De la Génération et de la Corruption/Livre II/Chapitre III


Chapitre III


Combinaisons des éléments entre eux ; il n’y en a que quatre, parce que les contraires s’excluent. Théories antérieures sur le nombre des éléments : Parménide, Platon, Empédocle. Nature des divers éléments ; lieux divers qu’ils occupent dans l’espace.


§ 1.[1] Comme il y a quatre éléments, et que les combinaisons possibles, pour quatre termes, sont au nombre de six ; mais, comme aussi les contraires ne peuvent pas être accouplés entr’eux, le froid et le chaud, le sec et l’humide ne pouvant jamais se confondre en une même chose, il est évident qu’il ne restera que quatre combinaisons des éléments : d’une part chaud et sec, chaud et humide ; et d’autre part, froid et sec, froid et humide.

§ 2.[2] Ceci est une conséquence toute naturelle de l’existence des corps qui paraissent simples, le feu, l’air, l’eau et la terre. Ainsi, le feu est chaud et sec ; l’air est chaud et humide, puisque l’air est une sorte de vapeur ; l’eau est froide et liquide ; enfin, la terre est froide et sèche. Il en résulte que la répartition de ces différences entre les corps premiers se comprend très bien, et que le nombre des uns et des autres est en rapport parfait.

§ 3.[3] Tous les philosophes, en effet, reconnaissant les corps simples pour éléments, en ont admis tantôt un, tantôt deux, tantôt trois, tantôt quatre.

§ 4.[4] Ceux qui n’en admettent qu’un seul sont obligés de faire naître tous les autres de la condensation ou de la raréfaction de cet élément. Par suite, ils admettent deux principes, le rare et le dense, ou le chaud et le froid ; car, dans ce système, ce sont là les agents formateurs, et l’élément unique est soumis à leur action en tant que matière.

§ 5.[5] Les philosophes qui, comme Parménide, admettent déjà deux éléments, le feu et la terre, regardent les éléments intermédiaires, l’air et l’eau, comme des mélanges de ceux-là. Il en est de même aussi de ceux qui en admettent trois, comme le fait Platon, dans ses divisions ; car, pour lui, l’élément moyen n’est qu’un mélange. Ainsi ceux qui admettent deux éléments et ceux qui en admettent trois sont presque complètement d’accord, si ce n’est que les uns divisent l’élément moyen en deux, et que les autres lui laissent son unité.

§ 6.[6] Quelques-uns, comme Empédocle, en reconnaissent nettement quatre ; mais, lui aussi, les réduit à deux ; car il oppose au feu tous les autres éléments réunis. D’après Empédocle, le feu, non plus que l’air, ni aucun des autres éléments, n’est simple, mais mélangé. Les corps simples sont tous simples sans doute ; mais ils ne sont pas cependant identiques. Par exemple, le corps qui est pareil au feu, est de l’espèce du feu ; mais pourtant ce n’est pas précisément du feu. Le corps qui est pareil à l’air est de l’espèce de l’air, sans être de l’air ; et de même, pour tout le reste des éléments. Mais le feu est un excès de la chaleur, de même que la glace est un excès du froid ; car la congélation et l’ébullition sont des excès d’un certain genre, l’une de froid et l’autre de chaleur. Si donc la glace est une congélation de liquide et de froid, le feu sera aussi une ébullition de chaud et de sec. Voilà pourquoi rien ne peut naître ni de la glace ni du feu.

§ 7.[7] Les corps simples étant au nombre de quatre, ils appartiennent deux à deux à chacun des deux lieux de l’espace ; l’air et le feu sont du lieu qui est porté vers la limite extrême ; la terre et l’eau sont du lieu qui est vers le centre. Les éléments extrêmes et les plus purs sont le feu et la terre ; les éléments intermédiaires et les plus mélangés sont l’eau et l’air ; dans chaque série, l’un des deux est contraire à l’autre ; car l’eau est le contraire du feu, et la terre est le contraire de l’air, puisqu’ils ont dans leur composition des affections contraires.

§ 8.[8] Cependant, absolument parlant, les quatre corps simples n’appartiennent chacun qu’à une seule affection. Ainsi, la terre est plutôt du sec que du froid ; l’eau est plutôt du froid que du liquide ; l’air est plutôt du liquide que du chaud ; le feu est plutôt du chaud que du sec.

  1. Ch. III, § 1. Comme il y a quatre éléments, c’est le mot même du texte ; mais le chaud et le froid, le sec et l’humide, sont plutôt des propriétés des éléments, que des éléments proprement dits. — Être accouplés entr’eux, parce qu’ils se détruisent l’un l’autre. — Il ne restera que quatre combinaisons, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Humide, je prends le terme le plus habituellement employé ; mais le mot grec signifie Liquide, aussi bien qu’Humide.
  2. § 2. Qui paraissent simples, cette tournure d’expression n’implique pas le moindre doute, sur la simplicité absolue des éléments, d’après les théories d’Aristote. Paraissent simples, signifie seulement que la simplicité des éléments peut être constatée par l’observation. — L’eau est froide et liquide, j’ai dû prendre ici le mot de Liquide, au lieu de celui d’Humide, qui aurait moins convenu en parlant de l’eau.
  3. § 3. Les corps simples pour éléments, il semble résulter de ce passage qu’aucun philosophe n’a admis plus de quatre éléments ; cependant, Aristote lui-même, dans la Météorologie, semble en admettre un cinquième, l’éther ; voir la Météorologie, livre I, ch. 3, § 4, page 9 de ma traduction.
  4. § 4. De la condensation et de la raréfaction, voir la Physique, livre I, ch. 6, § 1, page 461 de ma traduction. — De cet élément, j’ai ajouté ces mots pour compléter la pensée. — Les agents formateurs, ou « fabricateurs. » — Est soumis à leur action, le texte n’est pas aussi formel. — En tant que matière, capable de recevoir successivement les contraires.
  5. § 5. Comme Parménide, dans la Physique, livre I, ch. 6, § 1, les deux principes prêtés à Parménide, sont le rare et le dense, ou le chaud et le froid ; ce ne sont pas le feu et la terre précisément, bien que le feu puisse être identifié avec le chaud, et la terre avec le froid. — Dans ses divisions, ceci semblerait indiquer le titre spécial d’un ouvrage de Platon ; mais Philopon, d’après des commentateurs antérieurs, affirme que l’ouvrage attribué à Platon, sous ce nom, était apocryphe. Alexandre d’Aphrodisée, pense qu’il s’agit ici de ces Opinions non-écrites, de Platon, qu’Aristote cite expressément dans la Physique, livre IV, ch. 4, § 4, page 150 de ma traduction. D’autres commentateurs ont cru qu’il s’agissait des Divisions indiquées dans le dialogue de Platon, intitulé le Sophiste. C’est encore la conjecture d’Alexandre qui parait la plus probable. — N’est qu’un mélange, comme pour Parménide. — Sont presque complètement d’accord, puisque de part et d’autre on reconnaît un mélange. — L’élément moyen en deux, ou peut trouver que ceci n’est pas tout à fait conforme à ce qui vient d’être dit un peu plus haut. Parménide semble reconnaître deux éléments moyens, et non un seul ; il ne peut pas confondre l’air et l’eau.
  6. § 6. Comme Empédocle, voir plus haut, ch. 1, § 2. — Tous les autres éléments réunis, le texte n’est pas aussi précis. — D’après Empédocle, j’ai ajouté ces mots, parce qu’il me semble que tout ce qui suit ne peut qu’être attribué à Empédocle. C’est aussi l’interprétation de saint Thomas et des Coïmbrois. Philopon semble croire que c’est la pensée propre d’Aristote. — Mais mélangé, de forme et de matière, dit Philopon. — Les corps simples, le texte dit d’une manière indéterminée : « les simples. » Il est possible qu’il s’agisse ici des quatre éléments spéciaux, le chaud et le froid, le sec et l’humide. Malgré mes efforts, ce passage reste embarrassé et obscur. — Le corps qui est pareil au feu, c’est la combinaison du chaud et du sec ; voir plus haut, § 2. — Mais pourtant le texte n’est pas aussi formel. — Le corps qui est pareil à l’air, c’est la combinaison du chaud et de l’humide ; voir plus haut, § 2. — La congélation et l’ébullition, il est curieux de voir ces deux phénomènes déjà opposés dans les théories de l’antiquité. Il a fallu bien des siècles pour que cette opposition portât ses conséquences pratiques, et qu’on en tirât le thermomètre, l’ingénieux instrument qui sert à déterminer la température des corps. — Voilà pourquoi rien ne peut naître, les idées ne paraissent pas très bien liées entr’elles ; et cette phrase pourrait bien n’être qu’une glose.
  7. § 7. Les corps simples, c’est l’expression même du texte. Il semble qu’ici Aristote reprend la parole pour son propre compte, et qu’il ne s’agit plus des opinions particulières d’Empédocle. — A chacun des deux lieux, le haut et le bas. — De l’espace, j’ai ajouté ces mots. — Du lieu qui est porté vers la limite extrême, les expressions du texte sont un peu indéterminées ; et tout en les précisant un peu davantage, je n’ai pas pu encore les rendre très nettes. — Qui est vers le centre, même remarque. — Les éléments extrêmes, c’est-à-dire ceux qui sont aux points les plus opposés de l’espace, au centre et à la circonférence extrême. — Les plus purs, ceci doit s’entendre du mouvement de ces éléments, bien plutôt que de leur composition. On pourrait dire : « les plus nets, » dans leur direction. — Les plus mélangés, c’est le terme même de l’original ; mais il faut entendre encore que ceci s’applique surtout au mouvement. — Est contraire à l’autre, dans l’autre série. — La terre, le contraire de l’air, l’opposition n’est pas aussi manifeste. — Des affections contraires, voir ce qui suit.
  8. § 8. Absolument parlant, j’ai ajouté ce dernier mot. — Qu’à une seule affection, l’expression du texte est tout é fait indéterminée. — Plutôt, ceci contredit un peu le terme d’Absolument, dont l’auteur vient de se servir. — Du froid que du liquide, il semble, au contraire, que l’eau est bien plutôt liquide que froide ; elle est liquide avant tout ; mais le système qui est développé ici, exige cette symétrie. La liquidité est laissée à l’air ; peut-être pourrait-on dire aussi la fluidité.