De la manière de négocier avec les souverains/XIII

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Chapitre XIII
CE QUE DOIT FAIRE
UN AMBASSADEUR
OU UN ENVOYE
AVANT QUE DE PARTIR



Chapitre XIII. modifier



LOrsqu’un Négociateur a été nommé pour aller dans une Cour ou vers une Republique, l’un de ſes premiers ſoins doit être de demander la communication des dépêches du dernier Miniſtre qui l’a précedé dans le même Pays afin d’y apprendre l’état où il a laiſſé les affaires qu’il avoit a negocier & d’en pouvoir reprendre le fil, en ſe ſervant de la connoiſſance des choſes paſſées pour regler ſa conduite dans celles de l’avenir.

Toutes les affaires ont entr'elles un enchaînement & une liaiſon qui rend la Connoiſſance des faits entièrement, neceſſaire ſurr tout en matiere de negociation entre des Etats libres & indépendans qui ſe reglent plus ordinairement ſur leurs interêts & ſur les exemples du paſſé que par des raiſons de droit.

Lorſque le nouveau Negociateur a lû avec attention les dépêches de ſon prédeceſſeur, il doit faire ſes réfléxions & ſes obſervations ſur les difficultez qui peuvent arriver dans le cours de ſa negociation, ſoit à l’égard du ceremonial ou des affaires dont il eſt chargé, afin de demader au Miniſtre du Prince à qui il en doit rendre compte, les éclairciſſemens & les ordres neceſſaires ſur ces difficultez, & de lui ſuggerer les expédiens qu’il juge les plus propres pour les faire ceſſer.

Quelque habile que ſoit un Prince ou un Miniſtre chargé de la conduite generale’de ſes affaires, il eſt difficile qu’il puiſſe tout prévoir, & qu’il donne des inſtructions aſſez amples & aſſez préciſes aux Negociateurs qui vont dans les Cours étrangeres ſur tous les incidenc qui peuvent arriver ; ainſi il eſt bon que celui qui eſt chargé de l’execution des ordres de ſon Maître dans un pays éloigné, travaille avec ſoin avant que de partir à s’inſtruire de ſes volontez principales, & qu’il lui demande enſuite les moyens propres pour les faire rëüſſir.

Il doit encore ſe faire informer par ceux qui ont négocié dans le Pays où il va, ou qui y ont fait un long ſéjour, de pluſieurs détails dont la connoiſſance lui peut être fort utile pour y regler ſa conduite ; il eſt bon auſſi qu’il lie amitié particuliere avec le Miniſtre du même Pays qui ſe trouve à la Cour d’où il part, afin que ce Miniſtre donne par ſes Lettres de bonnes relations de lui, qu’il tâche ſur tout à le convaincre du deſir qu’il a de ſe rendre agréable au Prince ou à l’Etat vers lequel on l’envoye & de contribuer à une bonne intelligence entre leurs Maîtres, il doit encore faire connoître à ce Miniſtrer qu’il ne perdra aucune occaſion de rendre des témoignages avantageux de ſa bonne conduite, & de l’eſtime qu’il s’eſt acquiſe dans le Pays où il ſe trouve, ce qui peut beaucoup contribuer à engager le même Miniſtre à lui rendre de bons offices par les dépêches & a lui procurer des amis dans le Pays où il va ; car les hommes ſe portent volontiers à obliger ceux qui ſe mettent en devoir de leur être utiles, & les offices reciproques ſont les plus ſûrs & les plus ſolides fondemens de leur amitié.

Il faut qu’un habile Negociateur s’applique encore à faire un bon choix de ſes domeſtiques, pour ne mener avec lui que des gens ſages & de bonnes mœurs, dont il ne puiſſe recevoir aucun reproche dans le Pays où il va, qu’il contribuë ſur tout à leur bonne conduite par ſon exemple & par ſa ſeverité à châtier tous ceux qui manqueront à leur devoir, au lieu de les ſoûtenir dans leurs déreglemens, comme font mal-à-propos pluſieurs Miniſtres qui ſont quelquefois eux-mêmes fort déreglez, & qui abuſent de l’autoriré de leur Prince, & des privileges attachez a leur caractere pour ſatiſfaire à leurs fantaiſies.

Qu’il choiſiſſe ſur tout un Secretaire fidele & judicieux, & qu’il regarde ce choix comme l’une de ſes plus importantes affaires ; car s’il le prend débauché, fripon ou indiſcret, il s’expoſe à de grands inconveniens. Il y a quelques années qu’un Secretaire d’un Ambaſſadeur de France ayant vendu le chiffre de ſon Maître à la Cour où il negocioit, cette infidelité donna lieu d’intercepter & de déchiffrer les depêches de l’Ambaſſadeur, ce qui cauſa un éclat & une eſpece de rupture qui a eu des ſuites fâcheuſes & préjudiciables aux deux Cours, dont les interêts étoient de demeurer unies.

La neceſſité qu’il y a de choiſir un fidele & habile Secrétaire donne lieu de croire qu’il ſeroit utile au ſervice du Roi de rétabli l’ancienne coûtume abolie en France depuis çes derniers temps, qui étoit de donner à nos Ambaſſadeurs des Secretaires de l’Ambaſſade qui fuſſent choiſis & payez par le Roi, ſuivant ce qui ſe pratique avec ſuccès par les autres Puiſſances. Les Rois de Suede ont pluſieurs Secretaires qu’ils appellent de commiſſion, ils les envoyent avec leurs Ambaſſadeurs & avec leurs Envoyez, & ils deviennent ſouvent Envoyez & même Ambaſſadeur après avoir ſervi auprès de ceux qui le ſont.

Les Secrètaires d’Ambaſſade choiſis & payez par le Roi ſerviroient à metre en ſûretè le ſecret de la negociation, qui eſt ſouvent livré à de mauvais ſujets, parce que les Ambaſſadeurs ne font pas la dépenſe neceſſaire pour s’atacher des hommes ſûrs & capables les bien ſervir ; ils feroient d’un grand ſoulagement à un Ambaſſadeur pour le décharger de pluſieurs détails qu’il eſt dangereux de confier à des gens indiſcrets ou malhabiles, & il s’en formeroit de bons ouvriers à préſent ſi rares & ſi neceſſaires en ces ſortes d’emplois.