De la péninsule scandinave en 1830

DE
LA PÉNINSULE SCANDINAVE
SOUS LE RAPPORT
MILITAIRE ET MARITIME
EN 1830.


(inédit.)

Il est difficile, à ce qu’il nous semble, de ne pas attacher quelque importance à l’état actuel de la Suède, quand on songe à l’influence qu’elle a exercée sur le développement politique du monde moderne, aux services qu’elle a rendus à la civilisation et à la liberté, et à l’éclat avec lequel elle a promené trois fois ses armes victorieuses au centre de l’Europe. Et dût-on même dérober à l’empire des souvenirs historiques, on ne saurait du moins lui refuser l’intérêt qu’elle revendique comme puissance limitrophe de la Russie, comme barrière septentrionale du colosse qui menace l’Occident.

Depuis la perte de la Finlande et de la Poméranie, en 1809, et l’union de la Norwége, en 1814, la position militaire de la Suède a dû nécessairement subir un changement complet. Il est facile de voir qu’elle n’est point encore résignée à un état de choses qui l’a dépouillée du rang de puissance continentale où l’avait élevée le génie de Gustave Adolphe et de ses successeurs. Sous le rapport militaire comme sous le rapport politique, elle est dans un état de transition peut-être trop prolongé pour le repos et la prospérité du pays.

Mais avant de nous livrer à des considérations générales sur la puissance militaire de la Suède, il convient de donner un aperçu des élémens qui la composent. Nous exposerons donc d’abord l’organisation de l’armée et de la marine des deux royaumes scandinaves, puis nous présenterons le détail de leurs forces de terre et de mer, et alors seulement nous chercherons à donner une idée des différens systèmes de défense qui occupent l’attention de leurs hommes d’état.


Armée de terre.
I. Suède.

L’organisation actuelle de l’armée suédoise remonte à Charles xi, monarque qui a créé la Suède telle qu’elle est sous le rapport administratif et militaire. Il consacra tous ses efforts à ruiner l’aristocratie suédoise qui gouvernait le pays depuis la mort de Gustave-Adolphe, en 1680, au moment où il venait d’arracher aux états-généraux une déclaration qui l’investissait d’un pouvoir absolu. Il fit rendre par la même assemblée un acte dit de réduction ou de restitution, en vertu duquel tous les domaines de la couronne et du clergé, aliénés au profit de la noblesse depuis deux siècles, devaient être enlevés à leurs acquéreurs et revenir à l’état. La réaction s’accomplit ; les principales familles de la noblesse furent réduites à la misère, et le roi se trouva possesseur d’une masse considérable de biens-fonds. Il résolut de l’employer à constituer d’une manière permanente l’armée nationale, qui, jusqu’alors, n’avait été recrutée que par des levées irrégulières. À cette fin, il distribua tous les domaines réunis en fiefs militaires de diverses grandeurs, dont les uns, sous le nom de bostœlle, furent assignés aux officiers de tout grade et de toute arme, et les autres aux soldats de cavalerie. Le produit de ces terres devait tenir lieu de solde aux officiers et aux cavaliers chargés de les faire valoir. Ensuite, afin de pourvoir à la levée des troupes en général, et à l’entretien des soldats d’infanterie, Charles xi conclut avec les provinces des contrats (knekte-contractar), d’après lesquels les propriétaires de biens fonciers, autres que les terres-nobles, furent répartis en petites associations ad hoc, dont chacune fournit un homme pour être soldat à vie, et le remplace en cas de mort ou d’infirmités. Sous cette condition, les propriétaires et leurs enfans furent affranchis du service militaire. Les associations différèrent de nature et de nom selon qu’elles étaient destinées à fournir des cavaliers ou des fantassins : dans le premier cas, elles s’appelèrent rusthall, dans le second rothall. Le cavalier habite et cultive un terrain qui, comme nous l’avons vu, lui est assigné par la couronne ; mais le rusthall est tenu de lui fournir le cheval, et de le remplacer. En revanche, les rothall sont obligés de fournir à chaque fantassin une chaumière et un coin de terre, dit torp, assez grand pour que le produit lui donne de quoi vivre. En outre, l’habillement des cavaliers et des fantassins est à la charge des associations qui les engagent. La répartition des domaines réunis et des torpar en fiefs militaires s’effectua conformément à un vaste cadastre, nommé indelnings werket, que Charles xi fit dresser. Les troupes dont l’organisation est régie par ce cadastre et les contrats provinciaux, et qui composent les cinq sixièmes de l’armée suédoise, sont désignées sous le nom d’indelta ou réparties.

Tel est le système de colonisation féodale institué par Charles xi, et qui s’est conservé, avec quelques légers changemens, jusqu’à nos jours. Seulement la répartition des propriétaires en associations chargées de la levée et de l’entretien du soldat, ayant été réglée d’après l’étendue du territoire et non d’après le nombre des personnes, ces associations se trouvent souvent réduites à deux ou même à un seul membre ; quelquefois aussi le nombre des membres s’est infiniment multiplié. De plus, la possession des terres-nobles ayant été, en 1789, rendue légale pour toutes les classes de citoyens, l’exemption du recrutement est devenue un privilége attaché à une certaine classe de terres et non de personnes. En cas de guerre, ces terres privilégiées sont forcées de pourvoir à une levée extraordinaire qui reçoit le nom d’extra-rotering, et se répartit entre les régimens indelta.

Dès que l’association est venue à bout de trouver un homme de bonne volonté qui consente à consacrer sa vie entière au service militaire, le gouvernement s’empare de sa personne, se charge de son armement, et l’astreint à habiter et à cultiver le torp qui lui est assigné, où il peut se fixer avec sa femme et ses enfans, s’il est marié, et qu’il fait valoir de la manière qui lui convient. Quelquefois, quand le produit du terrain est reconnu insuffisant pour assurer sa subsistance, l’association qui l’a engagé lui accorde une légère indemnité, soit en grains, soit en argent. Le gouvernement rend le même service aux officiers dont les bostœlle, primitivement attachés à leur grade, ont diminué de valeur par suite des temps. On s’est arrangé de manière à grouper les habitations des soldats autour de celles des officiers, et à répartir les bostœlle de toute une compagnie et même de tout un régiment sur le plus petit espace possible, de sorte que les cantonnemens d’un régiment indelta constituent une véritable colonie militaire. Les villages que forment ces réunions de fiefs militaires se distinguent aisément des autres tant par la tournure militaire des habitans que par les chiffres apposés aux chaumières, et qui désignent le numéro d’ordre de chaque habitant dans sa compagnie.

Six régimens de cavalerie, divisés en trois brigades et deux inspections générales, et vingt-six régimens d’infanterie, divisés en neuf brigades et quatre inspections générales, sont ainsi répartis sur toute la surface de la Suède. Ils portent le nom des provinces où ils sont cantonnés. Depuis les lieutenans-généraux, qui sont chargés des inspections, jusqu’au dernier soldat, tous vivent du produit de leurs bostœlle ou des indemnités provinciales, et nul n’est soldé par l’état. Pendant onze mois de l’année, les troupes restent dans leurs foyers, occupées à cultiver leurs terres : seulement les régimens d’infanterie sont employés successivement à des travaux extraordinaires, au creusage des canaux ou à la construction des routes, et alors ils reçoivent une solde journalière. Bien loin de murmurer de ce genre de travaux, comme il arrive dans les autres armées, le soldat suédois, accoutumé à manier la pioche et la bèche, regarde l’exécution de ces entreprises nationales comme un grand avantage. Aussi plusieurs régimens indelta ont reçu annuellement des sommes très-considérables pour avoir creusé le canal de Gothie, et cette considération du bien-être du soldat a souvent contribué à faire voter par les états-généraux les sommes immenses que ce canal a coûtées à la Suède.

Tous les dimanches les officiers et sous-officiers exercent les soldats qui sont immédiatement sous leurs ordres. Le mois de juin est consacré aux exercices généraux : les compagnies s’exercent d’abord séparément, puis se réunissent en régimens, et quelquefois l’on forme des camps de plusieurs régimens[1]. Au bout d’un mois tout est fini, et ce court espace de temps suffit pour donner à ces troupes colonisées une tenue excellente et un aplomb parfait : la cavalerie surtout est remarquable, et l’emporte certainement sur celle de plusieurs autres nations de l’Europe chez qui elle est constamment sous les armes. Il est vrai que les officiers, vivant au milieu de leurs soldats et n’ayant point les distractions qu’offre la vie de garnison, sont à même de les surveiller pendant toute l’année, et d’agir puissamment sur leur moral. Tous les trois ans, il y a une inspection faite par les officiers-généraux.

Les officiers ne sont jamais pris dans les rangs des soldats. Ce sont pour la plupart de jeunes nobles, sortis de l’école militaire de Carlberg. Ils sont obligés d’acheter leurs grades d’après un taux fixé par la loi. Ils ont de droit un congé de six mois tous les ans ; et d’après la constitution de 1809, les généraux et colonels sont seuls passibles de la destitution, comme possédant des places de confiance. Les autres officiers ne peuvent être privés de leurs grades que par un jugement.

Les régimens colonisés ou indelta forment la principale force de l’armée suédoise, qui du reste comprend deux autres élémens, les régimens enrôlés ou en activité (vœrfvade), et la réserve ou conscription nationale.

Les trois régimens des gardes à pied et à cheval qui forment la garnison de la capitale, un régiment de cavalerie légère du prince royal, en Scanie, et le corps d’artillerie, divisé en trois régimens (en tout environ 5 à 6,000 hommes), composent cette partie de l’armée, dite vœrfvade, tout-à-fait distincte de l’indelta, en ce qu’elle ne possède point de terre, et reçoit, à l’instar des autres troupes de l’Europe, une solde régulière, et portée au budget de l’état. Ces troupes sont constamment sous les armes. L’artillerie est très-perfectionnée en Suède. Elle est organisée d’une manière toute spéciale sous le nom d’artillerie volante. Chaque pièce est attelée de sept chevaux, dont chacun est monté par un artilleur. Trois autres se placent sur le caisson, de sorte que les dix hommes nécessaires pour le service de la pièce ne la quittent jamais, quelle que soit la rapidité de la course. On conçoit combien cette disposition accélère les mouvemens de l’artillerie que favorise encore la constance infatigable des chevaux du pays. Les canons sont pour la plupart en fonte, et ne crèvent jamais, grâce à l’excellente qualité du fer suédois[2].

La conscription ou réserve nationale, dont l’institution définitive est due au dernier adjudant-général, le comte de Bjærnstjerna, se compose de tous les jeunes gens non mariés de vingt à vingt-cinq ans. Elle se divise en cinq classes, d’après l’âge des conscrits, et l’une d’elles se rassemble tous les ans pendant quinze jours. Les jeunes gens dont le tour est arrivé, reçoivent un habit et des armes, et vont se réunir au régiment colonisé de leur province : les officiers de ce régiment leur apprennent l’exercice pendant les quinze jours que dure leur réunion. Ce terme expiré, ils déposent leurs uniformes et leurs fusils[3], et sont déchargés de tout autre service militaire en temps de paix. Si la guerre éclate, ils sont susceptibles d’être rappelés sous les drapeaux jusqu’à ce qu’ils aient atteint leur vingt-cinquième année. Il semblerait d’abord que ces conscrits, dont toute l’instruction se borne à quinze jours d’exercice, ne dussent remplir que très-imparfaitement le but de leur institution. Toutefois le caractère de la population suédoise est si essentiellement militaire, que la plupart des officiers étrangers qui ont pu en juger s’accordent à dire que cette courte réunion suffit pour déposer dans l’âme de ces jeunes gens un germe précieux de discipline et tous les élémens nécessaires pour former un bon soldat.

On le voit, c’est à l’armée indelta que se rattachent toutes les institutions militaires de la Suède ; c’est elle qui représente la force de la nation, et qui peut être regardée comme la véritable base de l’indépendance du pays.

Il est difficile de déterminer l’influence que cette organisation a exercée sur le moral du soldat suédois, puisqu’elle date d’un règne postérieur aux conquêtes de Gustave-Adolphe, et antérieur aux exploits de Charles xii ; que par conséquent, sous ce régime comme avant son existence, les Suédois ont donné des exemples d’un courage presque fabuleux, et d’une discipline que nul autre peuple n’a surpassée. Si la renommée des armes suédoises pâlit pendant la guerre de sept ans, on ne doit voir dans ce déclin qu’une suite du système de corruption oligarchique qui ruina la Suède au dernier siècle ; et pendant la lutte inégale que Gustave iii soutint contre la Russie en 1789 et 1790, l’on put croire que les beaux jours de l’antique Suède allaient renaître. Au milieu même des malheurs que l’aveuglement et l’imprévoyance de Gustave iv apportèrent à son pays en 1809, Adlercreutz, avec une poignée d’hommes, rappela maintes fois aux Russes l’ancienne supériorité des Suédois. Nous ne dirons rien du rôle militaire qu’a joué la Suède de 1812 à 1815, parce que ses troupes n’ont jamais eu l’occasion d’y déployer leur nationalité d’une manière exclusive. Il est certain que le Suédois est essentiellement guerrier. Il possède toutes les qualités qui constituent le bon militaire. La dureté de son climat, l’habitue aux privations et aux fatigues ; la pureté de l’air qu’il respire lui donne un physique robuste, une taille élevée et dégagée ; ses principes et ses habitudes lui inspirent un respect profond, une subordination absolue envers ses officiers ; enfin il est doué au suprême degré de cette patience inaltérable, de cette résignation à la souffrance, silencieuse et stoïque, de cette abnégation des jouissances de la vie, de ce courage calme et persévérant, qui ont toujours été l’apanage des peuples du Nord, et qui leur ont valu de si nombreuses et de si brillantes victoires sur les races méridionales. Aussi il semble impossible de concevoir un système mieux fait que celui de l’indelta, pour conserver cet esprit militaire au sein des classes agricoles, pour familiariser la population avec l’idée de la défense nationale, même au milieu de la paix, pour profiter enfin des dispositions naturelles du peuple, le maintenir dans des habitudes de subordination, et l’attacher au sol de la patrie, quelque peu favorisé qu’il soit des dons de la nature. Dans un pays où les ressources pécuniaires sont très-faibles, où la population est répartie sur une très-vaste surface, où la mer sert de frontières, et tient lieu de forteresses, cette organisation réunit encore les grands avantages d’être fort économique, sans nuire à aucun besoin du service, et de ne pas condamner à l’oisiveté des garnisons une foule de bras indispensables à l’agriculture. Enfin, il est une dernière considération que nous nous garderons bien de passer sous silence ; l’armée ainsi colonisée est éminemment nationale ; elle est unie aux autres citoyens par une conformité de besoins, d’intérêts, de travaux, par une sympathie perpétuelle. Quoi de plus propre à attacher le soldat à son pays que de confondre sans cesse dans ses idées, dans ses occupations, la culture de son champ avec les moyens de le défendre ?

L’administration de l’armée suédoise est extrêmement compliquée : elle n’est point sous la direction d’un ministre, d’un chef unique, mais se partage en trois départemens, dont il est difficile de déterminer exactement les attributions. Nous donnons ici ce que nous avons pu recueillir de plus positif à cet égard.

1o Le personnel, que dirige un aide-de-camp général (le comte de Brahe), qui travaille directement avec le roi, et qui est chargé de la présentation aux emplois militaires.

2o Le matériel, qui est placé sous la direction d’un collége, composé d’un président amovible, de six membres militaires et six civils, tous inamovibles. Ce collége se subdivise en bureaux, ceux 1o de l’artillerie, 2o des fortifications, 3o des vivres, 4o de l’équipement, 5o des affaires civiles. Il est spécialement chargé du maintien des réglemens relatifs aux troupes indelta.

3o L’expédition des affaires, dirigée par un secrétaire d’état qui signe les brevets, reçoit les demandes de congé, d’avancement, etc., et fait au roi le rapport de toutes les affaires du département. Il est responsable de toutes les décisions qui s’y rattachent.

Enfin, la constitution de 1809 réserve au roi seul la direction suprême des affaires militaires sans l’intervention du conseil d’état.


État approximatif de l’armée suédoise de 1827 à 1829.
(Extrait de relevés officiels.)
1o Armée permanente en temps de paix
1o État-major général 
Feld-maréchaux 
2 161
Officiers-génér. — 5 généraux, 11 lieut.-génér., 26 gén.-maj. 
42
Corps d’État-Major. — 30 adj.-gén., 15 col., 14 lieut.-col., 16 majors, 42 capitaines 
117
2o Troupes værvade ou en service actif 
Corps du génie 
370 6,867
Artillerie. — Trois régimens. 
2,801
Cavalerie. — Gardes à cheval, hussards du prince 
1,140
Infanterie. — 2 rég. de gardes, 1 bataillon de chasseurs 
2,546
3o Troupes indelta ou colonisées 
Cavalerie. — 2 rég. de drag., 3 rég. de hussards, 1 escadr. de chasseurs 
4,944 29,818
Infanterie. — 2 régimens 
24,874
Total de l’armée permanente 
36,846

2o Levée de guerre.
1o Extraa-rotering ou levée extraordinaires sur les terres nobles 
3,387
2o Les cinq classes du Bevilring, ou de la conscription générale 
95,518
3o La conscription particulière de l’île de Gothland 
7,398
Total général de l'armée de terre 
142,649

Il y a à Carlberg, près de Stockholm, une école militaire qui contient environ cent trente cadets. L’étude des sciences militaires a été récemment perfectionnée par des professeurs français.

Le célèbre couvent de Wadstena a été transformé en hôtel des invalides ; un grand nombre y sont logés. La caisse de l’établissement paie des pensions généralement insuffisantes à ceux qui préfèrent un autre domicile. Le château d’Ulrichsdal est destiné aux officiers invalides.

À Marieberg, aux portes de la capitale, il y a une fonderie importante de canons en bronze ; les fonderies de canons en fonte de fer sont à Finspâng, à Aker, à Staffsjæ, à Helleterp, etc. Les produits de ces établissemens sont très-estimés, et il s’y fabrique annuellement un grand nombre de bouches à feu, tant pour la consommation intérieure que pour l’exportation. On en envoie surtout un nombre très-considérable en Amérique et aux régences barbaresques. La fonderie et la forerie de Finspâng, appartenant au ministre des affaires étrangères, comte de Wetterstedt, méritent surtout d’être signalées, tant pour l’étendue des travaux que pour la perfection des produits[4]. Il y a des manufactures d’armes dans cinq villes du royaume ; la principale est à Eskilstuna.

La seule forteresse importante du pays est celle de Carlscrona, encore cette place n’est-elle très-forte que par mer. Les approches des ports de Stockholm et de Gothembourg sont également défendues par des forts et des batteries assez redoutables. Quant à Carlsten, et aux autres forteresses sur la frontière de Norwége, elles sont négligées et regardées comme inutiles depuis l’union des deux royaumes. Il en est de même de Malmæ, Warberg, Christianstad, Landscrona, dont l’importance a totalement déchu depuis la réunion définitive de la Scanie à la Suède, sous Charles x et xi. On construit actuellement une forteresse centrale sur un des lacs intérieurs ; elle a reçu le nom de Uœnœs ; nous en reparlerons tout à l’heure.

Les dépenses de l’armée sont portées au budget de l’état pour la somme de 3,380,000 écus de banque (environ sept millions de francs) ; mais cette somme ne pourvoit qu’à l’entretien des états-majors, des régimens enrôlés et du matériel. Les dépenses de l’armée provinciale retombent entièrement, comme nous l’avons vu, sur les habitans des campagnes. Les tableaux statistiques de Torssell estiment les frais d’entretien payés par les propriétaires fonciers à 2,680,000 écus (environ six millions de francs), et les revenus des domaines occupés par des officiers, à 335,000 écus (environ sept cent mille francs) ; mais ces évaluations sont regardées comme fort au-dessous de la vérité.


II. Norwége.

L’organisation de l’armée norwégienne n’est pas encore définitivement fixée, et le storthing, actuellement assemblé à Christiania, sera probablement appelé à prononcer sur cet objet. Telle qu’elle existe actuellement, cette organisation se rapproche beaucoup du système établi en France par la loi Gouvion-Saint-Cyr[5]. Tous les jeunes gens de vingt à vingt-sept ans font partie des classes de la conscription. Le storthing fixe le nombre de soldats qui doivent être appelés sur chaque classe. Ils restent pendant sept ans sous les drapeaux, et à l’expiration de leur service, ils sont susceptibles d’être rappelés en cas de guerre. Ils forment alors une réserve, dite landvœrn. Les jeunes gens qui exercent une industrie sont affranchis du service militaire, qui retombe ainsi exclusivement sur les habitans des campagnes. Il est vrai qu’il n’a rien de pénible, car les conscrits, à l’exception du petit nombre de ceux appelés à faire partie des corps qui sont en activité permanente, ne sont assujétis qu’à quinze jours d’exercice chaque année. Pendant ce temps, le gouvernement les habille et les entretient. Ils consacrent le reste de l’année à leurs travaux agricoles. Les officiers sont soldés par le trésor. On voit qu’il n’y a rien de commun entre ce système et celui de l’indelta suédois.

Il n’y a guère que douze à quinze mille hommes désignés pour faire partie des cadres militaires ; le tiers de ce nombre à peu près est vœrfvade, c’est-à-dire en activité permanente, et soldé par l’État. Les soldats compris dans cette division ne servent que cinq ans au lieu de sept. Ils séjournent dans les forteresses, qui sont plus nombreuses en Norwége qu’en Suède. La landvœrn ou réserve ne doit jamais sortir du territoire norwégien. Les autres troupes ne le peuvent qu’en cas de guerre, et avec l’autorisation du storthing. Seulement il est permis au roi d’avoir à Stockholm une garde norwégienne composée de volontaires, et de faire exercer ensemble des troupes suédoises et norwégiennes dans l’un ou l’autre des deux royaumes, pendant six semaines au plus par an. Mais dans aucun cas plus de trois mille hommes de troupe de l’un des deux pays ne pourront, en temps de paix, entrer dans l’autre[6].

L’administration de l’armée est dirigée par un membre du conseil d’état, chargé du département de la guerre, et par des commissaires provinciaux. Le personnel est confié à un adjudant-général.


État approximatif de l’armée norwégienne.
Officiers-généraux et état-major-général 
40
Corps du génie 
50
Artillerie. — 1 brigade, 6 batteries de campagne, 5 comp. de garnison 
1,596
Cavalerie. — 1 brigade, divisée en trois corps 
1,237
Infanterie. — 5 brigades, divisées en vingt-quatre corps 
11,128
Total de l’armée en temps de paix 
14,051
Réserve de vétérans ou landværn, susceptible d’être rappelée sous les drapeaux en cas de guerre 
10,381
Total général 
24,432

La Norwége a son école militaire à Christiania. Ses principales forteresses sont Aggershus, qui sert de citadelle à la capitale, Fridrichsten, Bergenhus, Fridrichstad, Christiansand, Friedrichsværn.

Un document semi-officiel, publié en 1822, contenait le résumé suivant des forces militaires de la péninsule Scandinave.


Officiers. Total de l’armée régulière Levée de guerre et conscrip. Total général
Artill. etc. Caval. Infant.
ARMÉE
Suédoise.
1,659 2,867 4,960 35,653 35,653 75,096 110,623
ARMÉE
Norwégienne.
515 1,616 1,237 11,128 13,981 10,381 24,362
TOTAUX. 2,174 4,483 6,197 38,953 46,634 83,477 142,985

Nous croyons que cette évaluation n’élève pas assez haut le chiffre de la cavalerie suédoise, ni celui des classes de la conscription, ou bevaring.


Armée de mer.


I. Suède.

L’organisation de la marine a été modelée par Charles xi sur celle de l’armée de terre. Le personnel se compose de deux élémens principaux : les matelots répartis (indelta), et la conscription maritime (sjo-bevaring). Les propriétaires des cantons limitrophes de la mer, et ceux des provinces entières de Bleknige et de Halland sont chargés, comme les propriétaires des districts intérieurs, de la levée et de l’entretien d’un certain nombre d’hommes, qui, au lieu de servir dans les régimens indelta, forment le corps des marins indelta, divisés en trente-quatre compagnies. On prend parmi eux les équipages des bâtimens qui sont en mer, et on exerce les autres à des intervalles réglés sur des flottilles armées pour cet objet. Tant qu’ils ne sont pas en mer, ils cultivent les coins de terre qui leur sont assignés, et se livrent aux travaux qui leur conviennent. Les officiers ont, pour la plupart, leurs bostœlle, comme ceux de l’armée de terre.

En cas de guerre, la conscription maritime peut être appelée tout entière. Elle se compose, comme celle de terre, des jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans qui habitent le littoral, et se distribue entre les trente-quatre compagnies indelta. Il y a de plus deux contingens, l’un fourni par les villes maritimes, et l’autre, dit extra-rotering, par les propriétaires de terres-nobles qui n’ont point été comprises dans le travail de l’indelning.

La Suède a souvent entretenu des flottes considérables, qui disputèrent pendant deux siècles l’empire de la Baltique à celles du Danemarck et de la Russie. Jusqu’à Gustave iii, elle a eu, comme les autres puissances maritimes de l’Europe, de nombreux vaisseaux de haut bord ; mais depuis l’admirable victoire de Svenska-Sund, gagnée sur les Russes[7], par Gustave iii, avec une flotte composée uniquement de chaloupes canonnières, on a commencé à reconnaître que ce dernier genre de bâtimens, avec l’adjonction de quelques frégates, était le seul qui convînt à la Suède. En effet, la marine suédoise ne peut aujourd’hui servir qu’à la défense des côtes, que les rochers et les bas-fonds qui les entourent rendent entièrement inaccessibles aux vaisseaux de haut bord. Aussi depuis plusieurs années on n’en construit plus ; en revanche, on a introduit d’immenses perfectionnemens dans la construction des chaloupes canonnières ; il y en a de diverses sortes et de toutes grandeurs, les unes pontées et mâtées comme des bricks, les autres découvertes, et à rames. Elles portent de dix à deux pièces de canon, et quelquefois une seule caronade à la poupe : elles ont de cent à vingt-cinq hommes d’équipage.

On a supprimé dernièrement la division de la flotte suédoise en deux sections, la flotte de guerre (orlogs-flottan), et la flottille côtière (skœrgards-flottan). La flotte réunie est aujourd’hui divisée en trois escadres, stationnées dans chacun des trois ports de Carlscrona, Stockholm et Gothembourg. Ces deux derniers ports sont peu importans sous le rapport militaire. C’est à Carlscrona qu’est le chef-lieu de la marine suédoise, et le siége de tous les établissemens qui en dépendent. Cette ville, créée par Charles xi, renferme des chantiers très-considérables et de magnifiques bassins, creusés dans le roc, où se trouvent les vaisseaux de haut bord qui restent encore. Les canonnières sont ordinairement à sec dans des cales couvertes : elles se conservent ainsi beaucoup plus long-temps.

La Suède n’a point de stations maritimes permanentes ; elle n’entretient à la mer que quelques flottilles de canonnières pour exercer les jeunes officiers et les classes de marins. Elle a obtenu, pour plusieurs de ses officiers, la permission de servir sur les escadres de la France et de l’Angleterre[8].

Chose surprenante, dans les vastes forêts de la Suède il se trouve fort peu de bois de construction pour la marine. On est obligé d’en faire venir de la Finlande et des autres pays riverains de la Baltique. Il en est de même des cordages.

Le prince royal est grand-amiral de Suède. Le département de la marine, comme celui de la guerre, est divisé en deux parties entièrement indépendantes l’une de l’autre : 1o le personnel, dirigé par un amiral aide-de-camp-général du roi ; 2o l’administration, qui est confiée à un conseil spécial, composé d’un président amovible, de quatre membres militaires et deux membres civils inamovibles. Le secrétaire d’état de la guerre est chargé de l’expédition des affaires de la marine au conseil d’état.


Tableau de la marine suédoise.


1o personnel.


Officiers
Officiers-généraux 
11 227
Commandeurs 
24
Capitaines 
16
Lieutenans en premier et en second 
176
Artillerie de marine 
1,028
Élèves aspirans 
360
Mariniers, pilotiers, artificiers, etc. 
812
Génie maritime 
21
Administration civile des ports, etc. 
185
Ouvriers 
954
Marins indelta 
5,694
Marins des villes 
892
Marins de l’extra-rotering 
1,535
Conscription maritime 
11,500
Total 
23,209


2o matériel.


Vaisseaux de ligne 
10
Frégates 
13
Corvettes et bricks 
19
Galères 
28
Canonnières pontées 
25
Canonnières découvertes 
200
Chaloupes canonnières 
100
Bombardes, etc. 
48
Goélettes et avisos 
29
Bâtimens de servitude 
75
Total 
547

II. Norwége.

La marine norwégienne comprend toute la population active des côtes, divisée en classes de conscription. Les classes, qui fournissent les hommes requis pour monter les bâtimens que le gouvernement équipe, sont de deux sortes, selon qu’elles comprennent les habitans des villes ou ceux du littoral, pêcheurs et cultivateurs. Les habitans des villes sont répartis en cinq districts de conscription, et forment l’enrollering. Les autres habitans des côtes, de dix-huit à trente-cinq ans, font partie du sjœ-lemit, qui se divise en sept districts. En temps de guerre, cette double conscription est tout entière susceptible d’être mise en activité pour le service de l’état. Les Norwégiens sont connus comme les meilleurs matelots du Nord.

La Norwége n’a ni vaisseaux ni frégates, seulement quelques bâtimens légers et une nombreuse flottille de canonnières. Il n’y a jamais en mer plus de deux ou trois bricks et goëlettes, de sorte que le nombre de marins actuellement employés (vœrfvade) est, comme en Suède, très-peu considérable.

La Norwége a deux ports militaires, Friedrichsværn et Christiansand. Le premier, qui sert d’avant-port à la capitale, est celui qui contient les établissemens les plus complets. Le département de la marine est organisé absolument comme celui de la guerre : un amiral aide-de-camp-général pour le personnel, un conseiller d’état et des commissaires de guerre pour l’administration et le matériel.


Tableau de la marine norwégienne.


1o personnel.


Officiers du corps de la marine 
78
Compagnie de cadets 
30
Artillerie de la marine 
109
Mariniers et ouvriers des ports 
424
Enrollering ou conscription urbaine, cinq classes 
4,592
Sjœ-lemit ou conscription générale, sept classes 
22,840
Total 
28,093


2o matériel.


Bricks, goëlettes, etc. 
14
Canonnières de diverses grandeurs 
105
Total 
119


Résumé général des forces militaires et maritimes dont le royaume uni pourrait disposer en cas de guerre.


Suède. Norwége. Totaux.
Armée de terre 142,649 24,362 167,011
Armée de mer 23,209 28,093 51,302
Total général 165,858 52,455 218,315[9]

On le voit, la Scandinavie possède en hommes des ressources considérables, et l’appareil de forces qu’elle peut déployer serait vraiment imposant, si elle ne se trouvait constamment dans le dénûment pécuniaire le plus complet, si surtout l’union entre les deux royaumes était réelle et complète. Mais il n’en est nullement ainsi : il est faux de dire que la Suède et la Norwége forment un royaume uni ; ce sont deux royaumes essentiellement distincts, gouvernés par le même chef, mais qui ont des intérêts, des mœurs et des institutions absolument différens, pour ne pas dire contraires. Chacun d’eux a ses lois, son armée, sa marine, son trésor en propre : toute fusion est prévue et interdite par la constitution norwégienne, qui semble avoir eu pour but principal d’établir entre les deux peuples une éternelle barrière.

Cette barrière est renforcée chaque jour par le peuple norwégien, et de son côté le gouvernement suédois n’adopte aucun système propre à la renverser, ni même à la miner graduellement. Tous deux ont tort, à notre avis ; mais au moins le gouvernement suédois peut couvrir son incurie du voile de la modération et de la générosité, tandis qu’il nous semble difficile de ne pas accuser la Norwége à la fois d’ingratitude et d’aveuglement : d’ingratitude, parce qu’elle perd de vue l’immense service que lui a rendu la Suède, en garantissant, lors de la conquête, la liberté démocratique qui lui est si chère, et en dérobant ainsi à l’œil jaloux des souverains européens un système demi-républicain qui contraste étrangement avec la domination absolue que le Danemarck avait exercée pendant trois siècles sur la Norwége ; d’aveuglement, parce qu’elle oublie que la Suède peut seule la protéger contre le seul ennemi de son indépendance, la Russie. Elle oublie que, si la Suède succombait, elle ne serait pas plus à l’abri, derrière ses montagnes, d’une invasion russe, qu’elle ne l’a été en 1814 de l’invasion suédoise ; elle n’aurait d’autre ressource que la protection intéressée de l’Angleterre, c’est-à-dire la liberté dérisoire des îles Ioniennes.

Toutefois, nous le répétons, ni la Suède, ni la Norwége ne paraissent occupées de ces graves pensées. La nécessité d’une fusion indispensable à la prospérité des deux pays n’entre dans aucun de leurs calculs, dans aucune de leurs prévoyances. Nous devrons donc, en disant quelques mots du système général de défense, parler comme si la Suède était isolée et réduite à la Suède propre, comme elle l’a été de 1809 à 1814.

Diverses opinions se sont manifestées en Suède sur le moyen de défense que l’on devrait employer contre la Russie, seule puissance vraiment redoutable pour la Scandinavie. L’opinion qui compte le plus de partisans, et que le gouvernement semble disposé à adopter, est connue sous le nom de système de défense centrale. Ce système consiste à abandonner la capitale et ses environs à l’armée russe qui débarquerait vis-à-vis des îles d’Aland[10], et à se retirer vers le centre du pays, derrière une ligne de défense naturelle qui se trouve toute formée par les grands lacs Wener et Wetter, et par le canal de Gothie, destiné à réunir ces lacs entre eux, et à établir ainsi une communication intérieure entre la mer du Nord et la Baltique. Ce canal, projeté et presqu’achevé par le comte de Platen[11], auteur du système de défense centrale, couperait la Suède en deux parties ; la partie méridionale, la plus fertile et la plus peuplée, serait seule défendue par l’armée indelta, qui aurait sa principale position à Vanœs, forteresse en construction à l’embouchure du canal, dans le lac Wetter, où l’on transporterait le trésor et les administrations publiques, et qui formerait le pivot de toutes les opérations militaires. Quand le moment de la crise serait venu, on répartirait toute la population active des provinces du sud et du centre sur les bords du canal, tandis que les populations des provinces occupées par l’ennemi seraient chargées de le harceler et d’entraver ses mouvemens, que la nature montueuse du pays entre Stockholm et le Wetter rendrait doublement difficiles. Des chaloupes canonnières et des bateaux à vapeur, stationnés aux extrémités du canal, se porteraient rapidement sur tous les points menacés, et l’on attendrait ainsi patiemment que l’ennemi fût forcé par le manque de vivres de battre en retraite. Ce système a été proclamé et défendu à la dernière diète (1828 et 1830), d’abord par le comte de Platen, puis par tous les chefs du département de la guerre, le comte de Brahe, le baron de Nordin ; le colonel Lefren, etc.[12].

D’autres militaires pensent, au contraire, que l’effet moral de l’abandon de la capitale serait accablant, que rien ne compenserait la perte des établissemens publics et des richesses qui y sont concentrés, et qu’il faudrait construire, pour la protéger, une forteresse du premier ordre entre Stockholm et les îles d’Aland ; le siége de cette forteresse donnerait le temps aux troupes nationales de s’assembler, et si l’ennemi la négligeait, elle servirait toujours de point de ralliement aux troupes des provinces du nord. Dans tous les cas, selon eux, Vanoes est complètement inutile, car l’ennemi, une fois maître de Stockholm sans coup férir, s’établirait dans la capitale et ses fertiles environs, et ne daignerait pas seulement s’approcher de Vanœs. Enfin, la Suède, en s’isolant de la population septentrionale, serait privée du secours des Dalécarliens et de ses plus braves enfans. On rattache à ce système un changement complet dans l’organisation militaire de la Suède, changement qui tendrait à substituer à l’armée permanente et colonisée l’armement général, en cas de guerre, de la population, divisée en plusieurs catégories, selon l’âge, et exercée, soit tous les dimanches, soit à différentes reprises dans l’année, en temps de paix. L’union de l’éducation militaire à l’éducation ordinaire, et l’adoption d’un costume national qui servirait à la fois d’uniforme et de vêtement quotidien, sont deux bases principales de ce système, d’après lequel la Suède pourrait mettre sous les armes en temps de guerre quatre cent mille hommes. Il a pour auteur le baron d’Anckarsvârd, ancien chef d’état-major de l’armée suédoise en Allemagne, et l’orateur le plus éloquent de la diète.

Sans avoir la prétention de prononcer entre ces deux systèmes, qui, à vrai dire, nous semblent également impraticables dans toute leur extension, nous remarquerons qu’ils dévoilent et proclament l’un comme l’autre la mauvaise position de Stockholm. De fait, cette ville n’est plus capitale, n’est plus centre du royaume, elle est descendue au rang des villes frontières. La Livonie, la Courlande, l’Esthonie, la Carélie, la Finlande elle-même ont disparu successivement sous les serres de l’aigle moscovite ; tout ce vaste ouvrage avancé dû au génie conquérant des Vasa est enlevé ; pour emporter le corps de la place par un coup de main, l’ennemi n’a plus qu’un fossé à franchir, et ce fossé, couvert tous les trois ou quatre ans d’une glace solide, offre aux envahisseurs un passage facile et de pied ferme.

Ces considérations détermineront peut-être un jour la translation du gouvernement de Stockholm à Gothembourg, ville qui semble merveilleusement propre à faciliter l’union entre les deux royaumes scandinaves, et à agrandir leurs relations avec les autres nations de l’Europe, et surtout avec les états de l’Amérique.

Nous terminerons ce rapide exposé par une dernière considération. En général, la Suède ne nous paraît pas avoir assez pleinement saisi le rôle militaire qu’il lui reste à jouer en Europe. Il semble qu’elle ne puisse pas se résigner à n’être plus qu’une puissance pour ainsi dire insulaire, à renoncer pour toujours à toute guerre offensive, et cependant il est clair que telle est sa destinée. Son manque absolu de ressources pécuniaires lui imposera toujours la nécessité de solder ses troupes avec des subsides étrangers, et l’indépendance nationale comme l’honneur de la couronne ne peuvent que perdre à de pareils secours. L’organisation militaire à laquelle elle est restée fidèle lui indique assez la marche qu’elle doit suivre, car cette organisation, admirablement calculée pour un état de paix ou pour une guerre défensive, semble ne devoir se prêter que difficilement à des expéditions continentales. Du reste, nous sommes persuadés que ces idées gagneront chaque jour du terrain en Suède ; et puisque l’Europe insouciante ou aveugle lui interdit de songer à la Finlande, puisque les révolutions inévitables des évènemens et sa position géographique lui interdisent de nourrir un esprit exclusivement militaire, nous aimons à croire qu’elle emploiera toutes ses forces et toutes ses lumières, d’un côté, à la consolidation de son union avec la Norwége, et de l’autre, à l’incorporation complète des deux peuples, au développement progressif de ses ressources maritimes et commerciales.

C. M…

  1. Pendant le mois d’exercice, l’entretien des troupes est aux frais des propriétaires associés, qui concluent, à cet effet, des abonnemens avec le gouvernement. Le prix moyen par année est de 7 écus (15 francs) par homme pour toute la durée des exercices.
  2. Le prince royal, qui est grand-maître de l’artillerie, s’occupe activement du perfectionnement de cette arme. S. A. R. possède des connaissances étendues sur cette partie de l’art militaire, et c’est principalement à son zèle et à ses encouragemens que l’artillerie suédoise doit la supériorité qu’elle a atteinte depuis plusieurs années.
  3. Après le temps des exercices, tous ces objets d’habillement et d’armement sont déposés et étiquetés dans de vastes magasins, placés sous la surveillance des chefs des régimens indelta, qui les distribuent successivement aux classes du bevilring, à mesure que le temps du service de chacune d’elles arrive. La conservation de ce précieux matériel, ainsi que celles des tentes, couvertures et autres objets de campement, forme une partie essentielle des fonctions de ces officiers.
  4. Il est à remarquer que les Suédois fondent leurs canons de grande dimension à bien meilleur marché que les autres puissances ; une pièce de 24, en fer, ne leur coûte que 7 à 800 francs.
  5. Principalement dans ses dispositions relatives aux vétérans, dont l’abolition fait encore tous les jours le sujet des regrets des officiers les plus distingués de notre armée.
  6. Constitution de Norwége, art. 25.
  7. En 1790
  8. Onze officiers suédois et norwégiens se sont embarqués sur la flotte que la France a envoyée contre Alger l’année dernière, et quatre autres se trouvent sur son escadre de l’Archipel.
  9. D’après les derniers relevés, la population de la Suède se monte à 
    2,860,000
    Celle de la Norwége à 
    1,051,318
    Total 
    3,911,318
  10. Ou qui passerait sur la glace d’Abo à Griolehamn comme en 1809.
  11. Ce grand citoyen, qui était gouverneur-général de Norwége, est mort en décembre 1829, avant d’avoir pu terminer la noble et imposante entreprise dont il avait doté son pays. Cette grande communication intérieure, dont la première pensée date du règne de Gustave Wasa, fut commencée en 1809. Les malheurs de la guerre et les embarras financiers de la Suède en ont retardé indéfiniment l’exécution ; mais comme il ne reste plus que trois lieues à creuser, on espère qu’il sera achevé très-prochainement, d’autant que la dernière diète a accordé les fonds nécessaires. Il doit avoir cinquante-deux lieues de long, dont vingt-quatre environ de creusage. Il aura dix pieds de profondeur et vingt-quatre de large. Le canal du Languedoc n’a que quatre pieds et demi de profondeur. La dépense présumée est évaluée à environ 20 millions de francs.
  12. Plusieurs d’entre ces derniers y rattachaient diverses modifications du système national de l’armée indelta : la principale consistait à substituer une solde en argent aux bostœlle ou fiefs des officiers-généraux, et des officiers au-dessous du grade de capitaine. Les colonels, majors et capitaines conserveraient seuls leurs bostœlle. Cette opération, qui a d’abord été conçue par S. A. R. le prince royal, n’a pas encore été proposée officiellement : elle aurait l’avantage de mobiliser les officiers inférieurs, de leur donner plus de temps pour l’instruction militaire, afin de remplacer, par des appointemens fixes, les produits incertains des fiefs, dont la valeur a tellement varié depuis Charles xi, que quelques bostœlle de lieutenant valent plus que ceux des colonels, tandis que d’autres ne suffisent pas aux premiers besoins de leurs possesseurs.