Derniers vers (Anna de Noailles)/Ce n’est donc rien
CE N’EST DONC RIEN…
Ce n’est donc rien, sous l’œil des astres innombrables,
Ton chaud visage avec la liqueur du regard ?
Ce n’est donc rien, l’émail du rire désirable,
Qui fait surgir en nous de suaves égards ?
Ce n’est donc rien, ton corps de bronze pâle et d’ambre,
Ton équilibre droit et le cœur au côté ?
Ce n’est rien, la structure onduleuse des membres
Dont l’éclat tout d’abord prime la volupté ?
Parce que la nuit bleue a Véga de la Lyre,
Pégase, le Sextant, Andromède, Orion,
Ne serait-ce donc rien, ce surhumain délire
Où le désir frémit ainsi qu’un alcyon ?
Non, non : cet instant seul fut précis, juste et vaste.
Que disions-nous ? Le monde en nos mains reposait.
Je craignais ta douceur et tu craignais mon faste,
Et chacun s’efforçait à taire ce qu’il sait.
Je te prenais ta vie animale et pensante,
Je tarissais ton cœur et t’emplissais de moi.
Et notre âme, soudain en commun agissante,
Dans l’univers aigu élançait son émoi.
Pour ce plaisir confus, mais le seul nécessaire,
On lutte, on organise, on exécute, on va.
Désir ! dans l’infini le seul instant sincère,
Toi le peu qu’on obtient de tout ce qu’on rêva,
Seul, tu distends le cœur, l’éblouis et desserres
L’étroit étonnement où tous les êtres errent,
Et même le mourant, déjà sans atmosphère,
Ne comprenant plus rien au terrestre décor,
Songe à ce diamant illuminant le corps.