De l’Éducation de l’artiste

De l’Éducation de l’artiste
Revue des Deux Mondes5e période, tome 47 (p. 159-190).
DE
L’ÉDUCATION DE L’ARTISTE

Le corps humain est une admirable création, à la fois très compliquée dans sa structure et très simplement adaptée aux nombreuses fonctions qu’il doit remplir. Capable d’éducation, il peut être approprié par une culture intelligente aux diverses occupations vers lesquelles chacun de nous est poussé par sa vocation ou par la nécessité. Si l’organisme de certains animaux l’emporte sur le nôtre, comme force, agilité, souplesse ou finesse de perceptions ; si beaucoup d’entre eux possèdent une vue plus perçante, un odorat plus subtil, une ouïe plus développée, l’homme non seulement a pu, en les domestiquant et en les dressant, se faire d’eux des collaborateurs et utiliser pour son compte leurs qualités, mais, par un entraînement graduel, il parvient à se donner à lui-même celles de ces qualités qui lui manquent. Jeté nu et sans défense sur la terre, il devait, au début, se loger, se nourrir, se vêtir, se protéger contre les dangers de toute sorte dont il était entouré. Mais à la longue, à mesure que son existence devenait moins précaire, il a pu songer à se procurer les jouissances plus élevées qui lui sont réservées, celles des arts notamment, dont seul ici-bas il possède le privilège, et développer en lui, par des efforts persévérans, la supériorité intellectuelle et morale qui devait les lui assurer. Nous nous proposons de montrer quelle perfection il a su atteindre dans l’éducation de ses organes et les merveilleux résultats auxquels il est arrivé, mais dont une longue habitude nous empêche d’apprécier l’étendue et la diversité. Ce n’est pas seulement à l’éducation purement physique et matérielle de nos organes que nous entendons nous borner ici et nous nous occuperons surtout de ce qui touche à l’instruction de l’artiste et particulièrement du peintre.


I

A l’origine, la force et l’adresse jouaient un rôle capital dans la vie humaine : jointes à l’intelligence chez les mieux doués, elles faisaient d’eux des chefs dont l’autorité était acceptée. Déjà cependant, malgré le peu de loisir que laissaient à l’homme les difficultés de toute sorte avec lesquelles il était aux prises, certaines tentatives esthétiques, gauches et rudimentaires, on le comprend, commençaient à trouver place dans son existence. C’étaient les cortèges solennels, les chants grossiers, les fêtes étranges qui accompagnaient les premières manifestations de la vie religieuse ou familiale ; c’étaient aussi ces dessins tracés d’une main ferme, parfois même singulièrement habile, sur les pierres, sur les os polis, sur les parois des cavernes ; ces tatouages aux vives couleurs ; ces parures de plumes, ces colliers de grains ou de minéraux bruts, essais d’une coquetterie encore barbare. Ainsi qu’on l’a justement remarqué, tous ces documens fragmentaires légués par les temps préhistoriques, nous en retrouvons aujourd’hui les témoignages chez certaines peuplades retirées, que la dureté du climat et la pauvreté du sol ont maintenues jusqu’à notre époque dans un état de sauvagerie absolue.

Chez les races plus cultivées, la force et l’adresse corporelle devenues moins nécessaires ont beaucoup perdu de leur prix. Cependant, sous des formes diverses, elles constituent encore le fond de nombreuses professions destinées à servir à l’amusement des foules dans nos théâtres et nos fêtes foraines : lutteurs, dompteurs d’animaux, acrobates, jongleurs, coureurs, équilibristes, qui, façonnés dès l’enfance, acquièrent par un dressage méthodique une habileté et une audace qui font l’émerveillement des spectateurs et fournissent aux sujets les plus inventifs des gains considérables. L’éducation de nos organes n’est pas moins profitable aux jouissances et aux distractions variées que le sport, sous toutes ses formes, procure aux gens qui le pratiquent. C’est ainsi que l’escrime mérite une place dans l’hygiène de ceux qui lui demandent une diversion et comme un contre- poids à une tension d’esprit trop prolongée. De même pour les savans ou les lettrés, qui exercent des professions trop sédentaires, on n’imagine pas d’emploi plus réconfortant de leurs loisirs que les séjours et les ascensions dans la haute montagne. Bien des mobiles peuvent y amener ceux qu’attirent les sommets. En même temps que tous, en s’efforçant d’y atteindre, acquièrent une endurance et une sûreté de marche qui leur permet d’affronter des courses souvent longues et périlleuses, quelles joies sans mélange laissent en eux le souvenir, les impressions goûtées sur les cimes, l’aspect grandiose et le silence de ces augustes solitudes, les horizons infinis qu’on découvre du haut de ces pics neigeux, au sein de ces glaciers immenses où, livrées à elles-mêmes, les forces de l’univers obéissent aux lois éternelles qui le régissent ! De même, quelle énergie physique et morale développe chez les explorateurs la traversée de ces contrées mystérieuses où ils ne pénètrent qu’au prix de fatigues et de privations de toute sorte, dans les déserts du pays de la soif, ou les hivernages glacés des régions polaires ! Les eaux, les champs, les forêts, dont les vastes étendues nous apparaissent vides et inanimées, révèlent à l’œil exercé du pêcheur ou du braconnier le poisson ou le gibier dont une observation attentive leur a fait connaître les gîtes, les habitudes et les ruses.

On le voit, et nous pourrions multiplier ces exemples, tous ceux qui ont à donner à leur corps des aptitudes répondant à des nécessités ou à des goûts spéciaux arrivent à le pourvoir de qualités appropriées aux fins qu’ils se proposent. Dans un ordre d’idées plus relevé, c’est par une accommodation analogue que le lettré, l’historien, le critique, habitués à manier des livres, y découvrent d’un coup d’œil rapide la page, la phrase, le mot décisif qu’il leur importe de trouver. De même, le savant, le botaniste, le physiologiste acquièrent une habileté merveilleuse pour préparer les matériaux des analyses ou des expériences délicates dans lesquelles ils s’ingénient à reproduire les données des phénomènes ou le fonctionnement des organes objets de leurs études. Qu’il s’agisse de mesurer l’espace ou le temps, de doser ou de peser des substances presque imperceptibles, de sonder l’infini de l’immensité ou l’infini de la petitesse, ils se sont créé des instrumens d’une précision incroyable, qui deviennent comme le prolongement de leurs organes. Grâce à eux, l’anatomiste, le chirurgien, le médecin obtiennent cette finesse spéciale du tact, de l’ouïe, de la vue, qui leur permet, en scrutant l’intérieur du corps humain, d’en atteindre les plis les plus cachés ; d’écouter par l’auscultation le fonctionnement même de la vie ; de discerner, parmi les bruits les plus ténus du cœur ou de la poitrine, ceux qui sont réguliers ou suspects ; de les classer pour reconnaître le lieu précis et le caractère plus ou moins grave des innombrables maladies auxquelles nous sommes exposés. Mis au service de leur intelligence et de leur savoir, ces moyens d’investigation éclairent très efficacement le diagnostic des grands praticiens et ajoutent, comme ils disent, des yeux au bout de leurs doigts. En même temps, munis de leur arsenal opératoire, les chirurgiens de plus en plus hardis manient d’une main sûre les appareils inventés pour palper, pincer, tailler, nettoyer, broyer, recoudre, supprimer ou reconstituer tous les élémens détériorés de notre organisme. En dépit de ses impuissances, cette lutte contre la maladie et la souffrance, engagée depuis qu’il y a des hommes, a pu, en ces derniers temps surtout, acquérir une efficacité singulière, et les progrès réalisés à cet égard sont dus à cet effort persévérant de toutes nos facultés physiques ou intellectuelles associées par la science moderne à la recherche de la vérité.


II

En étendant aux arts nos observations, nous voudrions montrer maintenant les résultats que peut obtenir une éducation méthodique de nos organes, appropriée à chacun d’eux. Les exercices spéciaux auxquels l’artiste doit se livrer sont longs et difficiles et, en goûtant les jouissances qu’ils nous valent, nous ne pensons pas assez aux efforts qui nous les ont méritées.

Si la musique ne prend pas comme les arts du dessin son point d’appui dans la nature, c’est à elle du moins qu’en dehors de la voix humaine elle emprunte les matériaux des divers instrumens par lesquels elle s’exprime. Ces instrumens, avant d’atteindre la perfection qu’ils nous offrent aujourd’hui, ont été l’objet d’études prolongées ; il a fallu bien des tâtonnemens pour leur donner leur forme définitive et faire de chacun d’eux un type accompli, ayant sa sonorité propre, distincte de celle des autres instrumens, mais s’accordant avec eux. Il en est qui, à raison de leur puissance expressive, ont acquis une importance prépondérante ; d’autres, plus modestes, sont réduits le plus souvent au rôle de comparses et d’accompagnateurs. Parmi les premiers, les instrumens à cordes, — le violon et ses dérivés, l’alto, le violoncelle et la contrebasse, — occupent le premier rang. Leur fabrication a exercé la dextérité et l’intelligence de plusieurs générations de facteurs qui ont laissé des noms et créé des modèles restés célèbres. La qualité des bois, leurs propriétés, la structure de leurs formes délicates qui rappellent celles de la poitrine humaine, en font des chefs-d’œuvre très recherchés des amateurs et qui atteignent aujourd’hui des prix fort élevés. Suivant leur portée respective, les instrumens à cordes ont pour eux la continuité absolue des sons, c’est-à-dire la faculté de passer par degrés insensibles d’une note quelconque à la note immédiatement supérieure ou inférieure. On reste émerveillé de la correction irréprochable où atteint l’artiste de talent et des problèmes multiples qu’il est en état de résoudre pour obtenir la note juste, enfler ou diminuer progressivement un son isolé, le lier aux autres en tenant toujours compte des modifications de rythme les plus subtiles. Des exercices gradués, répétés chaque jour pendant plusieurs heures, ont pour objet l’éducation de son oreille et de ses mains et le mettent ainsi en mesure de posséder toutes les ressources de son instrument. Et ce n’est là cependant que la partie en quelque sorte matérielle de sa tâche qui, pour être efficace, exige le concours d’une volonté et d’une intelligence toujours vigilantes quand il s’agit d’interpréter les maîtres, et de donner à chacune de leurs œuvres le caractère et le style qui lui conviennent. Il semblerait que, préparé par des études si difficiles, le jeu des exécutans dût se ressembler et aboutir à une certaine uniformité. Si c’est le cas pour les talens médiocres, les artistes supérieurs ne sauraient se contenter de ce niveau moyen. Mais il leur faut redoubler d’efforts pour manifester, en même temps que l’originalité des grandes œuvres, leur propre originalité. Avec des nuances cependant très prochaines, des différences individuelles très marquées peuvent exister dans cette interprétation, à raison de la diversité des moyens et des sentimens des exécutans. Il y a tant de choses dans ces œuvres que, sans trahir les modèles, chacun peut s’appliquer à en exprimer des beautés différentes, insister sur les côtés qui le touchent davantage, ou qui sont le plus en rapport avec sa propre personnalité.

Les difficultés que présente l’étude des instrumens à vent, si elles ne sont pas les mêmes, sont cependant analogues à celles qu’offrent les instrumens à cordes. Ce que la main et l’archet font pour ceux-ci, le souffle doit le faire pour les premiers, c’est-à-dire prendre à temps ou retenir la respiration, donner aux sons la netteté, la grâce, la légèreté, la gravité et la profondeur, l’éclat ou le mordant, toutes les qualités, en un mot, qui font le charme de ces instrumens.

Nous n’avons pas à dire ici quelle est la puissance expressive d’un orchestre d’élite, alors qu’avec des talens supérieurs toutes les ressources combinées des sonorités et des rythmes sont mises au service d’une grande œuvre musicale. Sous la direction d’un chef habile, grâce à l’homogénéité parfaite qu’il peut obtenir de ses collaborateurs, un tel orchestre devient comme un instrument unique doué d’une puissance merveilleuse. Animés d’un même esprit, tous les exécutans mettent au service de la pensée du maître leurs talens unis pour une action commune, avec les qualités de discipline, d’initiative ou de discret effacement qui font les interprétations accomplies.

S’il ne dispose pas de la parfaite continuité de sons que possèdent les autres instrumens, le piano rachète pour le musicien cette défectuosité en lui fournissant, pour ainsi dire, l’équivalent d’un orchestre. Un pareil avantage explique l’importance qua prise le piano et les efforts des facteurs et des virtuoses pour en perfectionner la fabrication et le jeu.

On sait ce que les uns et les autres ont fait pour développer sa puissance, régler son timbre, amplifier ou diminuer chez lui la résonance des sons. Qu’on songe aussi à la quantité et à la complication des exercices, — véritable fléau de certaines habitations parisiennes, — auxquels, dès l’âge le plus tendre, sont astreints ceux qui veulent devenir des virtuoses. La plupart des grands compositeurs : Bach, Mozart, Beethoven, Mendelssohn, Schumann ont été des pianistes de premier ordre. L’instantanéité à laquelle parviennent certains musiciens pour s’acquitter avec aisance d’actes cependant très complexes, comme celui du déchiffrement, par exemple, tient vraiment du prodige et semble presque incompréhensible. Mendelssohn se faisait un jeu de lire et d’interpréter à première vue, d’une manière irréprochable, les œuvres les plus difficiles. M. Camille Saint-Saëns, qui, de bonne heure, a su développer en lui des dons naturels tout à fait remarquables, est la preuve vivante des résultats auxquels peut atteindre une organisation telle que la sienne, secondée pur un travail intelligent. Un soir, chez lui, comme il venait de recevoir l’exemplaire d’une partition qu’il avait hâte de connaître, je l’ai vu se mettre au piano et interpréter cette œuvre, nouvelle pour lui, en donnant à chaque morceau le caractère qui lui convenait. Qu’on pense à la série d’opérations compliquées que le maître réalisait ainsi en quelque sorte simultanément, avec une aisance et un entrain surprenans. Il lui fallait, en effet, embrasser d’un seul coup d’œil toutes les portées d’une page pour démêler à travers les diverses parties des instrumens et du chant, celles qui, étant essentielles, méritaient d’être retenues, les transposer au piano, en mettant la suite et la cohésion nécessaires dans le jeu de ses deux mains ; découvrir par avance l’ordre et le progrès des idées, la façon dont elles étaient développées, le lien qu’elles offraient entre elles ; tout cela, sur-le-champ, comme au même instant, avec une rapidité et une décision que lui seul pouvait trouver naturelles.

Chez certains artistes privilégiés, d’autres dons ne sont pas moins merveilleux, la mémoire musicale notamment, qui, cultivée, arrive à faire de chacun d’eux comme un répertoire complet de toutes les œuvres importantes produites par leur art. Et ce n’est pas seulement la précision et l’abondance de ces souvenirs qui sont étonnantes, c’en est aussi la persistance après de longs intervalles. Pour le compositeur, aussi, quelle faculté mystérieuse que d’entendre, en soi-même, chanter l’inspiration et, dès la première éclosion de l’idée, de pressentir, comme par une divination immédiate, les moyens d’expression qu’elle doit recevoir et les développemens qu’elle comporte !

La perfection à laquelle sont arrivés les orchestres les plus réputés, comme celui du Conservatoire, se manifeste pour les violons, non seulement à notre oreille, mais à nos regards eux-mêmes par la régularité absolue des gestes de ces virtuoses. Qu’on observe, par exemple, la symétrie toujours pareille de leurs archets constamment alignés d’une façon identique, dans les rythmes les plus lents ou les plus rapides, tous régis par la discipline à laquelle ils obéissent. Du moins leur tâche est-elle tracée et leur action combinée, en vue d’un but nettement défini. Que dire, en revanche, de ces improvisations musicales d’un orchestre entier, telles qu’elles étaient réalisées à l’Exposition universelle de 1867, par ces troupes de tziganes, très répandues aujourd’hui, mais qui parurent alors une véritable révélation. En compagnie d’un compositeur éminent, désireux, comme moi, de les entendre, j’étais convenu d’un rendez-vous avec M. Szarvady, le mari de Mlle Wilhelmine Clauss, la célèbre pianiste récemment décédée. Connaissant leur chef, M. Szarvady, son compatriote, lui signalait notre présence et l’incitait à faire de son mieux. Ce chef, un petit homme roux, pâle et grêle, dont les yeux illuminaient le visage, annonçait brièvement à ses musiciens la tonalité du thème initial, une sorte de prélude, lent, un peu vague, destiné à les mettre en communication avec le public. Puis, d’un mouvement brusque, le signal était donné par lui et, animée d’un même souffle, la troupe, obéissant à je ne sais quel courant magnétique, entrait en branle. Que tout fût excellent et de valeur égale dans les inventions de ces exécutans, que leur entrain constant ne fût pas mêlé de quelques incohérences, je ne saurais le prétendre. Mais bientôt, sous le regard farouche et impérieux du maître, ils retrouvaient leur cohésion, leur assurance. Celui-ci paraissait être partout à la fois ; les pressant, les retenant tour à tour, il se faisait comprendre. A certains momens, quittant le bâton de commandement, il prenait lui-même son violon et, de quelques notes jetées à la hâte, il précisait un mouvement, affirmait une direction. L’idée ébauchée par lui était aussitôt saisie au vol, acceptée et complétée par tous. A la fois indépendans et dociles, ils ne semblaient plus qu’un seul être, possédé du démon de la musique. Comment se comprenaient-ils ainsi, sans échanger une parole ? Quelle fougue les envahissait alors et les élevait en quelque sorte au-dessus d’eux-mêmes ? Ils auraient été incapables de le dire. Et quand, à la fin, grisés de leur propre entrain, stimulés par l’admiration croissante du public, ils entonnaient, pour conclure, leur hymne national, une émotion pareille remplissait le cœur de tous. Leurs auditeurs, transportés comme eux, restaient subjugués par la beauté imprévue de leurs trouvailles et par le spectacle de leurs visages transfigurés.


III

Pour être moins apparente dans ses manifestations, l’éducation des organes du corps humain est tout aussi nécessaire dans les arts qui, à raison du rôle important qu’il y joue, s’appellent les arts du dessin. Ainsi que l’œuvre du musicien, celle du peintre est soumise à l’obligation de l’unité ; mais si le motif traité par le premier se développe successivement dans le temps, le peintre n’a pas cette ressource. Il lui faut choisir dans son sujet le moment qui lui semble le plus pittoresque, et grouper autour de ce moment décisif les particularités qui peuvent lui servir de commentaire, afin de donner à sa représentation toute la clarté, toute l’éloquence possibles. C’est l’observation et l’étude de la nature qui lui fournissent ses moyens d’expression, et les organes qu’il met en jeu sont différens aussi de ceux par lesquels agit le musicien. Les formes et les couleurs dont les réalités qui l’entourent lui ont fourni les modèles, c’est par son œil que le peintre les perçoit, par sa main qu’il les reproduit, en insistant sur les traits qui répondent le mieux à son idée. C’est donc de l’éducation parallèle de son œil et de sa main qu’il doit d’abord se préoccuper.

D’une personne à l’autre, les visions diffèrent et de ce fait déjà résultent des différences notables entre la façon dont peuvent être représentés les mêmes objets. Quand on parle de correction dans le dessin, ce n’est donc que d’une correction moyenne et toute relative qu’il s’agit. En présence de l’infinie variété des aspects de la nature, cette tâche de l’artiste est, on le comprend, très compliquée, car, de toutes les parties de son œuvre, le dessin est la plus essentielle. C’est lui qui en constitue le fondement et la charpente ; c’est sur lui que tout repose, c’est de lui que tout dérive. Aussi convient-il de s’y appliquer sans relâche : Nulla dies sine linea, dit le proverbe. Il faut avant tout habituer l’œil et la main à mesurer les distances, apprécier les directions, déterminer les contours de tous les objets. Quant à ces contours, tandis que la longueur et les inflexions des courbes échappent à nos estimations, celles des lignes droites nous sont plus facilement accessibles. De même que le géomètre, pour arriver à l’évaluation de la circonférence du cercle, considère celle-ci comme un polygone formé d’un nombre infini de côtés, le dessinateur peut aussi décomposer les courbes en une infinité de lignes droites et, par une série d’opérations successives, se rapprocher de plus en plus de la réalité. Si un œil exercé arrive à se passer de ces sortes d’équarrissemens qui lui servent d’intermédiaires, ils restent du moins au service de l’artiste comme un moyen de contrôle et de repérage. C’est par l’emploi combiné de verticales et d’horizontales que nous nous rendons compte de l’assiette des terrains, de l’équilibre des eaux, de l’aplomb des figures, de la régularité d’objets disposés symétriquement par rapport à un axe, etc.

Comme le musicien d’ailleurs, le peintre doit transposer, puisqu’il s’agit pour lui, suivant les proportions déterminées par sa toile, de tracer sur une surface plane l’apparence d’objets ayant chacun leur volume et occupant des positions différentes dans l’espace. D’instinct et presque sans y prendre garde, il arrive à triompher d’une autre difficulté : celle de retenir dans son esprit le souvenir des formes qu’il a sous les yeux. Si court qu’il soit, il y a, en effet, un intervalle entre le moment où il regarde ces formes et celui où il en reproduit l’image. C’est à développer cette faculté que s’applique la méthode dite d’Education de la mémoire-pittoresque, formulée et propagée par M. Lecoq de Boisbaudran, et qui consiste, après avoir mis l’élève en présence du modèle qu’il doit représenter, à dérober ensuite ce modèle à sa vue pour qu’il le dessine de nouveau, mais cette fois de souvenir. Grâce à une série d’exercices logiquement combinés, les résultats obtenus par cette méthode ont été remarquables, et cependant, malgré son excellence, attestée par les élèves éminens qu’elle a produits, il est permis d’affirmer qu’elle n’a pas encore reçu dans la pratique toute l’importance qu’elle mériterai !,. Un tel procédé, en effet, a aussi pour objet de développer indéfiniment l’esprit d’observation, de révéler, parmi les traits de la réalité qu’il convient de retenir, ceux qui sont essentiels et vraiment caractéristiques. Il s’applique d’ailleurs aussi bien à la couleur qu’au dessin, et seul il permet d’étudier dans la nature les effets fugitifs dont la rapidité déconcerte l’artiste qui veut les reproduire. La nature, on le sait, ne met aucune complaisance à poser devant lui, et ses aspects sont d’une mobilité incessante. Elle fait et défait à chaque instant sous nos yeux les spectacles les plus séduisans. Le matin, à mesure qu’il travaille à une étude en plein air, le paysagiste s’aperçoit que la lumière, d’abord douce et voilée, devient de plus en plus éclatante et enfin partout égale, tandis qu’inversement, vers le déclin du jour, c’est l’obscurité qui gagne peu à peu, jusqu’à rendre invisible tout ce qui nous entoure. En présence d’une pareille instabilité, il faut évidemment se décider, prendre un parti, choisir le moment qui semble le plus pittoresque et s’y arrêter. Pour y parvenir, pour conserver nettement le souvenir de ces divers aspects, certains artistes adoptent des modes de notations plus ou moins expéditifs, appropriés à leurs convenances particulières, principalement des séries de chiffres dont la succession leur permet d’embrasser l’échelle complète des valeurs et de marquer ainsi leurs relations respectives.

Mais, avant d’arriver à établir cette notation qui suppose déjà une certaine expérience, il est bon que l’artiste s’y prépare en peignant des objets immobiles, exposés sous une lumière à peu près constante. L’étude de la nature morte lui en fournit les moyens. Cette étude qui, au début surtout, doit tenir une grande place, il importe qu’il ne la néglige à aucun moment de sa carrière : elle a fait pour certains maîtres une part notable de leur force. En cherchant à représenter des fleurs, des légumes, des fruits, des animaux morts, des objets de toute sorte, qu’ils peuvent grouper à leur gré, et en s’efforçant de mettre dans leur exécution toute la perfection dont ils sont capables, ces maîtres trouvent l’occasion d’un travail qui peut leur être singulièrement utile. Rubens s’y est plus d’une fois appliqué ; et, au commencement de sa carrière, Rembrandt a peint pour les lettrés de Leyde plusieurs de ces tableaux, connus sous le nom de Vanitas, où il avait réuni des objets symboliques, emblèmes de la fragilité de la vie humaine. Plus tard, il ne cessa jamais de revenir à une pareille pratique, et les nombreux spécimens qu’on en peut relever dans son œuvre peint, dessiné ou gravé, attestent le plaisir et le profit qu’il y trouvait. Ce procédé d’étude, érigé en méthode, entrait dans l’éducation des peintres espagnols, et les Bodegones de Velazquez sont justement célèbres par la franchise élégante de la facture et la beauté de la couleur. On peut voir aussi tout ce que, dans ces humbles sujets, Chardin a su mettre de talent, la grâce et l’ampleur de sa touche, cette bonhomie et cette savoureuse simplicité qui le font reconnaître entre tous. Eugène Delacroix se reposait de ses grandes compositions décoratives en peignant, à Champrosay, les fleurs de son jardin, et une admirable toile de la collection Moreau-Nélaton, avec ses pièces de gibier mort d’une tonalité si éclatante, nous le montre supérieur en ce genre aux spécialistes flamands ou hollandais les plus réputés. Récemment enfin, les tableautins dans lesquels Fantin-Latour étudie avec amour un bouquet de modestes fleurettes, quelques vases de faïence ou d’argenterie posés sur un guéridon, ont un charme d’intimité et de distinction que, sauf dans ses meilleurs portraits, on chercherait en vain dans ses autres œuvres.

Il y a donc là, on le voit, en même temps qu’une diversion et une détente salutaires, offertes au peintre, une occasion pour lui de retrouver les enseignemens que procure toujours la vue directe de la nature, et, par conséquent, un moyen de se renouveler, de s’affranchir des formules dans lesquelles, livré à lui-même, il tombe inévitablement. Ces séances consacrées à l’étude d’objets qui posent complaisamment devant lui, il peut les multiplier à son aise et à son gré. Elles lui permettent de s’approprier les qualités d’exécution qui lui manquent, et convenablement variées par la diversité des arrangemens et des éclairages, elles peuvent, avec les exigences sévères qu’il y doit apporter, le rendre plus maître de la technique de son art.

Elles ont aussi pour objet de développer en lui des facultés d’observation grâce auxquelles il deviendra graduellement capable d’aborder la représentation du mouvement chez les êtres animés, en s’habituant à voir vite et bien ce qu’il veut représenter.

L’art de certains peuples, les Chinois et les Japonais notamment, manifeste à cet égard des dons vraiment remarquables, et les silhouettes imprévues qu’offrent parfois le vol des oiseaux ou les attitudes familières des quadrupèdes ont été rendues par eux avec une justesse et une vivacité piquante, qui expliquent le succès obtenu par leurs albums, dès leur propagation en Europe. Du reste, chez nous-mêmes et de tout temps, il s’est trouvé des artistes particulièrement doués, capables de voir et de dessiner avec précision les phases diverses de mouvemens dont la rapidité déconcerte les visions que nous considérons pourtant comme normales. En ces matières, le point délicat est de ne pas dépasser une juste mesure et de s’en tenir à des représentations d’ordre moyen, assez explicites, surtout, pour être accessibles à la majorité du public. Aller plus loin, supposer chez les autres une organisation exceptionnelle, c’est risquer de n’avoir plus de juges et de franchir les limites mêmes de l’art. Désireux d’arriver à une représentation exacte de détails difficilement observables, certains artistes, pour les étudier d’une manière plus précise, s’efforcent d’en reproduire sous leurs yeux la fidèle image, grâce à des dispositions matérielles, parfois très ingénieuses, inventées à cet effet. C’est ainsi que, voulant peindre Napoléon Ier cheminant à la tête de ses troupes pendant la retraite de Russie, Meissonier s’était procuré un cheval marchant à l’amble, comme ceux que l’Empereur montait d’habitude, et à côté d’une piste établie dans sa propriété de Poissy, il faisait construire un petit chemin de fer, le long duquel, installé lui-même sur un siège et poussé parallèlement à la piste, avec une vitesse pareille, il pouvait, en conservant toujours la même distance, noter les mouvemens successifs de la bête et du cavalier. Si, portés à ce point, les scrupules du peintre pouvaient sembler exagérés, ils avaient du moins pour effet de lui procurer une sécurité qu’il jugeait nécessaire à son travail. C’est instruit par une série d’observations intelligemment imaginées à cet effet, que Meissonier, pendant longtemps cantonné dans les sujets les plus simples et les plus calmes, parvenait, à la fin de sa vie, à aborder les données les plus mouvementées et les plus dramatiques, ainsi qu’il l’a fait dans sa Revue d’Austerlitz.

Un de mes amis, Aimé de Lemud, qui, vivant en Lorraine, à l’écart, s’est dérobé obstinément à la réputation qu’il méritait et n’a pas donné toute sa mesure[1], apportait, dans la préparation de ses œuvres, les mêmes exigences de vérité et de conscience. Longtemps occupé d’un Galilée observant les astres, qu’il se proposait de graver comme pendant à son Beethoven, excellant d’ailleurs aussi bien dans la pratique de la sculpture que dans celle du dessin, il avait modelé en argile le groupe des étudians entourant Galilée sur la petite plate-forme de l’Observatoire où ils étaient réunis, perdus comme lui dans la contemplation du ciel étoile. Cette maquette, non seulement lui avait permis de se rendre un compte exact de la position respective des personnages figurant dans la scène, mais en l’exposant aux rayons de la lune, il avait pu à la fois étudier l’heure la plus favorable à l’effet et noter, avec leurs valeurs, la répartition des ombres et des lumières qui pouvait le mieux servir à la réalisation de son idée. Il avait alors peint en grisaille une esquisse pleine de grandeur et de poésie. Son œuvre était prête, elle lui aurait fait le plus grand honneur ; mais poussé invinciblement par des scrupules religieux, certainement excessifs, il la détruisait. Il n’avait fait d’ailleurs, en recourant à la sculpture, qu’imiter Poussin. Celui-ci, à son arrivée à Rome, fort épris de Titien et des charmans putti de quelques-uns de ses tableaux, notamment de l’Hommage à la Fécondité (alors dans la collection Ludovisi), avait appris de ses amis l’Algarde et Duquesnoy, à modeler d’après nature des enfans nus dans toutes les positions, et il se servait ensuite de ces statuettes pour peindre les amours et les anges qu’il voulait introduire dans ses compositions mythologiques ou religieuses.

Bien des artistes, ayant à placer dans leurs œuvres des figures animées de mouvemens très rapides pour lesquels les modèles seraient incapables de poser, ont cru bien faire de demander à la photographie les renseignemens qu’ils désiraient. Dans un article publié ici même, le Photographe et l’Artiste, M. R. de la Sizeranne, avec son goût éclairé, les mettait en garde contre les dangers que pouvaient offrir pareilles consultations[2]. Les progrès récens de la photographie instantanée font apparaître plus nettement encore ces dangers et confirment d’une manière formelle les conclusions en quelque sorte prophétiques de M. de la Sizeranne à cet égard. En insistant, à notre tour, nous voudrions ajouter ici quelques observations ayant trait à ces représentations par la photographie de mouvemens très rapides, images d’une fidélité indéniable, mais qui, si intéressantes qu’elles soient pour l’artiste, exigent cependant de sa part quelque réflexion avant d’être acceptées comme des modèles à suivre.

Plus encore que la nature, la photographie, même entre les mains d’un opérateur habile, reste absolument indifférente à nos conceptions. Le photographe, après qu’il a choisi son motif, n’est plus libre d’y rien changer. La composition de ce motif et l’effet auquel il s’est arrêté lui sont formellement imposés. Entre les détails que lui offre la réalité, il lui est impossible de faire un choix, de les subordonner les uns aux autres, de supprimer ceux qu’il juge inutiles, d’insister sur ceux qu’il estime plus importans. La nature est là ; sans qu’il puisse l’interpréter, il doit la reproduire telle qu’elle est devant lui. Son appareil est son maître ; il s’est substitué à sa personnalité. Mettez vingt photographes munis d’appareils identiques en présence d’un motif pareil, les vingt photographies obtenues seront elles-mêmes identiques. Qu’il s’agisse, au contraire, de vingt artistes, leurs vingt figurations seront différentes. Chacune d’elles exprimera en quelque manière l’individualité de son auteur, manifestera ses dons, ses qualités acquises, la part d’intelligence, de volonté et de talent qui lui appartient. L’un s’y montre timide, l’autre ardent et audacieux ; tel voit surtout les ensembles, tel autre les détails ; chez celui-ci, le dessin est correct, mais froid, insignifiant ; celui-là, à travers ses gaucheries, laisse découvrir des éclairs de génie ; tous ont la dose d’originalité qui leur est propre.

Pour des mouvemens lents, ceux d’un homme en marche, par exemple, la photographie instantanée donne des résultats relativement utilisables et logiques ; il n’en est pas de même pour des mouvemens brusques et rapides. Examinons, en effet, une série d’épreuves exécutées d’après les diverses phases du saut en avant : au début, les attitudes du corps penché pour l’élan initial annoncent franchement l’action ; mais déjà, vers le milieu de la course, le torse devient vertical et, à la fin du trajet, pour faire contrepoids, le corps et les bras sont rejetés en arrière, sans quoi, sous la forte poussée de la projection, le visage du sauteur irait forcément donner en terre. Entre ces trois étapes, on peut remarquer une série de positions intermédiaires, instructives au point de vue scientifique, puisque toutes sont motivées, mais très inégalement expressives au point de vue esthétique, les attitudes du début étant comme démenties par celles de la fin qui reproduisent inversement les premières, et par conséquent semblent indiquer une action absolument contraire. Encore ici, les observations, plus simples pour l’étude des mouvemens de l’homme, sont évidemment aussi plus faciles que pour ceux du cheval qui, dans des allures vives, comme le trot et le galop, présente des conditions d’équilibre plus compliquées, que notre œil a peine à percevoir et que la photographie instantanée enregistre très clairement. L’étrangeté de certains mouvemens qu’elle nous révèle déroute toutes nos habitudes et nous semble tout à fait invraisemblable. Supposons, en effet, une troupe de cavaliers décrivant vivement une courbe autour d’un axe. Les montures de ceux de ces cavaliers qui sont placées à l’extrémité mobile, animées d’une vitesse progressivement plus grande, sont obligées, pour conserver leur aplomb, de se pencher en dedans de la circonférence décrite afin de neutraliser les poussées de la force centrifuge qui les projetterait en dehors de cette circonférence. Si vrai que soit ce mouvement, il ne s’explique que par celui qui le précède et par celui qui le suit. A le considérer isolément, il est non seulement inexpressif, mais, au lieu de marquer l’action, il la contredit. Les cavaliers ainsi représentés, fixés dans un équilibre instable, ne galopent pas ; ils vont tomber. Il y a donc, pour l’artiste qui veut indiquer un mouvement, nécessité de choisir entre les attitudes consécutives, celles qui répondent le mieux à son intention, et comme les images qu’il nous offre sont immobiles, de ne s’arrêter qu’aux plus significatives, à celles qui produisent sur le spectateur une impression nettement définie.

L’intérêt de ces représentations instantanées, dont la prodigieuse rapidité dépasse la limite de nos sensations, est donc, on le voit, surtout scientifique. Elles suffiraient à prouver que le domaine de l’art est distinct de celui de la science. Sans doute, comme le disait déjà Platon, il n’y a pas d’art véritable qui ne s’appuie sur une science correspondante, et ; c’est de l’accord intime entre la pensée et ses moyens d’expression que procèdent les chefs-d’œuvre. Mais cet accord, volontairement consenti, a ses bornes ; il ne doit jamais aller jusqu’à l’esclavage. La machine inventée par l’homme répète automatiquement des opérations identiques ; il faut que le travail de l’artiste, au contraire, reste indéfiniment libre et varié, toujours approprié à ses intentions.

Avec la finesse de leur goût, les sculpteurs grecs de la belle époque n’admettaient, en général, que la représentation des corps au repos, ou animés de mouvemens peu rapides. Quand, par hasard, ils avaient à en figurer d’autres, leur instinct les invitait à ne représenter que des actions bien caractérisées. Dans les cavaliers et les montures des frises du Parthénon, les attitudes sont à la fois logiques et vraies ; elles s’expliquent toujours d’elles-mêmes et, sans qu’il soit besoin de commentaires, elles répondent admirablement aux convenances du sujet et au style des monumens où s’encadrent les œuvres des sculpteurs.

Il ne s’agit d’ailleurs que d’une vérité purement matérielle dans les différentes représentations que nous venons d’examiner Mais l’art, avec des visées plus hautes, aborde l’expression des sentimens les plus intimes dans ces nuances délicates que révèlent plus particulièrement les traits du visage. Regardez les photographies, celles du cinématographe par exemple, dans lesquelles d’habiles opérateurs ont cherché à en fixer les diverses manifestations. Ces images figées trahissent la contrainte et l’exagération : elles manquent de vie et de naturel. Dans la simulation de scènes dramatiques composées en vue du public, on sent la pose de comparses payés et dressés à cet effet. Au lieu de vous émouvoir, de pareilles représentations provoquent surtout une impression de ridicule. Chez les maîtres, au contraire, leur sensibilité plus affinée et leur esprit d’observation s’affirment par des traits expressifs qui trouvent en nous une profonde résonance. Léonard, que Goethe proposait comme « le type accompli de l’homme normal, » réunissait en lui, dans un harmonieux équilibre, les dons les plus rares de l’esprit et du corps. Avenant, bien tourné, bon cavalier, il obtenait de ses organes tout ce qu’il voulait. Doué d’une force peu commune, il brisait entre ses doigts une pièce de monnaie, et il avait acquis de ses mains une telle indépendance, une telle sûreté de mouvemens que, tenant dans chacune d’elles un crayon, il traçait en même temps deux inscriptions, l’une dans son vrai sens, l’autre à rebours, si pareilles cependant que les lettres superposées en transparence semblaient calquées l’une sur l’autre. Avec son intelligence très ouverte et son esprit très cultivé, il découvrait en toutes choses ces liens, ces correspondances secrètes qui échappent à la plupart. On a de lui des dessins de mains qui, même isolées, marquent d’une manière éloquente tous les sentimens humains : l’effroi, la colère, l’admiration, le désespoir, la tendresse ou le respect.

Vivant au milieu d’une race expansive, habituée à traduire au dehors toutes ses impressions, Raphaël avait appris d’elle à donner une signification précise à toutes les figures de ses compositions. Atténuant avec une mesure exquise les exagérations que lui offraient ses modèles, il arrivait, sans effort apparent, à exprimer clairement le caractère des nombreux personnages qui animent des œuvres décoratives aussi variées que l’École d’Athènes, la Dispute du Saint-Sacrement, le Parnasse ou le Miracle de Bolsena. Chez lui, le don d’imaginer était si excellent, la faculté de rendre ses conceptions servie par des moyens si merveilleux qu’on croirait qu’il a sous les yeux les scènes idéales évoquées par son génie et qu’il lui suffit de les copier.

Au dire de Camerarius[3], « la nature avait donné à Dürer un corps admirablement construit et équilibré, tout à fait en harmonie avec l’esprit éminent qu’il renfermait... On ne pouvait rien voir de plus élégant que ses doigts... Comment décrire la fermeté et la sûreté de sa main ? On jurerait qu’il a exécuté avec le compas et l’équerre ce qu’il exécutait simplement avec le pinceau, le crayon ou la plume... Son esprit gouvernait sa main, » et son habileté technique faisait l’étonnement de ses contemporains. En même temps que son portrait (Pinacothèque, de Munich) nous montre la beauté de son visage aux traits nobles et réguliers, il nous offre un spécimen de la perfection dont il était capable dans son exécution. Lors de son voyage à Venise, Durer fut l’objet des vives instances de Giovanni Bellini qui, croyant que pour peindre avec le fini prodigieux qu’il y mettait, les chevelures des personnages de ses tableaux, il employait des brosses spéciales, fabriquées pour lui à cet effet, le pressa de lui en donner quelques-unes. Pour le convaincre qu’il n’y avait là d’autre mystère que celui de son talent. Dürer dut, avec les premières brosses venues, peindre sous les yeux de son confrère italien les cheveux d’une de ces figures.

Cet accord étroit entre la personne de l’artiste et l’ensemble (le son œuvre, que nous venons de signaler chez Léonard de Vinci et Dürer, il serait facile de le constater également chez des maîtres tels que Raphaël, Titien, Véronèse, Rubens, van Dyck, Velazquez, Poussin et, de nos jours, jusque chez Ingres, Delacroix, Corot et bien d’autres encore. Ce ne sont pas là des rapprochemens arbitraires, imaginés complaisamment et après coup ; mais il semble, en vérité, que la pratique de leur art, chez eux si ardente, et en même temps si diverse, ait marqué de traits franchement accusés la conformité de leur ressemblance physique avec leur individualité artistique, et moulé en quelque sorte leur aspect extérieur sur le caractère même de leur génie.

Un maître qui, dans ses portraits, a profondément exprimé la personnalité de ses modèles et, dans ses compositions, les sentimens de ses figures, Rembrandt, nous révèle dans la suite de ses œuvres les recherches auxquelles il avait dû se livrer afin de se procurer l’éducation qu’il lui fallait à cet effet. De bonne heure il avait compris à quel point elle lui était nécessaire ; mais au début, ne disposant que de ressources restreintes pour son instruction, il ne pouvait songer à se trouver des modèles ailleurs que dans son proche entourage. C’est devant un miroir qu’il posait surtout lui-même, dans les costumes et les attitudes les plus variés, sous les éclairages les plus divers. Ses dessins, ses eaux-fortes, ses tableaux nous montrent les nombreuses effigies de sa propre personne, qu’il s’est plu à multiplier. Mais, on le comprend, la simulation des sentimens qu’il se propose d’exprimer ainsi manque tout à fait de naturel et leur représentation semble outrée, presque caricaturale. Peu à peu cependant, grâce à une observation plus pénétrante, il tempère cette grossièreté primitive et il en vient à traduire discrètement toutes les nuances de ces sentimens, à les indiquer d’un simple trait, si vrai, si juste, si saisissant que c’est la vie elle-même qui nous apparaît dans son œuvre, avec les acceptions infinies qu’elle comporte, toujours appropriées à son dessein, au caractère et à la condition de ses modèles, ou à l’état moral des figures qui animent ses compositions.

Ces exemples, et bien d’autres que nous pourrions ajouter ici, sont comme autant de preuves que l’art exige un travail incessant ; que de bonne heure l’artiste doit se donner son instruction professionnelle, à l’âge où ses organes ont encore leur souplesse et leur plasticité et que, toute sa vie, il lui faut conserver ce besoin d’apprendre, sans lequel il retomberait forcément dans les formules et les redites.


IV

De tout temps on a discuté sur la valeur relative des enseignemens que l’artiste doit recevoir avant de produire. Il appartenait à quelques esprits faux d’en nier à notre époque la nécessité ; de considérer l’ignorance comme le gage le plus sûr de toute originalité et de croire que l’absence de toute instruction professionnelle constituait un véritable progrès. Il fallait s’y attendre ; sur ce point, comme en tout ordre d’idées, c’est l’anarchie qui règne. Avec le nivellement par en bas, le flot montant des incapables ne pouvait manquer d’envahir une carrière qui, si elle est ouverte à tous, doit cependant rester une aristocratie.

Plus que jamais, il est d’usage de répéter que, de nos jours, l’enseignement artistique est suranné. Il est certain que, toujours donné par des hommes appartenant à la génération précédente, cet enseignement ne peut paraître à la jeunesse que suranné. Qu’il le veuille ou non, d’ailleurs, l’artiste n’est pas tout à fait libre vis-à-vis de son temps, ni vis-à-vis du passé : il est l’élève de quelqu’un, à moins qu’il ne se pose en élève de lui-même, c’est-à-dire comme le remarque finement Léonard, « d’un maître fort ignorant. » Il subit aussi, sans le savoir, l’influence des chefs-d’œuvre de tous les temps. Quel artiste d’ailleurs pourrait, dans la formation de son talent, faire lui-même la part exacte de tous les composans qui l’ont constitué, démêler de façon précise ce qu’il doit aux autres et ce qu’il a reçu de la nature ?

En matière d’enseignement artistique, avec des fortunes diverses, bien des modes et des courans successifs ont agi sur l’opinion. A la suite de la Renaissance, alors que l’Italie ne produisait plus de chefs-d’œuvre, elle commença à jouir d’un prestige croissant chez les nations du Nord. Dans les Flandres, un séjour plus ou moins prolongé au-delà des monts était regardé comme le complément obligé de toute éducation. Enrôlés en société, sous le nom de Bande académique, les peintres flamands vivaient entre eux à Rome et rapportaient ensuite dans leur patrie « les saines doctrines et les vrais principes du grand art. » Si l’on ne voit guère quelle action un pareil séjour a pu exercer sur le vieux Brueghel, on ne saurait méconnaître que les huit années passées par Rubens, en Italie, au sortir de l’atelier de van Veen, ont eu sur la direction de son talent et même de sa vie une influence très marquée. De même, van Dyck serait-il tout ce qu’il est, s’il n’avait pas frayé à Rome, à Gênes et à Venise avec les œuvres des maîtres du portrait et avec les grands seigneurs et les grandes dames qui ont alors posé devant lui ? En revanche, la fondation par Cornelis de Harlem, dans sa ville natale, d’une académie où « les vraies méthodes italiennes » étaient professées, ne paraît pas avoir sensiblement modifié les tendances, ni les qualités spéciales de l’École hollandaise dont peu de temps après Harlem devenait le principal berceau. Il convient d’ajouter que dans cette académie l’étude de la nature était en honneur, car c’est d’elle seule que procède le talent si original de Frans Hals, qui fut pourtant l’élève de Carel van Mander, un apôtre fervent du classicisme italien. Bien qu’il n’ait jamais quitté son pays, il n’est pas d’artiste qui, plus que Rembrandt, se soit entouré d’œuvres italiennes, tableaux, gravures ou dessins, ni qui les ait plus admirées, plus copiées, et qui soit cependant resté aussi original et aussi franchement hollandais. Dans notre école enfin, Poussin et Claude Lorrain, tout en conservant leur physionomie bien française, trouvaient à Rome leur patrie d’adoption, et en même temps qu’ils nous révélaient l’Italie, ils s’y révélaient à eux-mêmes.

En présence d’effets aussi contradictoires, il est bien difficile, on le voit, de généraliser en des questions si délicates. Mais, quand il repasse avec une entière sincérité les diverses phases de sa carrière, l’artiste est forcé de reconnaître que, de toutes les influences qui ont pu agir sur lui, l’étude de la nature a été la véritable cause de son développement et de ses progrès. Après qu’il a acquis les premiers élémens de la technique de son art, cette étude seule peut faire son originalité ; c’est d’elle que, livré à lui-même, il tire les bénéfices les plus directs et les enseignemens les plus féconds.

Sans doute, le choix d’un maître ne saurait être indifférent ; mais les plus grands artistes ont été rarement les meilleurs maîtres. Il faut déjà posséder quelque savoir pour profiter de leurs leçons. L’histoire nous apprend aussi qu’à raison de leur supériorité même, ils sont d’habitude trop absorbés par leur propre production pour se consacrer, avec la suite et le dévouement qu’il y faudrait, à l’éducation de leurs élèves. Parfois aussi, loin d’encourager l’indépendance de ceux-ci, ils cèdent à la tentation bien naturelle, — Raphaël et Rubens en sont des exemples frappans, — de faire d’eux leurs collaborateurs. Même avec des maîtres qui s’efforcent de respecter leur liberté, ces élèves, — ainsi qu’il arriva à ceux de Léonard et de Rembrandt, — sont souvent incapables de se soustraire à un ascendant qu’ils subissent involontairement.

Au début, la direction d’un homme connaissant bien son métier, consciencieux, insistant sur les élémens essentiels et attaché à ses élèves, leur est souvent plus utile. Avant de se proposer d’écrire un livre, il faut avoir appris l’orthographe, et ce n’est pas chez les professeurs des Facultés qu’on va chercher cet enseignement. Combien ont traîné toute leur vie l’amer regret de ne s’être pas donné de bonne heure une connaissance suffisante des premiers principes de leur art, connaissance qu’il devient pour eux impossible de se donner plus tard ! D’ailleurs, même dans les ateliers les plus réputés, ceux qu’y attire un sincère désir de s’instruire, profitent surtout de cet enseignement mutuel que leur vaut la fréquentation de camarades mieux doués qu’eux ou plus avancés dans la pratique de leur art.

On a beaucoup et depuis longtemps accusé l’Académie d’avoir à l’École des Beaux-Arts un enseignement officiel et d’imposer à ceux qui le reçoivent des doctrines exclusives, qui paralysent chez eux toute initiative. C’est là un vieux cliché que bien des gens ne se lassent pas de répéter, sans s’inquiéter aucunement de sa valeur. Remarquons tout d’abord que si l’enseignement de cette École est très recherché, — et le nombre de ceux qui en désirent l’accès le prouve assez, — personne n’est obligé de le subir. Les professeurs, du reste, n’appartiennent pas tous à l’Académie, et celle-ci, dans son propre recrutement, — il suffit de consulter la liste de ses élections récentes pour s’en convaincre, — témoigne de plus en plus d’une impartialité et d’un éclectisme absolus. Sans demander à ceux qu’elle choisit d’où ils viennent, elle accueille avant tout les talens qui lui semblent faire le plus d’honneur à notre école. Elle ne connaît d’ailleurs entre ses membres d’autres liens que ceux d’une affectueuse confraternité.

Il est vrai qu’autrefois, à certaines époques, le despotisme de quelques-uns des artistes qui ont fait partie de l’Académie, surtout dans la section de peinture, a pu peser sur les enseignemens qu’ils patronnaient plus ou moins directement. Depuis Le Brun jusqu’à Ingres, on en citerait facilement des exemples. Mais même à ces momens d’intolérance, il n’a jamais manqué, en France, de maîtres originaux pour se soustraire à de semblables contraintes et forcer eux-mêmes les portes de l’Académie. Watteau, Chardin et Fragonard lui ont appartenu, et à côté d’Ingres, si jaloux de son autorité, il convient de rappeler que Delacroix fut comme lui de l’Institut et que, sans avoir jamais ambitionné le titre de chef d’école, il groupait cependant autour de son nom toute la jeunesse ardente qui allait provoquer l’éclosion de l’art moderne. En dépit de l’exclusion systématique, qui trop longtemps interdit aux premiers de nos paysagistes l’accès des Salons, ceux-ci ont triomphé de tous les obstacles, et l’on ne saurait oublier que Corot proclamait hautement tout ce qu’il devait à la fréquentation et aux conseils de purs académiques, tels que Michallon, Bertin et Aligny ; on sait aussi que Rousseau, après avoir suivi l’atelier de J. Rémond, faillit avoir le prix de Rome.

Les programmes des concours de l’Église des Beaux-Arts et de la Villa Médicis donnés par l’Académie témoignent également de cet esprit nouveau de largeur et d’éclectisme. Le temps n’est plus où les logistes avaient à s’escrimer sur des sujets prétentieusement empruntés à l’histoire ou à la mythologie, et dont le pédantisme et le ridicule égalaient l’insignifiance. Désormais les sujets proposés aux concurrens sont choisis à raison même de leur simplicité, de la diversité des acceptions qu’ils peuvent leur présenter et, par conséquent, de la facilité qu’ils offrent à chacun de montrer ce dont il est capable. Pourquoi ne pas le dire d’ailleurs ? On est trop disposé à exagérer la portée de ces épreuves ; à exiger des jeunes gens qui y prennent part un niveau que d’ordinaire ils ne sauraient atteindre. Ce ne sont là, à le bien prendre, que des élèves déjà pourvus d’une certaine habileté, pour lesquels les succès de ces concours équivalent à ce que sont pour les lettrés le baccalauréat ou la licence ; ils ne permettent guère de préjuger leur avenir, et n’autorisent aucunement les espérances, si souvent déçues, qu’il est possible de concevoir pour eux.

Il n’en est pas tout à fait de même des envois des pensionnaires de la Villa Médicis qui proviennent, en général, d’hommes déjà faits, émancipés de toute tutelle, choisissant à leur gré, suivant leurs aptitudes ou leurs caprices, les sujets qu’ils veulent traiter, ayant aussi tout le loisir pour exécuter leurs compositions. Depuis longtemps il est de bon goût, et c’est même comme une marque de libéralisme de la part de la critique, de battre en brèche à ce propos l’Académie. Alors que les nations étrangères s’appliquent successivement à fonder à Rome des institutions analogues, on demande chez nous la suppression de la Villa Médicis, sa cession soit à l’Italie, soit à l’ambassade de France qui convoitent également la possession de cet admirable palais.

Dans une enquête ouverte assez récemment par certains journaux, des consultations furent demandées à ce sujet, et, comme on s’adressait surtout aux ennemis déclarés de la maison, on aurait pu prévoir à l’avance leurs réponses. Il y a cependant quelque intérêt à connaître les raisons données par eux à l’appui de leur opinion. Elles montrent chez presque tous une partialité évidente, peut-être involontaire, car peu d’entre eux se sont donné la peine d’étudier une question qu’ils ne connaissaient pas. La plupart s’imaginent que l’Académie conserve sur les pensionnaires élus par elle quelque autorité. Il y a bel âge que ceux-ci ne doivent plus être considérés comme des élèves auxquels elle pourrait prescrire des doctrines que les directeurs auraient pour mission de faire observer rigoureusement. Ainsi qu’on peut le voir en parcourant la correspondance de ces directeurs avec les Surintendans des Bâtimens, il ne s’agissait pas seulement autrefois d’une pression morale exercée sur les pensionnaires et à laquelle ils devaient céder. La menace d’un emprisonnement de plusieurs mois au For-l’Evêque pouvait, au besoin, servir de sanction, pour mettre à la raison les récalcitrans. Mais les choses ont bien changé depuis lors. En même temps que la composition même de l’Académie des Beaux-Arts, la façon dont elle comprend le rôle qui lui est dévolu, exclut désormais toute idée d’une doctrine officielle imposée par elle aux pensionnaires de la Villa Médicis. Ses rapports avec eux se réduisent à l’appréciation tout à fait platonique de leurs envois annuels, et à la surveillance de plus en plus illusoire du règlement qui devrait les régir et dont, malgré sa douceur croissante, certains de ces pensionnaires réclament périodiquement l’abrogation. Et cependant de quelles contraintes ont-ils encore à se plaindre ? L’action d’un directeur, quel qu’il soit, sur les travaux des pensionnaires est absolument nulle : son rôle est purement moral. S’il a su, par l’affection qu’il leur montre, gagner la confiance de ces jeunes gens, tout au plus parviendra-t-il à leur faire accepter quelques conseils sur la conduite de leur vie, à les défendre contre les entraînemens auxquels ils sont exposés, et à faire valoir auprès d’eux les précieuses ressources qu’ils trouvent réunies pour leur instruction pendant leur séjour à Rome, au milieu d’une nature admirable, entourés, comme ils le sont, de chefs-d’œuvre de toute sorte. C’est déjà là une tâche assez utile et qui exige de rares qualités de tact et de dévouement.

Sans pouvoir compter sur le respect et la reconnaissance de ses pensionnaires, leur directeur doit se consacrer tout entier à leur service. Certes, il en est encore parmi eux qui sont sérieux et pleins de conscience, qui comprennent les devoirs de leur situation et les nombreux avantages qu’elle leur offre. Mais combien d’autres, au contraire, à peine arrivés à Rome, s’insurgent, se syndiquent contre toute autorité, réclament comme un droit l’abolition de tout travail réglementaire, la faculté de se marier, celle de voyager, où il leur plaît et quand il leur plaît, à travers l’Europe, sans être astreints à aucun séjour à Rome ; et surtout l’augmentation de leur pension, alors que des donations nombreuses faites en leur faveur, dans toutes les sections que comprend l’Académie de France, ont notablement amélioré leur situation pécuniaire, soit pendant leur séjour en Italie, soit à leur retour à Paris. La Villa Médicis, telle qu’ils la conçoivent, avec l’introduction des femmes et celle des ménages qui y seraient installés, avec le droit de s’absenter octroyé sans raison valable, deviendrait une sorte d’hôtel garni, très inégalement occupé, rarement rempli. Au charme de la vie commune, et des travaux variés, aux nobles émulations et aux franches camaraderies qu’on y trouvait, succéderaient bien vite les fâcheuses aventures et les étranges promiscuités auxquelles un pareil régime ne manquerait pas d’aboutir.

Pourquoi ne pas le dire ? c’est surtout parmi les élèves peintres que ces dispositions à la révolte ont pénétré. Certains d’entre eux ne songent même pas à ouvrir les yeux aux belles choses qui sont à leur portée : ils louchent sur Paris, sur les Salons, sur les marchands. Ils font à Rome ce qu’ils feraient bien mieux à Montmartre. Préoccupés à’ affirmer leur personnalité avant qu’elle existe, bien plus que de la mériter par leur travail, désireux avant tout des succès rapides, la vanité les aveugle et leur fait oublier les engagemens formels qu’ils ont pris vis-à-vis de l’État. On a vu l’un d’eux, il y a quelques années, — et ce trait marque assez l’esprit d’indiscipline de quelques-uns, — au mépris d’une disposition positive du règlement, ouvrir à Rome un atelier public. Sur l’observation venue de Paris que cet acte lui était absolument interdit, il objectait, avec une désinvolture charmante, qu’à raison des relations cordiales établies depuis peu entre la France et l’Italie, il lui avait paru convenable de faire profiter cette dernière de nos méthodes d’enseignement. Aux prises avec une présomption si candide, l’Académie ne pouvait que prescrire la fermeture immédiate de l’atelier ouvert par un pensionnaire aussi oublieux de ses devoirs.

D’une manière générale d’ailleurs, on a pu, d’année en année, constater un abaissement graduel de niveau dans les envois de nos peintres, triste conséquence de cet esprit d’anarchie et de révolte qui aujourd’hui souffle presque partout où il y a des hommes assemblés. Pendant un séjour assez long fait à Rome, en 1852, j’ai pu, grâce à des relations affectueuses nouées avec les pensionnaires de la Villa Médicis, pénétrer alors dans l’intimité de quelques-uns et bien connaître leur vie. Que de charme elle avait pour eux, paisible et bien remplie comme elle l’était ! Plus tard, dans leurs lettres ou leurs conversations, ils ne cessaient pas d’en vanter les douceurs, de dire tout ce qu’ils devaient à une période qu’ils considéraient comme la plus heureuse de leur carrière. Libres de toute préoccupation matérielle, — et pour beaucoup c’était la première fois qu’ils goûtaient cette fortune, — ils profitaient avec ardeur de toutes les ressources offertes libéralement à leur instruction. Ils trouvaient légères les quelques obligations professionnelles auxquelles ils s’étaient engagés et mettaient leur conscience à s’en acquitter de leur mieux, au moment prescrit. Les journées étaient consacrées au travail, à la fréquentation des musées, des palais, des églises, aux études d’après nature faites dans les villas voisines ou dans la Campagne romaine. Le soir, dans quelque atelier, les heures s’écoulaient rapides en longues discussions mêlées de folles plaisanteries ; ou bien, groupés autour du piano d’un musicien, ses camarades étaient initiés par lui aux œuvres des grands maîtres. On échangeait ses idées, ses confidences, ses projets d’avenir, avec la chaleur juvénile d’artistes épris de leur art, pleins d’admiration pour les chefs-d’œuvre qu’il a produits. Les visites des membres de l’École d’Athènes, — l’hospitalité a toujours été largement pratiquée entre les deux Écoles, — les souvenirs de voyages faits ensemble, apportaient à ces réunions un appoint d’intérêt également fécond pour les uns et les autres. On se retrouvait à la table commune, aux réceptions du directeur, dans les salons des ambassades où l’on côtoyait l’élite de la société cosmopolite de passage et de la colonie étrangère fixée à Rome. Tout cela faisait alors de la Villa Médicis un merveilleux foyer de culture mutuelle, d’amitiés vivaces et d’aspirations élevées.

Depuis, en revenant à diverses reprises à Rome, j’ai eu l’occasion de constater un changement graduel dans les mœurs et les habitudes des pensionnaires. Bien mieux partagés cependant que leurs prédécesseurs, ils ont aujourd’hui des exigences que ceux-ci n’avaient pas connues. Oublieux des avantages qui leur sont offerts et impatiens de toute règle, ils ne cessent pas de poursuivre l’Académie de leurs requêtes. N’ayant d’autre désir que de donner satisfaction à celles qui lui paraissent légitimes, celle-ci les examine avec bienveillance, essayant, comme c’est son devoir, de maintenir quelques restes d’une discipline que des abus notoires ont peu à peu compromise et qui n’a pourtant d’autre but que d’assurer à ces jeunes gens les bénéfices de la situation privilégiée qui leur est faite. A leur départ de Paris, ils ont accepté le règlement, très large d’ailleurs, auquel ils seront soumis ; à peine arrivés à Rome, ils entendent en violer à leur aise toutes les prescriptions. Avec un minimum de devoirs, ils réclament pour eux tous les droits.

Les pensionnaires de la Villa Médicis devraient sérieusement y réfléchir : c’est d’eux seuls que dépendent le sort et l’existence même de cette noble maison d’où sont sortis tant d’artistes éminens qui, au siècle dernier, ont fait l’honneur de notre pays. Qu’ils regardent, d’ailleurs, l’École d’Athènes et, tout près d’eux, l’École française du palais Farnèse, pour lesquelles ces questions de discipline n’existent même pas ! Qu’ils prennent exemple sur ces camarades, certainement moins favorisés qu’eux à bien des égards, mais qui, sentant tout le prix de ces années de préparation et de recueillement, si décisives pour leur carrière, ne demandent qu’à leur travail d’assurer leur avenir et la dignité de leur vie.


V

Mais l’éducation de l’artiste n’est pas seulement l’œuvre de sa jeunesse ; elle doit durer toute sa vie. Toujours en route vers la perfection, c’est un devoir pour lui de ne se croire jamais arrivé. Bien mieux que tous les maîtres d’ailleurs, ses efforts personnels peuvent suppléer aux lacunes de son instruction. Ce n’est qu’en cultivant sans relâchée son intelligence et en fortifiant sa volonté qu’il lui sera possible de le faire. Une grande activité matérielle est malheureusement compatible avec une certaine paresse d’esprit, car il ne s’agit pas seulement pour le peintre de se remettre chaque jour à la tâche de la veille, en se contentant de vivre sur le fond déjà acquis ; ce fond doit être incessamment accru, renouvelé par l’artiste, et il n’y a pour lui de travail véritablement efficace que celui auquel il apporte toutes ses forces vives. Même pour se maintenir à un certain niveau, il est nécessaire qu’il peine et, s’il n’avance pas, il recule.

Faite par des hommes et pour des hommes, la peinture n’est pas l’art de ce qui est, mais de ce qui paraît. Elle s’inspire des réalités existantes, elle ne les crée pas : elle est à la fois quelque chose de moins et aussi quelque chose de plus que la nature, puisqu’elle ne saurait jamais la contenir tout entière, mais qu’elle se propose, dans les images qu’elle nous offre, d’en dégager les traits essentiels, d’en manifester la beauté, d’éveiller en nous les mystérieuses consonances de l’univers avec notre être intime. Comme l’a dit Newman, en effet, « la nature n’est pas sans âme : sa tâche quotidienne respire l’intelligence ; elle obéit à des ordres reçus. » Nous ne voyons pas cette âme qui sourdement agit sans relâche dans l’univers ; mais à certains momens privilégiés sa beauté rayonne ; elle nous émeut, elle laisse en nous des impressions ineffaçables. Jusque dans ses écarts extrêmes et dans les aspects qui nous semblent les plus incohérens, les lois qui la régissent sont impérieuses. Ce n’est pas au hasard que les nuages naissent, croissent ou se dissipent dans l’immensité du ciel. Leur répartition, leurs formes variées, leurs colorations, leur éclairage sont réglés par des lois. De même, en présence de la mer furieusement soulevée par la tempête, vous pourriez croire que les vagues dressées les unes contre les autres se heurtent, se brisent dans une confusion inexprimable. Et cependant, pour qui sait voir, un ordre et un rythme formels président à ce tumulte des élémens déchaînés. Le peintre qui n’aurait pas su en découvrir la logique cachée, au lieu d’émouvoir le public, n’arriverait qu’à le froisser par des images dépourvues à la fois de pondération et de mesure.

De notre délicatesse morale et de la liberté d’esprit qu’elle nous procure dépendent la fraîcheur et la force de nos impressions en face de la nature. Si parfois ses plus beaux spectacles nous laissent indifférens, parfois, au contraire, ses aspects les plus modestes nous révèlent des beautés auprès desquelles nous étions souvent passés sans les découvrir. C’est à maintenir en lui cet équilibre, cette finesse de sensibilité, cette possession entière de soi-même que l’artiste doit s’appliquer, pour se mettre en valeur, pour voir beau, pour obtenir les confidences que la nature réserve à ses fidèles, à ceux qui, en sachant tout le prix, s’efforcent de les mériter. Et ce n’est là encore qu’un effort initial qui ne produira ses fruits que s’il est vaillamment poursuivi, car sentir est en somme peu de chose pour l’artiste au prix de tout ce qu’il lui faut pour produire.

En présence des ressources infinies de la nature, il ne dispose que de moyens très limités pour donner quelque idée de sa richesse et de sa merveilleuse diversité. Mais avec ces pauvres moyens, les maîtres sont parvenus à manifester, à faire partager aux autres ce qu’ils ont senti, en évoquant en eux les souvenirs vivans de la réalité, en la mettant pour ainsi dire sous leurs yeux dans des images plus saisissantes que cette réalité elle-même, puisqu’elles n’en offrent que les traits vraiment significatifs, ceux qui en expriment le mieux la poésie et la beauté. Et pour obtenir de tels résultats, il ne suffit pas d’un art accompli, il faut encore que cet art s’efface et ne paraisse pas. C’est, en effet, le charme suprême des chefs-d’œuvre que rien n’y trahisse l’effort ; que tout y semble facile et spontané, comme dans la nature elle-même.

De tous les moyens dont dispose la peinture, la composition est le plus intellectuel. C’est cependant là un élément d’expression trop négligé à notre époque. Répudiant avec raison les formules et les recettes factices du style noble, bien des artistes en sont venus à croire qu’il n’y avait aucune place à faire dans leurs œuvres à la composition. Au lieu de tableaux, beaucoup pensent qu’il suffit d’offrir au public « des tranches de la nature. » Nous avons insisté ici même sur ce point[4], en essayant de montrer que, dans les plus simples sujets, la composition doit intervenir avec le rôle important qui lui appartient, puisqu’elle est le fondement même de toute œuvre artistique, qu’elle en manifeste, dès le premier abord, la construction. l’ordre, le caractère et les proportions. Que sont aujourd’hui, pour le plus grand nombre, de telles préoccupations, sinon les restes méprisables d’un art qui a fait son temps ? On laisse ces choses au hasard ; ou bien par la puérilité des motifs, par leur insignifiance et la gaucherie avec laquelle ils sont traités, il semble qu’on veuille défier l’opinion en montrant bêtement les choses les plus bêtes. Les ambitions se sont rapetissées à plaisir. Sous prétexte de naïveté, on recommence, avec l’ingénuité en moins, les premiers bégaiemens de l’art, et l’on tire gloire d’une ignorance que l’on considère comme la plus précieuse garantie de sincérité.

Et il en va de même du dessin, du modelé, de l’effet, de la couleur, en un mot de toutes les qualités qui ont fait le mérite des maîtres. A grand tapage de réclames, les impuissances sont proclamées des forces, et il n’est pas d’infirmités qui ne puissent devenir des titres de gloire. La bonne exécution est une tare : sans en comprendre la valeur, on la confond dans une pareille réprobation avec la calligraphie de ces finisseurs à outrance dont la vaine habileté n’a rien à voir avec l’art. Comme si, par la souplesse et la diversité qu’elle doit se proposer d’atteindre, l’exécution ne répondait pas à la prodigieuse variété de la nature, et ne constituait pas, quand elle est subordonnée à l’expression, un des moyens d’action les plus puissans de la peinture. C’est par elle que les moindres objets décrits par un La Fontaine, figurés par un Brouwer ou un Chardin, deviennent intéressans et attestent la distinction que ces maîtres ont apportée dans les sujets les plus humbles. Sous ce rapport, les Hollandais sont admirables. S’il n’est pas possible de pousser plus loin qu’ils n’ont fait le fini d’un tableau, personne n’oserait dire que chez un Ter Borch, par exemple, ce fini soit excessif, qu’il n’ajoute pas un charme singulier à des productions qui, sans lui, paraîtraient insignifiantes.

L’éducation de l’artiste, on le voit, doit porter sur toutes les parties de son art. En présence des difficultés si complexes qu’offre la pratique de cet art, c’est donc un devoir pour celui qui s’y adonne de défendre sa vie et de la bien conduire. Autrefois, sur ce point, la tâche était plus facile. Les existences étaient plus simples, plus dégagées de besoins et de devoirs également factices. Moins nombreux, les artistes étaient aussi moins en vue. Dans la demi-obscurité, quelquefois même dans l’anonymat où ils restaient volontiers confondus, le travail était alors leur seule préoccupation. Traitant d’abord exclusivement des sujets religieux, ils s’appliquaient surtout à manifester leur foi dans leurs œuvres. C’est par la prière que Fra Angelico préludait à son travail, et il y mettait toute son âme. Les productions de tels artistes étaient un objet d’édification pour ceux qui les possédaient.

Par la suite, obéissant déjà à des mobiles moins élevés, ils aimaient cependant assez leur art pour se consacrer à lui tout entiers. Leur apprentissage était long, mais patrons et élèves formaient comme une même famille, conservaient un sentiment profond de leur dignité. En même temps que les convictions sont devenues moins vives, le domaine de l’art s’étant agrandi, ses ressources techniques atteignaient leur complet développement. Une hiérarchie fondée sur le talent et tacitement consentie par tous s’établissait entre eux. Ceux qui par leur supériorité attiraient l’attention, se distinguaient aussi, en général, par une intelligence plus étendue, plus cultivée. Sortis de la domesticité, ils devenaient les favoris des rois, frayaient avec les grands seigneurs ; mais, avec un soin jaloux, ils réservaient à l’exercice de leur profession la meilleure part de leur temps. Michel-Ange et Raphaël chargés des missions les plus hautes ne les acceptaient qu’à regret ; plus tard, Rubens et Velazquez, qui s’en acquittaient de leur mieux, avaient hâte de reprendre leurs pinceaux, dès qu’ils le pouvaient. Poussin, de son côté, refusait les situations très enviées qui lui étaient offertes, afin de garder sa liberté, il considérait comme des importunités la richesse et les honneurs qui l’auraient détourné de sa vie modeste et indépendante.

Ces sacrifices, ces résistances aux suggestions de l’amour-propre et de la fortune sont à notre époque plus rares et plus méritoires. Il faut à un artiste quelque courage pour s’y décider. Les existences d’aujourd’hui sont, en effet, plus agitées : à la fois remplies et vides, à raison des soi-disant nécessités dont nous les compliquons. On a hâte de se distinguer, de sortir de la foule pressée des concurrens. Un grand succès, prématurément obtenu, est dangereux, difficile à soutenir. Au lieu des efforts plus décisifs auxquels il devrait obliger, on se relâche peu à peu des exigences sévères qu’on montrait d’abord. On veut occuper le monde de sa personne, s’attirer des applaudissemens, être du Tout-Paris. On envoie dans les innombrables Expositions ouvertes de tous côtés des œuvres faites hâtivement, en vue d’attirer l’attention. Il faut aussi soigner la presse qui fait les réputations, fréquenter les salons officiels où se donnent les commandes, se créer des relations mondaines. Que de journées perdues ! que de veilles dans lesquelles l’artiste, sans compter, dépense son temps et parfois sa santé ! Et le lendemain, quand fatigué, inerte, il se retrouve dans son atelier, en face du tableau commencé, quelles pensées, quels souvenirs viennent l’obséder pour le détourner d’un travail auquel il n’a plus à donner qu’un esprit distrait et une volonté flottante ! Mécontent de lui-même, dégoûté de ce qu’il fait, il devient incapable de se reprendre. Le voilà bientôt à la dérive, entraîné par un courant qu’il ne peut plus remonter. Il ne s’appartient plus ; il est perdu pour son art.

Qu’on le croie, il ne s’agit pas ici de vaines déclamations, mais bien de faits positifs, puisque les exemples de tant de carrières manquées abondent autour de nous. Combien ont ainsi gâché leur vie, les dons qu’ils avaient reçus, et se sont laissé envahir par des préoccupations malsaines, destructrices de tout travail sérieux et suivi ! Et cependant, notre époque n’est pas plus déshéritée que d’autres ; les hommes n’y naissent pas moins intelligens, moins doués par la nature. Beaucoup avaient le droit de viser plus haut, qui se sont arrêtés à mi-chemin, pour ne s’être pas retirés à temps de cette société fiévreuse, haletante, qui a fait avorter tant de vocations pleines de promesses à leurs débuts. Pour n’avoir pas su résister aux tentations de toute sorte qui venaient les assaillir, ils ont succombé, sans comprendre que la conduite de la vie est aussi un art, le premier de tous, celui dont on n’enfreint pas impunément les règles.

Est-ce à dire que l’artiste doive rester en dehors de son temps et de son pays, pour se complaire dans un stérile égoïsme ? Nous sommes loin de le penser et nous ne saurions oublier qu’à côté de son art et dans cet art même il a des devoirs à remplir ; vis-à-vis de ses confrères, en particulier, car s’il arrive à une situation éminente, il doit les soutenir, les guider par ses conseils, les assister au besoin par un légitime emploi de l’influence qu’il a conquise, et il se doit à lui-même de développer en lui tous les nobles sentimens qui peuvent ouvrir son âme et son esprit. Dans une existence bien ordonnée, on trouve du temps pour tout. A côté du travail, la famille, les amitiés, la lecture, les voyages, toutes les distractions que peuvent procurer les autres arts doivent aussi avoir leur part. Toutes ces satisfactions élevées ont leur prix, toutes peuvent profitera l’artiste : ni la richesse, ni les honneurs ne sauraient les remplacer.


EMILE MICHEL.

  1. D’une modestie ombrageuse, Lemud n’a jamais consenti à sortir d’une retraite et d’une obscurité qui, avant tout, lui étaient chères. C’est en consultant son œuvre complet réuni au Cabinet des estampes par le comte H. Delaborde et Georges Duplessis, successivement conservateurs de ce précieux dépôt, qu’on peut, d’après des lithographies comme Hélène Adelsfreid, Maître Wolframb, le Retour des cendres de l’Empereur ; d’après des compositions telles que celles faites pour les Chansons de Béranger ; et d’après la gravure du Beethoven, conçue et exécutée par lui, qu’on peut, dis-je, se faire une idée de la haute valeur d’un tel artiste.
  2. Voyez la Revue du 15 février 1893.
  3. Préface de sa traduction du Livre des Proportions de Dürer, p. 366 et suiv.
  4. Les Paysagistes et l’étude d’après nature, dans la Revue du 1er juillet 1906.