Derniers vers (Anna de Noailles)/Confrontation

Derniers versGrasset (p. 105-106).


CONFRONTATION


À l’horizon pâli du matin automnal,
Je regarde à travers le fin rideau d’un saule,
Le coteau délicat comme une mince épaule,
Qu’un oiseau frôle avec son doux ventre animal.

La nature se meurt. Sa grâce reposée,
Où rêvent dignement des larmes en suspens,
Ne semble pas tourner vers le flambant dieu Pan
Ses yeux qu’éblouissaient les caresses osées.


Ce qui fléchit en elle expire mollement.
Même quand le verger et la vigne rougeoient,
Elle ne s’unit plus à cette pourpre joie
Qui mêlait en été la bacchante et l’amant.

Sa sereine faiblesse a bien la connaissance
D’un sommeil où le germe, insidieusement,
Conservant sa vigueur, sa grâce et son essence,
Renaîtra, frais et pur, palpitant diamant.

— Qu’êtes-vous, race humaine, auprès de tant de force !
Parasites rêveurs que grandissait l’esprit,
Vos labeurs, vos espoirs et la stoïque écorce
Dont tout être se vêt, n’empêchent le mépris
D’un monde sans pensers où vos pleurs et vos gestes
Se perdent dans l’espace et les tombes agrestes !