De la mort des persécuteurs de l’Église/Dissertation/3.2

Traduction par Abbé Godescard.
Chanoine de Ram (p. 77).

2. miracles que dieu opère à la mort des martyrs.

Mais comme la nature est trop faible d’elle-même pour pouvoir soutenir avec ces seules forces un combat si inégal, souvent Jésus-Christ, par sa présence, fortifiait ses athlètes, soit par des secours visibles qu’il leur envoyait, soit par un courage surnaturel qu’il leur inspirait, les revêtant de sa force, qui les rendait quelquefois insensibles à la douleur, ou qui ne leur en laissait tout au plus qu’un léger sentiment. Saint Étienne vit les cieux ouverts et Jésus à la droite de la toute-puissance de Dieu ; le ciel fit entendre une voix à saint Polycarpe, pour le consoler ; les martyrs de Lyon exhalaient de leurs plaies une odeur toute céleste ; outre ces signes miraculeux, les fidèles recevaient de la part de Dieu des avertissements qui leur faisaient pressentir une persécution avant qu’elle arrivât, afin qu’ils se préparassent au combat. Mais ils s’y sentaient encore excités par les paroles et par les exemples de leurs évêques, et surtout par l’espérance certaine de passer immédiatement du martyre à la gloire. Ils savaient que c’est là un privilége accordé à ceux qui sont baptisés de ce baptême sanglant. Car, comme dit saint Cyprien[1], « il y a bien de la différence entre souffrir de longues et de cuisantes douleurs pour expier ses fautes dans un feu qui brûle longtemps l’âme avant qu’elle soit purifiée, et la nettoyer en un instant de tous ses péchés dans un bain de sang. » La vue des châtiments extraordinaires qu’éprouvaient très-souvent ceux qui abandonnaient lâchement la foi, et la crainte d’en éprouver de pareils, n’étaient pas non plus à quelques-uns un médiocre secours pour les préserver d’une aussi déplorable chute. Un chrétien, après avoir renoncé Jésus-Christ, était devenu muet[2]. Une femme s’était coupée de ses propres dents la langue dont elle s’était servie, ou pour prononcer quelque parole impie, ou pour goûter des viandes immolées aux idoles. Dieu faisait aussi quelquefois sentir la pesanteur de son bras aux persécuteurs mêmes, comme il arriva aux proconsuls Saturnin et Herminien, et enfin à ceux dont Lactance nous a décrit la mort funeste[3].

Toutes ces merveilles, que le ciel opérait, ne contribuaient pas peu à la conversion des infidèles qui en étaient témoins. Quelle dureté de cœur pouvait résister à l’invincible patience des martyrs ? Saint Augustin observe qu’elle a converti plusieurs tyrans[4]. En effet pouvait-on, sans être vivement touché, voir ces Saints sortir du milieu des tourments sans en avoir reçu la moindre atteinte ? D’autres, après avoir été percés, déchirés, brisés, conservant à peine un reste de vie dans un corps tout défiguré, recouvraient en un instant la santé, la vigueur, la beauté : ici le ciel parle en faveur des uns ; là, les bêtes farouches s’apprivoisent à la vue des autres ; et ces prodiges avérés, certains, incontestables, étaient alors très-fréquents dans l’Église. Tous les Pères en rendent témoignage, et nous rapporterons au nom de tous les autres celui de saint Irénée. « Les martyrs, dit ce grand évêque[5], qui fut aussi martyr lui-même, chassent des corps les esprits impurs, avec tant de force et d’efficace, que ceux qui en étaient possédés se rendent à l’évidence des miracles et à la vérité de l’Évangile, et sont reçus au nombre des fidèles. Ces saints confesseurs sont encore honorés du don de prophétie, ont des révélations et une connaissance claire de l’avenir. Il y en a qui, par la seule imposition de leurs mains, guérissent toutes sortes de maladies. Je viens de dire qu’on en a vu, lesquels ont ressuscité des morts qui depuis ont vécu longtemps parmi nous, et qui ont été durant plusieurs années des témoins vivants et irréprochables de cette merveille. On ne peut compter celles que l’Église opère tous les jours par toute la terre, en faveur des Gentils, en ayant reçu de Dieu le pouvoir, et l’exerçant au nom de Jésus-Christ crucifié sous Ponce-Pilate. » Et certes, quoique les païens attribuassent assez souvent ces effets miraculeux à la magie, et les prissent pour des enchantements et des prestiges, aucun toutefois n’a osé nier la vérité des faits, ni que ce fût au nom de quelqu’autre puissance que de celle de Jésus-Christ que ces opérations se fissent. Aussi c’était pour établir la foi de sa divinité dans le monde que les fidèles enduraient avec tant de joie les tourments les plus affreux, se glorifiant d’être ses martyrs, c’est-à-dire les témoins de sa divinité.

  1. Cypr. ad Antonian.
  2. S. Cypr. lib. de laps.
  3. Tertull. ad Scapul., et Lact. de mort. pers.
  4. Serm. 31 in Psal. 118.
  5. Lib.2 adv. hæres., c. 58.