De la baguette divinatoire/Partie 5/Chapitre 4

CHAPITRE IV.

DE L’INFLUENCE DE LA FOI ET DE CERTAINES PRÉDISPOSITIONS SUR CERTAINS ACTES DE LA VIE HUMAINE.

312.Si la disposition à admettre les vérités de la religion chrétienne, que l’on appelle la foi, est considérée avec raison par les théologiens comme une des conditions les plus favorables à assurer la félicité de la vie future, reconnaissons en fait que ceux qui, par un motif quelconque, soutiennent la vérité d’un système de propositions étrangères à la religion, et conséquemment du ressort du libre examen, insistent de la manière la plus explicite sur l’heureuse influence que la foi en ce système exerce sur les personnes qui l’adoptent pour en faire des applications conformes à ses fins. Les magnétiseurs, par exemple, font de la foi au magnétisme animal une condition des plus favorables à faire naître les phénomènes merveilleux qu’ils attribuent à ce fluide, répandu, suivant eux, à profusion dans les corps vivants. Je l’ai dit, je ne crois pas à l’existence de ce fluide, mais je suis loin de nier que certains individus, placés dans certaines conditions, ne présentent pas des phénomènes particuliers, dont la cause immédiate n’a pas encore été rigoureusement déterminée et dont l’étude sérieuse reste encore à faire.

Quoi qu’il en soit, je reconnais que la foi qu’on a en soi d’être capable d’une certaine action est favorable à la réalisation de cette action, lors même qu’on se trompe sur la véritable cause d’où elle dépend. Par exemple, dans mes expériences sur le pendule explorateur (IIe partie, pages 154 et suiv.), tant que je crus que les mouvements d’oscillation étaient déterminés ou arrêtés par des corps du monde extérieur placés au-dessous de lui, conformément à ce que M. Deleuze m’avait dit, ou, en d’autres termes, tant que j’eus foi en cette manière de voir, les expériences réussirent. Mais dès que la véritable cause du phénomène me fut connue, et qu’il me fut démontré que les mouvements du pendule étaient absolument indépendants des corps du monde extérieur, je cessai de les produire.

313.La foi, telle que les magnétiseurs l’envisagent et telle que je viens de le faire, n’est donc qu’un certain état psychique qui nous prédispose à faire ou à sentir d’une certaine manière.

314.Un état analogue à celui que je viens de signaler est déterminé en nous par des causes très-variées. J’hésite d’autant moins à en parler, que les développements dans lesquels j’entrerai donneront à la fois plus de généralité à mes vues et plus de précision à des faits particuliers qui, pour avoir de l’analogie, ne sont point identiques.

315.En faisant intervenir le principe du pendule explorateur dans plusieurs actes que l’on rapporte généralement à l’imitation, je pense avoir donné un motif de plus pour en faire concevoir la réalisation ; car, du moment où il est prouvé que la pensée relative à un acte qui se manifeste au monde extérieur par un mouvement musculaire est capable, sans l’intervention de la volonté, de faire naître ce mouvement, on conçoit que la perception par la vue ou par l’audition d’un phénomène que nous sommes capables de reproduire, aura sur nous une influence bien plus forte, comme cause d’imitation, que celle qu’on lui accorde, en ne faisant pas intervenir le principe dont je parle.

316.Mais cette grande influence du principe admise, ainsi qu’un certain état, une prédisposition, comme la foi, agissant dans le même sens que le principe, la conséquence rigoureuse qui s’en déduit est que tel effet, qui se manifeste par le concours du principe et de la prédisposition, ne se manifestera pas quand la prédisposition n’existera pas, conséquence qu’il ne faut point oublier pour ne pas s’exposer à l’erreur.

317.C’est donc parce que nous ne sommes pas toujours dans le même état psychique, que nous ne recevons pas constamment la même impression d’une même chose. Ainsi, le bâillement d’un autre ne nous fait pas toujours bâiller, le rire ne se communique pas toujours du rieur à son voisin, etc.

318.La simple pratique d’une profession, aussi bien que la culture d’un art ou d’une science, en mille circonstances, variées, recourent à des moyens divers dont le but définitif est de s’emparer de l’attention de l’homme, afin de produire sur lui un effet déterminé. Ces moyens tendent en définitive à le prédisposer dans un sens déterminé.

319.Marchand. — Nous avons souvent entendu dire à des commerçants d’objets de goût, qu’une des difficultés de la vente au détail tient à l’indécision de l’acheteur, et que l’habileté de la personne commise à la vente est de savoir en triompher. Généralement elle y parvient en appelant l’attention sur certaines qualités à l’exclusion des autres, et un acheteur peut être entraîné jusqu’à prendre un objet qui lui paraîtra détestable après quelques heures de possession.

320.Prestidigitateur. — L’art du prestidigitateur est fondé sur la rapidité des mouvements, qui ne permet pas au spectateur d’apercevoir la substitution d’un objet à un autre, et sur l’adresse avec laquelle on détourne son attention d’une chose essentielle au tour qu’il s’agit de faire, pour la fixer sur toute autre qui y est absolument étrangère.

321.Orateur. — Le grand orateur, dont le but est de faire partager à la foule la passion qui l’anime, n’arrive pas tout à coup à sa conclusion ; il la prépare en la prédisposant à l’accepter, et ce n’est qu’après y être parvenu que ses derniers arguments viennent assurer son triomphe.

322.Le poëte imite l’orateur.

323.Le littérateur, plus disposé à plaire, à intéresser qu’à instruire, a recours précisément aux mêmes moyens ; préparation pour prédisposer le lecteur à recevoir de la fin tout l’effet qu’il s’est proposé de produire.

324.En définitive, dans l’œuvre intellectuelle de l’orateur, du poëte et du littérateur, les accessoires doivent être choisis et gradués de manière que l’œuvre achevée, ils en paraissent des parties essentielles, tant la disposition en aura été heureuse pour intéresser, toucher et émouvoir profondément, et tant ils auront bien prédisposé à faire sentir l’objet final de l’œuvre.

325.Si nous examinons l’œuvre scientifique orale ou écrite, faite non pour toucher et émouvoir en parlant au cœur, mais pour instruire, nous arriverons encore à la même conclusion en ce qui concerne la nécessité d’une prédisposition préalable des personnes auxquelles on s’adresse. Mais alors la sensibilité n’est plus en jeu, c’est à la seule raison qu’on parle. La meilleure marche à suivre consiste à exposer d’abord les vérités les plus accessibles aux esprits qu’il faut instruire, et à s’élever graduellement à celles qui le sont le moins. C’est ainsi qu’on prédispose les esprits à recevoir les vérités les plus difficiles à apprendre. Mais la connaissance scientifique étant indéfinie de sa nature, la prédisposition n’est point finie dans le développement qu’on en fait, comme elle l’est dans celui d’une œuvre littéraire où il y a un terme absolu ; dans l’œuvre scientifique, la prédisposition est continue, l’effet final reculant incessamment à mesure qu’on avance dans le champ de l’inconnu.