De la situation financière et du budget de 1852

De la situation financière et du budget de 1852
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 10 (p. 328-363).

HISTOIRE FINANCIERE.




DE LA SITUATION FINANCIERE ET DU BUDGET DE 1852.




La situation financière de l’Europe à l’ouverture de l’année 1851 ne paraÏt pas moins sombre que l’état des relations politiques. Il n’y a pas un budget si l’on excepté celui de la Grande-Bretagne, qui ne se solde en déficit. Partout les ressources de l’impôt deviennent insuffisantes ; après avoir usé et abusé du crédit, les gouvernemens se voient dans la nécessité d’y recourir encore. En 1849, la Russie a augmenté sa dette, tant extérieure qu’intérieure, d’environ 200 millions de francs (50 millions de roubles d’argent). À l’autre extrémité de l’échelle politique, le Piémont, dont le revenu ne s’élève pas à 100 millions par année, a émis, depuis 1848, environ 11 millions de rente 5 pour 100, sans compter les 3 millions de rente donnés en garantie à l’Autriche. Trois années d’agitations politiques ont amené dans le budget de la Prusse un déficit de 52 millions de thalers (193 millions de francs), à quoi il faudra nécessairement ajouter les dépenses de la levée en masse qui a réuni cinq cent mille hommes sous les armes dans les derniers mois de 1850. Quant à l’Autriche, de novembre 1848 à novembre 1849, elle, a dépensé le double de son revenu. En dix-huit mois, et jusqu’au 31 janvier 1850, l’armée ayant été portée à six cent mille hommes, déficit s’élevait à plus de 577 millions de francs (222 millions de florins). Le cabinet de Vienne a mis en usage, pour dominer cette difficulté, les expédiens les plus héroïques : l’emprunt, la conversion obligatoire d’une partie, de la dette flottante en dette fondée, l’aggravation des impôts existans et la création de nouvelles taxes, la réduction de l’effectif militaire, tous les moyens ont été employés, non pas certes pour rétablir l’équilibre, mais pour diminuer la distance énorme qui séparait les dépenses des recettes ; néanmoins on doit s’attendre à un déficit considérable pour les exercices 1850 et 1851. L’Allemagne, avec des budgets dont les recettes représentent à peine 1 milliard, ne peut pas tenir régulièrement sur pied un million de soldats -sans marcher à la révolution ou à la banqueroute[1].

Parmi les grandes puissances de l’Europe, la France et l’Angleterre sont aujourd’hui les seules qui aient des finances solides et auxquelles il ait été donné jusqu’à cette heure de porter, sans fléchir le poids de leurs embarras. Cependant les deux gouvernemens rencontrent, dans le règlement des budgets, des difficultés qui ont amené déjà, de l’autre cité du détroit, la retraite momentanée du ministère, et qui, de ce côté de la Manche, pèseront infailliblement sur la formation d’un cabinet définitif. En France, c’est de la situation politique et des dispositions des partis que viennent les obstacles : la crise qui plane sur nos têtes ne nous permet pas de pousser plus loin la réduction de l’effectif qui est la seule économie sérieuse, et d’un autre côté elle arrête l’essor du revenu publie. Sans la perspective de 1852, nous aurions déjà liquidé les legs désastreux de 1848, et la dette flottante, au chiffre qu’elle atteint, n’inspirerait d’inquiétude à personne ; mais, devant une élection qui peut être une révolution, la sève du crédit se fige, et les besoins de la consommation se restreignent. Les finances, dans un temps pareil, se subordonnent à la politique, et l’équilibre du budget ordinaire, dépend du degré de sécurité que les pouvoirs établis par la constitution elle-même assurent au pays.

En Angleterre, la crise éclate au milieu de l’abondance. L’année. 1850 à laissé dans les mains du chancelier de l’échiquier un excédant de recette d’environ 45 millions de francs. Que fera-t-on de cette somme ? Il n’y aurait rien de plus raisonnable, assurément, que de l’appliquer à l’amortissement de la dette publique. Le budget de la Grande Bretagne est, de tous les budgets, celui que la liquidation du passé surcharge dans la proportion la plus forte. Sur un total de 54 millions sterling (1,350 millions de francs, qui représente les dépenses annuelles, y compris les frais de perception, l’intérêt tant de la dette fondée que de la dette flottante exige un prélèvement d’environ 28 millions, ou de 52 pour 100. depuis l’année 1830 jusqu’à l’année 1851, en pleine paix et malgré une prospérité sans exemple, l’Angleterre a augmenté le capital de sa dette de 27 millions sterl.[2]. On a beau réduire le taux de l’intérêt pour des conversions successives, l’accroissement non interrompu du capital a ramené la charge annuelle de l’état au même niveau qu’elle atteignait il y a vingt ans. Est-il possible, est-il normal, est-il juste de suivre plus long-temps cette politique imprévoyante et égoïste ? Quand on emprunte dans les temps difficile, n’hésite pas pour rembourser ou tout au moins pour amortir dans les époques de prospérité ? La théorie des emprunts repose sur ce principe, qu’une nation a le droit d’appeler les générations futures à contribuer à des dépenses qui assurent leur bien-être ou qui préparent leurs grandeurs ; mais, après tout, la génération présente, qui participe aux résultats, doit prendre également sa part des sacrifices. Avant d’avoir réduit les dépenses, elle ne peut pas songer à diminuer les ressources, à modérer ou à supprimer les impôts.

Il y a deux manières de procéder à la réduction des dépenses : la première consiste à racheter le capital de la dette publique en y employant l’excédant idéal des recettes ; la seconde à opérer des économies sur les frais qu’entraînent le maintien de la force publique et l’administration du pays. Une bonne et sage politique mène de front ces deux méthodes. La dernière en tout cas, a été largement pratiquée par le gouvernement anglais. En 1813, au plus fort de sa lutte contre l’empire, les dépenses de l’Angleterre s’élevaient à la somme prodigieuse de 108,397,645 livres sterligng (2,610,000,000 de francs) ; l’armée, la marine, l’administration et les subsides de guerre absorbaient alors 78 millions sterling, environ 2 milliards de notre monnaie. En 1817, les dépenses des services civils et des services militaires furent réduites à 22 millions sterling[3], pour remonter à près de 26 millions en 1827. en 1830, le chiffre de ce budget descendit à 18 millions ; en 1835, grace aux réformes accomplies dans le personnel par les whigs, à la suppression des sinécures et à la diminution des forces de terre et de mer, la dépense ne fut que de 15,884,649 livres sterling. En 1840, la rupture des bonnes relations avec la France reporta le chiffre à près de 20 millions, et à plus de 21 millions en 1843 et de 26 millions en 1846. Il a été de 20 millions en 1850, et pour l’année 1851, le chancelier de l’échiquier propose une réduction de 500,000 livres sterling. Les services purement civils n’ayant en Angleterre, si l’on en déduit la perception de l’impôt, que la modeste dotation de 6 à 7 millions, somme qui présente une bien faible marge aux économies, c’est sur le budget militaire que se rabattent forcément les partisans des réformes. Or, l’allocation attribuée aux forces de terre et de mer a subi, depuis 1848, une réduction de 3 millions (75 millions de francs) ; le chancelier de l’échiquier demande, pour 1851, 15,555,171 livres sterling (environ 389 millions de francs). Les réformistes de l’école de M. Cobden voudraient que l’on en revint à l’effectif militaire et naval de 1835, qui comportait une dépense de moins de 300 millions de francs ; mais on peut leur répondre que, lorsqu’une nation laisse descendre ses moyens de défense, à un état d’infériorité qui ne lui permet pas de tenir son rang et de faire respecter son influence dans les péripéties de l’équilibre européen, elle s’expose à avoir besoin de déployer, à l’improviste, au milieu du péril, les plus grands efforts comme les plus onéreux sacrifices. C’est ce qui est arrivé à la France en 1840 et à l’Angleterre en 1847.

Voici, au surplus, dans quels termes le chancelier de l’échiquier justifie la nécessité d’un effectif qui ne comprend pas moins, pour l’armée navale, de trente-neuf mille matelots : « Le gouvernement pense que, dans l’état d’agitation et d’incertitude où sont les affaires politiques sur le continent européen, les véritables intérêts de l’Angleterre ne lui permettent pas de réduire nos forces de terre et de mer. Je sais que le monde présente pour le moment un aspect tranquille ; mais on ne doit pas oublier qu’il y a quelques mois à peine nous avons vu des millions d’hommes armés rangés en bataille les uns contre les autres au centre même de l’Europe. Souvenons-nous encore que de grands changemens se sont opérés depuis ces dernières années dans la puissance des forces agressives que l’on peut diriger contre notre pays. Je ne conçois aucune crainte à cet égard ni au sujet des circonstances qui nous environnent ; mais il y a une grande différence entre des alarmes sans fondement et une confiance absurde. Les hommes qui sont versées dans ces questions savent pertinemment que nos ports et nos arsenaux ne sont pas aujourd’hui dans un état de défense qui réponde aux exigences de la sécurité publique, et qu’il est nécessaire de pourvoir d’une manière efficace à la sûreté de ces grands dépôts de la richesse nationale pour le cas, heureusement peu probable, où la paix viendrait à être troublée. »

De nouvelles économies dans les dépenses du royaume-uni ne paraissent donc pas sérieusement possibles. Est-il vrai maintenant que l’on puisse supprimer ou diminuer largement certaines taxes avec quelque chance d’accroître ou de conserver, en tout cas, le revenu public ? Voilà une étude qui faite sur le budget anglais, contiendra d’utiles enseignemens pour la France.

On se prévaut de l’impulsion donnée par sir Robert Peel et des résultats heureux de la liberté commerciale. Il y a là sans contredit un exemple à proposer à tous les gouvernemens ; mais, pour imiter, on n’est pas dispensé de se rendre compte et de suivre les effets du principe jusque dans les détails de l’application.

En rétablissant l’income-tax et en joignant, par forme de passeport, à cet impôt de guerre de larges réformes dans le système des impôts indirects, sir Robert Peel avait en vue trois principaux résultats il voulait combler le déficit, développer la production et le commerce, réduire le prix des denrées et des articles de grande consommation, de manière à résoudre, sans amener la dépression des salaires, le problème de la vie à bon marché : Aucune expérience n’a été plus féconde, et aucune politique n’a plus complètement atteint son but. L’ère ouverte par sir Robert. Peel marque le point culminant de la prospérité publique dans la Grande-Bretagne. Jamais l’industrie ne fut plus active, : ni les ouvriers mieux rétribués. Les exportations, qui représentaient en 1842 une valeur de 47 millions sterling, s’élevèrent à 52 millions en 1843, et à 58 millions en 1844 ; elles ont figuré dans le commerce de 1850 pour une valeur d’environ 65 millions, qui ex cède de 100 pour 100 celles de la France, et qui égale, ou peu s’en faut celles des autres nations européennes. Comme le prix des marchandises abaissé, grace à l’affranchissement des matières premières, les quantités exportées se sont accrues dans une proportion plus forte que celle qui semble indiquée par l’accroissement de valeur. Ainsi la filature de coton, qui, en 1832, employait 9 millions de broches, en a occupé 21 millions l’année dernière. En 1834, l’industrie cotonnière avait livré 262 millions de livres de coton ouvré au commerce ; en 1849, la production a été de 630 millions. En même temps, la formation de la richesse et l’accumulation du capital, faisaient de tels progrès, que l’Angleterre se trouvait capable, sans dessécher ni diminuer les autres sources du travail, de consacrer à la construction des chemins de fer près de 6 milliards de francs, et que les 10, 000 kilomètres de chemins de fer ouverts à la circulation avant la fin de l’année 1850 donnaient déjà un revenu brut qui excédait 300 millions de francs. Un certain nombre de compagnies levaient sur le public des trois royaumes, pour prix de la rapidité et de l’économie introduites dans les communications, un tribut qui est déjà presque égal et qui ne tardera pas à être supérieur au revenu de l’une ou de l’autre, des deux grandes puissances qui se disputent le gouvernement de l’Allemagne.

L’aisance, dont jouit le peuple anglais depuis la suppression des droits d’entrée qui grevaient les céréales ainsi que les matières premières, et depuis la réduction des tarifs qui réglaient l’importation des denrées coloniales, est attestée par l’accroissement prodigieux de la consommation. La consommation du sucre a augmenté, depuis 1842, de 60 pour 100, celle du thé et du café de 30 pour 100, celle du caco de 31 pour 100. Le marché de Londres est devenu le principal débouché des produits agricoles de l’Europe. C’est vers la Tamise et vers la Mersey que sont dirigés les nombreux chargemens de grains expédiés, de tous les points des deux continens. En 1849, l’Angleterre a importé, en grains de toute nature, plus de 30 millions d’hectolitres. Chaque semaine, les bateaux à vapeur emportent des rivages de la France, de la Belgique et de la Hollande, des cargaisons de bestiaux, de volailles, d’oeufs et fruits. Le prix du blé en Angleterre n’excède guère que de 15 à 20 pour 100 les mercuriales du continent ; le prix de la viande a baissé de 25 pour 100. Londres, la capitale de la cherté, est maintenant au luxe près des équipages et des domestiques, sur le même pied que Paris pour les conditions matérielles de l’existence. Aussi le peuple anglais, qui reçoit des salaires élevés et qui vit à bon marché, recommence-t-il à prendre le chemin de l’épargne. Les dépôts des caisses d’épargne, qui demeuraient à peu près stationnaires, se sont accrus, pour l’Angleterre seule, de plus de 100 millions de francs en quatre années, de 1841 à 1845. La misère en même temps rétrogradait à vue d’œil. En Angleterre, depuis 1848, le nombre des pauvres secourus a diminué de 140,000, et la dépense de 1849, comparée à celle de 1845, présente une réduction d’environ 38 millions de fr, ou de 30 p.100.

Voilà des avantages qui ne sauraient être estimés trop haut et dont le bienfait se répand sur la nation tout entière. Au point de vue fiscal, la réforme des tarifs a-t-elle obtenu le même succès ? C’est sur ce côté de la question qu’il convient aujourd’hui de porter la lumière.

Lorsque sir Robert Peel présenta son plan financier à la chambre des communes, le déficit de l’année 1842 était évalué à 2,569, 000 livres sterling, auquel, venant se joindre au déficit des cinq années antérieures, donnait un découvert total d’environ 10 millions sterling (50 millions de francs). Le chef du ministère, laissant à la charge de la dette flottante les découverts antérieurs, ne craignit pas d’ajouter à celui de 1842 l’abandon de 1,596,000 livres sterling sur le revenu des douanes, en proposant, pour combler la distance entre les dépenses et les recettes, un impôt direct dont il estimait le produit à 4,310, 000 liv. sterling, et en se ménageant ainsi un faible excédant de ressources. Sir Robert Peel élargit deux ans plus tard cette voie dans laquelle ses successeurs l’ont suivi, il faut le dire, avec plus de servilité que de discernement. Voici dans quels termes le chancelier actuel de l’échiquier expose les résultats financiers d’une politique sur la pente de laquelle il cherche tardivement à faire halte.

« En 1842, on supprima ou l’on réduisit des taxes dont le produit était évalué à 1,596,000 liv. sterl. ; en 1843, pour 317,000 liv. sterl. ; en 1844, pour 458,000 liv. sterl. ; en 1845, pour 4,535,000 liv. sterl. (113,375,000 fr.) ; en 1846, pour 1,151,000 liv. sterl. ; en 1847, pour 344,000 liv. sterl. ; en 1848, pour 585,000 liv. sterl. ; en 1840, pour 388,000, et en 1850, pour 1,280,000 liv. sterl., donnant un total de 10,763,000 liv. sterl. Depuis 1841.

« Les taxes que l’on établit furent l’income-tax et d’autres impôts abolis depuis ; mais, comme je les ai portés au comte des taxes supprimées, je dois en tenir compte aussi dans l’énumération des nouveaux impôts. Le produit de ces taxes étant de 5,655,000 liv. sterl., et celui des impôts abolis étant de 10,763,000 liv. sterl., il s’ensuit que le pays y a gagné un allègement de 5,108,000 liv. sterl., et qu’en regard de cette réduction de 5 millions sterling sur l’ensemble des taxes, le revenu public s’était accru de 4,726,000 liv. sterl. »

Ces faits ne semblent pas aussi décisifs que les paroles du chancelier de l’échiquier l’indiquent. Voilà bientôt dix ans que la réforme commerciale a commencé en Angleterre, et, si l’on retranche du budget le produit de l’income-tax, on trouvera que le revenu de 1850 reste d’à peu près 20 millions de francs (773,479 liv. sterl.) inférieur au revenu de 1842. En prenant un à un les résultats des impôts, on voit que l’excise, qui rendait 13,678,835 livres sterling en 1842, a donné 14,316,083 livres sterling en 1850, ou 637,248 livres sterling de plus qu’en 1842, malgré la suppression de certaines taxes, jusqu’à concurrence de 1,410,280 liv. sterl. Les douanes ont été moins favorisées ; car leur produit en 1850 présente un déficit de 1,456,670 liv. sterl., comparativement à celui de 1842. Les droits établis à l’importation des sucres portaient, en 1844, sur 209 millions de kilogrammes et rendaient 130 millions de francs. Après le changement du tarif, la consommation a fait des progrès rapides, au point de représenter aujourd’hui un accroissement de 80 millions de kilogrammes ; mais le revenu que le trésor retirait de cet article n’a pas repris encore son niveau : la recette, après s’être élevée en 1848 à 112 millions de francs, est retombée à 103 millions en 1840. en cinq années, l’Angleterre a perdu, sur cette seule branche de ses ressources, la somme énorme de 139 millions de francs.

De l’examen auquel je viens de me livrer, on peut conclure, ce me semble, que, s’il est raisonnable d’admettre qu’une réduction d’impôts portant sur les droits qui frappent les articles de grande consommation ne laissera pas dans les caisses publiques un vide égal au produit antérieur de ces taxes, on ne peut pas en attendre, même avec l’aide du temps, un accroissement de consommation qui comble entièrement la lacune et qui couvre le déficit. Toute diminution des taxes opérée sur une large échelle se traduit par un abaissement, sinon correspondant tout au moins considérable dans le chiffre du revenu public. De là, quand un excédant du revenu se manifeste, la nécessité de ne pas le sacrifier d’une manière absolue à la modération de l’impôt, et d’en consacrer une partie à la réduction de la dette publique, pendant que l’on tient le reste en réserve pour parer aux exigences de l’imprévu.

C’est pour avoir manqué à cette règle élémentaire de l’administration des finances que le gouvernement britannique a fait naître, à diverses reprises, pour le royaume-uni, des embarras qui ont bien pu concourir à développer le génie de la nation en le mettant aux prises avec les obstacles, mais qui ont laissé dans sa dette des traces ineffaçables et qui l’ont exposée aux plus grands périls. Sir Robert Peel n’est pas le premier ministre qui ait imaginé, en Angleterre, d’améliorer, par des remaniemens de taxes, l’assiette du revenu public. Dès 1830, le duc de Wellington avait fait remise de l’impôt sur la bière, qui produisait au-delà de 100 millions de francs. L’année suivante, le revenu se trouva diminué d’environ 90 millions, somme à peu près équivalente. E 1831 à 1836, lord Grey et lord Melbourne retranchèrent successivement ou réduisirent diverses taxes jusqu’à concurrence de 178 millions de francs. À mesure qu’un excédant se déclarant dans le revenu, sous l’influence de la prospérité qui allait croissant, au lieu de l’appliquer au remboursement de la dette, ils s’empressaient d’affaiblir les ressources en dégrevant l’impôt. Aussi, lorsque l’activité industrielle et commerciale parut se ralentir, et avant même les jours de l’adversité, le déficit se révéla, d’abord accidentel, mais bientôt prériodique. En vain le parlement accorda-t-il un droit additionnel de 5 pour 100 sur toutes les taxes ; le déficit ne fit que grandir jusqu’au changement du ministère et du système. Plus tard, en 1846, la retraite de sir Robert Peel ayant laissé le champ libre aux whigs, ceux-ci reprirent leurs allures ; en moins de trois années, ils se virent réduits à couvrir un nouveau déficit par un emprunt de 2 millions sterling que l’excédant de 1850 a servi à rembourser.

Que fera-t-on de l’excédant de 1851 ? La prudence commande évidemment de le consacrer au rachat de la dette, et de ne plus toucher de quelque temps à un système financier dans lequel l’équilibre tient à un accident et qui ne laisse entre les dépenses et le revenu qu’une marge aussi étroite ; mais l’opinion publique ne permet pas au gouvernement de prendre conseil de sa prévoyance et de l’intérêt réel du pays.

Le chancelier de l’échiquier, entraîné par la violence de ce courant, avait proposé de convertir la taxe des fenêtres en impôt sur les maisons, avec perte de 700 ; 000 liv. sterl. (17,500,000 fr.) pour le trésor. À cette réduction, il en joignait d’autres sur le tarif des sucres et des cafés, sur les bois de construction et sur les graines de semences, qui représentent ensemble un sacrifice annuel sur le revenu de 1,550,000 liv. sterl. (38,750,000 fr.). En supposant un accroissement de consommation qui résulterait de la modération des droits, sir Ch. Wood espérait recouvrer près de 400,000 liv. sterl. Sur cette perte ; mais, au total, il agissait comme si l’excédant des recettes sur les dépenses était acquis à perpétuité, et il en abandonnait la plus grande partie pour apaiser les clameurs des faux réformistes.

On sait déjà qu’un sacrifice incomplet ne les a pas désarmés, et que, le ministère hésitant à leur immoler entièrement le budget, ils ont immolé le ministère. Les hommes les plus considérables du parti radical en sont venus à tenir un langage qui ne ressemble pas mal à celui de nos démagogues, et l’on a entendu M. Hume s’écrier : « Je tiens autant que qui que ce soit au maintien de la foi publique ; mais je ne voudrais pas consacrer l’excédant du revenu au rachat de la dette, tant qu’il sera possible d’en faire un meilleur emploi. N’aurait-il pas mieux valu, l’année dernière, abolir le droit sur les savons que d’acheter 1,200,000 liv. sterl. De consolidés ? » Le même raisonnement s’applique à tous les impôts. Si l’on abolit le droit sur les savons, pour donner plus de liberté à cette industrie, pourquoi ne ferait-on pas la même remise de taxes à l’agriculture, en supprimant le droit sur la drèche, qui produit plus de 100 millions de francs ? De suppression en réduction d’impôt, le trésor finirait par ne plus recevoir non-seulement de quoi éteindre la dette, mais même de quoi en servir l’intérêt. Que deviendrait alors cette fois publique, dont M. Hume ne croit pas déserter la cause en énervant, comme il conseille de le faire, les ressources de l’état ?

Le ministère de lord John Russell cédera, et le trésor succombera dans la lutte. L’Angleterre commence à éprouver les symptômes de cette épidémie de destruction qui désole le vieux monde. Sous prétexte d’économie, là comme chez nous, on pousse à la désorganisation administrative ; sous couleur d’alléger les charges du travail, on y proclame aussi la guerre à l’impôt. Ecoutons les plaintes que cet état des esprits arrache à l’Ecnomist, organe avancé, mais éclairé des principes de la science.

« La réunion publique qui vient d’avoir lieu à Southwark (faubourg de Londres), et dans laquelle on s’est occupé de notre système de taxes en général ainsi que de la taxe des fenêtres en particulier, nous donne une grande leçon que l’on ne doit pas oublier. Il paraît que le langage violent, irréfléchi, souvent même hypocrite et déloyal de cette secte de politiques qui s’en vont chaque année prêchant au gouvernement les réductions de dépenses comme son premier devoir, et excitant l’hostilité du peuple contre l’impôt, qu’ils lui représentent comme son principal grief, est à la veille de porter les fruits amers qu’il devait produire. Le nombre est déjà grand, et il s’accroît tous les jours, dans les rangs de la classe moyenne et des classes inférieures, de ceux qui regrettent et qui blâment la dépense la plus nécessaire comme la plus modérée. Les taxes les plus irréprochables deviennent le but contre lequel on dirige les haines politiques. Toute tentative faite pour ramener les contribuables à la raison même quand elle émane des amis les plus éprouvés d’une politique libérale, même quand elle émane des amis les plus éprouvés d’une politique libérale, s’abîme dans une tempête de désapprobation ou de mépris.

« Il n’y a pas de moyen plus facile ni plus vil d’obtenir une popularité, passagère que celui qui consiste à se donner les dehors d’une vigilance défiante à l’endroit de toutes les saignées faites à la bourse du public, en prenant l’initiative de la destruction de tel ou tel impôt plus ou moins coûteux ; mais il n’y a pas non plus de voie qui mène plus sûrement à un échec en fin de compte, ni de conduite qui rencontre un châtiment plus certain et plus exemplaire. Tous les impôts sont impopulaires et doivent, l’être ; les taxes les mieux assises ne sont que des maux nécessaires ; elles pèsent toutes et quelquefois deviennent dommageables à ceux qui les paient : Si la preuve de leur mauvaise tendance devenait une raison pour les détruire, il serait impossible de lever un revenu pour l’état… Pour justifier l’abolition d’un impôt, il faut montrer ou que l’on peut, en toute sécurité, se passer du revenu qu’il procure, ou qu’il est plus onéreux et plus funeste à la société que tel autre qu’il s’agirait d’y substituer, et, même ce point éclairci, il resterait encore à établir que les maux qui résulteraient de ce changement ne l’emportent pas sur le bénéfice qui peut en résulter.

« Il est grand temps de faire résolûment une levée de boucliers systématique contre les funestes conséquences de la conduite que nous avons signalée. Il importe à notre sécurité pour l’avenir et à la bonne administration des affaires publiques que tous les directeurs de l’opinion, soit dans le parlement, soit dans la presse, que tous ceux qui ont aujourd’hui ou qui auront pour devoir de gouverner le pays, ou d’agir sur l’esprit de ceux qui le gouvernent, envisagent sérieusement la responsabilité solennelle qui s’attache à leur position, et qu’avertis par les tendances dangereuses qui viennent de se manifester dans les rangs d’une partie de la population, ils s’abstiennent désormais d’éveiller cette haine ignorante de l’impôt qui, si elle était poussée plus avant et si elle continuait long-temps, finirait par rendre impossible l’administration de ce grand empire. »


Ainsi la guerre à l’impôt désorganise le gouvernement et embarrasse la marche de l’administration en Angleterre au milieu d’une prospérité presque fabuleuse et malgré l’influence protectrice d’institutions que le souffle révolutionnaire n’a pas encore ébranlées. Quel avertissement pour les peuples qui ont des institutions dont le temps n’a pas éprouvé la solidité, qui obéissent à des gouvernemens peu sûrs d’eux mêmes, et qui, après avoir traversé l’émeute, la guerre civile et le ralentissement ou la suspension du travail, commencent à peine à jouir d’une amélioration éphémère !


I. – SITUATION FINANCIERE.

Abordons maintenant la situation de la France. Quand on envisage d’un coup d’œil impartial et sûr les résultats de l’année 1850, on reconnaît que cette période marque un progrès dans la gestion de la fortune publique aussi bien que dans le développement de la fortune privée, Assurément l’agriculture, qui est la grande industrie de la nation française, a souffert de l’avilissement qui continue à se faire sentir dans le prix des denrées ; cependant le marché anglais a ouvert aux produits de nos champs et de nos vergers un débouché très important et qui absorbe, en grains seulement 3 à 4 millions d’hectolitres. C’est comme si la France avait 2 millions de consommateurs de plus à nourrir. En même temps l’assemblée nationale, d’accord avec le pouvoir exécutif, a réduit de 17 centimes, pour l’année 1851, les charges supportées dans l’intérêt de l’état par la propriété foncière. Il y a là de quoi réconcilier grands et petits propriétaires avec une situation dont le bien est l’œuvre des pouvoirs établis, dont le mal tient à l’instabilité anarchique, organisée à l’état d’institution par les constituans de 1848.

L’industrie manufacturière a déployé, en 1850, une activité sans exemple depuis longues années, et elle a joui d’une prospérité sans mélange. — Paris, Lyon, Saint-Étienne, Mulhouse, Rouen, Elbeuf, Reims, Sedan, Limoges, Amiens, Saint-Quentin et Roubaix n’avaient jamais fait de plus brillans bénéfices. Le bas prix des denrées a concouru, avec l’élévation des salaires, à améliorer la condition des ouvriers. Pour cette classe de citoyens plus encore que pour toutes les autres, les privations ont cessé, les désastres de la veille ont été réparés, et l’on a pu songer encore une fois au lendemain, Depuis le 1er janvier 1850, nous voyons s’accroître d’environ 5 millions par mois, le fonds des caisses d’épargne. Après avoir épuisé les conséquences du désordre, les ouvriers ont éprouvé au plus haut degré des bienfaits de l’ordre ; la Providence a voulu, sous ces deux formes leur prodiguer la lumière des mêmes enseignemens.

Sans doute tous les ateliers n’ont pas participé au mouvement dans une égale mesure. Les industries qui ont besoin de compter sur l’avenir pouvaient difficilement prendre l’essor. Les travaux de construction, les armemens de long cours et les entreprises de chemins de fer n’ont retrouvée qu’une faveur médiocre. Cependant la métallurgie, entièrement paralysée en 1848 et en 1849, a recommencé à vendre et par conséquent à produire. Le prix des bois s’est relevé. Après les objets de grande consommation, les articles de luxe ont été recherchés au-delà de toute espérance. Il s’est manifesté dans l’ordre social à peine raffermi une exubérance d’activité et de sève, mais au jour le jour et argent comptant, comme on fait des marchés sous la tente. Le crédit a disparu des transactions, et laisse un vide immense dans le commerce ainsi que dans l’industrie.

Le revenu de l’état obtient sa part de l’amélioration générale. En 1850, le produit des impôts indirects a excédé de 46 millions les évaluations portées au budget. Sans la part d’accroissement qui résulte des nouveaux droits de timbre et d’enregistrement, on pourrait dire que le revenu public a retrouvé le secret de cette force impulsive qui en déterminait, avant le temps d’arrêt marqué par la disette de 1847, la progression périodique.

En même temps et par un mouvement parallèle, les annulations de crédit compensaient, en partie du moins, les additions de dépense. On voyait s’atténuer, pour ainsi dire jour par jour, les découverts légués par les années antérieures. C’est ainsi que le déficit de 1849, évalué d’abord à 290 millions, ne figurait plus que pour une somme de 249 millions dans la dernière discussion du budget, et tombe aujourd’hui à 202 millions.

Dans son rapport sur le budger des recettes pour l’année 1851, M. Gouin estimait que le découvert total, à la fin de 1850, serait de 638 millions, allégé jusqu’à concurrence de 38 millions par la négociation des rentes que le trésor avait trouvées dans le portefeuille des caisses d’épargne. L’évaluation présentée un jour plus tard, dans la séance du 17 juillet, par M. le ministre des finances faisait descendre ce découvert à 682 millions, qui devaient se réduire, moyennant 15 millions de crédits annulés et 42 millions d’accroissement dans les recettes, à 575 millions. Dans l’exposé qui précède le budget de 1852, M. de Germiny le ramène à la somme de 571 millions, dont voici les élémens :


Anciens découverts, y compris la compensation due aux caisses d’épargne 260,870,000 fr
Découvert de 1848 3,005,000
Découvert de 1849 202,000,000
Découvert de 1850 105,507,500
Total 574,383,100

Dans la séance du 13 février dernier, M. Fould, admettant de nouvelles annulations de crédit pour l’année 1850, n’en portait le découvert qu’à 79 millions. M. Passy l’évaluait à 91 millions, comme organe de la commission des crédits supplémentaires. En partant de cette donnée, qui est la dernière et, qui semble la plus large, on, voit que les découverts, à la fin de 1850, se réduisent à la somme de 557 millions : c’est un progrès de 43 millions sur les estimations de. M. Gouin, et de 14 millions sur celles du ministre des finances lui-même.[4].

Les résultats de l’exercice 1851 modifieront-ils cette situation ? et dans quelle mesure ? Nos budgets ne se soldant pas en équilibre, la dette flottante doit s’accroître évidemment chaque année. Dans quelle proportion l’année qui s’écoule va-t-elle ajouter aux charges du passé ? Voilà ce qu’il convient de déterminer d’une manière précise, avant d’aborder l’examen des propositions que le gouvernement nous fait pour 1852 ; pour l’année critique.

« .On ne peut encore former, dit M. le ministre des finances en exposant les motifs de ce budget, que des conjectures sur les résultats de l’exercice 1851. Le service ordinaire voté avec un excédant de recette de 4,137,200 fr, présente, dès aujourd’hui, un découvert de 7,866,800 fr., par suite du vote ou de la présentation de divers projets de loi portant ouverture de crédits additionnels pour une somme totale de 12,004,000, fr. Il y a lieu de prévoir en outre que des besoins supplémentaires viendront, dans le cours de l’exercice, s’ajouter à cet excédant ; mais, en tenant compte des annulations habituelles de crédits qui s’opèrent en clôture d’exercice et des plus-values considérables que l’expérience des deux années précédentes fait pressentir sur les impôts indirects, il nous est permis d’espérer que le budget de 1851, pour le service ordinaire, se réglera en équilibre. Si l’ordre continue à régner, cet espoir s’accomplira.

« Quant aux travaux extraordinaires de 1851, les crédits qui ont été ouverts par la loi du budget pour 67,391,500 fr. s’élèvent maintenant à 67,623,700 fr. s’élèvent maintenant à 67,623,700 fr. par le report d’un crédit non employé.

« En résumé, les découverts des exercices antérieurs, ajoutés à ceux des années 1848, 1849, 1850 et 1851 ; s’élèvent à 646,873,000 fr. »

En regard de ce chiffre, qui pourrait paraître effrayant, M. le ministre des finances fait figurer ; par forme d’atténuation, diverses ressources. Il indique vaguement une plus-value dans le produit des impôts indirects, les annulations de crédit, les obligations des compagnies du Nord et de Rouen pour une valeur de 43 millions, la vente de 22, 000 hectares de bois qui doit ajouter 25 millions aux recettes de 1851, enfin les sommes que la concession du chemin de fer de Lyon peut faire rentrée dans les caisses de l’état.

Dans la séance du 13 mars le véritable auteur du budget de 1852, M. Fould, a donné un corps à ces hypothèses. M. Fould pense que découvert de 646 millions se trouvera réduit à 616 millions, au 31 décembre 1851, par les annulations de crédit opérées jusqu’à concurrence de 30 millions sur l’exercice 1850, et il ajoute : « En regard de ces 616 millions, qui sont le chiffre extrême des découverts, vous avez à mettre, d’une part, une somme qu’il est difficile de fixer d’une manière certaine, mais que dans plusieurs occasions j’ai portée à 100 millions : c’est le chemin de fer de Lyon, exécuté jusqu’à Châlons. Ce chemin de fer, s’il est vendu, vaudra cette somme, je l’espère. Vous avez donc déjà une réduction de 100 millions, restent 516 millions. Nous vous avons demandé l’autorisation d’aliéner certaines forêts ; le ministre des finances est en position aujourd’hui de réaliser jusqu’à concurrence de 25 millions de ces propriétés… Vous avez en outre 43 millions de valeurs dans le portefeuille du trésor qui n’ont pas encore été comptés dans l’actif : ces valeurs proviennent de la compagnie du chemin de fer du Nord. Il reste des obligations de la compagnie du chemin de fer de Rouen 14 millions ; 43 et 14, font 57 : c’est donc 57 millions à déduire des 516 millions. Vous arrivez à 460 millions : » Pour compléter les calculs de M. Fould, il faut retrancher encore les 25 millions qui représentent, suivant lui, le produit des forêts que le ministre des finances est autorise, à aliéner ; à ce compte, le découvert se trouverait ramené à 435 millions, à la fin de l’exercice.

Le tableau que trace de la situation l’ancien ministre des finances n’est-il pas quelque peu flatté ? pour approcher de la vérité ne faut-il pas porter sur l’ensemble des faits une appréciation plus sévère ? J’admets, pour la liquidation des exercices antérieurs à 1850, le chiffre des découverts tel que l’indique l’exposé présenté par M. de Germiny ; je le suppose invariablement fixé à 465,875,600 fr. J’adopte, pour 1850, l’évaluation qui a été faite par la commission des crédits supplémentaires soit un découvert de 91 millions. Quels seront maintenant les résultats de l’année 1851 ? L’excédant des dépenses votées ou à voter s’élevait au commencement de février, à 77 millions. Les mois qui vont s’écouler grossiront probablement encore de 25 à 30 millions le chiffre des crédits supplémentaires, et porteront à 107 millions l’insuffisance des ressources telles que le budget les évalue. Ces évaluations seront-elles dépassées ? Les contributions indirectes, dont la commission du budget a estimé, les produits à 718 millions pour 1851, rendront-elles 22 millions de plus, ainsi que M. Fould le suppose ? Il y aurait de la témérité à l’affirmer. Déjà le produit des deux premiers mois est inférieur de 1 million environ à celui de janvier et février 1850. Le ralentissement du travail et par conséquent de la consommation pendant le mois de mars a dû encore être plus sensible ; la crise politique qui commence diminuera certainement la récolte du trésor. Prenons dont les évaluations du budget telles quelles. Croyons aussi que les annulations de crédit n’atteindront pas leur niveau habituel dans le cours d’un exercice sur lequel pèseront de grandes nécessités. Quand on porterait à 25 millions les radiations de dépenses, le déficit réel de 1851 serait encore de 82 millions, ce qui élèverait à près de 639, millions la somme des découverts à la fin de cet exercice.

Examinons ; maintenant la valeur des atténuations sur lesquelles paraissent compter les représentant officiels du trésor.

Premièrement, il n’y a rien, de plus problématique, à l’heure qu’il est, que la vente à des conditions. Avantageuses de 22,000 hectares de bois. L’état précaire et agité dans lequel nous vivons frappe les propriétés d’une dépréciation qui ne paraît pas toucher à son terme. Les acheteurs ne se montrant pas empressés, les vendeurs se contiennent, ce qui donne encore une espèce de tenue au marché ; mais que l’on jette sur ce marché 22,000 hectares de bois dans le cours de 1851, et l’on verra si les capitaux peuvent être attirés sans une très forte prime. Le trésor ne réalisera l’opération qu’en vidant à tout prit, en retirant peut-être 15 à 18 millions de ce qui, dans son meilleur temps, en vaudrait 30. Pour s’exposer à de pareils sacrifices, il faudrait avoir en perspective des résultats plus importans.

Les 57 millions qui représentent les obligations souscrites au profit de l’état par les compagnies du Nord et de Rouen ne deviendront disponibles que par l’autorisation de les négocier, autorisation qui doit émaner de l’assemblée nationale : la caisse des dépôts peut s’en charger et donner sans difficulté à l’état la contre-valeur en espèces ; mais il ne faut pas oublier que la caisse des dépôts, en se prêtant à cette mesure, perdra pour quelques années la faculté de servir utilement, dans des opérations semblables, d’auxiliaire au trésor.

Reste la concession du chemin de fer de Lyon. Cette difficulté, j’en conviens, est pour le moment le nœud gordien de nos finances. La ligne de Paris à Avignon doit être promptement exécutée dans toute son étendue. Nous ne pouvons pas, avec la double concurrence de Trieste et de Southampton, interrompre la ligne de communication de l’Océan avec la Méditerranée et l’arrêter à Châlons-sur-Saône. De Châlons à Avignon, il reste 200 millions encore à dépenser. Quel homme de sens, à moins d’être enlacé dans les liens des partis extrêmes, oserait conseiller à l’état d’ajouter cette charge à tant d’autres ? Pouvons-nous à la fois emprunter 200 millions, pour donner à l’état la jouissance exclusive d’une ligne qu’il n’est pas habile à exploiter et faire un second emprunt de 100 à 150 millions pour diminuer d’autant le fardeau ainsi que les périls de la dette flottante ? En concédant à une compagnie la ligne de Paris à Lyon, l’on obtiendrait, pour prix de la concession, une ressource immédiate ou prochaine de 100 millions, dont 50 à 60 seraient consacrés à subventionner l’exécution du chemin de fer de Lyon à Avignon. L’économie pour le trésor serait ainsi d’au moins 240 millions, sans parler de la sécurité qui résulterait d’une réduction de la dette exigible.

Supposons qu’une compagnie fortement constituée se présente avant l’épreuve si critique de juin 1854, que l’assemblée, se dégageant des entraves et des intrigues dont l’embarrassent les intérêts locaux, ratifie le traité conclu par le gouvernement, et que le trésor entre en possession des avantages qui en résultent ; voilà le découvert diminué de 100 millions. Retranchez encore les 57 millions que représentent les obligations du Nord et de Rouen, et le découvert descend à 482 millions. Admettez en face de ces excédans de dépenses accumulées un encaisse habituel de 70 millions, qui représente les anticipations du revenu, et vous ramènerez à 412 millions la dette flottante proprement dite. Il y aurait là une situation de trésorerie de nature à faire cesser les alarmes. La dette flottante de la France, n’excéderait plus celle de l’Angleterre. On se rapprocherait, sans y rentrer, il est vrai, d’une façon complète, de l’état normal.

Nous avons indiqué les combinaisons à l’aide desquelles il devient possible d’alléger les embarras et de conjurer les périls, la position en un mot vers laquelle doivent graviter dès aujourd’hui nos finances. Nous avons sondé l’abîme du découvert, sans chercher à faire illusion, par un effet d’optique, sur sa véritable profondeur. Arrêtons-nous maintenant sur le point de départ. Voici le montant et la composition de la dette flottante. Les chiffres qui suivent donnent la situation exacte au 1er mars 1854.

Dettes portant intérêt


Prêts des communes et des établissemens publics 111,914,600 fr.
Avance des receveurs-généraux 77,186,500
Prêt de la caisse des invalides 3,111,600
Prêt de diverses caisses 365,300
Caisses des dépôts, prêts en compte courant 37,872,600
Caisses d’épargne, prêts en compte courant 140,353,600
Bons du trésor 110,424,300
Banque de France 100,000,000
Total 581,228,500
Dette sans intérêt 11,518,000
Total général 592,746,500[5]

En général, la dette flottante reste inférieure à la somme des découverts que le trésor compense en partie, dans son encaisse habituel, par l’anticipation des recettes sur les dépenses. Par une exception qui montre à quel point les ressources de trésorerie abondent, la dette flottante au 1er mars 1851 était supérieure, à la somme des découverts. L’état disposait de larges réserves. Sa provision de numéraire, soit au comptoir central, soit en dépôt à la Banque de France, s’élevait, le 8 mars, à 115 millions ; somme qui excédait de 5 millions les bons du trésor[6]. Les valeurs de portefeuille figuraient à l’actif pour 107 millions[7] : au total, 223, 133, 134. fr. Ainsi, l’actif du trésor, le 8 mars dernier, était supérieur de 33 millions à cette magnifique réserve de 190 millions qu’avait laissée aux vainqueurs de février le gouvernement de juillet, et que dévora en si peu de temps le gouvernement provisoire[8]. À aucune époque, il faut le reconnaître, le trésor ne s’était trouvé en mesure de faire face plus victorieusement aux chances de l’imprévu.

Avec un encaisse aussi considérable et avec un portefeuille aussi riche, le ministre des finances peut, selon les exigences de la situation, soit pourvoir s’il le faut, à 75 millions de dépenses, de plus, soit a réduire de 75 millions les engagemens de la dette flottante. En supposant que la commission du budget conseille cette réduction, quels sont les chapitres sur lesquels devrait porter la réforme et qu’indique au regard exercé du ministre un péril pressant ?

Évidemment, les prêts des communes, des établissemens publics et de la caisse des dépôts, qui s’élèvent ensemble à 153 millions, ne sauraient inquiéter le trésor, et forment la partie en quelque sorte invariable de la dette flottante. Les remboursemens qui interviennent sont presque toujours compensés par des placemens nouveaux. J’en dirai autant des bons du trésor. Il faut ouvrir un refuge aux capitaux qui, en attendant, un emploi, définitif, cherchent un emploi temporaire. Le trésor est le banquier naturel des capitalistes grands et petits qui ne veulent pas garder un fonds de caisse improductif. Il reçoit, en payant un loyer modique, ces richesses flottantes qui sans cela ne porteraient pas d’intérêt ou qui iraient grossir le courant déjà assez fort de la spéculation en matière de fonds publics, ou de valeurs industrielles. C’est là une ressource élastique ; mais pour pouvoir, en cas de nécessité, emprunter largement sous cette forme, il faut tenir en circulation une certaine somme, de billets et ne pas faire perdre aux capitalistes l’habitude de considérer le trésor comme une caisse de dépôt. L’Angleterre a émis des billets de l’échiquier jusqu’à concurrence de 600 millions de francs. Sa dette flottante échafaudée sur cette unique base, s’élève encore aujourd’hui à 400 millions. Sans aller jusque-là, sans jeter, comme le dernier ministère de la monarchie, pour 320 millions de bons de trésor sur la place, il est permis de penser qu’une circulation habituelle de 100 à 120 millions, qui, pourrait, le cas échéant, s’étendre à 200 millions, n’aurait rien d’exagéré pour la France, même avec les élémens de trouble inhérens, au système républicain.

Les avances, des receveurs-généraux ont varié de tout temps entre 50 et 60 millions, elles approchent aujourd’hui de 80 millions. C’est une ressource dont on abuse, un moyen de crédit que l’on tend jusqu’à le forcer. Il ne faut pas attirer à Paris tout l’argent, ni tout le crédit de la France. Le ministre fera sagement de rembourser aux receveurs-généraux 20 millions, en ramenant ainsi leurs avances au niveau qu’elles atteignaient il y a quinze mois. Les banquiers départementaux du trésor recouvreront ainsi une certaine liberté d’action et les capitaux que le public leur confie chercheront un emploi dans les entreprises locales.

Les fonds des caisses d’épargne tendent à devenir encore une fois le véritable embarras de la dette flottante. Les dépôts accumulés et versés en compte courant au trésor s’élevaient, le 1er mars 1851, à 140 millions. Depuis le 1er mars 1850, l’accroissement avait été de 57 millions ; il s’opère aujourd’hui, selon le témoignage de M. le ministre des finances, à raison de 7 à 8 millions par mois. À ce compte, le 31 décembre 1851, les fonds des caisses d’épargne entreraient pour plus de 200 millions dans la composition de la dette flottante.

La dette que contracte l’état à l’égard des déposans est exigible à toute heure. L’état ne peut ni fixer un terme aux remboursemens, comme lorsqu’il s’agit des bons du trésor, ni en échelonner les échéances ; c’est un compte courant dans, lequel il reçoit et emploie les fonds, en s’engageant à les tenir disponibles et à les restituer à la première sommation. Tout va bien dans les périodes de sécurité et de travail, car alors la masse des dépôts s’accroît par moissons régulières, et les fonds que retirent les déposans sont remplacés par de nouveaux dépôts ; mais aussitôt que l’activité industrielle se ralentit ou que l’ordre public est troublé, les porteurs de livrets, pressés par le besoin ou stimulés par l’effroi, accourent redemander leurs épargnes. Il faut dans ce cas que le trésor s’exécute et qu’il épuise ses réserves pour les satisfaire, ou qu’il déclare lui-même son impuissance, et que, par un procédé révolutionnaire, il suspende ses paiemens. Ces éventualités redoutables sont le plus grand péril en matière de finances auquel un gouvernement puisse se trouver exposé.

Sous-la monarchie de juillet, la disponibilité du capital concourant avec l’intérêt élevé que le trésor accordait aux caisses d’épargne à faire préférer ce placement aux fonds publics, on vit s’élever en 1844 l’accumulation des dépôts à 392 millions. La dette de l’état envers les déposans était encore de 355 millions le 24 février 1848. Le trésor n’ayant pas pu rembourser une somme aussi considérable, il a fallu donner des rentes et se résigner, pour être équitable, à une perte de 140 millions, c’est-à-dire à payer en réalité 495 millions, ou 40 pour 100 au-delà de ce qu’on avait reçu.

Nous avons à tirer une leçon de cette catastrophe. Si l’on ne prend aucune mesure pour arrêter le progrès menaçant encore une fois des comptes courans ouverts par le trésor aux caisses d’épargne, en moins de quatre années, L’accumulation des dépôts incessamment exigibles dépassera bientôt 200 millions. Les épargnes du peuple, pompées sans nécessité par l’état cesseront d’alimenter et d’accroître la production. Le pays sera privé d’une féconde rosée, en même temps que le trésor sera surchargé de richesses sans emploi, ou poussé par l’abondance des capitaux à des dépenses de luxe.

M. Delessert, reprenant les conclusions de la commission nommée en 1850, propose : 1° de réduire le maximum du compte de chaque déposant en capital à 1,000 francs au lieu, de 1,500 francs, et, avec l’accumulation des intérêts, à, 1,250 francs au lieu de 2,000 francs ; 2° de ne bénéficier, à partir du 1er janvier 1852, sur les capitaux versés aux caisses d’épargne, qu’un intérêt de 4 et demi pour 100 au lieu de 5. Cette proposition, acceptée en principe par le ministre des finances, a été renvoyée à la commission du budget. Il reste, pour la rendre plus complète et plus efficace, à décider que l’abaissement du taux de l’intérêt descendra à 4 et demi pour 100 à partir du 1er juillet 1851, et à 4 pour 100 à partir du 1er janvier 1852. La loi du 22 juin 1845 donne aux déposans la faculté d’acheter sans frais, par l’intermédiaire des caisses des rentes sur l’état jusqu’à concurrence des sommes déposées. Ce qui prouve qu’ils connaissent le prix du placement qui leur est offert pour l’accumulation de leurs économies partielles, c’est que la conversion volontaire de ces économies s’est élevée en capital à 24 millions de 1845 à 1850. Il n’y aurait pas d’inconvénient sérieux à pousser plus loin la logique de cette mesure, et à ordonner par la loi que tout dépôt qui aurait atteint, en capital et intérêts, le maximum de 1,250 francs, serait, faute par lui de le retirer dans le mois, converti en rentes sur l’état.

Les consolidations amenées par la révolution de février, si elles ont grevé l’état, ont du moins eu pour effet de rendre populaires les placemens en rente. M. Gouin fait remarquer que les déposans auxquels le trésor, en 1848, a remboursé 350 millions en rentes 5 pour 100, soit par 19,618,747 francs de rentes, au prix de 71 fr. 80 cent., ont conservé la plus grande partie de ces rentes, malgré le bénéfice considérable qu’ils en auraient retiré par la vente aux prix relativement très élevés qui ont été cotés depuis[9]. Le nombre des inscriptions, qui était déjà de 291,808 au 1er janvier 1848, s’élevait à 823,796 le 1er janvier 1851 ; d’où il suit que la révolution de février a imprimé à la propriété immobilière le caractère démocratique que la révolution de 1789 avait donné à la propriété foncière. La possession de la rente est, divisée aujourd’hui comme celle du sol. La France, qui comptait déjà 5 à 6 millions de propriétaires, compte maintenant plus de 800, 000 rentiers. Il y a là une garantie de plus pour l’ordre social et un attrait nouveau pour le travail. En élargissant la porte de la consolidation, l’on n’affaiblira donc pas l’institution des caisses d’épargne, on n’arrêtera pas les progrès de l’économie, et l’on ne découragera pas les sentimens de prévoyance. Aucun intérêt ne combat ici l’intérêt d’ailleurs prépondérant du trésor.

Les livrets de 1,250 francs et au-dessus doivent représenter, si la proportion est restée la même depuis 1845, au moins le tiers du capital des caisses d’épargne. La proposition de M. Delessert en la supposant convertie en loi, pourrait donc mettre le trésor dans la nécessité de rembourser aux déposans, une somme d’environ 40 millions. Voilà l’éventualité à laquelle il faut pourvoir, soit par une émission de rentes qui aurait le même caractère que le dernier emprunt, soit en faisant une large saignée, pour donner de l’argent comptant, à l’encaisse du trésor. Cette dernière combinaison, plus conforme aux précédens et aux principes, aurait l’inconvénient de ne pas réduire le découvert et se bornerait à modérer pour quelque temps le mouvement de la dette flottante.

Les esprits timides voudraient que l’état allât plus loin, et qu’il ouvrît un emprunt direct de 100 millions, dont le produit lui servirait à rembourser les 100 millions qu’il doit à la Banque de France. Je n’aperçois pas clairement cette nécessité. Un emprunt de quelque importance dans une époque agitée, et lorsque le 5 pour 100 est à 93 fr, est un de ces expédiens suprêmes auxquels on ne doit recourir qu’après avoir épuisé toutes les autres ressources : Le ministre des finances, en se refusant, depuis dix-huit mois, à emprunter, a rendu un service très réel au crédit. Je crois qu’il est désirable et possible de prolonger la durée de ce système, surtout si l’on se détermine à réduire, par des consolidations opérées sur les livrets qui ont atteint le maximum la dette contractée à l’égard des caisses d’épargne.

Quant à la Banque, avant de reprendre ses paiemens en espèces et pour affronter les événemens avec toute sa liberté d’action, elle aurait dû par prudence stipuler le recouvrement intégral de sa créance sur le trésor ; mais ; puisqu’elle ne l’a pas fait, puisqu’elle s’est bornée à réduire de 75 millions les engagemens qui résultaient de la loi du 19 novembre 1849, il convient d’examiner si quelque danger imminent nous appelle à modifier l’état présent des choses.

En principe, la Banque de France, étant destinée à développer le crédit commercial, ne peut pas, sans troubler la sécurité de la circulation fiduciaire, devenir un instrument de crédit pour l’état. Lorsque les valeurs que représentent son capital et les comptes courans sont engagées dans les escomptes, ou lorsque la circulation de ses billets excède, dans une forte proportion, sa réserve métallique, en un mot, lorsque la Banque se livre aux opérations en vue desquelles elle a été fondée, alors il n’est ni régulier ni prudent de détourner les sommes dont elle dispose vers les canaux de la dette flottante, et de convertir ainsi le banquier du commerce en banquier du trésor. Ces choses-là ne se font que par le procédé révolutionnaire. En 1848, le gouvernement républicain obligea la Banque à lui prêter d’abord 50 millions contre des bons du trésor, et plus tard 150 millions contre une hypothèque sur les forêts domaniales ; mais il fallut, pour rendre ces emprunts possibles, suspendre les paiemens en espèces et décréter le cours forcé des billets, permettre, pour tout dire, à la Banque de battre monnaie pour le service soit du public, soit de l’état.

Le 15 mars 1848 au moment où les billets de la Banque de France furent déclarés monnaie courante et obligatoire, la circulation de la Banque s’élevait à 275 millions ; elle devait 42 millions au trésor et 81 millions à divers déposans : au total 398 millions exigibles à vue. Depuis le 26 février, elle avait remboursé pour 70 millions de billets à la foule qui assiégeait les guichets ; il ne lui restait plus que 123 millions en numéraire. La moitié de son capital était immobilisée en rentes. Son portefeuille, surchargé par une telle crise, s’élevait à 303 millions. Un tiers de ces effets n’était pas réalisable et ne fut pas réalisé à l’échéance ; les deux autres tiers ne devaient rentrer que successivement et par fractions dans une période moyenne de quarante-cinq jours. Ajoutons que la Banque ne pouvait pas arrêter ou même ralentir ses escomptes sans provoquer des catastrophes qui auraient amené le naufrage universel des fortunes et du crédit. Dans une telle situation, engagée comme elle l’était, et tenue de réserver ce qui lui restait de forces pour venir au secours du commerce et de l’industrie, la Banque n’aurait jamais songé d’elle-même à prêter au trésor, envers lequel il lui devenait déjà bien difficile d’acquitter sa dette ;

Depuis cette époque, les opérations de crédit ont diminué de jour en jour. La France, peu rassurée sur l’avenir, revient insensiblement aux procédés qui marquèrent l’origine des sociétés commerciales : les transactions ne se font plus qu’au comptant. On troque l’argent contre la marchandise ; avec la confiance disparaît ou s’annule la valeur des personnes ainsi que des institutions de crédit. La Banque de France va tous les jours s’affranchissant davantage de ses engagemens commerciaux. Le portefeuille qui après la réunion des banques départementales à l’établissement central, s’élevait encore à 327 millions le 18 mai 1848, et à 165 millions le 11 janvier 1849, n’était plus, le 12 juillet suivant, que de 126 millions ; la moyenne du portefeuille à Paris pendant l’année 1850 n’a pas excédé 29 millions ; à ce taux et à quelques, millions près, il reste aujourd’hui stationnaire.

L’émission des billets a pris, il est vrai, un développement très remarquable ; mais elle n’ajoute rien à l’étendue de la circulation et ne fait que remplacer les espèces, elle se trouve couverte et au-delà par l’encaisse métallique, qui n’a pas cessé un instant de s’accroître comme à vue d’œil. Le 18 mai 1848 ; les billets émis s’élevaient à 403 millions ; le 15 novembre 1849, ils atteignaient, à 5 millions près, la limite légale de 452 millions ; le 16 mai 1850, sous l’empire de la loi qui élevait cette limite à 525 millions, la circulation était de 482 millions, et le 3 avril 1851, avec la liberté sans limites, de 524 millions et demi. Suivons maintenant le progrès de la réserve, en numéraire elle est de 115 millions le 18 mai 1848, de 194 millions au mois d’août suivant, de 269 millions le 11 janvier 1849, de 348 millions à la fin de juillet, de 423 millions à la fin de décembre, de 471 millions le 18 mai 1850, et de 539 millions le 3 avril 1851. Ainsi, pendant que la circulation accroissait de 121 millions ou de 30 pour 100, l’encaisse métallique s’élevait de 115 millions à 539 millions, ce qui représente un accroissement de 369 pour 100. À l’heure qu’il est, la Banque de France n’est pas seulement le plus puissant réservoir de numéraire qui existe dans le monde entier[10] ; elle absorbe et ne tardera pas à renfermer la richesse disponible de la France.

Si le public commerçant abandonne la Banque, si la somme des effets escomptés par cet établissement égale à peine celle des valeurs déposées par les particuliers en compte courant, il faut bien que la Banque cherche un autre client, et qu’elle transforme, en partie du moins, ses opérations. Les prêts ou avances à faire à l’état, pourvu qu’on les renferme dans des limites prudemment calculées, sont la conséquence directe de cette situation nouvelle. Sans ce débouché ouvert à ses capitaux, la Banque n’aurait plus de raison d’être, car elle ne rendrait plus que fort peu de services au commerce.

Le trésor peut emprunter aujourd’hui jusqu’à concurrence de 125 millions, savoir : 50 millions sur dépôts de bons de la république, et 75 millions en compte courant à 4 pour 100 d’intérêt, avec compensation à 4 pour 100 également pour les fonds que le trésor dépose. Cent millions ont été prêtés dans ces conditions, et le loyer que la Banque en a retiré figure, dans ses revenus, en 1850, pour un peu plus de 2 millions. L’état ne saurait obtenir un emprunt à des conditions moins onéreuses ; quant à la Banque elle-même, non-seulement ce prêt ne fait naître pour son crédit ni embarras ni dangers, mais elle se verrait bientôt réduite à l’état de l’avare qui couve stérilement ses écus, si le trésor ne lui offrait l’emploi de ses ressources disponibles. Sans cela, la France n’aurait entassé ses richesses dans les caves de ce sanhédrin que pour les rendre improductives. Autant vaudrait les jeter au fond de la mer.

Je pense donc qu’il convient, au lieu de rembourser les 100 millions empruntés par l’état, de renouveler sur cette base pour 1852, en épuisant au besoin le crédit entier de 125 millions, les traités conclus avec la Banque. Ce n’est pas là le côté faible de la dette flottante. Il faut chercher ailleurs le danger auquel on veut et l’on doit pourvoir. Ce danger, nous l’avons montré principalement dans l’accumulation des versemens opérés par les caisses d’épargne et dans l’exagération des avances faites par les receveurs-généraux[11]. La richesse de l’encaisse permet de rembourser dès à présent aux deux comptes. 50 à 60 millions, et de réduire d’autant la dette flottante.

La dette flottante, on le voit, porte aujourd’hui tout le poids des découverts antérieurs et des découverts postérieurs à l’exercice 1848. Nous les avons évalués, en les supposant liquidés au 31 décembre 1851, à près de 640 millions. En mesurant l’espace que nous avons parcouru depuis la révolution de février et en cherchant à se rendre compte de l’effet utile des efforts auxquels nous nous sommes livrés pour ramener l’ordre dans les finances, on peut constater que nous sommes parvenus à équilibrer, dans le budget ordinaire, les dépenses avec les recettes, à condition de suspendre l’action de l’amortissement pour un terme indéfini. Les travaux extraordinaires nous coûtent de 75 à 90 millions par année, ce qui répond à la somme des impôts supprimés depuis l’origine de la période révolutionnaire ; d’où il suit évidemment, que, si nous avions eu la sagesse de maintenir dans son intégrité le système des taxes que nous avait légué la monarchie, les finances de ce pays seraient aujourd’hui dans un état normal. L’amortissement, devenu libre, servirait a éteindre la dette, ou pourvoirait aux dépenses extraordinaires des travaux publics.

En renonçant volontairement aux deux tiers de l’impôt du sel et à 17 centimes sur le produit de la contribution foncière, le gouvernement républicain s’est condamné à l’abandon des ouvrages commencés ou à l’emprunt. On peut, à force d’habileté, ajourner l’échéance de cette alternative, mais on n’y échappera pas. Emprunter à la Banque de France ou aux banquiers, voilà le dernier mot de la situation qui s’ouvre avec le budget de l’année 1852.


II. – BUDGET DE 1852. – DEPENSES.

Le budget de l’année 1852, tel que le propose M. le ministre des finances, est littéralement calqué sur celui de 1851, tel que les votes de l’assemblée nationale l’ont fait. L’assemblée ne peut pas se plaindre ; elle avait demandé que l’amortissement, dotation et arréragés compris, fût rétabli au chapitre de la dette publique, par respect pour le principe qui s’étend à tous les engagemens que l’état a contractés ; l’amortissement y figure en effet, porté pour ordre en dépense et en recette. La commission de 1851 avait fixé à 382,000 hommes l’effectif de l’armée dans un moment où ce effectif s’élevait encore à 440,000 hommes ; le budget de 1852 le fait descendre à 377,000 hommes, comme si cette obéissance apparente, qui consiste à dissimuler les nécessités de la situation, ne se réservait pas la marge indéfinie des crédits supplémentaires. Par suite de la loi du 5 décembre dernier, qui accorde un supplément de 40,000 hommes pendant six mois, l’effectif moyen de 1851 se trouve fixé à 402,130 hommes. Un nouveau supplément de 20,000 hommes deviendra nécessaire pour les six derniers mois. Une armée de 400,000 hommes n’a rien d’excessif, et devient, pour deux années au moins, l’indispensable garantie de notre sécurité dans l’état de la France et de l’Europe. À ce compte il faut ajouter, pour l’entretien de nos forces militaires, 13 à 14 millions aux dépenses de 1851. Le budget de 1852 devra supporter les mêmes charges.

Depuis plus de vingt ans, on s’élève, sans trop de succès, en France, contre cet abus des crédits supplémentaires qui forment chaque année comme un second budget. Faut-il s’en prendre uniquement à la facilité ou à l’imprévoyance des ministres ? Si l’évaluation des dépenses était préparée avec cette sûreté et avec cette franchise de coup-d’œil qui ne laissent aucun éventualité dans l’ombre, les crédits à demander en cours d’exercice égaleraient à peu près, par la force même des choses, les crédits à annuler : l’équilibre s’établirait sans difficulté au moyen de ces compensations inévitables ; mais nous ne procédons pas avec cette simplicité, ni avec ce bon sens. Ce qui fait principalement l’excédant des dépenses, c’est que l’on se refuse à prévoir, en établissant le budget, tout ce qui doit être prévu. Le ministère, la commission du budget, la majorité de l’assemblée, tout le monde se rend complice de cette dissimulation volontaire. On se donne ainsi la satisfaction de peindre en beau, la moitié de l’année, une situation sur laquelle on vient ensuite, pendant l’autre moitié, et lorsque déjà les résultats parlent, passer une couche de deuil. Cette tactique puérile ne convient pas, dans la pratique du gouvernement, à une nation qui est parvenue à l’âge viril. On ne da tolérerait pas en Angleterre, et il y a trop long-temps qu’elle déshonore chez nous le système représentatif.

Le budget de 1851, suivant la loi du 29 juillet 1850, s’élève à 1,434,634,047 francs, qui se décomposent ainsi : dépenses ordinaires, 1,367,242,509 fr. dépenses extraordinaires, 67,391,538 fr. Les crédits supplémentaires votés ou à voter portent déjà l’ensemble des dépenses, le 1er avril, à 1,455,135,655 fr, et ce n’est pas le dernier mot de l’exercice[12].

En regard de ces charges, la loi des recettes (7 août 1850) évalue à 1,371,379,758 fr. le revenu de l’année 1851. Il en résulte une insuffisance apparente de 83,755,897 fr. M. Fould attend des progrès du revenu public un accroissement d’environ 22 millions, qui porterait les recettes de 1851 à 1,393 millions. En supposant que les crédits supplémentaires qui pourront encore être présentés soient couverts par les annulations de crédit qui interviennent en règlement d’exercice, l’insuffisance réelle serait, dans ce cas, réduite à 62 millions. Mais qui voudrait garantir que le produit des impôts indirects en 1851 égalera celui de 1850, et que la même cause qui diminuera les ressources n’augmentera pas les dépenses ? Je crois avoir serré de plus près la vérité en admettant pour l’année actuelle un découvert de 80 à 85 millions.

Le budget de 1852 est évalué, dans les propositions de M. le ministre des finances, à la somme totale de 1,447,091,096 fr, laquelle comprend les dépenses ordinaires pour 1,372,978,828 fr. et pour 74,112,268 fr. les dépenses des travaux extraordinaires. Il faut y ajouter, pour se placer dans le vrai et avant tout crédit supplémentaire, 13 à 14 millions pour l’effectif, de l’armée et 3 à 4 millions pour le service des paquebots de la Méditerranée ; les évaluations, ramenées à une plus grande exactitude, s’élèveraient ainsi à 1,464 millions.

Le ministre des finances estime à 1,382,416 fr. les recettes de l’année 1852. À cette époque, si nous avons traversé heureusement l’épreuve que nous a réservée la fatalité ou plutôt le machiavélisme révolutionnaire, le revenu public atteindra certainement le chiffre de 1,400 millions et les dépassera peut-être ; il y aurait par contre une large défalcation à faire sur la calcul des recettes, si la crise se prolongeait jusqu’au milieu de l’année 1852. Adoptons provisoirement et comme une moyenne entre des chances opposées l’hypothèse ministérielle ; il en résulte au premier aperçu un déficit ou tout au moins une insuffisance probable de 82 millions. Que l’on additionne ce découvert avec ceux des années antérieures, et l’on atteint le chiffre colossal de 720 millions, résultat qui serait bien fait pour nous effrayer, si le pouvoir législatif ne trouvait pas les moyens d’en diminuer la gravité, ou s’il le laissait peser exclusivement sur la dette flottante.

Quoi qu’il arrive, les dépenses de 1852 ne resteront pas inférieures à celles de 1851. Les nécessités sont les mêmes ; les conséquences ne peuvent pas différer. Nous n’iront pas déposer les armes, dégarnir le trésor ; affaiblir l’administration, ni désorganiser la force publique, pas plus au lendemain qu’à la veille de la crise. Nous serons bien heureux s’il ne faut pas augmenter, les efforts et ajouter aux sacrifices ; à coup sûr, le temps des économies n’est pas venu. Voilà l’esprit dans lequel on doit aborder l’examen du budget ; mais avant toute discussion, il convient de présenter le tableau des divers chapitres de dépenses, tels que les a proposés le ministre des finances, M. de Germiny.


DEPENSES ORDINAIRES CREDITS demandés pour 1852 CREDITS votés pour 1851
Dette publique 394.522.537 fr 391.154.760 fr
Dotations 9.048.000 8.992.620
Services généraux des ministères Justice 26.612.995 26.571.345
« Instruction publique 22.794.990 21.682.481
« Cultes 41.909.972 40.784.722
« Intérieur Dépenses imputables sur les fonds généraux 27.701.360 27.790.520
« « Dépenses sur les fonds départementaux 100.311.430 98.753.520
« Travaux publics 59.026.096 63.926.245
« Guerre 304.794.069 303.814.628
« Marine et colonies 103.044.608 102.494.413
« Finances 28.126.130 28.050.160
Frais de régie et d’exploitation des impôts et revenus publics 149.370.477 149.082.100
Remboursemens et restitutions 80.791.660 79.611.680
Total général des dépenses ordinaires 1.372.978.828 fr 1.367.242.509 fr


DEPENSES EXTRAORDINAIRES CREDITS demandés pour 1852 CREDITS votés pour 1851
Ministère des travaux publics 66.527.268 fr 59.476.538 fr
Ministère de la guerre 3.710.000 3.710.000
Ministère de la marine 3.875.000 3.955.000
Ministère des cultes « 250.000
Total des dépenses extraordinaires 74.112.368 fr 67.391.538 fr
Total général des dépenses ordin. et extraord. 1.447.091.096 fr 1.434.634.047 fr

La comparaison des crédits demandés pour 1852 avec les crédits accordés pour 1851 fait ressortir une augmentation de 12,457,049 francs dans les évaluations du prochain exercice. Ce résultat se compose d’un accroissement d’environ 11 millions sur le budget ordinaire et de 7 millions sur le budget extraordinaire, compense par une réduction de 5 millions dans le budget ordinaire sur le chapitre des travaux publics.

L’accroissement que l’on remarque dans les dépenses prévues pour 1852 est loin d’accuser un défaut d’économie dans la gestion de la fortune publique. Quand on l’analyse de plus près, on trouve d’abord, au chapitre de la dette publique, 4 millions de plus qui sont la conséquence de la consolidation des réserves de l’amortissement. Viennent ensuite près de 1,500, 000 francs ajoutés aux chapitres des frais de perception et de restitution à faire aux contribuables, qui s’expliquent par le développement même du revenu. Les dépenses départementales s’augmentent de 1,500,000 francs par la libéralité des conseils généraux, jaloux d’améliorer les conditions de la voirie. L’instruction publique et les cultes surchargent leur budget de 2 millions, destinés à mieux doter le clergé paroissial et l’enseignement primaire. On ne saurait faire trop de sacrifices pour l’éducation morale du pays en présence des doctrines sauvages et impies qui le désolent.

En dehors de la dette publique, qui représente les charges léguées par le passé à la génération présente, des dépenses qu’exige l’entretien sur un pied respectable de la marine et de l’armée, des dépenses communales et départementales qui ne se rattachent que pour ordre au budget de l’état, enfin les frais de perception, de régie et d’exploitation qui sont à déduire du revenu brut, l’administration inférieure et extérieure ne coûte guère plus de 200 millions à la France. Encore les travaux publics, l’entretien et le développement des routes, canaux, ports, rivières, ponts et phares, figurent-ils dans ce chiffre pour environ 60 millions. Les cultes et l’instruction primaire réclament près de 65 millions, en sorte qu’il reste à peine 80 millions pour les dépenses de l’administration proprement dite. Ces faits, s’ils étaient mieux connus, réduiraient très certainement à néant les griefs que l’esprit de parti élève contre un système de gouvernement dont l’assemblée constituante jeta les fondemens en 1790, et qui reçut, au commencement du siècle, sa forme définitive de la main puissante du premier consul.

Je ne présente pas, il s’en faut, un budget de 1,500 millions[13], l’ordinaire, l’extraordinaire et le supplémentaire compris, comme l’état définitif et comme le type de nos finances ; mais, si l’on ne veut pas désorganiser les services administratifs, je ne vois d’économie possible dans les dépenses que par la diminution des forces militaires et des travaux extraordinaires entrepris par l’état.

On sait déjà qu’il y a lieu, non de réduire l’effectif, mais plutôt d’ajouter sur ce point aux évaluations du budget, pour maintenir à l’extérieur de la France une armée qui, en fournissant 70,000 hommes à l’Algérie, 10,000 hommes à l’occupation de Rome, et 20,000 hommes à la gendarmerie, présente, encore, déduction faite du sixième pour les incomplets, 250,000 hommes sous les armes. N’oublions pas qu’en 1852, comme en 1851, ces 250,000 soldats, avec l’admirable discipline et avec le patriotisme qui règnent dans leurs rangs, deviendront le boulevard de l’ordre, comme ils sont déjà l’espoir et l’orgueil du pays.

L’exécution des travaux publics, ralentie en 1851, parait destinée à recevoir de l’état, en 1852, une impulsion plus féconde. Les dépenses sont accrues beaucoup au-delà de ce qu’indiquent les chiffres globaux. Dans le service ordinaire, 7 millions figuraient au crédit de l’exercice 1851, pour représenter les frais des chemins de fer exploités par l’état. Cette somme se trouve retranchée du budget de 1852, les lignes de Lyon et de l’Ouest devant être concédées à des compagnies financières. En revanche, l’on augmente de 1 million le fonds de grosse réparation des routes nationales. Les réparations qu’exigent les palais et bâtimens publics entraînent une augmentation de crédit de 700, 000 fr. il s’agit du Louvre, de l’Élysée, de la Sainte-Chapelle, du bâtiment des affaires étrangères et de l’aqueduc qui porte les eaux de la Seine à Versailles. Dans l’abandon où sont aujourd’hui les travaux de construction à l’intérieur des villes, et principalement dans la capitale, cette allocation supplémentaire ne peut pas recevoir un meilleur emploi.

Le budget extraordinaire des travaux publics ne comporte en apparence qu’un excédant de 7 millions sur celui de 1851 ; mais celui-ci renfermait une allocation de 13 millions pour les travaux du chemin de fer de Lyon entre Dijon et Tonnerre, qui disparaît complètement dans la nomenclature des lignes exécutées par l’état pour le prochain exercice. C’est donc au profit des ouvrages qui se continuent un accroissement de 20 millions. Le gouvernement propose de consacrer 16 millions au chemin de fer de Paris à Strasbourg, qui est la grande ligne stratégique et commerciale, dans la direction de l’Allemagne ainsi que de la Suisse, et 16 millions à l’achèvement de la liges de Paris à Bordeaux, qui est la grande artère des relations avec le sud-ouest de la France et avec l’Espagne. En 1849, le crédit affecté à l’exécution des chemins de fer entrepris par l’état s’élevait à 82 millions ; l’allocation était encore de 63 millions en 1850 ; après être descendue à 41 millions en 1851, on la fait remonter à 46 millions en 1852.

Les lignes entreprises par l’état, dans le système de la loi de 1842, devaient coûter, si l’on excepte les chemins du Nord et de Lyon, environ 450 millions 340 millions ont été dépensés ; pour terminer les travaux et pour livrer le réseau à l’exploitation, nous aurons à dépenser encore 125 millions, en comptant les supplémens de crédit qui deviendront nécessaires. Il restera donc environ 80 millions à porter au budget des exercices qui suivront celui de 1852. Le gouvernement et l’assemblée, au milieu des perturbations de l’année prochaine ; pourront être entraînés cependant à porter quelques millions de plus sur l’embranchement de Reims, sur la ligne de l’ouest, sur les chemins de Clermont et de Limoges. L’intérêt public n’exige-t-il pas d’ailleurs que le réseau des chemins de fer, auquel l’état consacre de si grands sacrifices, soit livré à l’exploitation au plus tard en 1854 ? et ne sera-ce.pas assez d’avoir mis douze années, à partir de 1842, à doter la France de ces voies rapides de communication dont l’Angleterre e t la Belgique jouissent depuis cinq ans, dont l’Allemagne était en possession avant que les troubles de 1848 vinssent interrompre l’activité des entreprises industrielles ?

Les travaux de canalisation, les ports et les phares sont suffisamment dotés par le budget de 1852, si l’on ne veut pas mener de front tous les ouvrages. Nous avons déjà fait beaucoup, nous aurons bientôt assez fait pour améliorer le régime des transports. Il nous reste à mettre plus directement le sol en valeur par l’endiguement des cours d’eau, par les irrigations et par le reboisement des terrains en pente. L’irrigation du sol est surtout d’une utilité immédiate, et, tout en augmentant la richesse de l’agriculture, promet au trésor public, en échange de faibles sacrifices, un magnifique revenu. En établissant ou en augmentant les retenues sur les cours d’eau de quelque importance aux deux versans des Vosges et des Cévennes, dans la chaîne du Jura, dans les montagnes du centre et à l’origine des vallées pyrénéennes, on doublerait probablement la surface arrosable.

J’ai sous les yeux un travail plein d’intérêt de M. Colomès de Juillan, ingénieur en chef des ponts-et-chaussées, qui établit, comme conclusion des études auxquelles il s’est livré dans les Pyrénées, qu’en augmentant l’étendue des réservoirs naturels qu’offrent les lacs de cette région aux pluies et aux neiges, on peut, dans la partie occidentale de la chaîne, dériver à l’étiage 100 mètres cubes d’eau par seconde, qui suffiraient à arroser dans six départemens 130,000 hectares. L’exécution de cette belle entreprise coûterait 9 à 10 millions, et produirai chaque année un surcroît de revenu au moins égal pour les propriétaires riverains. Que le trésor en reçût pour sa part le huitième, et il retirerait encore un intérêt de plus de 12 pour 100 du capital consacré à une œuvre aussi utile.

Une partie de ce projet ne fût-ce qu’à titre d’essai, devrait trouver place ; en 1852, dans le budget des travaux extraordinaires. Il s’agirait de conduire les eaux de la vallée de la Neste, par une rigole, sur le plateau de Lannemezan, d’où l’on verserait à l’étiage deux mètres cubes par seconde dans le bassin du Gers, autant dans celui de la Bayse, et autant dans celui de la Save, en réservant un mètre cube pour l’arrosage même de ce plateau ; élevé de six cents mètres au-dessus du niveau de l’Océan. Ces travaux ne coûteraient pas 1 million, et seraient répartis sur deux exercices. On pourrait encore, avec une dépense supplémentaire de 3 à 400,000 francs, doubler la capacité des lacs qui dominent le cours des deux Nestes, afin de verser à l’étiage dans la Garonne huit mètres cubes de plus par seconde, qui alimenteraient plus tard le canal de Saint-Martory ; ce que l’on enlèverait à la puissance torrentielle et dévastatrice du fleuve dans le temps des crues viendrait ainsi, dans la saison sèche, se répandre, comme une rosée, sur des champs auxquels l’humidité et la chaleur heureusement combinées peuvent faire tout produire.

En résumé, la situation ne comporte pas de retranchemens sur l’évaluation des dépenses pour l’année 1852. Un accroissement est beaucoup plus probable. Avec les 17 à 18 millions de supplément que réclameront, dans le budget ordinaire de 1852, l’effectif militaire et les paquebots de la Méditerranée, avec les 5 à 6 millions qu’il devient utile d’ajouter aux dépenses extraordinaires, l’ensemble des dépenses s’élèvera, d’entrée de jeu à 1,472 millions.


III. - RECETTES.

Le revenu de l’état est évalué pour l’année 1852, à 1,382 millions, y compris les 79 millions de l’armortissement, qui sont un article purement fictif du budget des recettes. Pour toute ressource extraordinaire, on y voit figurer un remboursement de 4 millions à faire par la compagnie du Nord. L’évaluation des ressources ordinaires excède environ 11 millions celle qui avait été adoptée pour les recettes de l’année 1851. Voici des détails de cette comparaison :


EVALUATIONS Proposées pour 1852 Adoptées pour 1851
Contributions directes 409.658.390 fr 407.913.110 fr
Revenus et prix de vente de domaines 10.970.564 8.594.454
Produit des forêts et de la pêche 34.976.940 35.888.605
Impôts et revenus indirects Enregistr. et timbre 271.566.000
« Douanes et sels 154.336.000
« Contribut. indirectes 309.688.000
« Produit des postes 45.386.000 780.976.000 763.126.117
Divers revenus Taxe annuelle sur les biens de main-morte 3.150.000 3.150.000 45.386.000
« Produits éventuels affectés au service départemental 19.200.000 17.480.000
« Produits et revenue de l’Algérie 12.265.000 14.560.000
« Rentes de l’Inde 1.050.000 1.050.000
« Recettes des colonies (loi de 1841) 5.610.400 5.477.300
Produits divers du budget 19.413.000 31.691.319
Remboursemens (chemin du Nord) 4.000.000 4.000.000
Réserve de l’amortissement 79.642.966 75.660.150
Remboursement (chemin d’Avignon) « 1.000.000
Total général 1.382.663.416 fr. 1.371.379.758 fr.

Les augmentations de 1851 sur 1852 s’élèvent à 27,807,489 francs, compensées par des diminutions jusqu’à concurrence de 16,523,531 fr. L’accroissement est donc de 11,283,658 fr. en résultat.

Voilà pour la différence apparente. Au fond, ce qui distingue les évaluations de 1852 de celles de 1851, c’est d’abord un retranchement de 12 millions sur le chapitre des produits divers, retranchement qui s’explique par la concession projetée des chemins de fer de Lyon et de l’Ouest à l’industrie privée ; ces lignes ne devant pas rester dans les mains de l’état, il n’y a plus lieu d’en faire figurer les produits dans les élémens du revenu public, pas plus que de porter les frais d’exploitation en dépense. C’est ensuite un accroissement d’environ 18 millions dans le revenu des impôts indirects.

Cet accroissement est au moins problématique. On a pris pour base des évaluations de 1852 les produits réalisés en 1850, sans tenir compte du ralentissement probable du travail et de la consommation. L’on a supposé que le commencement de prospérité qui s état déclaré pendant une année de repos et de trêve, à une égale distance des époques climatériques de 1848 et de 1852, irait se continuant, peut-être même se développant, dans d’autres circonstances. On a fait plus, on a oublié que des modifications proposées ou à proposer dans certains impôts devait résulter une diminution très sensible dans le revenu.

Prenons pour exemple les droits établis sur les boissons. Le budget adopte pour base des évaluations de 1852 les produits de 1850, augmentés d’un jour de perception en raison de l’année bissextile, soit un peu plus de 101 millions. Cependant les faits doivent se modifier, et l’assiette de l’impôt ne restera pas la même. La commission d’enquête, d’accord avec le ministre des finances, demandera une réduction de moitié dans le tarif des entrées, d’où peut résulter pour le trésor une perte de 5 à 6 millions. Si l’impôt n’est pas énergiquement défendu, la discussion entraînera d’autres sacrifices. En tout cas, l’on se ferait une illusion étrange, si l’on espérait la conservation intégrale de cette branche de revenu.

J’en dirai autant des droits sur les sucres. Le projet de loi soumis en ce moment à la discussion de l’assemblée est la première application que l’on ait tentée en France, de la politique qui consiste à provoquer l’accroissement de la consommation par la modération des tarifs. Cette politique est vraie, elle favorise les progrès de l’aisance générale ; mais, si l’effet en est direct et certain sur l’alimentation, elle ne tourne pas toujours à l’avantage du trésor public. C’est ce qui me paraît complètement démontré par l’expérience de l’Angleterre. Le gouvernement britannique a réduit, en quatre années, le droit sur les sucres de ses colonies de 59 fr. 5 cent. par 100 kilogrammes à 24 fr. 50 cent. Une diminution aussi énorme, environ 60 pour 100, devait imprimer à la consommation des sucres un développement rapide. En effet, le stimulant a été si énergique, que les quantités consommées annuellement se sont élevées, en six années de 210 millions de kilogrammes à 300 millions ; mais cet accroissement n’a pas suffi pour combler les vides du revenu. En 1845, la première année de la réforme, le produit des droits sur les sucres tombait de 130 millions de francs à 89 ; aujourd’hui la perte est encore de 20 millions par année.

Le gouvernement français a proposé de réduire les droits sur les sucres de 49 fr. 50. cent. à 27 fr. 50 cent, soit de 22 fr. ou de 44 pour 100. Cette réduction s’opérerait en quatre années et par fractions égales, à raison de 5 fr. 50 cent. par année. Les 116 millions de kilogrammes que la France a consommés en 1849 ont rendu au fisc 58, 569,000 fr. La perte serait de 25,770,000 fr, si la consommation devait rester stationnaire. Pour que le trésor retrouvât, sous l’empire du droit réduit, le même revenu dont il jouit à cette heure il faudrait un accroissement de 64 millions de kilogrammes dans les quantités consommées. Les causes qui ne permettront pas d’obtenir ce résultat sont nombreuses et puissantes. Premièrement la France n’est pas, comme l’Angleterre, le pays des boissons chaudes. Nous ne prenons pas du thé ou du café deux ou trois fois par jour. Les peuples qui récoltent et qui boivent du vin ne font qu’une faible consommation de sucre ; pour augmenter sensiblement cette consommation, des mœurs et des habitudes différentes ne seraient pas moins nécessaires que le bas prix de la denrée. On a d’ailleurs exagéré, dans des appréciations peu exactes, les qualités de sucre qui entraient dans l’alimentation des peuples étrangers. Si l’Angleterre en consomme 11 kilogrammes, par individu et par année, en Hollande, quoi que l’on ait dit, la proportion n’est que de 5 à 6 kilogrammes. En Belgique, les droits sont modérés, et le sucre se vent à meilleur marché qu’en France ; cependant la consommation n’excède pas sensiblement 3 kilogrammes par individu. Est-il raisonnable d’espérer que, dans un pays comme le nôtre, où l’aisance ne descend pas aussi bas qu’en Belgique et ne se répand pas aussi loin, l’usage du sucre fera de plus grands progrès ?

Ce n’est pas tout. En supposant la thèse du projet de loi fondée en raison, le moment paraît mal choisi pour le mettre en pratique. Le trésor public n’est pas riche et ne peut pas courir les aventures. Une expérience à faire, un problème à résoudre en matière de finances, voilà ce que l’on doit par-dessus tout éviter aujourd’hui. Quand l’abondance sera rentrée dans les caisses de l’état, quand les colonnes du budget cesseront d’étaler des découverts annuels, alors on pourra modérer, au risque de voir baisser le niveau du revenu, les tarifs établie pour les sucres ; mais, dans un temps aussi incertain et avec un trésor indigent, nous n’avons pas le droit de faire des remises d’impôt. On n’est pas homme d’état ni financier en jetant le budget par la fenêtre.

Les mêmes raisons s’opposent, et plus fortement encore, à l’abaissement des droits sur les cafés. Sous l’empire de ces droits, qui sont modérés après tout, la consommation du café a doublé depuis dix-huit ans en France. Ainsi l’on ne peut pas dire que les tarifs en gênent le développement. En Angleterre, il est vrai, la réduction des droits a concouru à répandre l’usage du café dans les rangs les plus humbles de la population ; mais cette taxe était, avant la réduction, deux fois plus élevée que chez nous. On propose d’abaisser le tarif de 50 pour 100. La consommation est aujourd’hui de 18 millions de kilogrammes ; il faudrait donc une consommation de 28 à 30 millions de kilogrammes pour ne rien perdre du revenu. Je ne crois pas prudent de se lancer dans cet inconnu. Maintenons aujourd’hui les impôts tels qu’ils sont ; nous songerons plus tard aux réformes.

En se référant à ce qui vient d’être dit, on reconnaîtra qu’il n’y a guère lieu d’espérer que les recettes de 1852 égaleront les évaluations portées au budget. Pour rester dans le vrai, pour se tenir plus près des résultats probables, il convient de ramener le chiffre global du budget aux estimations adoptées par la commission qui a examiné celui de 1851, soit à 1,371 millions.


CONCLUSION.

En résumé, l’exercice 1852 va s’ouvrir avec un découvert de 640 millions. La différence entre les dépenses de l’état et le revenu public ne paraît pas devoir s’élever à moins de 100 millions dans le cours de cet exercice. Il faut donc compter sur un découvert total de 740 millions au 31 décembre 1852.

Nous avons indiqué déjà les moyens à l’aide desquels on pouvait soulager la dette flottante d’une partie de cet énorme poids. Ces moyens consistent à réaliser, par une cession faite à la caisse des dépôts jusqu’à concurrence de 57 millions ; la valeur des obligations souscrites par les compagnies du Nord et de Rouen ; à concéder à une compagnie financière, en stipulant un remboursement d’au moins 100 millions, le chemin de fer de Lyon, qui va être terminé jusqu’à Châlons-sur-Saône ; enfin à donner au trésor l’autorisation d’émettre des rentes, jusqu’à concurrence d’un capital de 40 à 50 millions ; pour la consolidation des livrets qui excéderaient le maximum de 1,250 francs. On réduirait ainsi de 200 millions la somme des découverts, et, comme l’anticipation des recettes sur les dépenses fournit en moyenne une ressource de 70 millions, la dette flottante se trouverait ramenée à 470 millions : ce serait là une situation, je ne dirai pas complètement satisfaisante, mais qui éloignerait du moins toute idée de péril et même toute crainte d’embarras.

Je sens bien que je me borne à proposer des expédiens, et que ce système de palliatifs ne rétablit pas l’équilibre dans les finances publiques ; mais les solutions provisoires sont les seules possibles aujourd’hui. Nous vivons au jour le jour en toutes choses ; nous faisons des lois pour une année ; nous plantons à la hâte sur quelques piquets latente du parlement, comme des nomades politiques destinés à des migrations perpétuelles. Depuis le commencement du siècle, à l’exemple de l’ancienne Égypte, nous comptons les semaines d’années par dynastie. Chaque gouvernement s’abrite sous les ruines de celui qui l’a précédé, menacé de fournir le même genre d’abri à ceux qui vont le suivre. Comment fonder de véritables finances dans un pays où la scène, les personnages et le sol, tout se dérobe devant vous ?

Le temps est aux moyens extraordinaires ; mais, comme on ne peut pas employer ces ressources d’une manière permanente et à l’état de système, le moment viendra : certainement de fortifier les ressources ordinaires et d’accroître le revenu. Les impôts indirects sont une espèce d’échelle mobile de la fortune publique ; leur produit s’élève avec la prospérité et s’abaisse dans l’adversité. Le trésor fait une récolte abondante lorsque la nation consomme beaucoup ; par ce côté, les finances dépendent entièrement de la politique. En 1848, le produit des impôts indirects, très considérable pendant les deux premiers mois, tomba de 150 millions, après la révolution de février, pour l’année entière. Il s’est relevé de 50 millions en 1850. Le revenu indirect suit naturellement l’essor que prennent l’industrie et la richesse. C’est un progrès qui va de soi quand l’ordre règne dans les rues et la sécurité dans les esprits.

Une nation qui ne parvient pas à couvrir ses dépenses ne doit pas craindre de s’imposer pour faire face aux nécessités qui pèsent sur elle. J’ai déjà demandé le rétablissement d’un décime, par voie d’addition, à la taxe du sel, dans l’espoir d’en obtenir 25 millions de plus ; mais, puisque le gouvernement ne l’a pas proposé et que l’assemblée n’a pas suppléé par son initiative au silence du gouvernement, aux approches de 1852 il me paraît impossible d’aborder une difficulté de cette nature. Nous ne devons pas fournir des armes aux ennemis de l’ordre social. Le souvenir es 45 centimes a été exploité contre le gouvernement provisoire ; l’impôt du sel, si l’on commettait à cette heure l’imprudence de l’aggraver, deviendrait un bélier d’attaque à l’aide duquel pouvoir législatif et pouvoir exécutif seraient bientôt battus en brèche. Il ne faut exiger de pareils sacrifices que lorsqu’on est en position de faire appel à la raison calme du pays. Je reconnais que les pouvoirs publics doivent s’adresser à l’impôt pour couvrir l’excédant des dépenses ; mais j’ajoute que cela ne peut se faire qu’après l’épreuve de 1852.

Au surplus, la crise que l’on redoute pour l’année 1852 ne paraît pas devoir se prononcer, si elle éclate et quand elle éclatera, sous la forme d’une perturbation jetée dans les régions financières. Les portefeuilles des capitalistes ne sont pas aujourd’hui encombrés de valeurs de toute espèce comme dans les premiers mois de 1848. Ce sont les épargnes des départemens qui viennent à Paris s’échanger par fractions contre des rentes. Les banquiers n’ont pas rempli leurs caisses d’actions de chemins de fer achetées à un très haut prix. Il n’y a pas de grandes spéculations engagées dans l’industrie ni dans le commerce. Aucun emprunt ne surcharge la place. La Banque voit peu à peu se réduire ses escomptes, qui représentent à peine le tiers des valeurs qu’elle avait l’habitude d’accepter. Les compagnies de chemins de fer ont demandé, ou peu s’en faut, à leurs actionnaires, tout ce qu’elles avaient à leur demander. Les capitalistes ne se sentent pas gênés, les capitaux restent disponible ; en un mot, les ressources abondent pour l’heure du péril.

Le véritable danger qui nous menace, c’est la suspension ou plutôt le ralentissement du travail. En 1849, les manufacturiers ne fermèrent pas leurs ateliers, parce qu’ils pouvaient préparer des approvisionnemens, les magasins étant vides. Aujourd’hui, les magasins commencent à s’encombrer ; pour entretenir la main-d’œuvre sans interruption, des commandes directes seraient donc nécessaires : il faudrait qu’une activité nouvelle, imprimée à l’exportation de nos marchandises, vînt compenser la langueur du marché national. En 1848, l’état dépensa 150 millions en travaux extraordinaires, sans parler de la dépense complètement stérile et dégradante des ateliers nationaux ; en même temps, les compagnies de chemin de fer, poursuivant leurs entreprises, occupaient un grand nombre d’ouvrier. Aujourd’hui, la dépense de l’état en terrassemens et en ouvrages d’art est réduite de moitié ; presque toutes les compagnies ont terminé ou sont à la veille de terminer leurs travaux ; il faut donc susciter de nouvelles et grandes opérations, si l’on veut offrir à l’activité inquiète des esprits et aux bras sans emploi un large exutoire.

Déjà le travail se ralentit dans les fabriques, le bas prix des denrées n’encourage pas les propriétaires fonciers à se jeter dans les dépenses d’amélioration que réclame la culture du sol. La production et par suite la consommation commencent à languir. Il appartient aux pouvoirs publics d’apporter un remède prompt et sûr à cet état e choses. N’attendons pas que les ateliers se ferment et que les multitudes affamées nous demandent du pain. Que la fermeté du gouvernement et la sagesse de l’assemblée rendent la confiance au pays. Appelons, en concédant les lignes de Lyon et d’Avignon, au secours de nos capitaux hésitans ou alarmés les capitaux entreprenans qui surabondent en Angleterre. Ce qui n’était qu’une question de bonne politique devient désormais une question de salut public. Créons du travail à tout prix ; ce sera, quoi qu’il puisse arriver, rendre la confiance aux intérêts et donner la sécurité à tout le monde.


LÉON FAUCHER.

Paris, 9 avril 1851.

  1. millions
    Le revenu de l’Autriche en 1849 a été de 373
    " la Prusse a été évalué pour 1859 à 342
    " la Bavière représente environ 50
    " Bade 43
    " la Saxe royale 28
    " du Wurtemberg 24
    " du Hanovre 27
    " des autres états environ 63
  2. L’Angleterre, dans cette période, a emprunté 35 millions sterling et en a racheté 8.
  3. Sans compter les frais de perception des impôts, évalués à 4 millions sterling et demi en moyenne.
  4. S’il n’y avait pas eu d’atténuation, les découverts auraient été, d’après les évaluations primitives, savoir :
    découverts antérieurs 260 millions
    de 1848 80
    de 1850 155
    Total 785 millions

    La différence entre les résultats prévus et les résultats réalisés est donc de 228 millions à l’avantage du trésor.

  5. Voici le rapprochement des chiffres principaux de la dette flottante à diverses époques, depuis le mois de janvier de l’année dernière. On verra ainsi le chemin qu’elle a fait en quinze mois.
    Au 1er janvier 1850 Au 1er mars 1850 Au 1er juillet 1850 Au 1er mars 1851
    Prêts des communes, etc 107,161,700 110,814,529 114,189,100 111,914,600
    Avances des receveurs-généraux 57,057,500 66,560,685 59, 806,800 77,186,500
    Caisse des dépôts 39,321,700 37,523,640 49,349,800 37,872,600
    Caisses d’épargne 38,863,000 83,029,058 102,650,100 140,353,600
    Bons du trésor 109,975,200 104,000,000 85,520,900 110,424,300
    Prêts de la Banque 100,000,000 100,000,000 100,000,000 100,000,000
    Prêts sans intérêt 12,016,500 12,016,500 11,763,500 11,518,000
    Total général 449,862,400 517,799,963 540,304,240 592,746,500
  6. Le 27 mars ; après le paiement du semestre des rentes 5 et 4 pour 100, le trésor avait encore à la Banque plus de 93 millions.
  7. Le portefeuille contenait pour 24 millions de traites d’adjudications de coupes de bois, pour 45 millions d’obligations de chemins de fer, et pour 18 millions de rentes non livrées du dernier emprunt.
  8. Savoir : Solde en numéraire et à la Banque : 135 millions. Valeurs de portefeuille : 55
  9. Rapport de la dix-septième commission d’initiative sur la proposition de M. Delessert,
  10. La réserve métallique de la banque d’Angleterre s’élevait, le 8 mars dernier, à 14,423,685 livres sterling (361 millions de francs). Sa circulation active excédait 474 millions de francs, et ses comptes courans (deposits) 435 millions de francs.
  11. Au 1er avril, les avances des receveurs-généraux se trouvaient réduites d’environ 10 millions, et les versemens des caisses d’épargne augmentés d’une somme équivalents. Depuis le 1er janvier, le compte des caisses d’épargne s’était accru de 22,726,700 francs, ou de 7,575,566 francs par mois.
  12. Au 1er avril, les crédits supplémentaires déjà votés pour l’exercice 1851 s’élevaient à 15,996,451 francs ; les crédits à voter à 4,505,157 francs : total, 20,501,608 francs.
  13. Les dépenses de la France ont été en 1848 de 1,765 millions, en 1849 de 1,662 millions, en 1850 de 1,515 millions ; pour l’année 1851, elles s’élèvent jusqu’à présent à 1,455 millions.