De la mort des persécuteurs de l’Église/Dissertation/2.5

Traduction par Abbé Godescard.
Chanoine de Ram (p. 57).

5. persécutions locales, sous antonin-le-pieux.

Dodwel avoue que, sous le pieux Antonin, la persécution parcourut plusieurs villes de l’empire, et qu’elle y fit quelques martyrs, au nombre desquels il met saint Polycarpe et douze martyrs de Philadelphie ; Justin et ceux dont son apologie fait mention ; Lucius et quelques autres. Mais quoique nous soyons d’un sentiment contraire au sien, pour ce qui regarde le temps auquel ces martyrs ont souffert, le nôtre étant qu’ils ont enduré la mort sous Marc-Aurèle, nous sommes d’accord avec lui pour ce qui concerne le nombre de ceux que la persécution d’Antonin a enlevés. Saint Justin y est formel, dans l’apologie qu’il présenta à cet empereur. « Tout notre crime, dit-il en adressant la parole aux juges, est de confesser que nous sommes chrétiens : voilà uniquement ce que vous punissez en nous… Vous commencez par condamner ceux qui sont déférés à votre tribunal, et vous les envoyez au supplice avant que de connaître s’ils l’ont mérité… » Et plusieurs lignes après : « Nous confessons nettement que nous sommes chrétiens, à la première demande que vous nous en faites, quoique nous n’ignorions pas que la mort doit être aussitôt le prix de cette confession sincère. Si nous n’avions en vue que d’acquérir un royaume sur la terre, nous nous donnerions bien de garde d’avouer une chose qui doit sur-le-champ nous coûter la vie… Si nous confessons Jésus-Christ, ce n’est pas que nous y soyons forcés, et si nous allons à la mort, c’est volontairement que nous y allons… » Que ce soit, au reste, par des ordres exprès de l’empereur qu’on en ait usé ainsi envers les chrétiens, les dernières paroles de cette apologie le font assez connaître : car voici comme son bienheureux auteur parle à Antonin même. « Ceux que vous condamnez à mort n’ont jamais commis aucun crime : ils sont innocents ; ne les traitez pas comme des coupables, ou comme des ennemis de votre empire ; mais sachez que si vous persistez dans votre injustice, vous n’éviterez pas le terrible jugement du Dieu vivant ; c’est de sa part que nous vous l’annonçons. » D’ailleurs, il est clair que cette apologie ne fut pas présentée à Antonin au commencement de son règne, puisqu’outre que l’auteur y parle des Marcionites, dont l’hérésie n’avait pas encore alors éclaté, il marque expressément qu’il écrit la cent cinquantième année de Jésus-Christ, qui revient à la treizième d’Antonin. Le même auteur, dans son dialogue avec Tryphon, après avoir dit que les chrétiens viennent de perdre la vie pour n’avoir pas voulu renoncer Jésus-Christ, ajoute, vers le milieu : « Il paraît assez que rien n’est capable de nous faire changer de religion, puisque nous aimons mieux être égorgés, attachés à des croix, exposés aux bêtes, chargés de chaînes, brûlés à petit feu, en un mot, endurer toutes sortes de supplices, que de donner la moindre marque d’une foi chancelante et douteuse… et ensuite, on ne souffre plus aucun chrétien sur la terre. », Tous ces passages de saint Justin s’accordent fort bien avec une ancienne inscription, trouvée au cimetière de Caliste[1]. C’est l’épitaphe d’un martyr nommé Alexandre, où on lit que les temps furent si malheureux sous l’empire d’Antonin que les cavernes les plus reculées et les antres les plus obscurs ne pouvaient servir d’asiles aux chrétiens contre la fureur des persécuteurs, et que l’on faisait un crime aux parents et aux amis des devoirs que la nature ou l’amitié leur faisait rendre à ceux que la persécution immolait. Certainement si nous en croyons un auteur qui a écrit la vie d’Antonin, ce prince avait une si grande attache à ses dieux, qu’il leur offrait sans cesse des sacrifices ; ce qu’il faisait toujours lui-même, à moins qu’il ne fût malade. Et si quelquefois il s’abstenait de répandre le sang des chrétiens, ce n’était que parce que les voyant courir à la mort avec la même joie que les autres courent à la victoire, il reconnaissait qu’il ne pouvait leur faire un plus grand plaisir que de les faire mourir. Enfin, ces persécutions locales se prouvent par un rescrit de cet empereur même, à plusieurs villes de son empire, auxquelles il défend d’inquiéter à l’avenir les chrétiens, voulant qu’on fasse cesser tout trouble et tout tumulte excité contre eux, car ces émotions populaires n’allaient pas moins qu’à répandre le sang des fidèles, ce que le rescrit exprime en ces termes. « Vous chassez avec violence les chrétiens de vos villes, et vous les poursuivez avec tant d’animosité, qu’il en coûte la vie à plusieurs[2]. »

  1. Romæ subterr. 1. 3, c. 22.
  2. Euseb. hist. l. 4, c. 15 et c. 26.