DE
L’ALIMENTATION PUBLIQUE

LA VITICULTURE ET LA MALADIE DE LA VIGNE.



La maladie singulière qui, depuis 1846, sévit sur les vignobles des diverses contrées du globe, sera certainement comptée comme une des crises les plus graves qu’ait traversées l’agriculture au xixe siècle. De 1846 à 1855, cette maladie se développe avec une intensité redoutable ; elle prend les proportions d’un véritable désastre, excite les vives préoccupations des viticulteurs français, et amène la ruine de quelques-uns. En 1855, le mal semble s’arrêter, et un moment on le croit disparu. En 1856 cependant, la fatale invasion est de nouveau signalée sur plusieurs points de la France. L’oïdium reparaît, dès le 20 avril, dans toute l’étendue des départemens de l’Hérault et de l’Aude. On constate sa présence, quelques jours après, dans les Bouches-du-Rhône. La maladie toutefois n’atteint qu’un petit nombre de cépages, et l’Orléanais, l’Anjou, la Côte-d’Or, les Charentes, la Champagne, épargnés sous ce rapport, auront moins à souffrir des atteintes du redoutable parasite que des fâcheux effets des gelées et de la coulure.

Existe-t-il un moyen de combattre efficacement les progrès de la maladie du raisin ? Et si ce moyen existe, quels résultats peut-on en attendre ? Telle est la question qui se reproduit aujourd’hui avec une opportunité nouvelle, et que nous voulons examiner ici ; mais, pour en bien poser les termes, peut-être convient-il de remonter à l’origine de la maladie même. Il faut montrer dans quelle mesure son ac tion s’est étendue depuis dix ans ; il faut exposer en même temps les théories qu’elle a provoquées, les idées divergentes qu’ont émises sur la nature du fléau les savans et les agriculteurs. On comprendra mieux sur quelles bases solides s’appuient l’opinion qui a prévalu et le traitement qu’il s’agit d’appliquer.

I.

C’est sans contredit une circonstance bizarre que l’affection particulière à la vigne nous soit venue de l’Angleterre, pays dépourvu de vignobles, et où la production du raisin résulte en quelque sorte d’une culture forcée, à l’aide d’un climat artificiellement obtenu dans des serres chaudes ; mais c’est précisément aux conditions peu naturelles de la culture forcée dans les serres que l’on doit attribuer l’une des principales influences favorables au développement extraordinaire du végétal parasite qui a si brusquement envahi nos vignobles. Dans les serres en effet se trouvent réunies les conditions de température douce et d’humidité constante qui conviennent à la végétation d’une foule de mucédinées, de champignons, et particulièrement à la fructification du parasite de la vigne.

Observé pour la première fois dans les serres de Margate, sous l’aspect de légers filamens blanchâtres, par M. Tucker, jardinier, qui reconnut son action pernicieuse sur les raisins, et par le révérend Berkeley, savant botaniste, qui détermina sa véritable nature, l’oïdium tuckeri (ainsi qualifié du nom même de M. Tucker) n’a pas sans doute été créé de nos jours, et n’est pas né spontanément : il devait exister depuis les temps anciens. On trouve dans Pline une description de ses formes, de ses effets, et des conditions météorologiques qui excitent son développement. Elle peut du moins s’appliquer au végétal microscopique qui s’est montré plus désastreux et a pu être mieux étudié de nos jours[1]. Si, comme le dit Pline, « le mal se produisant par une température humide et douce, le fruit se trouve attaqué et comme absorbé sous l’étreinte de filamens comparables à des toiles d’araignée, » il faut convenir que l’invasion d’auourd’hui, par les apparences et les résultats, ressemblerait fort à la maladie d’autrefois. Sans remonter si haut, l’existence dans plusieurs pays de cryptogames analogues à l’oïdium tuckeri paraît aujourd’hui un fait acquis. M. le docteur Montagne, l’un de nos plus savans mycologues, a remarqué dans deux erysiphes[2] décrits par M. L. D. Schweinitz, botaniste qui a longtemps séjourné en Amérique, une grande analogie avec l’oïdium tuckeri. Or on sait que cette dernière cryptogame est considérée comme un érysiphe par M. Tulasne, membre de l’Académie des Sciences[3].

Quoi qu’il en puisse être de l’origine du mal de la vigne, aucune tradition ne nous est parvenue qui nous autorise à croire que dans les temps antérieurs à notre siècle, aussi loin qu’il soit possible de se placer, ce mal singulier ait jamais acquis les proportions d’un véritable fléau qu’il a si rapidement prises de nos jours. « On ne sait rien de positif, lisons-nous dans un rapport adressé en 1852 au ministre de l’agriculture[4], sur l’époque précise à laquelle les vents jetèrent les spores du fatal oïdium sur le continent; mais, circonstance notable, on le vit en 1847 d’abord dans les cultures forcées des environs de Paris, d’où il passa bientôt sur les treilles, comme il avait fait en Angleterre. » En Angleterre cependant, le mal ne pouvait s’étendre, l’aliment lui devait manquer presque aussitôt. Il en fut tout autrement chez nous, et, peu de temps après, sur tout le continent; on le vit surgir à la fois en 1848 à Versailles, à Suresnes dans les serres du baron de Rothschild, en Belgique dans les serres chaudes et sur les treilles; il commençait dès lors à se répandre sur les vignes de pleine terre. En 1849, il affectait encore une préférence marquée pour les cultures des vignes en serres chaudes du nord de la France, mas il s’étendait par degrés sur les treilles et les vignes des champs.

Dans cette même année 1849, la Société centrale d’Agriculture de Paris était pour la première fois saisie, par une communication du docteur Montagne, de l’étude de cette importante question, qu’elle a depuis poursuivie sans relâche, et qui s’est élucidée dans son sein, grâce aux travaux de ses membres et correspondans, en particulier de MM. Montagne, Bouchardat, le révérend Berkeley, Pépin de Mortemart, Mares et le comte Odart. À cette époque, la Société centrale apprenait de M. Bonnet l’invasion de la maladie dans le département du Doubs, et constatait la présence de l’oïdium sur les ceps envoyés par ce correspondant. A peine pouvait-on alors observer les premières traces de son apparition dans le midi de la France. J’avais l’occasion de faire connaître à la Société d’Agriculture plusieurs moyens de combattre la maladie, notamment l’agent le plus efficace de tous, la fleur de soufre, employée avec succès d’abord par M. Kyle aux lieux mêmes où la redoutable affection des vignes semblait avoir pris naissance, et administrée plus facilement en France à l’aide d’un simple et ingénieux ustensile proposé par M, Gontier, horticulteur à Montrouge près Paris.

Ce fut seulement en 1851 que la maladie de la vigne prit tout à coup une immense extension et exerça de grands ravages. En même temps qu’elle se répandait en France, elle se manifestait à peu près simultanément en Algérie, en Espagne, en Italie, en Syrie, dans l’Asie-Mineure, pénétrait en Hongrie et en Allemagne. Elle se montrait particulièrement intense sur la vaste étendue des côtes méditerranéennes, et surtout dans certaines parties basses et humides voisines de la mer. Aux environs de Via-Reggio par exemple, les vignes étaient dans un état déplorable. Il semblerait que, parties d’un seul foyer unique formé dans la Grande-Bretagne, les semences (spores ou sporules) d’une ténuité extrême, flottant dans l’atmosphère en nombre indéfinissable avec cette foule de corpuscules légers visibles dans un rayon de soleil, se fussent graduellement répandues, reproduites et multipliées partout où la température et l’humidité à un certain terme amenaient la fructification du champignon parasite. Telle est effectivement l’idée la plus nette que l’on puisse se faire des progrès de l’oïdium, et nous verrons plus loin qu’en arrêtant à point cette effrayante multiplication du petit végétal semé par les vents, on est parvenu à rendre la vigueur et la santé aux vignes envahies.

Sublata causa, tollitur effectus.

Bien que l’année 1851 eût été chaude et sèche, favorable généralement à la végétation de la vigne et à la maturation du fruit, la récolte ne fut abondante que dans les localités où l’oïdium ne s’était pas encore propagé. En Toscane, où, suivant le rapport de M. de Mortemart, le champignon apparaissait sous forme de poussière et de filamens blanchâtres, les deux tiers de la récolte étaient perdus, et dans plusieurs vignobles du Pisan, les raisins étaient même presque entièrement détruits.

En 1852, le mal continua sa marche progressive, et les conséquences économiques de cette perturbation dans la viticulture commencèrent à se montrer dans toute leur gravité. Les vignerons ruinés durent abandonner des terrains devenus improductifs et chercher dans les villes un travail qui pût les nourrir. M. L’archevêque de Montpellier ordonna des prières publiques dans toutes les églises de son diocèse. De toutes parts, en France, en Allemagne, en Italie, des commissions s’organisèrent pour étudier le mal et chercher les moyens de l’entraver dans sa marche, d’en arrêter les progrès l’administiation de l’agriculture en France ordonna une enquête sur l’état des vignobles, les causes de leur altération et les mesures à prendre; mais, malgré l’abondance des faits recueillis dans cette enquête, il fallut, en présence de renseignemens vagues et contradictoires, s’abstenir de conclure tant sur la cause du mal que sur les moyens d’y remédier.

Chaque année cependant amenait de nouveaux et de plus grands désastres. En 1853, des côtes méridionales le parasite se porta vers l’intérieur; il envahit les vignobles de la Provence, de la côte du Rhône, du Roussillon, du Languedoc et du Bordelais. Il atteignit, mais comparativement il ménagea les grands crus de la Bourgogne et les cépages de la Champagne. Ce fut à cette époque que la population de Frontignan, ruinée depuis l’année précédente et n’ayant plus de ressources dès que la culture des vignobles lui manquait, se vit contrainte de s’expatrier. Bientôt l’énergie plus violente du mal sur les lieux où il s’était concentré mit, en 1854, dans une situation non moins désastreuse les populations de plusieurs autres contrées du midi, obligées de fuir à leur tour les vignobles ravagés : tous les cépages étaient atteints, les vignobles renommés de Frontignan et de Lunel voyaient s’anéantir les neuf dixièmes de leurs produits; des vignes frappées coup sur coup depuis plusieurs années semblaient être devenues stériles, elles furent arrachées.

De l’excès du mal toutefois le bien devait surgir. Par suite de la dissémination irrégulière des germes de la maladie, tandis que les uns ne récoltaient rien, d’autres propriétaires obtenaient le quart ou la moitié des produits ordinaires, et la hausse considérable du cours des vins leur offrait une large compensation sur le déficit des récoltes. En présence des bénéfices ainsi réalisés, on reprit courage, les vignes arrachées étaient la plupart trop vieilles pour supporter les attaques réitérées de l’oïdium; elles furent remplacées par de nouveaux plants, et ce renouvellement des cépages, effectué avec de meilleures espèces ou variétés, en vue d’obtenir plutôt des vins de table que des vins à distiller, et d’éviter la concurrence des alcools de betteraves, aura dans l’avenir une influence doublement favorable : il produira des vins meilleurs, ayant une valeur plus grande, et de nature à faciliter les échanges internationaux que la législation prépare dans plusieurs pays, notamment entre la France et l’Angleterre.

Les faits qui viennent d’être exposés[5] suffisent à nous éclairer sur les circonstances au milieu desquelles l’affection spéciale de la vigne se développe avec une intensité particulière. Née et propagée d’abord dans les cultures forcées des serres chaudes, où la chaleur et l’humidité dominent, nous la voyons se répandre de proche en proche, sévissant surtout dans les lieux humides et chauds voisins des bords de la mcv, exerçant les plus cruels ravages dans nos départemens méridionaux et tout autour du bassin de la Méditerranée, épargnant nos grands crus de la Bourgogne et de la Champagne, se montrant peu tenace dans le centre et le nord de la France, anéantie chaque année dans les serres de primeurs comme sur les treilles renommées de Fontainebleau et de Thomery, grâce aux soins ingénieux et persévérans de nos horticulteurs. Et, chose bien remarquable, ce fut précisément des serres à culture forcée, d’où le mal était sorti, que vinrent également les moyens de le combattre. Au début de la maladie, des agriculteurs habiles et consciencieux avaient cru devoir cependant proposer comme une mesure de haute utilité publique la suppression des serres à raisins de primeur, espérant ainsi détruire dans son berceau la cryptogame parasite ! Personne ne songe plus aujourd’hui à l’emploi de ce remède héroïque, car chacun sait que les serres chaudes sont tous les ans préservées ou débarrassées des atteintes de l’oïdium par l’application intelligente de moyens variés, dont il nous reste à parler après avoir bien établi le caractère de la maladie qu’il s’agit de combattre.


II.

Des opinions très divergentes se sont manifestées sur les causes et la nature du mal de la vigne et sur les moyens d’y remédier[6]. Les paysans, frappés de stupeur en présence d’un fléau contre lequel aucune tradition ne les avait prémunis, s’imaginèrent que les grandes innovations dues aux progrès de la science depuis quelques années en étaient la cause, qu’elles avaient altéré les qualités de l’air atmosphérique ou répandu sur les plantes une influence pernicieuse; suivant les localités, ils attribuèrent les uns au gaz d’éclairage, les autres aux chemins de fer, la désastreuse affection de la vigne, comme celle qui frappait les pommes de terre un ou deux ans plus tôt.

Quelques savans et un grand nombre d’observateurs superficiels ne se montrèrent pas beaucoup plus sages lorsqu’ils admirent, comme cause de l’affection spéciale, soit l’action de différens insectes que chacun avait pu remarquer sur une vigne malade, soit l’effet d’une dégénérescence spontanée des cépages dans tous les lieux où l’altération se manifestait; ils auraient dû voir que leur moyen de démonstration se bornait à cette vaine sentence : Post hoc, propter hoc; car ces faits particuliers, observés en divers lieux au moment où l’invasion de la maladie fixait l’attention générale, n’étaient pas partout les mêmes; il aurait donc suffi de les rapprocher les uns des autres pour établir que chacune des causes prétendues n’était qu’une simple coïncidence avec le phénomène en question.

Quant à la dégénérescence de la vigne, cette théorie compte encore des partisans, et vaut la peine qu’on la réfute par d’irrésistibles argumens. Les preuves surabondent heureusement sur ce point.

C’était encore par induction que l’on avait cru trouver la cause du mal dans un affaiblissement spontané de la vigne, devenue ainsi, disait-on, facilement attaquable par les végétations cryptogamiques, qui s’attachent aux plantes maladives; mais évidemment une altération aussi profonde, manifestant la dégénérescence subite et générale des cépages dans toutes les parties du monde, sous les conditions les plus diverses et même les plus récentes de sol, de climat, de culture, présageait dans un prochain avenir la disparition de la surface du globe des principales espèces ou variétés de la vigne. Comment en effet supposer qu’une plante vraiment dégénérée pût jamais reprendre sa vigueur primitive? Aussi les partisans de cette nouvelle théorie ne voyaient-ils de salut que dans l’introduction de nouvelles espèces. On avait observé que certains plants résistaient mieux que tous les autres aux atteintes de la maladie : les vignes nommées isabella et catawba, originaires d’Amérique, sont dans ce cas[7] ; mais leurs fruits parfumés n’offrent pas la saveur délicate de nos excellens raisins de treille : ils ne produisent qu’un vin peu estimé de nos gourmets, et qui ne saurait, en tout cas, nous rendre la variété de saveur et le bouquet délicieux des vins de France. Fort heureusement les faits les plus concluans sont venus dissiper les fâcheux pronostics déduits de l’hypothèse mal fondée de l’altération spontanée des cépages.

Et d’abord, la base même de cette hypothèse gratuite manquait, car l’oïdium ou l’érysiphe de la vigne n’est pas au nombre des champignons qui se développent de préférence sur les plantes maladives ou dans un état d’altération plus ou moins avancé. Aussi la plupart de nos sociétés d’agriculture et d’horticulture demeurèrent-elles convaincues, par une foule d’observations précises recueillies sur toute l’étendue de notre territoire et chez plusieurs nations voisines, que le mal dû à des agens extérieurs venait de l’un de ces parasites vrais qui s’attaquent aux plantes vivantes et vigoureuses; on resta persuadé qu’avec la cessation ou l’amoindrissement de la cause arriverait la diminution et plus tard la disparition des désastreux effets. En expliquant ainsi les faits observés, on pouvait même, jusqu’à un certain point, prévoir les résultats favorables de certains phénomènes atmosphériques de nature à diminuer les chances de dissémination des sporules ou semences de l’oïdium. Aussi comprendra-t-on que j’aie pu, sans trop m’aventurer, émettre cette pensée, que, sous l’influence de froids plus intenses et plus persévérans que de 1846 à 1855, et surtout de neiges plus abondantes, plus prolongées, effectuant ainsi une sorte de clarification de l’atmosphère, le nombre des propagules de la cryptogame parasite serait considérablement amoindri, qu’en même temps, son activité végétative étant ralentie, les vignes auraient moins à en souffrir[8]. Ces espérances se sont en partie réalisées, et les rigueurs du dernier hiver, entravant sans doute les progrès de l’oïdium, n’auront pas été sans influence sur l’état amélioré des vignobles.

Cette amélioration tant désirée aura du moins offert une occasion de reconnaître que les vignes n’étaient et ne sont en proie à aucune dégénérescence. On a pu constater effectivement en divers endroits cette année que des ceps de vigne rudement frappés les années précédentes sont exempts aujourd’hui des attaques de l’oïdium, et montrent une puissance de végétation aussi énergique qu’à toute autre époque. En présence de pareils faits, la théorie de la dégénérescence ne peut plus se soutenir, car on ne saurait admettre que des plantes réellement dégénérées et graduellement affaiblies pussent reprendre leur vigueur primitive. Le mot par lequel on prétendait définir leur état n’aurait plus de sens, puisqu’un état passager est contraire à l’idée d’un mal profond et persévérant qu’impliquerait la dégénérescence[9].

A côté des faits généraux que nous venons d’exposer, d’autres faits non moins significatifs prouvent que la maladie de la vigne s’explique par une cause purement externe. On a vu, par exemple, dans diverses cultures horticoles les sarmens du même pied de vigne étendus sur les deux faces d’un mur, les uns fortement atteints sur les fruits et les feuilles qu’ils portaient, tandis que les autres, développés dans une direction différente, avaient parcouru toutes les phases d’une végétation luxuriante et donné une abondante fructification. Partout aussi on a pu remarquer, durant le cours des huit dernières années, des pieds de vignes alternativement atteints : une année ménagés, l’année suivante ils offraient successivement l’aspect d’une végétation souffrante, improductive, et en- suite les caractères opposés d’une végétation normale. Si enfin, en voyant des attaques réitérées tous les ans affaiblir et même faire périr quelques vignes, si, dis-je, on a cru pouvoir en conclure l’existence d’une affection primitive, interne, qui expliquait un pareil dépérissement, c’est que l’on ne tenait pas compte des résultats semblables que ne pouvait manquer de produire toute cause externe de nature à priver une plante phanérogame quelconque des fonctions de ses organes foliacés.

La théorie malencontreuse de la dégénérescence des vignobles avait eu pour conséquence d’encourager un grand nombre de paysans dans leur apathie naturelle et de les détourner de toute lutte contre les progrès d’un mal réputé invincible. Les incontestables succès des viticulteurs mieux inspirés et la disparition du fléau sur de grandes étendues, en démontrant que la cause du mal était externe, ont ramené la confiance dans les moyens dont l’homme peut disposer pour protéger ses cultures.

Nous indiquerons les principaux procédés qui se sont montrés efficaces et plus ou moins économiques; mais d’abord nous exposerons les idées reçues aujourd’hui sur la nature, le développement et les effets de la végétation parasite qui attaque la vigne, idées qui peuvent s’appliquer à des maladies analogues dont l’action s’exerce sur les pêchers, les houblons et les rosiers.

L’observation directe avait, dès l’origine, signalé la cause de l’affection spéciale de la vigne; c’était effectivement la végétation parasite développée dans les serres de Margate, et dont voici les caractères extérieurs et les propriétés. L’oïdium tuckeri, ou l’érysiphe de la vigne, attentivement observé et décrit par le révérend Berkeley, M. Le docteur Montagne, MM. Tulasne, Hugo-Mohl, le professeur Amici, Léveillé, Martins, Marès, et que j’ai pu étudier moi-même, est une des nombreuses plantes cryptogames dont le mode de fécondation est caché, comme leur nom l’indique, et dont les conditions de vitalité sont toutes différentes de celles qui conviennent aux végétaux phanérogames. Ces cryptogames utilisent, à la manière des animaux ou des radicelles et des fleurs des autres plantes, l’air qu’elles respirent, unissant l’oxygène atmosphérique à une partie du carbone qui se trouve dans leur nourriture, et dégageant ou exhalant le gaz acide carbonique produit par cette sorte de combustion lente, tandis que les feuilles et les autres parties vertes des plantes phanérogames, absorbant le gaz acide carbonique, fixent le carbone qui s’ajoute à leur substance et exhalent l’oxygène. C’est ainsi que s’entretiennent des forces qui se balancent dans les grandes harmonies de la nature, et que se maintient, avec beaucoup d’autres causes, la composition uniforme de l’atmosphère.

Le parasite de la vigne est un très petit champignon de la famille des mucédinées, à peine perceptible dans son ensemble, et même dans la réunion de plusieurs individus, sous l’apparence d’une légère efflorescence blanchâtre. Les séminules microscopiques sont, isolément, invisibles à l’œil nu. En observant sous le microscope la structure de l’oïdium, on reconnaît qu’il se compose de ce qu’on nomme un mycélium représentant les racines des autres plantes. Ce mycélium est formé de filamens très déliés, blanchâtres, qui rampent à la superficie du raisin, des feuilles et des sarmens, et y puisent la nourriture de la cryptogame dont ils font partie. Ces filamens translucides n’ont pas plus de 2 à 5 millièmes de millimètre de diamètre, un peu élargis aux points où ils forment des bifurcations. Ils portent à leur face inférieure des renflemens qui constituent des crampons ou suçoirs. De ces filamens partent des tigelles également blanchâtres et cylindriques, disposées perpendiculairement à la surface envahie par le mycélium. Les tigelles, longues de 6 à 15 millimètres, s’élargissent un peu vers le bout supérieur, où se forment graduellement les spores ou corpuscules reproducteurs ovoïdes dont le petit diamètre varie entre 5 et 15 millièmes de millimètre. Ce sont ces spores, imperceptibles directement, qui, organisées entre des cloisons, à la suite les unes des autres, se détachent, sont emportées au gré des vents, et vont en nombre immense reproduire en quelques jours la cryptogame partout où l’humidité et une température douce favorisent la germination.

Lorsque, tombées sur les fruits ou les feuilles de la vigne, elles y puisent une nourriture favorable à leur développement, les spores poussent et fructifient bientôt, multipliant en quantités prodigieuses la plante parasite. Et cependant ce n’est pas le seul mode de reproduction de l’oïdium. Il se forme sur les filamens fertiles une fructification particulière, découverte par M. Amici, contenant des centaines de spores ovoïdes extrêmement petites. Ce fruit, que l’auteur nomme sporange, a été observé depuis en Lombardie par le baron Casati, à Londres, sur des raisins de Corinthe, par le révérend Berkeley, et près de Paris par M. Tulasne[10].

Quant à l’action destructive de l’oïdium sur les organismes de la vigne, il n’est guère possible de s’y méprendre, puisque cette cryptogame, sur tous les points où elle se fixe, sarmens, feuilles, fruits, attaque l’épiderme et frappe de mort cette couche périphérique protectrice de toute la plante, dont elle ne peut plus suivre les développemens, mettant ainsi les tissus sous-jacens en contact avec l’air, qui excite la formation des fermens et d’autres agens de l’altération des sucs végétaux.

Les phases successives du phénomène sont très faciles à suivre sur les grains de raisin en voie de développement, que la cryptogame parasite envahit de préférence. On voit d’abord sur les grains de légères taches formées d’une sorte d’efflorescence blanchâtre qui augmente, se feutre, et recouvre une partie plus ou moins étendue, quelquefois la totalité de la superficie. Quoi qu’il en soit, sous les portions envahies, la pellicule épidermique cesse de se développer. Elle ne peut donc continuer à suivre, comme dans l’état normal, l’accroissement de volume du jeune fruit. Devenue fragile d’ailleurs, elle se fend suivant une direction rectiligne ou anguleuse ; les tissus intérieurs qui se développent encore gonflent les grains et entr’ouvrent la fente au point que souvent on voit apparaître les pépins du raisin déchiré. Bientôt le contact de l’air sur ces tissus et les sucs extravasés, les altérations qui en sont les conséquences inévitables, frappent d’inertie la végétation en cet endroit : le fruit atrophié brunit, se dessèche et tombe. Des altérations locales analogues se manifestent sur les feuilles : leur limbe flexible se recourbe en divers sens, la coloration devient jaunâtre, brune, et tout développement s’arrête. Les sarmens eux-mêmes, sur les points envahis, vers les extrémités supérieures, qui sont les plus jeunes, présentent d’abord des taches blanchâtres efflorescentes, qui, par degrés, jaunissent, deviennent brunes et rugueuses. L’épiderme atrophié cessant de s’accroître, le rameau envahi est arrêté dans son développement, surtout si les taches sont rapprochées les unes des autres. Des bourgeons nouveaux partent alors de l’aisselle des feuilles, donnant une autre direction à la sève, mais affectant des caractères maladifs dus évidemment au trouble introduit dans la végétation. Les vignes envahies par l’oïdium exhalent une odeur prononcée de champignon ou de moisissure, due à la présence de la mucédinée parasite. La couleur jaunâtre et sombre du feuillage annonce les fâcheux effets produits plus particulièrement sur les parties jeunes de la plante, qui sont douées de la plus forte énergie vitale, car les rudes écorces des portions inférieures des tiges ne laissent guère de prise et n’offrent pas un aliment facile à la cryptogame parasite.


III.

En réunissant tous les faits bien observés jusqu’à ce jour dans les différentes localités et les conditions diverses de la petite comme de la grande culture, le doute ne nous semble plus permis relativement à la nature du mal qui pèse sur les vignobles. En est-il de même des moyens de le combattre? Telle est la question que je vais essayer de résoudre.

Et d’abord je dois dire que toutes les modifications dans les procédés de culture essayés en vue de prévenir le développement de l’affection spéciale n’ont amené aucun résultat utile, et que sur ce point on doit s’en tenir aux procédés ordinaires, taille, ébourgeonnement, fumure, qui favorisent le mieux la végétation et la fructification des vignes. Parmi les méthodes proposées qui ont eu du succès, les unes sont purement expérimentales, les autres sont applicables économiquement, soit dans les serres, soit sur les treilles, soit enfin dans les grands vignobles; toutes concourent à prouver que la cause est externe, et que si elle est enlevée à temps, l’effet maladif cesse.

Au nombre des méthodes expérimentales, on doit compter celle qui consiste à enlever l’efflorescence légère par un simple brossage ou par le frottement d’un tissu fin. Cette opération toute mécanique, répétée plusieurs fois lorsque de nouveaux germes de la cryptogame apparaissent, suffit pour prévenir l’altération de l’épidémie, des feuilles, des tiges et de la pellicule du raisin; elle exigerait évidemment une main-d’œuvre trop considérable pour donner des résultats économiques, bien que plusieurs personnes en aient à différentes époques proposé l’application en grand[11]. En tout cas, l’efficacité constante de ces moyens purement mécaniques, lorsqu’ils sont très soigneusement employés, a démontré une fois de plus que la cause du mal est externe, et que les ceps de vigne, débarrassés assez tôt des étreintes de la végétation pernicieuse, ne donnent plus aucun signe d’une dégénérescence quelconque.

Les procédés économiques les plus efficaces et les plus répandus se fondent sur l’emploi du soufre, qui paraît attaquer directement l’oïdium dès qu’il le touche. M. Vergnettes-Lamotte, savant viticulteur, a communiqué ce fait intéressant à la Société centrale d’Agriculture en août 1853[12]. L’origine de l’application du soufre très divisé ou à l’état de fleur de soufre remonte à l’année 1846 : un jardinier anglais de Leyton, M. Kyle, en eut la première pensée, et en fit avec quelque succès la première expérience dans les serres; mais l’emploi du soufre n’eut une véritable importance qu’à dater du jour où un horticulteur de Montrouge, M. Gontier, fit connaître un ustensile simple et peu coûteux, à l’aide duquel on parvient, sans beaucoup de main-d’œuvre, à saupoudrer de fleur de soufre une grande surface. Une modification curieuse fut bientôt apportée chez nous à cette méthode par M. Bergmann, jardinier en chef chez le baron de Rothschild, à Ferrières : il parvint à détruire l’oïdium, qui avait envahi les vignes d’une serre chaude, tout simplement en saupoudrant avec la fleur de soufre les tubes dans lesquels circule l’eau chaude destinée à élever la température de la serre. Un grand nombre d’horticulteurs se débarrassent ainsi de l’oïdium tous les ans, sans qu’il leur en coûte plus de 90 centimes pour une étendue de 100 mètres[13].

Un chimiste ne se serait probablement pas avisé de cet expédient, car on ne trouvait pas alors dans les ouvrages élémentaires l’indication de la volatilité du soufre à une température plus basse même que celle de sa fusion. On sait en effet que ce corps, pour se liquéfier, exige une température de 110 degrés, supérieure à celle de l’eau bouillante, qui est de 110 degrés sous la pression atmosphérique de 76 cent, de mercure, et qu’il n’entre en ébullition qu’à la température, beaucoup plus haute, de 410 degrés environ[14]. Les résultats obtenus par M. Bergmann appelaient à un haut degré, on le voit, l’attention des chimistes. J’ai dû chercher à me rendre compte d’un fait aussi curieux, et j’ai remarqué que la fleur de soufre, chauffée sur une soucoupe au-dessus de l’eau bouillante, laisse exhaler des vapeurs sulfurées qui vont se condenser sur les objets environnans. Ce phénomène bien constaté en 1853, reproduit dans des cours publics au Conservatoire et à l’Ecole centrale, permit d’expliquer l’action du soufre, répandu même à une distance sensible des grains de raisin, sur lesquels il n’arrive qu’indirectement, entraîné par l’air ambiant après s’être volatilisé sous l’influence des rayons solaires.

L’action remarquable du soufre très divisé sur l’oïdium ou l’érysiphe de la vigne n’est plus aujourd’hui un fait isolé; nos laborieux horticulteurs, guidés par une analogie toute naturelle, ont obtenu d’aussi bons résultats en étendant l’application du procédé de M. Bergmann aux pêchers et aux rosiers envahis par d’autres érysiphes d’espèces voisines, dont ils ont paralysé la végétation parasite et limité les ravages. Il est probable que le même moyen réussira contre l’érysiphe qui attaque les houblonnières.

Le soufrage des vignes, pratiqué avec succès dans toutes les serres, puis sur les treilles, ne tarda pas à être étendu aux vignobles, d’abord par un propriétaire du Médoc, puis par MM. Le comte Duchâtel, de Sèze et Pescatore dans le département de la Gironde, et Benoît Bonnel, près de Narbonne[15]. Dans les premiers temps, et suivant le procédé de M. Gontier, on commençait par humecter les vignes en les aspergeant d’eau; on les saupoudrait ensuite à l’aide d’un soufflet spécial. En agissant ainsi, on se proposait de mieux faire adhérer la fleur de soufre sur les sarmens, les feuilles et les fruits. Cette double opération, qu’il convient de répéter plusieurs fois, pouvait convenir aux petites cultures; mais elle eût été trop dispendieuse pour les grands vignobles. M. Rose Charmeux réduisit de beaucoup la main-d’œuvre en saupoudrant les vignes à sec. Cette innovation lui valut une des plus hautes récompenses de la Société d’Horticulture, sur le rapport d’une commission qui en avait constaté l’application heureuse dans 120 hectares des vignes de Thomery en 1853. Dès-lors le soufrage se répandit sur tous les points de la France où la vigne est cultivée en grand. Le soufre raffiné, sous la forme de fleur de soufre, en éprouva un renchérissement tel que sa valeur en fut augmentée de 50 pour 100, car la fabrication s’était trouvée momentanément insuffisante.

Toutefois, dans nos provinces méridionales, où la température élevée, coïncidant avec une humidité assez grande, hâte singulièrement les développemens de la cryptogame parasite, l’application du soufre en temps utile rencontrait souvent des obstacles insurmontables, ou du moins, après un premier soufrage, le succès était compromis par une nouvelle et rapide invasion de la maladie. Ce fut dans ces circonstances difficiles que M. Mares, ingénieur sorti de l’École centrale et propriétaire d’un vignoble de 2 kilomètres d’étendue en carré aux environs de Montpellier, qui contient une grande variété de cépages, de terrains et d’expositions en plaines et sur des coteaux, entreprit l’essai en grand des nombreux moyens proposés contre la maladie qui depuis 1851 sévissait avec force sur son domaine. Il serait trop long de rapporter ici toutes les tentatives faites par M. Marès sur les diverses parties de son vignoble ; il suffit de constater que la fleur de soufre seule lui donna des résultats à la fois utiles, économiques et constans, et nous indiquerons brièvement les précautions à prendre pour assurer le succès du traitement reconnu maintenant comme le plus efficace.

L’ustensile généralement en usage pour répandre le soufre est un soufflet de forme spéciale, portant un réservoir en fer-blanc entre le corps et la douille. La charge du soufflet est de 250 grammes (1/4 de kilo); elle suffit pour couvrir de poussière 30 ou 50 souches, suivant l’étendue de leurs pampres. L’opérateur doit se placer de façon à présenter le dos ou l’un des côtés au vent, afin d’éviter la projection, dans ses yeux, des particules de soufre qui pourraient, au dire des médecins, occasionner des ophthalmies. Le soufrage doit toujours être fait à temps, c’est-à-dire dès que les premiers signes de la maladie ou les efflorescences blanchâtres apparaissent, ce qui a lieu, suivant les localités et la température, depuis le mois de mai jusqu’au mois de juillet ou d’août.

Lorsque la température, après s’être maintenue assez belle en mai et juin, s’élève tout à coup, il importe de surveiller soigneusement les vignes, car les premiers germes inaperçus pourraient se développer si rapidement, que l’épiderme du raisin serait fortement attaqué en quelques jours, et qu’alors le soufrage, en arrêtant les progrès ultérieurs du mal, ne pourrait empêcher les fâcheux effets produits de se manifester ultérieurement[16]. Ce sont les cépages les plus délicats dans chaque localité (le frankenthal, le chasselas, le carignan, le pique-poule, les terrets, etc., etc.) qu’il faut surtout examiner attentivement, car la cryptogame parasite, s’y développant beaucoup plus vite, arrive promptement à l’état de fructification et produit des myriades de séminules qui propagent la maladie sur les autres ceps. Trois soufrages ordinairement et souvent quatre, avant, pendant et après la floraison de la vigne[17], sont nécessaires pour arrêter à chaque reprise les nouveaux progrès de la végétation parasite, car il paraît évident que si le soufre attaque et détruit le mycélium et les tigelles de l’oïdium, il reste presque toujours sans action sensible sur une partie des spores ou séminules de la plante parasite. Aussi ne doit-on pas s’étonner que dans les serres elles-mêmes, comme sur les treilles et dans les vignobles, la maladie reparaisse après avoir été complètement arrêtée par le soufre l’année précédente. En tout cas, on ne doit pas épargner la fleur de soufre; ce serait une mauvaise économie, qui compromettrait le succès de l’opération : il faut que les particules de la poussière jaune recouvrent toute la surface des pampres.

Ce n’est que huit ou dix jours après l’application du soufre, surtout s’il survient alors une pluie légère, que l’on peut bien en constater l’effet utile. On voit une teinte verte prononcée succéder à la nuance d’un vert jaunâtre qui caractérisait sur les feuilles les premiers effets du mal. Les circonstances les plus favorables se rencontrent lorsque le soleil est chaud, lorsqu’un vent léger aide à l’égale répartition du soufre, et que les superficies de la vigne sont sèches. Son action est alors d’autant plus vive que sa volatilisation partielle là où il se dépose augmente les chances d’établir et de multiplier ses points de contact avec l’oïdium. Cependant, lorsqu’il y a urgence, on peut faire l’application du soufre à toute heure de la journée, pourvu que ce ne soit pas pendant la pluie, car alors il serait presque impossible de faire arriver et de maintenir la fleur de soufre en contact avec l’oïdium.

On emploie, pour chaque soufrage d’un hectare de vigne, en moyenne, 50 kilos de fleur de soufre[18], coûtant 14 francs. En ajoutant pour prix de la main-d’œuvre quatre journées de femme à 1 franc 50 cent., ou 6 francs, on voit que chaque soufrage coûte 20 francs, et que 3 soufrages reviennent à 60 francs. Cette dépense, dans le Midi, n’équivaudrait qu’à un sixième ou un septième des frais annuels, qui s’élèvent à 156 fr. 50 cent, d’après les calculs de M. Mares, en y comprenant la culture, les vendanges, le loyer et l’intérêt des fonds employés en ustensiles et magasins. Il en coûterait moins encore dans beaucoup de localités, notamment en Champagne et en Bourgogne, où les vignes présentent un développement moindre. On ne concevrait pas, lorsqu’il s’agit d’un surcroît de dépense aussi faible, qu’on hésitât à écarter de nos vignobles une maladie qui les menace d’un anéantissement complet, et qui amènerait bientôt la ruine d’une des principales industries de la France[19].

IV.

Aujourd’hui que l’on possède un moyen assuré, généralement économique, de combattre la maladie de la vigne dès qu’elle commence à se manifester, et qu’on peut l’entraver dans sa marche, doit-on s’en tenir à ce moyen, le seul qu’une pratique suffisante ait sanctionné? — Les raisins attaqués par l’oïdium communiquent-ils au vin des propriétés délétères? — Le soufre adhérent au raisin exerce-t-il sur le vin qu’on en tire une influence défavorable à la saveur et aux autres qualités de cette boisson? — Peut-on enfin subvenir, soit en partie, soit en totalité, au déficit sur les vins et les alcools?

Il est facile aujourd’hui de répondre à ces questions, longuement débattues au sein des assemblées agricoles. Sans doute il y aurait bien peu de chance de succès dans de nouvelles expériences de procédés préconisés à tort, ou dont plusieurs essais en grand semblent avoir démontré l’impuissance; mais quelques autres moyens, après avoir donné de bons résultats, n’ont échoué peut-être que par suite d’insuffisantes précautions. Dans cette dernière catégorie, on doit placer plusieurs composés dont le soufre fait partie intégrante. Suivant les proportions de soufre qu’ils renferment, on les nomme sulfures et polysulfures; le plus riche à cet égard est appelé quintisulfure ou pentasulfure de calcium, parce qu’il contient cinq équivalens de soufre unis avec un équivalent de calcium, tandis que le composé le moins riche en soufre, appelé monosulfure de calcium, ne renferme qu’un seul équivalent de soufre combiné avec un équivalent de calcium. La solution de sulfure de calcium[20] doit être répandue sur toutes les parties des ceps en aspersion à l’aide d’une pompe d’arrosage deux ou trois fois avant la floraison et une ou deux fois après que le raisin est noué. Plusieurs viticulteurs, MM. Bouchardat, Marès, etc., en ont obtenu de bons résultats. M. Turrel est ainsi parvenu à faire cesser les ravages de l’oïdium dans un vignoble d’une étendue considérable (10 hectares). Malheureusement, faute d’avoir renouvelé les aspersions, le mal reparut, et enleva la plus grande partie de la récolte. Le reproche fondé qu’on adresse à cette méthode est précisément de produire un effet trop peu durable, tandis que le soufre, en vertu de sa volatilité, prolonge son action d’une injection à l’autre. On réaliserait peut-être à la fois la même condition utile et une grande économie de soufre en employant, comme l’a proposé M. Price, la solution de pentasulfure de calcium, dont la préparation est très facile. M. Price assure même, d’après sa propre expérience en Angleterre, qu’une seule injection faite sur le sarment avant le développement des bourgeons peut suffire, que dans ce cas le soufre, graduellement mis en liberté à mesure que l’acide carbonique de l’air s’unit à la chaux, prolonge durant toute la saison l’effet utile. La chose vaut la peine d’être vérifiée; malheureusement personne que je sache ne s’en est encore occupé en France.

Au nombre des améliorations agricoles qui peuvent concourir avec le soufrage à diminuer la funeste influence de l’oïdium sur les vignes, on doit aussi compter le drainage, si heureusement appliqué en France et en Angleterre à l’assainissement de vastes étendues de terres humides. L’excellent exemple donné par M. Le comte Duchâtel est venu lever les objections relatives aux difficultés particulières que l’exécution du drainage devait rencontrer, disait-on, dans les vignobles[21]. Ses opérations ont eu lieu sur 90 hectares de vignes dans son domaine de la Gironde : elles ont procuré une plus-value annuelle de 75 fr. par hectare, qui dépasse le prix d’exécution des travaux.

Il reste à déterminer maintenant quelle action les raisins attaqués par l’oïdium, mais parvenus à la maturité, ont sur la qualité des vins. Cette action varie suivant la proportion où ils entrent dans la vendange : lorsque la proportion est faible, leur influence est nulle ou très peu sensible; en fortes proportions, ils donnent, en raison de la dessiccation qu’ils ont spontanément éprouvée, un moût plus dense, qui, par la fermentation, devient plus alcoolique; sa couleur est terne, et son goût peu agréable ; aussi réserve-t-on les vins de ce genre pour la distillation. Les alcools rectifiés que l’on en peut obtenir ne diffèrent pas des produits ordinaires ; on ne les en sépare donc pas. Aucun des vins provenant de raisins plus ou moins fortement attaqués n’a manifesté d’influence défavorable sur la santé des personnes qui en ont fait usage. On a au contraire attribué au soufrage un inconvénient plus apparent que réel : les raisins qui ont échappé aux étreintes de l’oïdium, grâce aux soufrages réitérés, communiquent effectivement une odeur sulfurée notable au moût et au vin peu de temps après le soutirage ; mais alors le moment de consommer ce vin n’est pas encore venu, et l’on a constaté que l’odeur particulière due à la présence du soufre disparaît après un certain nombre de soutirages au clair. En définitive, aucune dépréciation réelle ne paraît à craindre sur les vins provenant de vignes soufrées.

Plusieurs faits remarquables se sont manifestés à la suite des désastres qui pendant plusieurs années avaient frappé les vignobles. L’équilibre s’étant trouvé rompu entre la production et la consommation du vin, de l’eau-de-vie et des alcools, une hausse considérable dans les cours de ces denrées fut la conséquence naturelle de la situation des choses : les prix de l’alcool furent doublés, triplés, et s’élevaient encore, lorsque plus de cent fabriques de sucre indigène transformées en distilleries, la distillation en grand des racines tuberculeuses, de l’asphodèle et de plusieurs autres matières premières nouvelles, vinrent combler le déficit, limiter la hausse, et bientôt amener une baisse notable dans les produits alcooliques.

Et cette situation relativement aux vignobles ne fut pas changée, lorsque la prohibition de distiller les grains et les pommes de terre hâta l’établissement de nombreuses distilleries agricoles de betteraves qui déterminèrent bientôt une transformation nouvelle des distilleries manufacturières en sucreries[22]. Une partie des vins destinés autrefois à l’alambic furent préparés en vue de la consommation directe ; on se préoccupa d’améliorer quelques cépages, afin d’en obtenir des vins potables et de meilleure qualité.

Une autre conséquence de la cherté des vins et même de la bière, par suite de la hausse soutenue des grains, a été la fabrication dans les villes d’une foule de boissons hétérogènes exemptes d’insalubrité sans doute, mais peu agréables, et qui disparaîtront le jour où la production de la vigne rentrera dans ses conditions normales. Sans sortir du domaine de la viticulture, il est d’autres moyens de suppléer à l’insuffisance des récoltes qui méritent d’être signalés. Ainsi on a eu recours, dans plusieurs vignobles, à des additions d’eau et de sucre faites dans les cuves, à raison d’un hectolitre de solution aqueuse contenant de 12 à 17 kilos de sucre blanc par hectolitre de vendange foulée. Cependant, il faut en convenir, cette pratique, utile dans les circonstances actuelles, devrait être exclue de la préparation des grands vins. Les propriétaires de certains vignobles privilégiés de la Bourgogne se sont prononcés contre le sucrage ; ils ont présenté au comité central d’agriculture de la Côte-d’Or, le 5 novembre 1854, un rapport étendu, où ils constatent que le sucrage des vins, appliqué sans limites et sans précautions, entraîne de graves inconvéniens, sans toutefois contester qu’appliqué aux vins médiocres et dans les mauvaises années, ce procédé peut rendre quelques services.

Nous venons d’indiquer l’origine du mal de la vigne : c’est sous l’influence de la température chaude et humide d’une serre que s’est développée la végétation parasite dont les séminules, flottant dans l’air, ont apporté depuis dix ans de si graves perturbations dans l’industrie viticole. Tout concourt à démontrer que dans les vignobles envahis il ne s’agit point de combattre un mal interne, une sorte de dégénérescence, et qu’il suffit de se prémunir contre un agent extérieur par des procédés entre lesquels le soufrage se place aujourd’hui au premier rang. L’application du drainage aux vignobles a aussi produit les meilleurs effets. Les inconvéniens attribués au soufrage disparaissent sans beaucoup de peine ni de temps. Parmi les moyens de subvenir au déficit des boissons, un seul, le sucrage, peut être employé avec quelque utilité. Tels sont les faits acquis depuis l’invasion de la maladie. Espérons que ces moyens d’y remédier ne seront que passagèrement utiles. La rude épreuve que nous traversons encore n’aura pas été d’ailleurs sans compensation, si à côté de ces pratiques d’un intérêt tout accidentel elle a enseigné à la viticulture d’autres procédés d’une valeur durable, tels que le drainage, le renouvellement des cépages, et ces perfectionnemens dans les procédés de vinification qui seuls maintiendront aux vins de France le haut rang qu’ils occupent parmi les produits du sol national.


Payen, de l’Institut.
  1. « Nascitur hoc inalum tempore humido et lento… Est etiamnum peculiare olivis et vitibus (araaeum vocaat), cum veluti tela involvunt fructum et absumunt. » Pline, Hist. nat., lib. xvii, cap. 14, p. 393, édit. Dalcamp, 1606.
  2. Genre de champignons.
  3. L’érysiphe que M. Schweinitz nomme necator envahit les raisins de quelques variétés de la vigne labrusque : ubi omnino evoluta hœc species destruit uvas. Le même auteur appelle erysiphe mors uvœ une espèce qui attaque exclusivement et détruit quelquefois pendant plusieurs années consécutives les fruits du groseillier à maquereau (ribes grossularia).
  4. Par M. Louis Leclerc, que ce ministre avait chargé d’une mission spéciale d’enquête relative à la maladie de la vigne.
  5. D’après les derniers renseignemens recueillis sur la marche de la maladie en 1856, on peut croire que la végétation de la vigne n’aura point trop à souffrir cette année des ravages de l’oïdium. Des nouvelles favorables viennent de la Champagne et de la Bourgogne, de Beaugency, d’Antibes et de Lyon. L’Hérault seul a gravement souffert, bien que sur beaucoup de points les dernières chaleurs aient arrêté les progrès du mal. Toutes les correspondances annoncent que, grâce au soufrage, la récolte des raisins de Corinthe sera bonne cette année. En Toscane, la situation est moins satisfaisante, mais on peut croire qu’à l’avenir le fléau sera combattu énergiquement, car il a été l’objet des recherches d’une commission spéciale de la société des géorgophiles de Florence, qui vient de publier un traité complet sur la matière. En somme, à part quelques cantons du midi de la France, la récolte dépassera de beaucoup les produits obtenus en 1855. Dans les environs de Paris, tout annonce une belle récolte en raisins de table et vendanges à fouler.
  6. On pourrait faire une assez longue liste des publications qu’a provoquées la maladie de la vigne de 1846 Ce serait là un curieux document bibliographique. Avant cette époque, les écrivains qui se sont occupés des maladies du raisin forment déjà un groupe assez nombreux, parmi lesquels, outre Pline déjà cité, nous remarquons divers savans italiens, Bernardo Ramazzini, auteur des Constitutiones ep. demicœ mutinenses, ouvrage plein de détails intéressans sur diverses affections des plantes cultivées, Targioni, Fozzetti, Francesco Gera, etc. A partir des observations faites à Margrate, les ouvrages sur la vigne se sont multipliés au point de former une véritables bibliothèque. Parmi les auteurs qui ont le plus utilement contribué à la grossir, nous citerons MM. Bouchardat, Gueriu-Méneville, Mortemart, Ridolfi, Marès, etc.
  7. Ce sont, avec le white fox rose, l’york madiera et le vitis muncy red pale, à peu près les seuls plants parmi les cépages étrangers et français qui aient présenté une grande résistance à la maladie dans toute la collection des vignes du Luxembourg, la plus nombreuse qui existe. Cette collection comprend au-delà de 4,100 ceps venus de tous les pays viticoles. Les observations attentives faites par M. Bouchardat sont consignées dans de nombreux tableaux contenant 2,050 numéros d’ordre.
  8. Par une sorte de compensation fâcheuse, ces neiges amoncelées sur d’immenses étendues de pays en France et au dehors sont devenues la cause principale des effroyables inondations dont plusieurs de nos départemens du midi et de l’ouest ont si cruellement souffert.
  9. Un très bon juge en cette matière, M. Le comte Odart, est venu cette année même déclarer devant la Société centrale d’Agriculture que jamais il n’avait cru à ce dépérissement des vignobles, et qu’à voir dans ses domaines et chez les autres propriétaires de son canton la richesse luxuriante de la végétation, personne ne croyait à une altération définitive des cépages.
  10. Plusieurs botanistes, depuis la découverte de M. Amici, considèrent l’oïdium tuckeri comme un érysiphe. M. Tulasne partage cette opinion et considère quelques autres oïdiums érysiphoïdes et leuconiums comme des états simples ou des modes différens de fructification du genre érysiphe, qui offrirait jusqu’à trois fructifications distinctes. M. Martins, de Montpellier, a même conclu à une identité complète entre l’oïdium tuckeri et l’érysiphe pisi. Jusqu’ici, la dénomination d’oïdium, si généralement connue, prévaut encore ; l’oïdium est considéré comme une espèce distincte par M. Montagne, jusqu’à ce que l’on ait prouvé que son développement n’a pas lieu exclusivement sur la vigne.
  11. M. Paillet, l’un de nos plus habiles horticulteurs, est parvenu à enlever l’oïdium en effectuant par le jet d’une pompe un lavage avec frottement énergique des grappes, feuilles et sarmens récemment envahis. Plusieurs primeuristes parviennent à éliminer de leurs treilles la végétation parasite en enlevant à la main et séparant de chaque grappe les grains de raisin les plus petits ou les moins avancés sur lesquels la cryptogame se fixe et se développe de préférence.
  12. M. Marès, secrétaire de la Société d’Agriculture de Montpellier, à qui l’on doit les observations les plus approfondies relativement à l’action du soufre et l’application heureuse de cette substance sur une surface de 72 hectares, a soumis également à une expérimentation sérieuse divers autres procédés chimiques, notamment le lavage des sarmens avec une solution de sulfate de cuivre, un liquide alcalin et savonneux, un lait de chaux, le goudron des usines à gaz, le gaz acide sulfureux que produit la combustion du soufre, la chaux vive en poudre, enfin le soufra à l’état libre ou mélangé avec des poussières inertes ou combiné (sulfure de calcium). Il a essayé avec le même soin les différens procédés de culture proposés, et n’a obtenu de résultats économiques qu’en appliquant la fleur de soufre.
  13. Il est tellement reconnu aujourd’hui que l’oïdium est très facile à paralyser dans les serres, qu’un membre de la Société centrale d’Horticulture a pu dire, sans trouver de contradicteurs, dans l’assemblée générale du mois de juillet 1856, que tout jardinier qui laisserait envahir une treille sans arrêter à l’instant les progrès du mal aurait commis une faute impardonnable.
  14. C’est la température à laquelle les fabricans font bouillir le soufre dans des chaudrons ou cylindres en fonte pour produire les vapeurs abondantes qui se condensent en particules solides d’une ténuité extrême au milieu de vastes chambres en briques, et qui tombent comme une sorte de neige jaune, dite fleur de soufre, sur le sol de ces chambres.
  15. On trouve de très intéressans détails sur la maladie de la vigne aux environs de Narbonne, et sur les moyens employés avec succès pour la combattre, dans un mémoire adressé à M. Le ministre de l’agriculture par M. Benoit Bonnel, et publié en 1854.
  16. Il est à craindre qu’une partie des viticulteurs du Bordelais, des environs de Versailles, Alfort, Verrières, Château-Thierry, et même de la Toscane, ne se trouvent pris en défaut par une invasion subite, quoique tardive, de ce genre, qui vient de frapper leurs treilles et leurs vignobles et de faire de grands progrès avant que chacun ait pu se trouver en mesure de la combattre.
  17. M. Marès considère comme les plus efficaces les soufrages opérés au moment de la floraison. Il semble même que la floraison de la vigne soit particulièrement favorisée par la présence du soufre.
  18. Il faut compter quelques kilos de moins pour le premier soufrage au mois de mai ou de juin, lorsque les pampres sont moins développés, et quelques kilos de plus pour le dernier soufrage au mois de juillet ou d’août, lorsque le volume des ceps est plus considérable. La main d’œuvre, moins élevée dans le premier cas, plus forte dans le second, laisse également comme moyenne la dépense ci-dessus indiquée du soufrage intermédiaire. Tous ces calculs sont basés sur les faits qu’a recueillis M. Mares en opérant pendant trois années consécutives sur 25 hectares de vigne.
  19. Quelques chiffres sur l’état de cette industrie avant et après la maladie sont bons à citer. La France se divise en dix régions viticoles. Que l’on compare les résultats de l’année moyenne peur chacune de ces régions à ceux de 1854. Dans la première région, 8,833 hectares plantés en vigne produisent, année moyenne, 101,468 hectolitres de vin et 200 hectolitres d’alcool ; en 1854, le même nombre d’hectares a fourni 4,403 hectolitres de vin et 7 d’alcool. — Dans la deuxième région, sur 35,985 hectares, on obtient, année moyenne, 1,577,907 hectolitres de vin, 788 d’alcool; en 1854, on a obtenu 296,691 hectolitres de vin, 622 d’alcool. — Dans la troisième, sur 115,756 hectares, l’année moyenne produit 5,012,947 hectolitres de vin, 26,154 d’alcool: 1854 a donné 727,382 hectolitres de vin, 2,803 d’alcool. — dans la quatrième région, nous trouvons 382,724 hectares donnant, année moyenne, 8,600,053 hectolitres de vin, 297,384 d’alcool, et produisant en 1854 1,456,298 hectolitres de vin, 49,772 d’alcool; — dans la cinquième, 177,424 hectares donnant, année moyenne, 4,302,317 hectolitres de vin, 6,066 d’alcool, et produisant en 1854 931,904 hectolitres de vin, 4,563 d’alcool. — Des différences analogues s’observent dans les cinq autres régions. Au total, sur 2,109,647 hectares plantés en vignes que compte la France, l’année moyenne donne 44,990,696 hectolitres de vin, 1,126,065 d’alcool. — 1854 a fourni 9,569,672 hectolitres de vin, 172,293 hectolitres d’alcool. — Les prix du vin en France varient entre 15 et 200 fr. l’hectolitre. Si l’on estime la valeur moyenne sur l’ensemble à 20 fr., on aura une somme de 900 millions, représentant le prix total des 45 millions d’hectolitres de l’année moyenne. Cette production annuelle représente au-delà d’un milliard pour le commerce des vins de toute espèce livrés aux consommateurs de la France et de l’étranger. En 1854, comme on n’a récolté que 9,569,672 hectolitres, la valeur totale, en portant le prix moyen de l’hectolitre à 50 fr., aurait été de 478,483,600 fr., soit la moitié de la valeur d’une récolte ancienne. En 1836, nous exportions 1,278,518 hectolitres de vin; en 1854, on en a exporté 1,175,085 hectolitres seulement. La diminution des récoltes amenait, il est vrai, une grande augmentation des prix, et malgré la quantité inférieure des vins exportes en 1854, les opérations de cette année donnaient un chiffre de 130,567,545 fr. contre la somme de 47,462,907 fr., représentant l’exportation supérieure de 1836.
  20. L’emploi du sulfure de calcium a été proposé par M. Grisou, jardinier à Versailles. La préparation en est facile : en mêle ensemble des volumes égaux de fleur de soufre et de chaux éteinte en poudre; ou délaie ce mélange dans huit fois son volume d’eau, puis on le fait bouillir pendant dix minutes en l’agitant, dans une marmite en fonte; le liquide, éclairci par le repos, est décanté; on le conserve dans des bouteilles bien bouchées. Il suffit d’un litre de cette solution étendue de cent litres d’eau pour asperger convenablement les vignes. En augmentant la proportion du soufre jusqu’à mêler à la chaux au moins trois fois son poids de fleur de soufre (ou dans le rapport de 350 à 1,000) et en prolongeant l’ébullition, on obtient le pentasulfure, plus soluble et beaucoup plus chargé de soufre.
  21. Une médaille d’or de première classe a été décernée à M. Le comte Duchâtel par la Société centrale d’Agriculture pour cette grande innovation viticole.
  22. Ce nouveau changement de direction fut tellement rapide, que le concours des sucreries réinstallées a plus que doublé la production du sucre indigène. Elle s’élève effectivement aujourd’hui à 90,632,658 kilos, tandis qu’à la même époque à peu près (1er juillet) de la campagne précédente, la quantité totale obtenue n’était que de 44,114,173 kilos. Malgré l’accroissement considérai le de la production du sucre en France, les cours s’élèvent par suite d’un déficit dans les récoltes coloniales.