De l’épopée chrétienne jusqu’à Klopstock/03

De l’épopée chrétienne jusqu’à Klopstock
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 6 (p. 153-168).
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L'ÉPOPÉE CHRÉTIENNE


DEPUIS


LES PREMIERS TEMPS JUSQU'A KLOPSTOCK.




SANNAZAR ET VIDA.[1]




Nous avons vu l’épopée du Christ pendant le moyen-âge, et nous en avons étudié les principaux caractères. Comme il est de la nature de cette épopée d’être, pour ainsi dire aussi éternelle que le christianisme, et que chaque siècle a voulu la faire en y mettant son sentiment et sa pensée particulière, il faut voir quelles couleurs prend cette épopée dans la poésie latine au XVe et au XVIe siècles, c’est-à-dire à l’époque de la renaissance.

Ici nous ne trouverons plus ce style imparfait et grossier du moyen âge : la poésie devient plus élégante, le style est meilleur, on sent l’étude des poètes de l’antiquité ; mais, en gagnant l’élégance, peut-être l’épopée chrétienne a-t-elle perdu l’originalité. Le style du moyen-âge porte l’empreinte d’une conviction profonde, et je dirais volontiers qu’à cette époque l’épopée chrétienne est toute d’une pièce pour le style comme pour les pensées. Dans le siècle de la renaissance, au contraire, l’expression semble se séparer de la pensée, car la pensée est chrétienne ; mais le style, plein du souvenir des auteurs anciens, est païen. La poésie de Sannazar et de Vida est, de ce côté, une poésie singulière. Elle est pleine de réminiscences, et pourtant elle n’est pas sans originalité ; c’est une nouvelle langue latine, toute différente de celle du moyen-âge, plus pure, plus correcte, plus élégante, et qui cependant n’est pas non plus la langue de l’antiquité. C’est un mélange bizarre d’idées chrétiennes et de traditions païennes, une sorte de contraste entre la pensée et les mots, tout cela pourtant sauvé par une élégance et une grace originales. Je ne puis mieux comparer cette littérature qu’à la peinture même de cette époque. Ainsi, dans Raphaël[2], les sujets païens font le pendant des sujets chrétiens : l’École d’Athènes est placée en face du Saint-Sacrement, et le Parnasse avec Apollon et les Muses en face du Miracle de Bolsène. Souvent même les sujets chrétiens et païens sont mêlés dans le même tableau. Cependant, malgré ces disparates bizarres, la peinture de cette époque est neuve et originale. Le mérite de l’art couvre le tort des anachronismes. Il en est de même de la poésie : tout est confus et mêlé ; mais cette confusion ne manque ni de hardiesse ni d’agrément. On sent une pensée vigoureuse qui, en face de deux grandes sources d’inspiration, l’antiquité païenne et la religion chrétienne, essaie de puiser également dans l’une et dans l’autre.

Il faut, pour étudier et pour imiter l’antiquité, sans perdre soi-même toute originalité, il faut beaucoup de talent et même de génie. Les poètes médiocres échouent dans ce métier ; ils deviennent des copistes et des plagiaires ; ils font, sans le vouloir, des centons de Virgile ou d’Ovide. Les grands poètes savent seuls porter aisément le poids d’une pareille imitation.

Cette remarque s’applique avec justesse à Sannazar et à Vida ; car, selon moi, il y a entre eux une grande différence : l’un, Sannazar, est un poète original, quoique imitateur des anciens, et on sent partout dans ses vers l’inspiration de la poésie moderne, malgré ses mots et ses tournures imités de Virgile ; l’autre, Vida, est surtout un imitateur élégant, mais froid, et qui étouffe l’originalité des sujets modernes qu’il chante sous le poids de l’imitation de la phrase antique. L’un, enfin, me semble un poète moderne, quoique latin, et l’autre n’est qu’un versificateur. Justifions ces idées par l’examen de deux poèmes qui rentrent dans l’épopée chrétienne ; je veux parler du De Partu Virginie (la Naissance du Christ)[3] de Sannazar et de la Christiade de Vida.

Sannazar ne craint pas, en commençant son poème, d’invoquer les muses : « Et vous, muses, dit-il, divin appui des poètes, laissez-moi approcher de la source qui vous est chère ; laissez-moi pénétrer dans vos bois sacrés. N’êtes-vous pas toujours les filles du ciel ? n’avez-vous pas maintenu dans le vieil Olympe le culte de la virginité et de la pudeur ? Inspirez-moi donc ! ouvrez-moi la route ; entrez avec moi dans les demeures célestes. Ah ! je sais combien est grande la grace que je vous demande ; mais qui peut me l’accorder mieux que vous ? qui a pu mieux que vous, vierges célestes, contempler la grotte sacrée où la Vierge enfanta le Sauveur, les astres nouveaux qui étincelèrent au ciel, et les rois de l’Orient marchant sur la foi de ces astres[4] ? »

Sannazar dans cette invocation, comme Raphaël et Michel-Ange dans leurs tableaux, essaie d’unir les traditions chrétiennes et les traditions païennes. On dirait que les arts, à cette époque, cherchent à faire une sorte de croyance commune du paganisme et du christianisme, et à montrer que, sous des formes différentes, respirent la même pensée et le même sentiment religieux. L’idée de cette singulière association date de loin. Dans les premiers temps du christianisme, les sibylles, ces vieilles interprètes des oracles païens, étaient devenues des personnages presque chrétiens, et c’est ainsi qu’elles ont leur place dans les peintures des églises chrétiennes[5]. Les muses sont presque sœurs des sibylles, et je conçois que Sannazar veuille les attirer au christianisme au nom du culte même de la virginité ; mais il y a d’autres personnages de la poésie païenne qui ne peuvent guère se prêter à cette alliance. Alors Sannazar, sans paraître se douter du contraste entre le sujet qu’il a choisi et les ornemens qu’il emprunte, devient un poète tout païen. Cerbère hurle de douleur de la défaite des enfers, et ses aboiemens épouvantent encore les ombres coupables. À côté du vieux merveilleux du paganisme, banni depuis long-temps par la religion chrétienne et qui semble rentrer triomphant dans la poésie, paraît une nouvelle sorte d’allégorie, non plus l’allégorie mystique chère au moyen-âge, non plus l’allégorie morale dont Gerson savait si bien se servir, mais l’allégorie poétique et tous ses personnages de convention, la joie, la terreur, l’envie, la colère, ces qualités enfin ou ces vices de l’humanité dont le christianisme avait fait des vertus théologales ou des péchés capitaux, et qui reprennent, dans les poètes de la renaissance, une forme et une parole. Ainsi, dans cette nuit de salut qui donne naissance à Jésus-Christ, comment pensez-vous que Sannazar exprime la joie du monde régénéré ? La poésie chrétienne, à l’aide des psaumes de la Bible, avait chanté la joie de la terre qui enfante son Sauveur, image grande et simple, qui tenait de la poésie sans cesser d’être la vérité, puisqu’il a plu au Christ de naître sous la forme mortelle. La poésie de la renaissance ne peut pas se contenter de cette simplicité biblique, et, pour célébrer cette nuit de réparation, elle appelle la Joie, personnage allégorique… « la Joie, dit Sannazar, éternelle habitante des demeures célestes et qui rarement vient visiter la terre, jeune et douce vierge qui ignore les soucis et les larmes et qui chasse les soupirs loin du ciel. Docile à l’ordre du Très Haut, elle paraît devant lui, et il lui ordonne de descendre sur la terre. Alors elle adapte à ses épaules ses ailes légères et appelle ses compagnes de voyage. À sa voix, accourent les chants, les danses, les rires et l’amour honnête, et la Foi et l’Espérance, sœurs chéries qui marchent sur les pas de la Joie. Derrière elle s’avancent l’irréprochable volupté et la grace, et la concorde qui inspire la paix.

Où va tout ce cortége mythologique ? Il va éveiller les bergers qui doivent adorer la crèche. J’aime mieux les anges qui descendent du ciel pour annoncer aux pasteurs la venue du Christ. C’est peut-être aussi une mythologie, mais c’est la mythologie du sujet.

Parlerai-je du Jourdain et des nymphes, ses filles, Glaucé, Callirhoé, Phéruse, Lamprothoé, toutes l’épaule et le sein nus, et la belle Anthis, les cheveux parfumés, toutes gracieuses et jeunes, toutes vêtues de blanc, toutes chaussées de cothurnes de pourpre[6] ? Un fleuve qui a un pareil cortége de nymphes ne peut manquer d’avoir son urne mythologique, et sur cette urne, invention singulière, est gravé, par une sorte de sculpture prophétique, le baptême de Jésus-Christ ; mais le Jourdain contemple, sans en comprendre le sens, ces ciselures merveilleuses, et il faut qu’un autre dieu de la mythologie, le vieux Protée, lui en révèle la signification et lui prédise ce jour dont la gloire l’élèvera au-dessus du Nil aux sept embouchures, au-dessus de l’Indus et du Gange, du Danube aux deux noms, du Tibre enfin et du Pô[7].

Que ces inventions sont petites et mesquines à côté de la scène du baptême du Sauveur ; telle qu’elle est racontée dans les Évangiles ! Là, point de merveilleux, point de prodiges, rien qui sente la poésie de convention et qui rappelle l’opéra : un solitaire vêtu de peaux, saint Jean-Baptiste, baptisant dans le Jourdain, au fond d’une vallée solitaire, ceux qui viennent à lui ! Tout cela est plus grand dans sa simplicité que les machines poétiques du paganisme, qui sont toutes empreintes d’un caractère particulier de petitesse et d’humanité. Dans le paganisme, en effet, c’est toujours la forme qui est substituée à l’idée, et cette forme, tout élégante et toute gracieuse qu’elle est, n’atteint pas à la hauteur de l’idée toute simple. La pensée de l’homme, en présence de Dieu sera toujours plus grande et plus belle que tous les personnages allégoriques de la mythologie. À part la bizarrerie des contrastes, n’est-ce pas singulièrement diminuer l’imposante simplicité du baptême du Christ, accompli, selon les prophéties, par les mains du précurseur, que de faire accourir à ce baptême les nymphes du Jourdain, les mains chargées d’encens et de parfums, que de les montrer s’empressant de préparer des bancs de mousse verdoyante et de suspendre aux colonnes de leurs palais de cristal des guirlandes de fleurs tressées de roses, d’hyacinthes et de lis[8] ? Le mystère chrétien disparaît sous ces réminiscences mythologiques.

Sannazar et les poètes de son école ne comprenaient pas le ridicule presque sacrilège de ce mélange d’idées diverses. Préoccupés de leurs études antiques, ils dédaignaient de parler le simple langage de l’Évangile, qui leur paraissait incorrect et grossier, et, quand le Christ marche sur les eaux du lac de Tibériade, ils ne manquent pas de faire venir les Néréides, qui nagent auprès de lui, et Neptune, qui, aplanissant sous ses pas les vagues irritées, s’empresse avec son cortége des dieux de la mer, et baise les pieds divins du Sauveur.

Voilà comment l’étude de l’antiquité égarait les poètes de la renaissance, voilà comment, à force de beau style, ils devenaient ridicules et manquaient aux lois du bon goût en croyant y obéir. Parfois cependant ils savaient faim un heureux usage de la poésie antique. Nous en avons déjà vu un exemple dans l’invocation où Sannazar, attestant les Muses, ces vierges antiques, les prie de l’inspirer au moment où il va chanter la Vierge-mère. J’en trouve un autre exemple, et plus curieux encore, dans le poème de Sannazar.

On sait que la quatrième églogue de Virgile,

Ultima Cumaei vent jam carminis aetas, a été expliquée par les chrétiens comme une prophétie de la naissance du Christ. Cette églogue, en effet, qui semble annoncer la régénération du monde, s’appliquait admirablement à la venue du Sauveur ; aussi était-elle presque devenue un monument chrétien. Sannazar l’applique, en la paraphrasant, à la naissance de Jésus-Christ, et là il n’y a plus, pour ainsi dire, ni anachronismes ni contrastes. J’ajoute, à l’honneur de Sannazar, que les vers qui accompagnent cet emprunt fait à Virgile ne le déparent pas trop. C’est le seul exemple que je connaisse d’un centon qui n’ait pas quelque chose de gêné et de gauche. L’églogue de Virgile s’encadre sans effort et sans peine dans le poème de Sannazar, et, quoique païenne, s’adapte naturellement à l’épopée chrétienne[9].

Après avoir parlé des défauts de Sannazar, je voudrais essayer de faire sentir ce qu’il y a de charme naturel dans sa poésie, en dépit de ses réminiscences païennes ; mais, pour cela, il faudrait avoir affaire à un public qui eût quelque peu le goût de la poésie latine moderne. À Dieu ne plaise que, dans ma prédilection pour les vers latins, j’aille aussi loin que Commire, qui, dans une ode faite pour opposer les poètes latins du règne de Louis XIV aux poètes français du temps, ne craint pas de promettre l’immortalité aux poètes latins, parce que, dit-il, ils écrivent dans une langue indépendante désormais des vicissitudes de l’usage et des caprices de la mode, tandis que, dans la poésie française, la langue change, pour ainsi dire, de siècle en siècle[10] ! Le mérite que je trouve aux vers de Sannazar ne tient pas du tout à l’immobilité de la langue qu’il a choisie. Je suis même tenté de croire que la poésie latine moderne n’est pas plus à l’abri des changemens du temps que la poésie française ou italienne. Ce qui me le fait penser, c’est que le style de Sannazar n’est pas le même que le style de Vida ou de Fracastor, c’est que la poésie latine italienne ne ressemble pas à la poésie latine française, ni celle-ci à la poésie latine anglaise, et que, dans ce genre de poésie, les différences de siècles se font sentir aussi bien que les différences de pays.

Ce que je loue dans Sannazar, ce n’est donc pas, comme le voudrait Commire, la stabilité de la langue qu’il a choisie, mais le bonheur de l’inspiration et de l’expression poétique. Essayons d’en donner quelques exemples. Voici comment, dans la scène de la salutation angélique, il peint l’étonnement de la Vierge, dans une comparaison pleine de grace et de naïveté : « La Vierge demeure étonnée, baisse les yeux et pâlit. Telle, aux rivages de Myconi ou de Séripho, une jeune fille, occupée à recueillir des coquillages, errant les pieds nus au bord de la mer, si, de loin, elle aperçoit un vaisseau s’avançant les voiles déployées, surprise et n’osant plus remuer, elle oublie d’abaisser son voile et de rejoindre ses compagnes : elle regarde immobile le vaisseau qui fend la mer ; mais, pendant qu’elle regarde, le vaisseau s’éloigne, voguant fièrement sur les flots avec ses voiles qui blanchissent sous les rayons du soleil[11]. »

Sannazar, dans sa jeunesse, avait, dit-on, voyagé en Grèce, et cette comparaison pleine, pour ainsi dire, de la beauté des mers et des rivages grecs, cette scène paisible et douce fait souvenir des voyages de l’auteur. Peut-être même, pour goûter le charme de ces vers, faut-il avoir touché des yeux ce climat enchanté, avoir vogué entre les îles de l’Archipel, avoir vu, étant soi-même sur le pont de quelque vaisseau, par un beau jour et sous ce beau ciel reflété dans cette belle mer, avoir vu, comme Sannazar, quelque jeune fille qui regarde passer le.vaisseau, s’être abandonné à la contemplation de ces enchantemens du ciel, de la terre et des eaux, avoir pensé que cette jeune fille, entrevue à peine dans sa pure et lointaine beauté, les contemple et les ressent comme nous, avoir enfin goûté le charme mystérieux et comme la sympathie de ces deux regards, des siens et des nôtres, qui s’unissent dans l’admiration du même spectacle et dans l’émotion du même sentiment. Je l’avoue même, en parlant ainsi, je prête à la comparaison de Sannazar des sentimens qu’elle n’a pas : Sannazar n’a voulu peindre que l’étonnement naïf de la jeune fille qui voit un beau vaisseau passer dans l’azur du ciel et de la mer ; mais le paysage où il a placé sa gracieuse figure prête à son tableau un charme indéfinissable, et que ceux-là seulement peuvent bien sentir qui ont goûté ce qu’il y a de douceur dans la contemplation d’un beau lieu sous un beau climat.

Sannazar, plus hardi que beaucoup d’autres poètes, a osé décrire le mystère de l’incarnation, et il a réussi dans sa hardiesse. C’est ici que la traduction est impuissante à rendre la témérité discrète de la poésie ; il faut se contenter de citer :

… Repente nova micuisse penates
Luce videt : nitor ecce domum complerat ; ibi illa
Ardentum haud patiens radiorum, ignisque corusci,
Extimuit magis. At venter, (mirabile dicta !
Non ignota cano) sine vi, sine labe pudoris
Arcano intumuit verbo. Vigor actus ab alto
Irradians, vigor omnipotens, vigor omnia complens,
Descendit ; Deus ille, Deus ! totosque per artus,
Dat sese miscetque utero. Quo tacta repente
Viscera contremuere ; silet natura, pavetque
Attonitae similis, confusaque turbine rerum
Insolito, occultas conatur quœrere causas.

[12].

Et, comme si c’était peu d’avoir osé décrire ce prodige, il fait plus, il essaie de l’expliquer, et il l’explique, mais en poète, par une image ingénieuse et brillante : « Tel un rayon de soleil pénètre le verre, lumière puissante, et forte qui traverse le cristal sans le briser. »

Ce sont là, si j’ose le dire, des difficultés vaincues qui honorent la poésie, non que je fasse grand cas des tours de force qu’on appelle en littérature les difficultés vaincues. Si j’admire les vers de Sannazar sur l’incarnation, ce n’est pas parce qu’ils étaient difficiles à faire, c’est parce qu’ils sont brillans et ingénieux, en dépit d’un sujet qui se prête mieux aux pieuses obscurités de la foi qu’à l’éclat de la description poétique.

Je n’oserais comparer à ces descriptions élégantes et spirituelles qu’une description d’un genre complètement opposé, je veux dire celle des légendes apocryphes. Là, le récit est plein d’imagination à force d’être crédule. Telle est aussi bien la nature de l’imagination : il faut, pour qu’elle plaise, qu’elle croie tout, ou bien, si elle a des doutes, il faut qu’elle les cache sous l’éclat de la poésie. Encore faut-il dire que cette dernière ressource lui réussit moins bien. L’imagination plaît plus quand elle est naïve que quand elle est savante. Les descriptions de l’enfantement de la Vierge que je trouve dans les apocryphes sont bien différentes de celles de Sannazar ; mais elles sont aussi chastes, si même elles ne le sont pas plus, parce que l’imagination, dans les apocryphes, jette un voile sur ces descriptions à force de naïveté et de foi, comme, dans Sannazar, à force d’élégance et de grace.

Dans Sannazar, lorsque le Christ est conçu, la nature, interdite et confuse, s’étonne et demande les causes du changement de ses lois ordinaires. Le poète s’est contenté de mettre en scène la nature, être de raison, ce qui sent l’allégorie ; l’imagination des apocryphes est plus hardie[13].

« Le Christ allait naître. Joseph vit tout à coup le ciel s’arrêter, l’air rester immobile, et les oiseaux interrompre leur vol. Il regarda sur la terre, il vit une barque pleine de vivres et des paysans qui déchargeaient la barque ; mais, quand leurs mains voulaient prendre, elles ne prenaient pas ; quand leur bouche voulait saisir la nourriture, elle ne la saisissait pas ; et, comme malgré eux, leur visage était tourné vers le ciel. Il vit des brebis dispersées çà et là ; elles n’avançaient plus et restaient immobiles ; le pasteur levant le bras pour les frapper de sa houlette, le bras restait levé et suspendu. Joseph regarda aussi dans le fleuve, les chèvres penchées sur le bord pour boire ne buvaient pas. Tout restait immobile et interdit. »

Je ne sais si je me trompe, mais cette suspension du mouvement de la nature, ce ciel, cet air, ces oiseaux qui s’arrêtent, ces mains qui restent levées, ces chèvres mêmes penchées sur l’eau et demeurant sans mouvement, tout cela me semble une invention plus hardie et plus poétique peut-être que l’étonnement du personnage allégorique de la nature. Je vois ici comment la foi invente, ailleurs comment l’imagination et l’esprit cherchent à inventer.

Le moment où le Christ naît fait dans Sannazar un tableau plein de grandeur, souvent reproduit par les peintures italiennes. Joseph prenant entre ses mains l’enfant qui vient de naître, se sent pour ainsi dire inspiré par l’haleine naissante qui sort de la bouche divine <poeem>…Ibi auram, Insperatam auram divino efflantis ab ore, Ore trahens, subito correptus numinis haustu, Afflatusque Deo…</poem>

Ainsi, dès sa naissance, le Christ est déjà Dieu ; il l’est même aussi dans le sein de sa mère. Ne nous étonnons pas maintenant que les légendaires, dont l’imagination va plus loin que celle des poètes, aient fait parler Jésus dans le sein même de sa mère. Ne nous étonnons pas non plus de lire dans l’Alcoran[14] que, Joseph voyant la grossesse de Marie et ayant conçu des doutes, l’enfant Jésus, élevant-la voix du sein de sa mère, dit : « O Joseph ! que veulent dire ces soupçons ? Lève-toi, va à tes affaires, et demande pardon de ton péché. » Chose curieuse, ce n’est pas seulement dans les apocryphes que Mahomet a pris cette tradition de Jésus parlant du sein de sa mère. Les apocryphes l’avaient eux-mêmes peut-être empruntée aux fables répandues sur la naissance d’Apollon et de Diane. Callimaque, dans son hymne sur Délos, raconte que, Latone chassée de Thèbes et songeant à chercher un asile dans l’île de Cos, Apollon prit la parole dans le sein de sa mère pour lui conseiller d’aller chercher asile à Délos.

Sannazar finit son poème par une prédiction des miracles du Christ, prédiction mise dans la bouche de Protée. C’est toujours le même système de confusion et d’alliances qui caractérise l’époque de la renaissance ; mais, malgré cet anachronisme, je ne veux point oublier les derniers vers de son poème, vers charmans, pleins du charme du climat de Naples, pleins de la beauté de cette mer d’azur qui vient en caresser les bords : « C’est ici que je termine mes chants sur l’enfantement divin que j’ai osé célébrer. Et maintenant les frais ombrages du Pausilippe, les rivages de la mer, Neptune, ses tritons, le vieux Nérée et ses nymphes m’invitent au repos ; vous surtout, bords charmans de Mergellina, avec vos grottes chères aux Muses, avec vos orangers chargés de fleurs odorantes, l’oranger qui donne à nos climats la beauté des bois de l’Orient et ceint mon front d’une couronne plus belle que le laurier[15]. »

Je serai plus court sur Vida que sur Sannazar. Les vers de Vida, dans les six chants de sa Christiade, me semblent avoir un grand inconvénient : ils se ressemblent tous, ils sont tous faits, pour ainsi dire, sur le même patron, ils rendent tous le même son. Dans Sannazar, malgré les anachronismes, il y a de l’inspiration poétique. Dans Vida, il y a les mêmes anachronismes, la même confusion de souvenirs païens et de traditions chrétiennes ; mais, au lieu d’inspiration poétique, je ne trouve plus que ce que j’appelle la rhétorique poétique. Je ferais dater volontiers de Vida l’introduction, dans la littérature du XVe siècle, de la paraphrase et de la périphrase. Ce sont là les deux grandes machines de la poésie de Vida. Tout est paraphrasé, c’est-à-dire que le récit a toujours une sorte de mouvement oratoire au lieu du mouvement libre et aisé de la narration ; et, comme si ce n’était pas assez d’altérer les événemens par cette perpétuelle paraphrase, de leur ôter leur caractère particulier pour les métamorphoser en lieux communs, la périphrase est là pour effacer le peu qui resterait de vérité. Ainsi, le mot propre disparaît perpétuellement sous la périphrase, comme l’événement sous la paraphrase. N’espérez plus trouver ici rien qui rappelle la simplicité naïve des scènes de l’Évangile : l’Évangile n’est qu’un texte oratoire.

Citerai-je quelques exemples ? J’ai raconté avec plaisir, je l’avoue, la description naïve que les évangiles apocryphes font des miracles qui accompagnent la fuite en Égypte. Déjà, dans Gerson, ces miracles étaient indiqués plutôt que racontés, et ils étaient devenus un sujet de réflexions plutôt que de descriptions. Dans Vida, ils se métamorphosent en descriptions presque banales, faites à l’aide d’hémistiches empruntés aux auteurs anciens :

Aurae omnes terrent pavidos, capitique timentes,
Tam caro ; at puero blandiri murmure silvae
Lauricomae, et ramis capita accurvare reflexis
Aurarumque leves animae indulgere susurro.

Les vers sont élégans, mais c’est une élégance vieille et morte. Il n’y a pas, dans Vida un miracle de Jésus-Christ enfant qui ne soit, pour ainsi dire, un plagiat des poètes anciens. L’auréole même que nous sommes habitués à voir autour de la tête du Christ n’est, dans Vida, qu’un reflet de cette flamme mystérieuse qui, dans le deuxième livre de l’Énéide, s’attache à la chevelure du jeune Jules[16].

À la paraphrase et à la périphrase, qui sont déjà les deux plaies de ce poème, ajoutez l’allégorie, et une allégorie qui a toujours soin d’être une imitation de l’antiquité. Les personnages allégoriques me semblent avoir, dans les sujets chrétiens, un inconvénient tout particulier : Dans le paganisme, chaque vice et chaque qualité étaient déifiés, et, quand l’homme agissait, c’était d’après l’inspiration d’une de ces divinités. La liberté de l’ame humaine disparaissait sous l’ascendant de ces divinités fabuleuses. Le christianisme a rendu à l’ame humaine son indépendance et sa responsabilité. L’homme, dans le christianisme, agit en vertu de ses affections et de ses sentimens, et non plus d’après l’ordre de je ne sais quel dieu. Aussi l’introduction de personnages allégoriques dans un sujet chrétien devient une sorte de contradiction choquante. Pourquoi, en effet, faire intervenir une divinité là où l’homme suffit ? Que penser, par exemple, de Vida, qui, pour expliquer le reniement de saint Pierre et cette peur si naturelle et si humaine dont le fidèle apôtre est saisi quand il se trouve seul au milieu des serviteurs de Caïphe, que penser de Vida, qui évoque des enfers la Peur, divinité qu’accompagnent, dit-il, l’Engourdissement et la Lâcheté aux yeux baissés[17] ?

Jamais l’horreur du mot propre et l’effort pour trouver le mot prétendu élégant n’ont été poussés plus loin. On sait quelles ont été les bizarreries de ce paganisme littéraire du XVe et du XVIe siècles, en Italie surtout, quand l’excommunication devenait, grace au purisme, l’interdiction de l’eau et du feu quand les saints s’appelaient les dieux immortels, superi immortales ; quand le bon Dieu prenait le nom du Dieu très bon et très grand ; quand enfin des évêques, de peur de gâter leur belle latinité, obtenaient un bref du pape qui leur permettait de lire leur bréviaire en grec. Vida est de cette école de puristes. Dans ses vers, le Saint-Esprit, s’appelle Aura,

Aura, veni, afflanti Patris omnipotentis ab ore,

parce que, sans doute, le mot spirites, étant le mot théologique, n’est pas assez élégant. L’eucharistie devient le présent de Cérès, Cerealia dona ; enfin, quand Jésus-Christ, par le miracle de la multiplication des pains, a rassasié la foule accourue pour l’entendre, au lieu de dire le Sauveur ou Jésus, Vida le désigne par ces mots : Rex optimus,

Ut compressa fames, surgit rex optimus ipse.

C’est ainsi que, pendant tout le poème, la couleur chrétienne disparaît sous je ne sais quel vernis brillant, mais faux, emprunté à l’antiquité.

La Christiade de Vida est le commencement et l’original de ce que j’appelle le poème épique et classique, poème de convention, réglé et taillé sur le modèle de l’ancienne épopée et surtout de l’Énéide, où il y a nécessairement une tempête, parce que Virgile en a une, et un récit qui dure plusieurs chants, en mémoire aussi du récit d’Énée dans Virgile poèmes où l’étude est tout, qui n’ont ni inspiration ni liberté, littérature de deuxième main, qui semble n’avoir de cause que dans les bibliothèques et non dans les sentimens et les émotions du cœur humain. Non que je refuse à Vida le mérite d’une versification élégante et correcte ; ce mérite est presque son défaut. Parfois cependant ce genre de mérite apparaît dégagé des défauts que je lui ai reprochés. Je ne citerai pas, pour donner une idée de la poésie de Vida, la mort de Jésus-Christ, morceau très vanté, et qui me paraît sentir singulièrement la déclamation. Je citerai plutôt quelques traits de l’entrée triomphante de Jésus-Christ aux enfers. Là il y a quelques beaux vers, et il n’y a pas en même temps trop d’anachronismes de langage, je veux dire trop de réminiscences païennes. Peut-être cela tient-il au sujet, car l’enfer a toujours été un peu païen, même dans les croyances chrétiennes, et il n’y a guère de différence entre l’enfer des anciens et l’enfer des modernes. Vida peint d’abord la joie des élus quand ils pressentent l’arrivée du Christ

« Telles étaient leurs pensées ; tous frémissaient de joie et de bonheur. Ainsi, quand les habitans d’une ville long-temps assiégée, après avoir vu l’ennemi ébranler pendant long-temps leurs murailles et menacer leurs demeures, voient de loin arriver l’armée amie qui doit les délivrer, tous tressaillent de joie, et leur ame abattue se reprend à l’espérance…

« Jésus s’arrête aux portes de l’enfer ; il les pousse de sa main. À ce coup, la terre épouvantée tremble et retentit, les astres chancellent, et l’enfer mugit au loin dans la profondeur de ses ténèbres. À ce bruit, du fond des vallées infernales accourent les démons épouvantés[18] ; c’est en vain qu’ils exhalent de leurs gosiers béans un feu terrible et des tourbillons de fumée : la force du Dieu tout-puissant se fait sentir, et les portes, bondissant sur leurs gonds, s’entr’ouvrent d’elles-mêmes. Alors apparaît l’intérieur de cette maison de confusion ; les ténèbres s’éclaircissent, la nuit se dissipe, tant est vive la lumière qui jaillit du visage du Christ… Les démons, reconnaissant la figure du Christ, objet de leur colère, cette figure étincelante de rayons et de lumière, cherchent en vain l’obscurité, et, repliant, timidement leurs queues de dragons sous leur corps, poussent dans leurs cavernes de tristes et impuissans hurlemens. Tels ces habitans barbares des Alpes qui supportent l’effort des vents et des orages déchaînés sur ces monts, si tout à coup une armée romaine, avec ses armes étincelantes, apparaît dans leurs retraites, alors, avançant timidement la tête du fond de leurs cavernes et bientôt se dispersant sur les montagnes, on les voit s’asseoir sur quelques roches escarpées, et de là, immobiles d’effroi, contempler les bandes guerrières qui marchent au fond des défilés[19]. »

Outre sa Christiade, Vida a fait aussi des hymnes consacrés à Dieu, à Jésus-Christ, au Saint-Esprit, à la Vierge, aux principaux apôtres, et ces hymnes, qui ne sont pas, il est vrai destinés à être chantés dans l’église, ne sont guère plus chrétiens de forme et d’expression que son poème épique. Ce sont des hymnes faits à l’imitation de ceux d’Homère et de Callimaque. Seulement Callimaque recherchait avec une sorte de curiosité d’antiquaire les légendes mythologiques. Vida, au contraire, fuit avec soin les légendes chrétiennes. Il est d’une piété trop éclairée pour les admettre comme chrétien, et d’un goût trop sévère pour les chanter comme poète. Dans ses hymnes, il est un peu théologien, mais du côté où la théologie touche à la philosophie[20], et surtout il tâche d’exprimer en beau style les mystères de la trinité et de l’incarnation. Il se félicite, en commençant, d’avoir réconcilié le Parnasse avec le Calvaire ; il croit même, singulière illusion, avoir créé la poésie chrétienne, au moment où il la défigurait par l’étrange confusion de son style[21].

La philosophie platonicienne et le beau langage ont failli détruire la poésie chrétienne en Italie au XVe siècle, et, s’ils n’ont pas tout-à-fait arrêté l’essor de cette poésie, ils l’ont au moins beaucoup contrarié. La renaissance a donné à la littérature moderne un esprit païen qui y est resté. Cet esprit a aidé au bon goût, il a nui à la foi. C’est dans Vida et dans les poètes de cette école qu’on peut le mieux observer le travail qui se fait alors dans la littérature. Nous avons vu tout à l’heure combien Vida, dans sa Christiade, avait de répugnance à se servir, pour désigner le Saint-Esprit, du mot théologique de spirites ; dans ses hymnes, il n’est pas moins embarrassé pour définir le Saint-Esprit d’une manière à la fois philosophique et élégante : « C’est, dit-il, cet amour que dans sa bonté le maître souverain de l’Olympe a pour les mortels, cet amour que dans notre reconnaissance nous avons pour lui à notre tour, que les habitans du ciel et de la terre ont les uns pour les autres, et qui les rend frères, cet amour enfin qui est le mutuel penchant du ciel et de la terre, le feu qui anime tout, le nœud indestructible et doux qui unit les élémens, la force des ames divines, le don infini de Dieu. C’est de là qu’émanent la piété et la vertu. Souffle puissant, amour plein de force, Dieu qui partout respire, esprit enfin, dont les créations sont partout répandues, c’est toi que partout nous voyons, toi que partout nous entendons[22]. » Il y a dans ces vers de l’éclat et de l’élévation ; mais ils ne se sentent guère de l’inspiration de l’Évangile, et cette divinité partout répandue pour tout animer, cet amour qui unit le ciel et la terre, ressemble beaucoup plus à l’amour, au dieu primitif chanté par le vieil Hésiode, qu’au Saint-Esprit, qui, sous la forme d’une colombe, préside au baptême de Jésus-Christ, ou, sous la forme de langues de feu, vient inspirer les apôtres.

Il y a au XVe siècle, en Italie, parmi les lettrés, deux sortes de paganismes, le paganisme qui prête au christianisme ses mots, ses images, ses idées et presque ses sentimens : c’est celui de Vida dans son poème et dans ses hymnes ; le paganisme qui emprunte au christianisme ses idées et ses sentimens : ce dernier genre de paganisme est le plus curieux et témoigne de l’étrange confusion qui s’était faite alors dans les esprits. Il y avait des poètes qui, dans leur passion pour l’antiquité, s’étaient élancés du premier bond jusqu’au paganisme littéraire le plus absolu, et qui chantaient Jupiter, Junon, Minerve, Apollon et Vénus plutôt que la Vierge et les saints : tel est, par exemple, le poète Marullus ; mais, arrivés là, les poètes de cette école reculaient bientôt, comme malgré eux, vers les idées chrétiennes, et pendant que Vida dans ses hymnes rapproche Jésus-Christ de Jupiter, et le Saint-Esprit de l’amour primitif, Marullus dans ses hymnes rapproche, au contraire, Jupiter de Jésus-Christ et l’amour mythologique de l’amour divin. Voyez ces vers de l’Hymne de Marullus à Jupiter « C’est lui que nous adorons, le créateur du monde et le maître des cieux, qui n’a ni commencement ni fin, ni naissance ni mort, qui gouverne tout, n’est asservi lui-même à aucune loi, et qui, tout entier en lui-même, échappe aux vicissitudes du temps par son éternité, et donne au monde l’abondance des jours. Il n’a qu’un fils, l’unique objet de son amour, éternel comme lui, pur et sans tache ; c’est à lui qu’il a confié le soin de l’univers, la tutelle de son empire ; c’est avec lui qu’il partage son pouvoir[23]. » C’est ainsi qu’au XVe siècle, par un perpétuel échange d’idées, le Christ est païen et Jupiter est chrétien, tant les deux inspirations du moyen-âge et de l’antiquité se mêlent dans l’esprit des poètes du temps, qui ne peuvent se décider ni à renoncer à l’élévation des idées chrétiennes, même quand ils célèbrent le paganisme, ni à l’élégance et à la beauté de la poésie antique, même quand ils chantent des sujets chrétiens.


SAINT-MARC GIRARDIN.

  1. Voyez les deux premières parties dans les livraisons des 1er mai et 15 août 1849.
  2. Voyez les Stanze.
  3. Colletet a traduit ce poème sous ce titre : Les Couches de la vierge Marie.
  4. Nec minus, o muse, vatum decus, hic ego vestros
    Optarim fontes, vestras, nemora ardua, rupes :
    Quandoquidem genus è coelo deducitis, et vos
    Virginitas sanctarque juvat reverentia famae,
    Vos igitur, seu cura poli, seu Virginis hujus
    Tangit honos, monstrate viam, qua nubila vincam,
    Et mecum immensi portas recludite coeli.
    Magna quidem, magna, Aonides, sed debita posco,
    Nec vobis ignota ; etenim potuistis et antrum
    Aspicere, et choreas ; nec vos orientia coelo
    Signa, nec eoos reges latuisse putandum est.

  5. Voyez la Sixtine et les mosaïques de Sienne.
  6. Nuda humero, nudis discinctà veste papillis,
    Ore omnes formosae, albis in vestibus omnes,
    Omnes puniceis evinctae crura cothurnis.

  7. Adveniet, mihi crede, inquit (certissima coelum
    Signa dedit, nec me delusum oracula fallunt),
    Qui te olim Nili supra septemplicis ortus,
    Supra Indum et Gangem, fontemque binominis Istri
    Attollet famà, qui te Tyberique, Padoque
    Praeferet, atque tuos astris arquabit honores.

  8. Ite citae, date thura pias adolenda per aras,
    Caeruleae comices, viridique sedilia musco
    Instruite, et vitreis suspendite serta columnis ;
    Purpureas miscete rosas, miscete hyacinthos,
    Liliaque, et pulchro regem conspergite nimbo.

  9.  Ultima Cumaei venit jam carminis aetas,
    Magna per exactos renovantur saeula cursus,
    Scilicet haec virgo est, haec sunt Saturnia regna,
    Haec nova progenies coelo descendit ab alto,
    Progenies, per quam toto gens aurea mundo
    Surget, et in mediis palmes florebit aristis,
    Qua duce, si qua manent sceleris vestigia nostri,
    Irrita perpetua solvent formidine terras,
    Et vetitum magni pandetur limen Olympi.
    Occidet et serpens, miseros quae prima parentes
    Elusit, portentificis imbuta venenis. (Lib. III.)

  10.  Nescis ut patrio novam
    Sermoni faciem quaecumque ferat dies ?
    Nam quas nunc misere anxias
    Scriptor quaerere amat delicias, brevi
    Usus, si volet, insolens
    Spretas rejiciet non sine nausea.
    At certus Latiis honos
    Et vani haud metuens taedia saeculi
    Perstat gratia vatibus… (Ode de Commire à Santeuil.)

  11. … Stupuit confestim exterrita virgo,
    Demisitque oculos, totosque expalluit artus.
    Non secus, ac conchis si quando intenta legendis,
    Sen Micone parva, scopulis sen forte Seriphi,
    Nuda pedes virgo, laetae nova gloria matris,
    Veliferam advertit vicina ad littora puppim
    Adventare, timet ; nec jam subducere vestem
    Audet, nec tuto ad socias se reddere cursu ;
    Sed trepidans silet, obtutuque immobilis haeret. (Lib. I.)

  12. « Une soudaine lumière remplit et illumine la salle où la Vierge était agenouillée ; sous l’éclat de ces rayons ardens, Marie baisse ses regards éblouis ; mais en même temps son sein (je chante des prodiges vénérés par la foi), son sein se gonfle, plein du Verbe divin. Sa pudeur n’a ressenti aucune atteinte. C’est une force qui rayonne autour d’elle, une force divine et toute-puissante, une force qui la pénètre : c’est un Dieu, c’est Dieu lui-même qui descend dans son soin, qui s’unit et s’attache à elle. Ses entrailles ont tressailli profondément, et la nature se tait comme interdite d’effroi. Frappée d’une confusion inattendue, elle cherche à pénétrer les causes du mystère qui s’accomplit contre ses lois. »
  13. Évangile de saint Jacques-Mineur, chap. 18.
  14. On sait que l’Alcoran a beaucoup puisé dans les faux évangiles répandus-en Orient.
  15.  Hactenus, ô superi, partus tentasse verendos
    Sit satis ; optatam poscit me dulcis ad umbram
    Pausilypus, poscunt Neptunia littora, et udi
    Tritons, nereusque senex, Panopeque, Ephyreque,
    Et Melite, quœque in primis mihi grata ministrat
    Otia, Musarumque cavas per saxa latebras,
    Mergellina, novos fundunt ubi citria flores,
    Citria Medorum sacros referentia lucos,
    Et mihi non solita nectunt de fronde coronam.

  16. … Quoties sanctous expavimus ignes,
    Flammarumque globoes, et terrificos fulgores,
    Saepe quibus visus puer est ardere nitentem
    Caesariem, coeli dum splendet luce corusca ? (Lib. III.)

  17. Tristior haud ulla est umbrosis pestis in oris,
    Scilicet, atque hominum egregiis magis aemula coeptis ;
    Frigus ei comes, et dejecto Ignavia vultu.

  18. Vida les appelle Lucifugi fratres, les frères qui fuient la lumière, et les représente sous la forme humaine jusqu’au milieu du corps, avec des queues de dragon au lieu de pieds.
  19.  Ut vero in modiis Divum penetralibus hostes
    Videre, et faciem invisam agnovere per umbras,
    Ardentem radiis ac mira luce coruscam,
    Protinus aspectu subito terrentur, et imas
    Conjiciunt sese in latebras, linguaque remulcent
    Commissas utero caudas, stratique tremendum
    Nequicquam umbrosis in speluncis ulularunt.

  20. Je citerai quelques-uns de ces vers, moitié théologiques et moitié philosophiques. Ainsi, quand il essaie de définir Dieu :

    Quidquid es o, seu vis, seu mens, seu spiritus ille
    Qui mare, qui terras, qui coelum numine comples ;
    Tu tibi principium, tibimet tu terminus ipse,
    Incipis abs te, si incipis ; in te desinis ipsum.

  21. Carmina enim mutanda ; novo nunc ore canendum ;
    Jamque alias sylvas, alios accedere fontes
    Edico.<poem>


  22. <poem>Hic amor est quo mortales regnator Olympi
    Prosequitur bonus ; hic idem quo nos quoque contra
    Grati illum ardemus, quo se superique hominesque
    Mutuâ amant inter sese pietate foventes.
    Hic amor est coeli ; terrarum haec mutua flamma,
    Cuncta fovens, nodusque tenax et amabile vinclum,
    Caelestum vis magna, dei immemorahile donum,
    Hinc omnis pietas, hine omnis denique virtus ;
    Aura potens, amor igne potens, spirabile numen,
    Spiritus ipse, tui apparent vestigia ubique
    Numinis ampla ; tuum est quodcumque, ubicumque videmus.
  23. Et rerum autorem dominumque agnoscimus aethrae,
    Quem non principium, non ulla extrema fatigant,
    Expertem ortus atque obitus ; qui cuncta gubernas,
    Nescius imperii, tolusque inte ipse vicesque
    Despicis aeternas et tempora sufficis aevo :
    Unigenam sancto prolem complexus amore
    AEterno aeternam et perfectam, labe carentem,
    Cui rerum late custodia credita cessit
    Et regni tutela tui consorsque potestas
    Temperat acceptas sine fine et tempore habenas. (Hymnes de Marullus, liv. Ier,)