. Longe paratiorem, Lipse lit ainsi. Avant il y avait longe paratum. — Parabatur, qui se trouve au commencement dn chapitre suivant, vient de Puteolanus ; l’édition Princeps si probatur.
Quæ propriœ curœ oratorum videntur. Rodolphe a propriœ esse oratorum videntur. Juste-Lipse propose : Propriœ circo oratorio videntur. Schelius l’approuve, mais il préfère oratorum à oratorio• On lisait, d’abord propriæ circa oratoriam. Brotier veut que l’on retranche circa, et qu’on lise propriæ oratorum. (E.) Pour moi, j’ai reçu curœ oratorum avec les éditeurs de deux-Ponts et Schulze. (O.)
XXXIV. Ita nec. Acidalias met jam vero nec.
Soliis statim et unus cuicumque causæ. Il y a ainsi dans les anciennes éditions. La leçon commune, statim unicuique causæ, ne manque pas de vraisemblance. (J.-L.)
XXXVI. In publicis causis non absentes. Rodolphe, in publicis judiciis non absentes. On lisait d’abord in publicis non absentes. (J.-L.) 11 eût peut-être suffi pour publicis de lire judiciis. (E.) Pour moi, publicis me paraît avoir été formé de judiciis, et je rétablis celui-ci. (O.)
Ne clientelarum loco. L’édition Princeps a clientularum, dont on a fait ensuite clientulorum ; mais c’est un mot inconnu aux Latins, et il parait qu’il faut écrire clientelarum. ( E.)
XXXVII. Similis eloquentia conditio. Schelius dit que c’est peut être eloquentis.
In ore hominum agit. J’ai fait la même correction dans les Histoires, ni, 36. Il y a ordinairement more. (J.-L.)
XL. Populi etiam histriones auribus uterentur. Acidalius lit histriones quoque populi auribus uterentur ; Schurzfl., populi ceu histriones. Les éditeurs de Deux*Ponts conjecturent histricis auribus. Heumann a bien pensé qu’il n’était pas ici question d’histrions, et il a donné adrectioribus, que je crois recevable. C’est ainsi que Virgile ( Énèide, i, i56)dit : « Adrectisque auribus adstant. » SchuJze l’a aussi reçu : intentioribus lui était venu à l’esprit. ( O.)
Sine servitute. Il y a ainsi dans les anciennes éditions, et avec raison. D’autres portaient à tort sine severitate• Heumann retranche aussi sans motifs ces mots, et lit sine obsequio contumax. Sed nec tanti reipublicœ. Rhenanus met ainsi. Il y avait avant, sed nec tuta respublica.
XLU. Antiquariis. L’ancien manuscrit de Pilhou porte cum antiquariis.