De la mort des persécuteurs de l’Église/01

Traduction par Abbé Godescard.
Chanoine de Ram (p. v-viii).


AVIS DE L’ÉDITEUR.


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« Le Traité de la mort des persécuteurs de la religion chrétienne, par Lactance, est regardé à juste titre comme un ouvrage précieux[1]. Rien ne prouve mieux que notre religion ne vient point des hommes, que l’inutilité des efforts qu’ont faits ses ennemis les plus acharnés pour la détruire. Rien aussi ne prouve mieux qu’il existe une Providence, que la fin tragique de ces impies forcenés qui eurent la stupidité de s’imaginer qu’ils viendraient à bout d’anéantir l’œuvre de Dieu.

« Il est vrai qu’il s’agit ici des premiers persécuteurs du christianisme. Mais on sait, par l’histoire des différents siècles, que ceux qui eurent l’audace de les imiter n’échappèrent point, pour la plupart, aux coups de la justice divine. Le Juge suprême, qui est éternel, a retrouvé dans un autre monde ceux qu’il semblait avoir épargnés sur la terre. »

C’est ainsi que l’abbé Godescard s’exprime dans l’avertissement qui précède la première édition de sa traduction du Traité de Lactance, publiée à Paris en 1797. À cette époque, où une persécution cruelle avait été allumée contre l’Église, l’on pouvait s’écrier : « Que les persécuteurs modernes tremblent ! Plusieurs d’entre eux ont déjà subi le châtiment qu’ils méritaient ; ceux qui leur survivent ne doivent point se flatter de l’impunité. Tôt ou tard, la justice divine exercera ses droits. »

Lactance n’est pas le premier écrivain qui ait porté au tribunal de l’histoire la justification de la Providence dans la cause des chrétiens[2]. Avant lui Tertullien n’avait pas craint d’annoncer à la tyrannie les vengeances du ciel, non-seulement pour la vie future, mais dès le temps présent. « Loin de nous, disait-il à Scapula, préfet d’Afrique, la pensée de chercher à nous venger de nos persécuteurs. Dieu saura bien en prendre soin. Le sang des chrétiens retombera sur la tête de quiconque l’a versé[3]. » Saint Cyprien écrivait à un autre de ces féroces proconsuls : « Jamais la cruauté ne s’est exercée contre le nom chrétien que Dieu n’ait fait à l’instant même éclater ses vengeances[4]. » L’histoire nous montre partout cette main divine qui manifeste sa puissance et sa majesté dans la punition des persécuteurs[5].

Un seul manuscrit nous a conservé le Traité de la mort des persécuteurs. Ce précieux monument de la plus glorieuse époque de l’histoire de l’Église, caché depuis longtemps dans la poussière de la bibliothèque de l’abbaye de Moissac, passa dans les mains de Colbert en 1678. Ce grand ministre, à qui les belles-lettres ont tant d’obligation, ne voulût pas qu’on différât à rendre public un trésor inconnu pendant onze siècles.

Baluze, chargé de cette publication, y mit le nom de Lactance en suppléant quelques mots dans le titre. C’est sous ce nom que le Traité de la mort des persécuteurs a paru dans les éditions qu’on en a faites[6].

Nicolas Le Nourry, bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, a prétendu que Lactance n’était point l’auteur de ce Traité, et qu’il a été écrit au commencement du quatrième siècle par un nommé Lucius Cecilius[7]. Deux raisons principales déterminèrent Baluze à faire Lactance auteur de ce livre. D’abord saint Jérôme nous apprend que Lactance avait laissé un Traité de la persécution. Ensuite Baluze trouvait entre le style de l’auteur et celui de Lactance la plus grande conformité ; plusieurs expressions employées par l’auteur se rencontrent en effet dans les ouvrages indubitables de Lactance. Malgré toute l’érudition déployée par Le Nourry à l’appui de son opinion, les critiques les plus habiles ont suivi le sentiment de Beluze[8].

L’ouvrage de Lactance, écrit en latin, ne pouvait avoir qu’un certain nombre de lecteurs. François de Maucroix, chanoine de Rheims, en donna une traduction française en 1679[9]. Cette traduction, qui fut bien reçue du public, était devenue rare et difficile à trouver. C’est ce qui détermina l’abbé Godescard à la faire réimprimer. Mais après l’avoir comparée avec le texte original, il crut qu’il était possible de mieux faire du moins en plusieurs endroits. De corrections en corrections, il résulta une traduction pour ainsi dire entièrement nouvelle que nous réimprimons avec quelques légers changements.

Comme le texte de Lactance était corrompu en plusieurs endroits et qu’il y avait même quelques lacunes dans l’ancien manuscrit de Moissac, il a été difficile au traducteur de saisir toujours le vrai sens de l’auteur. L’obscurité est encore augmentée par l’ignorance où l’on est par rapport à certains usages connus dans les premiers temps du christianisme.

Le traducteur a suivi l’édition des œuvres de Lactance de Le Brun des Marettes, publiée par Langlet du Fresnoy, Paris 1748, 2 vol. in-4°. Nous avons tâché de rectifier quelques passages du texte latin d’après l’édition du père Édouard-Xavier Franceschini.

À la suite du Traité de Lactance nous avons placé une Dissertation sur le nombre des Martyrs et l’Histoire des persécutions. Cette dissertation, qui sert de préface au Recueil des Actes des Martyrs publié en latin par Dom Thierry Ruinart, est divisée en quatre parties. Dans la première l’auteur montre quelle a été la vénération des premiers siècles pour les Actes des Martyrs, et de quelle manière ces Actes sont venus entre les mains des fidèles et se sont conservés dans l’Église[10]. La deuxième et la troisième partie sont destinées à prouver qu’il y a eu dans l’Église un très-grand nombre de martyrs ; l’auteur y réfute d’une manière victorieuse le sentiment de quelques hérétiques et particulièrement celui d’un écrivain anglican, Henri Dodwel, qui, dans la dissertation onzième sur les œuvres de saint Cyprien, a voulu prouver que le nombre des martyrs a été beaucoup moins considérable dans les premières persécutions qu’on ne le croit communément, et qu’il a été exagéré dans les martyrologes, et surtout dans ceux de l’Église romaine. La quatrième partie démontre quel a été le respect et le culte religieux que les chrétiens ont toujours rendu aux tombeaux et aux reliques des martyrs.

La savante dissertation de Dom Ruinart est restée sans réplique. Elle peut en quelque sorte être considérée comme un commentaire historique sur le Traité de Lactance ; et c’est aussi pour ce motif que Paul Bauldri l’a donnée dans son édition du Traité de la mort des Persécuteurs, publiée en latin à Utrecht en 1692 avec les notes de Baluze et de plusieurs autres critiques.

P. F. X. DE RAM.


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  1. Voyez la notice de la vie et des écrits de Lactance, dans la dernière édition de Butler, tom. III p. 539 not. 2, et dans la Bibl. choisie des Pères de l’Église grecque et latine de M. Guillon, tom. III p. 563-475, édit. de Brux. et Louv.
  2. Voyez Guillon, ouvr. cit. tom. III p. 467.
  3. Absit utindignè feramus ea nos pati quæ optamus, aut ultionem a nobis aliquam machinemus, quam a Deo expectamus. Tamen, sicut supra diximus, doleamus necesse est, quod nulla civitas impune latura sit sanguinis nostri effusionem. Ad Scapulam, n. 2 et 3, p. 86, edit. Rigaltii an. 1654.
  4. Patientes facit de secutura ultione securitas. Innocentes nocentibus cedunt. Insontes pœnis et cruciatibus acquiescunt ; certi et fidentes quod inultum non remaneat quodcumque perpetimur ; quantoque major fuerit persecutionis injuria, tanto et justior fiat et gravior pro persecutione vindicta. Nec umquam impiorum scelere in nostrum nomen exsurgitur, ut non statim divinitùs vindicta comitetur. Ad Demetrianum, p. 133 edit. Joan. Felli, Amstelod. an. 1700.
  5. On trouve dans les Opuscula selecta SS. Patrum spectantia ad scientiam temporis et disciplinam ecclesiasticam, Gand 1835, tom. III p. 123-241, une continuation du Traité de Lactance ; elle est divisée en deux parties, la première avait paru à Gratz en 1726, la seconde a été rédigée par le savant éditeur de ce recueil, feu M. le chanoine Ryckwaert, président du séminaire de Gand.
  6. Le traité de Lactance parut ainsi pour la première fois dans les Stephani Baluzii Miscellaneorum liber secundus, p. 1-46 et 347-463, Paris 1679.
  7. Lucii Cecilii liber ad Donatum confessorem de mortibus persecutorum, hactenus Lucio Cælio Firmiano Lactantio adscriptus, ad Colbertinum codicem denuo emendatus, accessit dissertatio in qua de hujus libri auctore disputatur, et omnia illius loca dubia, difficilia, obscura, variæque auctoris opiniones examinantur, explicantur, illustrantur. Studio et opera D. Nicolai Le Nourry. Paris 1710, in-8o.
  8. L’opinion de Le Nourry a été vivement attaquée dans des réflexions insérées dans le Journal littéraire, tom. VII p. 1 ; il y répondit dans le Journal des Savants, juin 1716. Le père Édouard-Xavier Franceschini, religieux carme, dans son édition des Œuvres de Lactance, publiée à Rome 1754-60, 14 vol. in-8o, a consacré une dissertation particulière à l’examen de cette question.
  9. Gilbert Burnet, évêque anglican de Salisbury, a publié une traduction anglaise du Traité de Lactance, avec une longue préface sur les persécutions pour cause de religion, où les catholiques sont fort maltraités. Elle fut imprimée en 1686 et en 1714. Il en donna aussi une traduction française qui parut à Utrecht en 1687. Une traduction allemande du Traité de Lactance a été publiée à Landshut en 1822.
  10. La Dissertation sur les Actes des Martyrs, qui se trouve en tête du I vol. de notre édition de Butler (p. xlvi-lxii), nous dispense de reproduire la première partie du travail de Dom Ruinart.