De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 4/14

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 343-345).


CHAPITRE XIV.
Du desir ardent que quelques ames saintes ont de communier.
Le Disciple.

O Mon Dieu, que les douceurs que vous reservez à ceux qui vous craignent, sont grandes & en grand nombre ! [1] Quand je pense à la ferveur avec laquelle plusieurs bonnes ames s’approchent de votre divin Sacrement, je suis tout confus de voir avec quelle negligence & quelle tiédeur j’ai accoütumé de m’en approcher.

Je rougis de honte, quand je considere qu’en vous recevant, je me trouve sec & sans devotion ; que je ne suis point émû intérieurement, ni touché & attendri, comme plusieurs autres, qui pleins d’ardeur pour la Communion, & d’amour pour vous, ne se présentent jamais à la sainte Table, sans verser des pleurs en abondance, brûlant d’une sainte impatience d’aller à vous, comme à la source de la vie ; & ne pouvant appaiser leur faim, qu’ils n’ayent mangé vôtre Chair sacrée. Ils la mangent en effet avec une avidité, & avec un plaisir extrême, non seulement de la bouche du cœur, mais aussi de celle du corps.

O que leur foi est pure & ardente, & que c’est un preuve bien sensible que vous êtes au milieu d’eux !

Ceux-là connoissent véritablement le Seigneur dans la fraction du pain, qui se sentent le cœur embrasé d’un feu tout divin, lorsqu’ils marchent & s’entretiennent familierement avec lui[2].

Pour moi je sens rarement cette devotion si tendre, & cet amour si ardent.

O mon Jesus, qui êtes plein de charité, de douceur, de misericorde, ayez pitié de moi ; & si vôtre amour est vrayment un feu, que vous allumez dans le cœur des Justes à la sainte Communion, donnez m’en quelque étincelle, afin que la foi s’augmente toûjours en moi dans ce Sacrement, que l’espérance s’y affermisse, que la charité s’y perfectionne & s’y fortifie de telle sorte, que jamais rien n’en diminuë tant soit peu l’ardeur.

Vous n’avez que trop de bonté, ô mon Dieu, pour m’accorder cette grace, pour me visiter en esprit d’amour & de douceur, quand le tems destiné à votre visite sera venu.

Car encore que je n’aye pas le zéle de ces ames ferventes, qui désirent avec ardeur de s’unir à vous, cependant vous ne laissez pas de m’en inspirer l’envie. Je le souhaite effectivement, & toute mon ambition est d’entrer en societé avec vos fidéles amis, pour ne faire désormais qu’un même corps avec eux.

  1. Psal. 30. 10.
  2. Luc. 24. 32.