De la mort des persécuteurs de l’Église/Dissertation/2.1
§ I.
1. persécution sous néron.
Après avoir examiné les divers arguments dont Dodwel se sert pour prouver que l’Église a peu de martyrs, et en avoir montré le faible et le peu de solidité, il nous faut maintenant parcourir avec lui chaque persécution en particulier. On les met d’ordinaire au nombre de dix. La première qui se présente est celle de Néron, durant laquelle une multitude innombrable de chrétiens fut exterminée à l’occasion de l’incendie de Rome. C’est ainsi que parle un historien[1], qui sans doute ne doit pas être suspect. « On ajoutait même la moquerie aux tourments, et l’on faisait de leur mort un sujet de divertissement pour le peuple. On couvrait les uns de peaux de bêtes, afin que des chiens trompés par cette cruelle ressemblance les déchirassent ; on en attachait d’autres à des croix ou à des poteaux qu’on plantait au coin des rues, et l’on y mettait le feu, pour servir de flambeaux durant la nuit. Ces victimes infortunées de la fureur de Néron et de la haine du peuple, ces misérables étaient traités avec tant d’inhumanité, au sentiment du même historien, que, quoiqu’ils méritassent le dernier supplice, ils ne laissaient pas, tout criminels qu’ils étaient (c’est toujours le même auteur qui parle), d’attirer la compassion de ceux qui les haïssaient. Dodwel osera-t-il rejeter ce récit, et croira-t-il que Corneille Tacite veuille se rendre partial pour nous ? On nous dira peut-être que cette persécution ne s’étendit pas hors les murs de Rome, « parce que l’on ne pouvait pas, sous la moindre couleur, faire tomber le soupçon de cet embrasement sur ceux qui étaient absents de Rome lorsqu’il arriva. Mais Dodwel s’imagine sans doute qu’il n’y eut que la seule accusation de ce crime qui fit que l’on se saisit des chrétiens, ce qui n’est nullement la pensée de Tacite ; car lorsque cet historien écrit que « Néron, voulant faire cesser le bruit qui le faisait auteur ce cet incendie, fit prendre adroitement le change aux Romains, et substitua en sa place les chrétiens, qu’il savait être odieux au peuple, pour leurs crimes, il nous fait assez connaître qu’avant même que le feu eût été mis à Rome, les chrétiens passaient déjà pour des gens dévoués à la haine publique. » Et en effet, l’historien ajoute, un peu après, que « si on les confondit avec les incendiaires, ce n’est pas qu’ils fussent convaincus de l’être ; mais c’est qu’on les regardait comme des victimes de l’aversion du genre humain. » Suétone, parlant des supplices que Néron avait fait souffrir aux chrétiens, ne dit pas un mot de l’incendie de Rome ; il les nomme seulement « un genre d’hommes qui introduisaient un culte nouveau, plein de superstitions, et qui exerçaient la magie. » Ce que cet auteur rapportant à l’occasion des ordonnances publiées par Néron nous laisse un fort préjugé pour croire que ce prince furieux fit quelque édit contre les chrétiens, et c’est avec raison qu’il est reconnu par les Pères de l’Église pour l’auteur de la première persécution. « Nous faisons gloire, dit Tertullien[2], de ce qu’un monstre tel que Néron ait été le premier à répandre notre sang. Et Sévère Sulpice écrit, dans son histoire sacrée[3], qu’à la vérité on commença à se jeter tumultuairement sur les chrétiens, comme sur les auteurs de l’incendie de Rome, mais qu’on continua ensuite à les poursuivre dans les formes, par des lois et des édits. » Nous avons aussi le témoignage de Paul Orose[4], qui assure en termes formels que « Néron s’appliquait dans Rome à tourmenter les chrétiens, pendant que par son ordre on les poursuivait dans les provinces, avec une égale fureur. » Lactance nous insinue la même chose, lorsqu’après avoir rapporté que saint Pierre avait retiré de l’idolâtrie plusieurs Romains, il ajoute[5] : « ce que Néron ayant appris, et que non-seulement à Rome, mais aussi dans toutes les provinces on abandonnait en foule le culte des idoles pour embrasser la nouvelle religion, il crut qu’il ne devait point perdre de temps, et qu’il pourrait détruire ce céleste édifice et ruiner entièrement la piété qui le soutenait ; il fut donc le premier qui persécuta les chrétiens, et il fit attacher à une croix saint Pierre, leur chef… mais ce ne fut pas impunément ; car Dieu regardant l’oppression de son peuple… » D’où l’on peut conclure, en même temps, que le motif qui engagea Néron à se déclarer contre les chrétiens fut l’intérêt de ses dieux, qu’il voyait abandonnés de jour en jour par une multitude infinie de personnes, quoique l’incendie n’ait pas peu contribué à l’y engager encore davantage.