De la dignité et de l’accroissement des sciences (trad. La Salle)/Livre 2/Chapitre 8

De la dignité et de l’accroissement des sciences
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres de François Bacon, chancelier d’AngleterreImprimerie L. N. Frantin ; Ant. Aug. Renouard, libraireTome premier (p. 317-319).
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CHAPITRE VIII.
Division de l’histoire des temps en histoire universelle et histoire particulière. Avantages et inconvéniens de l’une et de l’autre.

L’histoire des temps est ou universelle ou particulière. La dernière n’embrasse que les actes de tel royaume, de telle république, de telle nation. La première, ceux de l’univers entier. Car il n’a pas manqué d’écrivains qui se sont piqués d’avoir écrit une histoire du monde depuis son origine ; donnant pour une histoire un assemblage confus de narrations sommaires, un vrai fatras. D’autres se sont flattés de pouvoir embrasser, comme dans une histoire complette, tous les événemens de leur temps, tout ce qui s’est fait de mémorable dans le monde entier ; entreprise magnanime sans doute, et dont l’utilité répond à sa grandeur. Car les choses humaines ne sont pas tellement séparées par les limites des régions et des empires, qu’elles n’aient entr’elles une infinité de relations. Aussi aime-t-on à voir rassemblées, et comme peintes dans un seul tableau les destinées réservées à tout un siècle ou à tout un âge. De là il arrive aussi que grand nombre d’écrits qui ne sont pas à mépriser, écrits tels que sont ces relations dont nous avons déjà parlé, et qui sans ces histoires eussent péri, ou n’eussent pas été souvent réimprimés ; ou que du moins des sommaires de ces relations, trouvant place dans ces vastes collections, se fixent ainsi et se conservent. Néanmoins, si l’on y fait plus d’attention, l’on reconnoîtra que les règles d’une histoire complette sont si sévères, qu’il est presqu’impossible, dans un si vaste sujet, de les observer toutes ; ensorte que la majesté de l’histoire est plutôt diminuée qu’augmentée par la grandeur de sa masse. En effet, il ne se peut qu’un auteur, qui va recherchant tant de faits de toute espèce, ne perde peu à peu de son exactitude ; et que son attention, qui s’étend à tant de choses, se relâchant, par cela même, dans chacune, il ne se saisisse des bruits de ville, des contes populaires, et ne compose son histoire de relations très peu authentiques, et de matériaux légers de cette espèce. Ce n’est pas tout : forcé, pour ne pas donner à son ouvrage une étendue immense, d’omettre bien des choses qui méritent d’être rapportées, il retombe ainsi à la mesure étroite des abrégés. Il est encore un autre inconvénient qui n’est pas petit, et qui est diamétralement opposé au but d’une histoire universelle : c’est que, si une histoire de ce genre conserve telle narration, qui sans elle eût péri, au contraire, d’autres narrations assez utiles, qui sans elle eussent vécu, elle les étouffe, à cause de ce goût excessif qu’ont les hommes pour la brièveté.