De la mort des persécuteurs de l’Église/Dissertation/2.3

Traduction par Abbé Godescard.
Chanoine de Ram (p. 54-55).

3. persécution sous trajan.

Nous commencerons par Trajan, qui succéda à Nerva. Dodwel avoue que ce prince fit mourir saint Ignace d’Antioche, et Rufus, et Zosime de Philippes ; mais que la persécution s’arrêta là, et qu’elle se contenta, du moins dans la Syrie, du sang de ces trois martyrs. Ce qu’il prétend prouver par la lettre que saint Polycarpe écrivit aux chrétiens qui demeuraient à Philippes, dans laquelle il nomme ces trois Saints. Il y a de l’apparence, dit Dodwel, que si d’autres eussent souffert le martyre, ce saint évêque n’eût pas manqué de les nommer aussi. Mais comment un homme si éclairé n’a-t-il pas pris garde que cette même lettre parle positivement d’autres martyrs[1]. « Je vous exhorte, dit ce saint évêque de Smyrne, je vous conjure d’obéir avec amour à vos supérieurs : exercez-vous à la patience, à cette vertu dont vous venez d’avoir de si beaux exemples, non-seulement dans Ignace, dans Zosime et dans Rufus, mais encore dans vos autres citoyens… » La version d’Ussérius porte : « Ceux d’entre vous qui, ayant souffert avec le Seigneur, sont allés au lieu qu’il leur a marqué, pour y recevoir la récompense qui leur est due. » Les actes de saint Ignace qu’on vient de citer sont tout-à-fait favorables à notre opinion. On y lit que « la seule grâce qu’on pouvait espérer de Trajan était de choisir entre mourir ou sacrifier. » Sur quoi Eusèbe remarque que ce procédé de l’empereur excita une persécution particulière dans chaque ville, où le peuple, autorisé par l’exemple du prince, s’animait contre les chrétiens, et aimait à tremper ses mains dans leur sang[2]. « C’est ainsi que saint Siméon, évêque de Jérusalem, après avoir confessé Jésus-Christ avec une constance admirable, fut enfin attaché à une croix, par un jugement rendu contre lui. » C’est dans ce temps de cruauté et de persécution, que l’auteur de la chronique pascale d’Alexandrie fait arriver la mort de saint Marc. Saint Marc, dit-il, évêque d’Alexandrie, ayant été pris et lié par des Bucoliens[3], fut traîné hors la ville, dans un lieu nommé les Anges, où il fut brûlé, le premier jour du mois Pharmuthi, et finit ainsi sa vie par le martyre. » C’est encore sous cet empereur que les habitants d’une ville de Bithinie qui était toute chrétienne vinrent se présenter devant le tribunal du gouverneur, lequel, étonné de leur nombre, en envoya quelques-uns au supplice, et renvoya les autres, en leur disant : misérables, si vous avez une si grande envie de mourir, vous avez des cordes et des précipices. Ce serait ici le lieu de rapporter la relation que Tibérien, gouverneur de la première Palestine, envoya à Trajan, où il avoue ingénûment à l’empereur, que, dans le désir qu’il a de satisfaire à ses ordres, il s’est plusieurs fois lassé à tourmenter les chrétiens et à les faire mourir. Il est vrai que les savants doutent de la vérité de cette pièce. Mais nous avons, dans la lettre de Pline au même empereur, un témoignage de cette persécution, qui ne peut être ni plus certain, ni moins suspect. Plusieurs chrétiens de son gouvernement ayant été dénoncés à son tribunal, il se les fit amener ; mais considérant cette multitude composée de personnes de tout sexe, de tout âge et de toute condition, qui n’attendait que le moment d’être envoyée au supplice, il en fut effrayé ; et se contentant d’en condamner quelques-uns, et repoussant les autres de son tribunal, il écrivit à Trajan, pour le consulter touchant la manière dont il devait traiter ceux qu’il n’avait pas voulu condamner[4]. L’empereur approuva la conduite de Pline ; il loua l’ordre qu’il avait gardé dans l’instruction de cette affaire, et il lui répondit enfin qu’il fallait cesser les poursuites contre les chrétiens, mais qu’on devait punir ceux qui seraient dénoncés. Cette réponse fit gagner à plusieurs fidèles plus d’une fois la couronne du martyre ; car elle donna aux peuples et aux juges une licence ouverte de dresser impunément des embûches aux chrétiens. Au reste, cette lettre de Pline nous apprend qu’il y avait un édit de Trajan qui défendait toute sorte de société et d’assemblée[5].

  1. Euseb. 1. 3. Hist. c. 36.
  2. L. 5, c. 35.
  3. Une espèce de valets de sacrificateurs, qui avaient soin de conduire à l’autel les taureaux qu’on y devait immoler.
  4. Terrull. Apol. c. 2.
  5. Euseb. 1. 3, hist. c. 3.