De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/22

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 178-181).


CHAPITRE XXII.
Du souvenir de la reconnoissance des bienfaits de Dieu.
Le Disciple.

Seigneur, disposez mon ame à bien garder votre Loi, & apprenez-moi à marcher dans la voye de vos saints Commandemens[1].

Faites-moi connoître vôtre volonté ; instruisez-moi à méditer avec respect & avec attention sur vos bienfaits, tant generaux que particuliers, afin que je vous en rende d’eternelles actions de graces.

Je sçai pourtant, & je le confesse, que le moindre de vos bienfaits est audessus de tous mes remerciemens.

Car de tout les biens que vous me faites il n’en est aucun dont je ne sois très-indigne ; & quand je viens à considerer ce que vous êtes, je suis étonné & tout hors de moi, à l’aspect de vôtre infinie grandeur.

Ce que nous avons de bon au corps ou à l’ame, au dehors ou au dedans par la nature, ou par la grace, tout vient de vous, tout sert à faire éclater vôtre liberalité & vôtre misericorde.

Et quoique vous ne partagiez pas également vos faveurs, que les uns en reçoivent plus & les autres moins ; ils n’ont pourtant rien, ni ne peuvent rien indépendamment de vous.

Ceux à qui vous faites plus de bien n’ont pas sujet de s’en glorifier, ni de mépriser les autres, à qui vous en faites moins. Car le plus grand & le meilleur de tout est celui qui s’en fait le moins accroire, qui est le plus humble, le plus devot, & le plus reconnoissant.

Nul ne mérite davantage d’être enrichi de vos dons, que celui qui s’en juge le plus indigne, & qui a de plus bas sentimens de lui-même.

D’un autre côté, ceux que vous gratifiez le moins, ne doivent pas s’en affliger, ni s’en plaindre, ni porter envie à ceux à qui vous donnez de plus grandes marques de vôtre amour. Ils doivent plûtôt considerer leur peu de mérite, & loüer vôtre bonté infinie, qui verse ses graces liberalement gratuitement, & avec profusion sur toutes sortes de personnes.

Tout vient de vous, & on doit vous benir de tout.

Vous sçavez ce qu’il faut donner à chacun ; & il n’appartient qu’à vous de juger pourquoi il est à propos de donner moins à celui-ci, qu’à celui-là, puisque c’est vous qui prescrivez de certaines bornes à leurs vertus & à leurs mérites.

Je suis même persuadé qu’il est tres-avantageux de n’avoir point de ces sortes de talens, qui éclatent & qui font bruit dans le monde. Et de fait ceux qui reflechissent sur leur pauvreté & sur leur bassesse, bien loin d’en concevoir du chagrin, n’en ont au contraire que de la joye ; parce qu’ils sçavent, ô mon Dieu, que les pauvres & les humbles, pour qui le monde n’a que du mépris, sont ceux que vous choisissez pour être vos amis & vos domestiques.

Témoins vos Apôtres, que vous avez établi Princes sur toute la terre.

Ils ont vécu dans le monde d’une maniere irreprehensible, sans se plaindre de personne, avec tant de simplicité & d’humilité, dans un si grand éloignement de toute sorte de tromperie & de malice, qu’il ne paroissoient jamais plus gais, que lorsqu’ils étoient le plus maltraitez pour vôtre Nom[2]. embrassant toûjours ce que le monde avoit le plus en horreur.

Quiconque donc a un vrai amour pour vous, & une vraye reconnoissance de vos bienfaits, ne doit rien avoir tant à cœur, que l’execution de vos volontez, & des desseins de vôtre Providence sur lui.

C’est ce qui doit faire toute sa joye, en sorte qu’il se trouve également bien dans la premiere place, & dans la derniere ; qu’il se plaise autant à être le plus grand de tous ; & qu’enfin il soit aussi aise de se voir dans le mépris, sans nom, sans reputation, que si tout le monde avoit de l’estime & de la veneration pour lui.

Car après tout, l’accomplissement de vôtre sainte volonté, & la consideration de vôtre plus grande gloire doivent l’emporter sur tout le reste : c’est ce qui le doit réjouir davantage que tous les dons qu’il a reçûs, ou qu’il espere recevoir de vous.

  1. Mac. 1. 4.
  2. Act. 5. 41.