Derniers vers (Anna de Noailles)/Quand j’étais une enfant


QUAND J’ÉTAIS UNE ENFANT…


Quand j’étais une enfant, j’aimais sur la colline
M’asseoir dans la chaleur légère des épis
Et voir se bousculer les épaisses brebis
Vers la racine torve et les claires épines.

Mon puéril esprit, qui parcourait le temps,
Me situait parmi les herbes de Sicile,
Et, calme, j’amassais le frais lointain des îles
Où, comme moi, rêvaient les filles au printemps.


Je me croyais l’enfant que le destin désigne
Pour surveiller le monde et chercher ses secrets,
Et j’ai loyalement, des astres aux forêts,
Observé l’apparence et déchiffré les signes.

Suaves coloris dont l’esprit se repaît !
Plus tard, quand les désirs brisent tout équilibre,
J’ai souvent souhaité retrouver cette paix
De l’enfant méditant près du troupeau qui paît
Et dont l’empressement astucieux et libre
Imprimait au sol vert, par leurs fronts abaissés,
La forme de l’étreinte et celle du baiser.