De la mort des persécuteurs de l’Église/Dissertation/1.9
9. réponse a une objection de dodwel, prise d’origène mal entendu.
Voici un passage d’Origène, qui semble favoriser l’opinion de Dodwel, et qui toutefois bien entendu lui devient tout à fait inutile. Ce savant Père, écrivant contre Celse[1], lui dit qu’on peut facilement compter les chrétiens qui sont morts pour leur religion, parce qu’il en est mort peu, et seulement de temps en temps et par intervalle. Mais Origène, par ces paroles, ne prétend prouver autre chose, sinon que les persécutions qui s’étaient élevées contre les fidèles n’avaient pas été si violentes qu’elles eussent été capables d’exterminer entièrement les chrétiens, et qu’on pouvait dire qu’il n’en était mort que très-peu, si on les comparait à ceux qui restaient. Dieu, ajoute-t-il, s’opposant à la ruine générale de ces hommes consacrés à son culte. Il faut remarquer ici que le dessein d’Origène n’est autre chose que de montrer à Celse que la religion chrétienne ne devait pas sa naissance à une sédition et à un esprit de révolte, comme ce philosophe le reprochait faussement aux chrétiens, « puisqu’ils n’ont jamais eu recours aux armes pour défendre leur vie contre ceux qui l’attaquaient, et que leurs lois, au contraire, les obligent de tendre le cou à leurs ennemis, et de se laisser égorger comme de paisibles brebis. Ainsi, de peur que cette douceur et cette patience ne vint à causer leur ruine entière, et afin que les plus faibles ne fussent pas exposés sans cesse aux frayeurs d’une mort toujours prochaine, Dieu, par sa bonté, avait bien voulu pourvoir à leur sûreté, et avait d’un seul clin-d’œil renversé les cruels projets de leurs ennemis, et rendu leurs efforts impuissants, en sorte que ni les rois, ni les gouverneurs de province n’avaient plus aucun pouvoir de leur nuire. » Et il est certain, par d’autres passages d’Origène, qu’il était fort persuadé de cette multitude de martyrs. « Il n’y a point de ville, dit-il dans une de ses homélies[2], où le nom des chrétiens ne soit en horreur ; tous les hommes, de quelque rang et de quelque condition qu’ils soient, s’unissent ensemble pour les détruire. Il dit ailleurs[3] : nous voyons tous les jours plusieurs personnes qui savent fort bien que, s’ils confessent Jésus-Christ, on les fera mourir et qu’au contraire ils seront renvoyés absous et mis en liberté, s’ils le renoncent : cependant leur foi est si grande et leur piété si sincère qu’elle leur fait mépriser généreusement la vie et courir volontairement à la mort. Et dans son commentaire sur l’épître aux Romains[4] il assure qu’on voit souvent des hommes qui se présentent devant les juges, de leur propre mouvement et sans y être forcés, et qui croient que c’est peu pour eux d’endurer quelques affronts pour Jésus-Christ, s’ils ne souffrent encore pour lui la mort la plus cruelle. Il dit enfin, en un autre endroit[5], que, quoiqu’il y ait une peine de mort décernée contre ceux qui se trouveront aux assemblées des fidèles, elles ne laissent pas d’être très-nombreuses. » Le lecteur remarquera qu’Origène écrivait ceci avant les horribles boucheries des Décius, des Valériens et des Dioclétiens.
Mais le grand Irénée, plus ancien qu’Origène et parfaitement instruit des affaires de l’Église grecque et de l’état de l’Église latine, ayant reçu de celle-là les premières connaissances de la religion chrétienne, et vivant actuellement dans celle-ci ; le grand Irénée, dis-je, n’admet pas seulement cette multitude de martyrs, mais il veut qu’elle soit la marque à laquelle on puisse reconnaître la véritable Église et la discerner des autres sectes. C’est dans son livre contre les hérésies, c’est-à-dire dans un ouvrage composé, de l’aveu même de Dodwel, avant la persécution de l’Église de Lyon et au commencement de l’empire de Marc-Aurèle. Voici ses paroles[6] : « Partout où l’Église se rencontre, cette sainte Mère envoie au ciel avant elle, par le martyre, une multitude de ses enfants, qu’elle offre au Père comme un gage de l’extrême amour qu’elle a pour lui. Mais les autres assemblées non-seulement n’ont point de martyrs ; … il n’y a que l’Église qui aime à souffrir les opprobres, pour témoigner à Dieu quel est l’excès de sa charité, et quelle est la grandeur de la foi qui lui fait confesser hautement Jésus-Christ. Souvent on l’a vue s’affaiblir par la perte de son sang et de ses membres, puis tout à coup se rétablir, reprendre de nouvelles forces, et redevenir mère d’un plus grand nombre d’enfants. Nous rapporterons les témoignages des autres Pères, lorsque nous traiterons des persécutions en particulier. Voyons cependant s’il est vrai qu’Eusèbe soit aussi favorable à Dodwel, qu’il ose s’en vanter.