De l’élevage du poulain
DE
L’ÉLEVAGE DU POULAIN
THÈSE
POUR LE DIPLÔME DE MÉDECIN-VÉTÉRINAIRE
Présentée et soutenue le 22 Juillet 1877
Par P.-Émile SAUNÉ
D’Urau, canton de Salies-du-Salat (Haute-Garonne).
TOULOUSE
IMPRIMERIE PRADEL, VIGUIER ET BOÉ
RUE DES GESTES, 6.
1877
- la reconnaissance ou l’amour,
Qu’ils reçoivent ici l’expression de ma profonde
gratitude et de mon dévouement.
MM. | H. BOULEY O. ❄, | Inspecteur-général. | |
LAVOCAT ❄, | Directeur. | ||
LAFOSSE ❄, | Professeurs. | ||
BIDAUD, | |||
TOUSSAINT, | |||
Mauri, | Chefs de Service. | ||
Laulanié, | |||
Labat, | |||
Lignon, | |||
N… |
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THÉORIE | Épreuves écrites |
1o | Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ; | ||
2o | Dissertation sur une question complexe d’Anatomie, et de Physiologie. | ||||
Épreuves orales |
1o | Pathologie générale ; | |||
2o | Pathologie médicale ; | ||||
3o | Pathologie chirurgicale ; | ||||
4o | Maréchalerie, Chirurgie ; | ||||
5o | Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ; | ||||
6o | Police sanitaire, Jurisprudence ; | ||||
7o | Agriculture, Hygiène, Zootechnie. | ||||
PRATIQUE | Épreuves pratiques |
1o | Opérations chirurgicales et Ferrure ; | ||
2o | Examen clinique d’un animal malade ; | ||||
3o | Examen extérieur de l’animal en vente ; | ||||
4o | Analyses chimiques ; | ||||
5o | Pharmacie pratique ; | ||||
6o | Examen pratique de Botanique médicale et fourragère ; | ||||
7o | Dissection anatomique, préparations histologiques. |
AVANT-PROPOS
La contrée où je suis né et où je dois exercer la médecine vétérinaire élève annuellement un grand nombre de ruminants et de solipèdes. Les premiers sont l’objet des soins les mieux entendus, tandis que les seconds sont négligés sous presque tous les rapports. Le cheval pourtant semble avoir de l’avenir dans nos contrées. Elles fournissent de bons sujets doués d’une conformation exceptionnelle, mais cela est dû à un air pur et surtout à d’excellents pâturages. Que serait-ce donc, si une bonne éducation donnait son concours à ces facteurs naturels ? Les soins aidant la nature, presque tous les élèves acquerraient la même perfection, surtout s’ils étaient issus de reproducteurs méritants.
Lorsqu’est venu le moment de choisir le sujet de ma thèse, je n’ai éprouvé aucun embarras : je me suis arrêté à l’élevage du poulain. Ce sujet est très-pratique. Le goût, un peu d’expérience, le désir de contribuer à l’amélioration de l’espèce chevaline, l’amour de mon pays m’ont rendu ce travail agréable. Puissent nos propriétaires
y trouver des conseils utiles ! Le positivisme est la disposition dominante des habitants de nos campagnes ; s’ils veulent bien lire mon opuscule, j’aime à croire qu’ils y trouveront le moyen de
tirer un meilleur parti de l’élevage des poulains.
MODE D’ÉLEVAGE DES POULAINS
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
Le cheval étant une machine qui produit du travail, il est important que dans cette machine tous les rouages soient bien coordonnés, toutes les parties bien construites. Pour atteindre ce but, l’hygiène vient à notre secours. On y trouve des règles qui peuvent être appliquées à tous les âges et dont nous croyons devoir faire tout d’abord un rapide exposé.
Alimentation. — A. L’animal le plus parfait ne peut acquérir toutes ses qualités naturelles s’il n’est convenablement alimenté ; aussi, a-t-on pu dire avec raison : Il n’y a pas de mauvais chevaux pour qui les nourrit bien. Le poulain naît avec des proportions qui seraient défectueuses chez un adulte et il les conserverait en partie s’il ne recevait pas une alimentation suffisante pour acquérir dans ses formes l’harmonie qui est en lui, mais à l’état virtuel seulement à sa naissance.
La poulinière qui reçoit une ration substantielle peut fournir au fœtus, sans gêner son développement, un sang riche en principes nutritifs et, après la naissance, procurer au jeune sujet un lait d’excellente qualité.
Si pendant la gestation la nourriture est abondante, grossière et de mauvaise qualité, ses organes digestifs prendront un volume qui, comprimant la matrice, gêneront le développement du produit et amèneront comme conséquence des déviations congéniales.
M. Lafosse faisait ressortir tout récemment, dans la Revue vétérinaire, la fâcheuse influence qu’une mauvaise alimentation peut exercer sur les proportions et les aplombs après le sevrage.
Si alors on nourrit mal et avec des substances grossières et peu nutritives, le ventre de l’élève grossit, les coudes se dévient en dedans, le thorax se resserre et la bête devient panarde ; les mêmes déviations surviennent aux membres postérieurs. De plus, les muscles et les ligaments se relâchent et les poulains deviennent longs ou bas-jointés.
Si les substances minérales nécessaires à la constitution des os manquent dans l’aliment, le squelette restera grêle, inconvénient grave surtout dans les os des membres. Enfin, les muscles et les tissus blancs, ligaments et tendons, ne pourront acquérir un développement suffisant qu’au moyen d’une nourriture riche en matières protéiques.
B. L’air est après l’aliment un des facteurs les plus influents ; il oxygène le sang et par là concourt aux actes internes de la nutrition. Il faut que pour produire ces effets, il soit constamment pur. Notre contrée est saine, mais on ne peut pas en dire autant de toutes les habitations destinées au cheval. L’aération y est souvent insuffisante ; l’air par suite s’y imprègne de miasmes, s’y sature de vapeur d’eau, d’acide carbonique ; il devient délétère au lieu d’être revivifiant.
Les habitations doivent donc être bien aérées, le sol doit y présenter des pentes ménagées pour le facile écoulement des urines et assez douces pour ne pas nuire aux aplombs. Mais, en outre, les poulains ne doivent pas y être attachés. Les boxes sont donc indispensables. C’est vers l’âge de trois ans seulement, lorsqu’arrive l’époque du dressage, que les poulains seront attachés dans les stalles à bat-flancs pour s’habituer au régime qu’ils devront généralement subir lorsqu’ils seront mis en service.
Exercice. — C. L’exercice modéré convient à tous les âges. C’est par une gymnastique en général instinctivement bien réglée du poulain en liberté que ses organes locomoteurs bien nourris, d’ailleurs, arrivent à toute leur perfection. Le poulain qui jouit de la liberté de ses mouvements dans les boxes, les paddocks ou au pâturage a généralement les articulations larges, des muscles fermes et résistants, des aplombs réguliers ; chez lui on ne trouve aucun de ces vices de conformation qui ne sont que trop souvent l’apanage de ceux qui ont été élevés à l’écurie. Sa corne s’use régulièrement et le pied se maintient dans ce qu’on a appelé l’état de belle nature.
Plus tard, arrivé à l’état adulte, il conservera ces qualités à la condition d’être soumis à un exercice régulier soutenu sans excès, et pourvu toutefois qu’il soit logé et nourri suivant les principes de l’hygiène.
Aplombs. — D. Quelle que soit la période de la vie, il importe toujours de veiller à la conservation et parfois à la rectification des aplombs. Ce précepte doit surtout être appliqué dans toute sa rigueur aux diverses périodes de l’élevage. Les défauts que présente sous ce rapport le sujet arrivé au développement qui permet le travail sont des causes d’usure prématurée des membres. Lorsque les tares qui en sont les signes apparaissent, elles croissent rapidement et mettent bientôt l’animal qui les porte hors de service, car les causes occasionnelles qui les produisent sont aidées dans leurs effets destructeurs par une cause prédisposante, originelle ou acquise.
Éducation. — E. Ce n’est ni par la contrainte ni par la violence que l’on rendra les animaux dociles. L’éducation du poulain décide presque entièrement de son caractère. S’approcher souvent, le toucher, le panser sans l’effrayer, sans l’irriter, lui lever les pieds souvent, l’habituer à l’attache, au licol, à se laisser conduire, le familiariser enfin de bonne heure au contact de l’homme, c’est lui faire un bon moral et c’est aussi la meilleure préparation au dressage.
Pansage. — F. Le pansage est indispensable à la santé. La pratique fait voir que les chevaux régulièrement pansés ont la peau souple, perméable, très-apte par conséquent à exercer ses fonctions éliminatrices. Il est d’autant plus nécessaire de favoriser ces éliminations qu’elles prennent une part des plus importantes dans l’équilibre de la nutrition : que la peau soit recouverte, faute de pansage, par une couche de poussière, d’écailles épidermiques agglomérées par la matière sébacée, les fonctions éliminatrices seront ralenties et les organes internes devront entrer en surexcitation fonctionnelle, se fatiguer jusqu’à un degré maladif pour épurer le sang et, encore, n’empêchent-ils pas toujours l’altération de ce fluide et les troubles les plus funestes dans l’ensemble de l’économie. Que la peau soit entretenue dans un état de propreté, ses sécrétions seront favorisées, deviendront plus actives ; l’appétit deviendra plus vif, les absorptions plus énergiques, au grand bénéfice de la digestion.
L’excitation du pansage active du reste la circulation. Par cet ensemble d’effets, il assure le bon exercice de la nutrition ; ajoutons qu’à lui seul il prévient et guérit un grand nombre de maladies cutanées.
Après ces considérations je vais diviser l’élevage en trois périodes.
La première s’étendra de la conception à l’âge de six mois ; la seconde de six mois à deux ans et demi, et la troisième de deux ans et demi à trois ans et demi ou quatre ans, époque à laquelle les animaux doivent recevoir les principes du dressage.
Je développerai tour à tour ces périodes, en insistant surtout sur la deuxième, qui est la plus étendue et la plus intéressante au point de vue de l’accroissement de nos poulains.
PREMIÈRE PÉRIODE
De la conception à l’âge de six mois.
Les qualités comme les défectuosités existent pendant le jeune âge ; elles remontent même jusqu’à la conception ; car, comme l’a dit notre excellent professeur M. Lafosse, les défauts et principalement les déviations d’aplombs résultent d’accouplements disproportionnés, en ce sens que le procréateur d’un sexe est sensiblement de plus haute taille et à formes plus nourries que celui du sexe opposé avec lequel il s’est accouplé. Il arrivera, en pareil cas, que le père étant le plus fort et la tendance du produit étant à ressembler au père plus qu’à la mère, ce produit ne trouvera pas toujours dans l’abdomen de celle-ci un espace suffisant pour se développer à l’aise, un ou plusieurs membres seront refoulés, pressés, fléchis à l’extrême. Il n’en faut pas davantage pour déterminer des déviations dans l’axe des os longs et surtout dans les jointures de ces os ou de celles des os courts. De plus, du côté de la mère, une ingestion habituelle trop copieuse d’aliments grossiers, de digestion difficile, dilatera à l’extrême les gros intestins, lesquels alors gênent le développement du fœtus dans la matrice.
Il suit de là que les soins à l’aide desquels on obtient de bons produits remontent à la conception et s’étendent à la gestation aussi bien qu’aux périodes qui suivent la naissance.
Pour qu’un poulain soit conçu dans de bonnes conditions, ses auteurs doivent réunir certaines convenances de formes et de proportions ; car des différences trop marquées sous ce double rapport ont pour conséquence des produits défectueux, décousus, comme on dit vulgairement.
Pendant la gestation, outre les soins d’hygiène indispensables à tous les individus de l’espèce, la mère devra recevoir une nourriture spéciale. Le vert est une des meilleures, surtout en liberté ; à l’écurie, au lieu de fourrages grossiers, sans valeur nutritive, indigestes, elle recevra avec des fourrages de choix quelques litres de grain, de farineux et de son ; ce dernier aliment dégorge les organes digestifs et il introduit dans le sang des sels terreux qui favorisent le développement du squelette.
Après la parturition, les poulains doivent prendre le premier lait de leur mère : ce liquide, appelé colostrum, est doué de propriétés purgatives nécessaires pour débarrasser l’intestin du sujet de son méconium. Mais il peut arriver que, chez certains sujets, l’effet purgatif n’ait pas lieu, comme j’ai eu l’occasion de le constater sur un poulain de race anglo-arabe. Ce jeune animal devint malade quatre ou cinq jours après sa naissance et il fallut avoir recours à divers purgatifs, tels que l’aloès, le sirop de nerprun. Les lavements à eux seuls suffisent le plus souvent. Si le produit se trouve faible, chétif, on devra le soutenir, le diriger à la mamelle, lui prodiguer une multitude de petits soins qui sont en général connus des éleveurs.
Lorsque les juments sont chatouilleuses, méchantes, de mauvaises mères en un mot, il faut les surveiller attentivement jusqu’à ce qu’elles soient habituées à se laisser téter par leur jeune nourrisson. On est parfois obligé de leur serrer le nez, de leur bander les yeux, de les entraver ou de leur lever un pied pour les décider à supporter l’approche de leur fruit.
Quand le poulain a reçu ces premiers soins et qu’il a atteint l’âge de trois ou quatre jours, on devra le conduire avec sa mère dans le plus proche pâturage afin qu’il puisse gambader et respirer à l’aise l’air pur ; il y a là des conditions utiles pour son développement ; en même temps, la jument prendra une nourriture plus succulente que celle qu’elle reçoit à l’écurie. Elle donnera ainsi une plus grande quantité de lait qui est de toute nécessité pour subvenir aux besoins du jeune nourrisson.
Lorsqu’on se propose de faire sortir le poulain, on doit tenir compte de la température ; on choisira pour cela le beau temps, les moments les plus chauds, car, les journées froides l’incommodent et peuvent lui occasionner des maladies. Il est de remarque que les produits qui sont promenés chaque jour ou conduits dans un lieu de pâturage et qui prennent d’excellent lait, deviennent vite forts, énergiques, de sorte que, à l’âge de trois mois, ils peuvent commencer à prendre quelque peu d’avoine : ce supplément ajouté au lait fera progresser leur accroissement. Le grain leur donne des muscles puissants, un poil brillant, un œil vif et plein d’ardeur. Mais, il faut le dire, la principale nourriture leur est fournie par la jument. Aussi, il y a indication de bien la soigner. Les lieux où on la fera pâturer devront renfermer des plantes succulentes, aromatiques en même temps, pour que le lait soit de qualité supérieure. À son retour à l’écurie la poulinière devra trouver dans son râtelier du foin d’excellente qualité ; une ration d’avoine ou de son devra lui être distribuée. Les boissons, si cela se peut, devront de temps à autre être mélangées à des farineux ; toutes ces conditions ne peuvent qu’augmenter la sécrétion lactée. Le poulain né d’une mère qui recevra de pareils soins acquerra des formes élégantes et régulières ; sa poitrine deviendra spacieuse, ses aplombs réguliers, etc. À cette époque, toutes les parties grandissent en prenant les rapports qu’elles doivent avoir les unes avec les autres, tandis que plus tard, lorsque les animaux sont formés, les muscles, les viscères, le système osseux, restent à peu près stationnaires, quels que soient les aliments qui leur servent de nourriture. À l’époque de leur complet développement, le tissu cellulaire, la graisse et quelques fluides seulement se développent. Mais ces matières ne sont d’aucune utilité puisqu’elles nuisent à l’économie en surchargeant les organes de la locomotion. De ceci il est aisé de concevoir qu’il y a avantage à donner à nos animaux les meilleurs produits.
Les propriétaires de ma contrée ont l’habitude de conduire leurs poulinières dans les pâturages peu de jours après la mise bas, et cela pour les y laisser une durée de trois ou quatre mois ; mais ils ne doivent pas ignorer que c’est un mode d’élevage bien mal entendu, car les jeunes produits se trouvent exposés aux diverses variations de température : pluies, vents, chaleurs, etc. On voit de jeunes mâles qui s’épuisent avec les juments. En comparant les poulains élevés sous la direction de leurs propriétaires à ceux qui sont livrés à eux-mêmes dans les fourrés, les pelouses des montagnes, nous voyons que les premiers ont de l’énergie, leur poil est court et brillant, tandis que les derniers sont tristes, affaiblis, chétifs en un mot.
Donc c’est par l’usage de la bonne nourriture que nous devons chercher à améliorer.
Après la naissance, les poulains ne doivent pas être soumis à de longues fatigues ; elles peuvent, à cet âge tendre, détériorer leur constitution, dévier leurs membres, ruiner leurs articulations. On ne devrait pas même les laisser aller avec leur mère lorsque le lieu de pâture se trouve très-éloigné ; on doit attendre qu’ils aient la force voulue. Il arrive souvent que quelques-uns restent petits, rabougris, et cela est dû à ce que, fatigués à leur arrivée dans les pacages, ils se couchent sur un sol humide et contractent des pneumonies, des coliques, des entérites parfois mortelles. La fatigue, dans le très-jeune âge, occasionne des défauts d’aplombs, et on voit apparaître des molettes. Par contre, le séjour à l’écurie permet souvent une croissance excessive de la corne qui amène une flexion trop forte des phalanges ou leur déviation latérale, si on n’a pas le soin de ramener le pied à ses proportions.
On ne doit pas utiliser les poulinières, pour si peu fatigant que soit le service, car le lait, sous l’influence de l’exercice, s’échauffe et occasionne à l’élève des diarrhées parfois rebelles ; alors il maigrit, devient efflanqué et son poil prend un aspect terne. Par conséquent les juments destinées à la reproduction ne devront être ni attelées, ni montées, ou du moins ne devra-t-on en user qu’avec d’extrêmes ménagements.
Lorsque le poulain a atteint l’âge de quatre mois, il convient de le séparer de sa mère pour qu’ils s’habituent à vivre isolément l’un et l’autre. On peut de la sorte réunir plusieurs sujets et leur distribuer les soins qui leur sont nécessaires, c’est-à-dire leur faire prendre un peu d’avoine ou de son. Les soins de propreté ne devront pas être négligés à cet âge. On habituera les poulains à se laisser brosser ; on choisira l’instrument de pansage le plus doux afin de ne pas irriter la peau de ces jeunes animaux. À l’écurie, ils doivent être tenus proprement sur la litière, tandis que, exposés dans une écurie humide et froide, ils seraient atteints de maladies telles qu’arthrites, rhumatismes, qui, certainement, nuiraient à leur développement, et pourraient même occasionner la mort.
Enfin, lorsque les poulains ont atteint l’âge de six mois, on doit s’occuper de les sevrer. Autrefois, on croyait que pour obtenir de bons sujets, il fallait laisser têter les poulains jusqu’à l’âge de neuf à dix mois ; mais notre savant professeur M. Lafosse a fait entrevoir qu’il y avait là une habitude qui devait être rejetée ; car, dit-il, les femelles pleines de nouveau, souffrent ; de plus, le liquide sécrété à cette époque se trouve en trop petite quantité pour produire les effets qu’on en attendrait ; l’époque du sevrage doit avoir lieu, d’après lui, vers l’âge de cinq mois et demi à six mois.
On peut sans crainte, à cet âge-là, supprimer aux poulains l’usage du lait, car la plupart ont acquis un développement suffisant.
Le sevrage est chose facile pour celui qui a l’habitude d’élever des poulains. On doit procéder avec méthode pour le rendre court et facile. Le petit doit être mis seul ou en compagnie d’autres poulains dans une loge assez spacieuse, afin de le distraire ; on devra lui donner du grain et du foin de meilleure qualité. De temps à autre, il doit être remis avec sa mère pour calmer son ennui. En agissant ainsi, il arrivera un moment où il ne fera guère attention à la jument et la privation du lait sera rendue moins pénible.
Le produit sevré devra forcément recevoir une nourriture d’excellente qualité ; le foin seul est peu nutritif.
L’avoine, l’orge et les fèves trempées sont des substances on ne peut plus favorables pour l’entretien du jeune poulain. Les repas devront être composés d’aliments divers afin de prévenir le dégoût, maintenir l’appétit et donner aux jeunes élèves une bonne constitution. Cette nourriture est de toute rigueur pour nos poulains ; à cette période, privés du lait qui était, on peut le dire, leur unique alimentation, la poitrine reste stationnaire, le ventre se développe et les membres se dévient ; les coudes tendent à s’appuyer contre la cage thoracique, les rotules sont rejetées en dehors par le ventre ; de ces conséquences, il résulte que l’on a des poulains panards, faibles, peu agréables à l’œil.
Je n’insiste pas sur ce dernier point, car nous reviendrons sur ce sujet dans la suite.
SECONDE PÉRIODE
Élevage de six mois à deux ans et demi.
C’est à la fin de la belle saison que les poulains sont sevrés. Ils sont privés dès ce moment de l’usage du lait, d’une partie de la liberté et du régime du vert. Le régime des élèves change presque complètement. Par suite de ce changement dans l’alimentation, l’économie de nos poulains subit diverses modifications. À ce sujet, je n’ai qu’à rapporter ici ce qui a été dit par notre professeur M. Lafosse, dans le Journal vétérinaire : « C’est une chose bien digne de remarque qu’un solipède bien conformé à la naissance, ayant toujours conservé des aplombs réguliers pendant la période d’allaitement, les perd parfois après cette période. Signalons les causes de ces fâcheux changements dont voici d’abord l’énumération.
Le jeune sujet, après le sevrage, peut devenir panard, soit du devant, soit du derrière. Ce dernier vice en entraîne un autre : les jarrets clos.
Il peut aussi devenir long-jointé à jarrets droits ou droit-jointé et bouleté. Comment et pourquoi ces vices se produisent-ils ?
1o Pieds panards. — Ce vice provient de ce qu’après le sevrage le jeune sujet, habitué au régime du lait, n’a pas encore ses organes masticateurs assez complets et ses organes essentiels de la digestion assez puissants, et aussi de ce que, dans bien des cas, il ne reçoit pas une nourriture appropriée à son état. Par suite de l’action combinée de plusieurs et le plus souvent de toutes ces causes réunies, l’animal maigrit en même temps que son ventre grossit démesurément, surtout lorsqu’il ne reçoit pour nourriture que des fourrages grossiers et peu alibiles. Il est facile de comprendre ce qui advient alors.
Pour les membres antérieurs, l’amaigrissement amène le rétrécissement du thorax, le rapprochement des coudes et des talons, et enfin en même temps l’écartement des pinces qui se dirigent en dehors. Les pieds ne suivant pas toujours le haut des membres en rapprochement, conservent souvent leur écartement primitif, d’où résulte un appui trop prononcé du bord interne de la paroi, son usure en dedans et sa croissance au contraire exagérée en dehors : la muraille devient droite au côté interne, très-oblique en dehors, d’où évasement de ce côté et une action de levier qui tend pour son compte à augmenter le vice existant.
Pour les membres postérieurs, l’amaigrissement et le développement excessif du ventre amènent le rétrécissement des fesses, le rejet des jarrets en dedans, et comme conséquence, l’écartement des pinces des deux pieds opposés, le rapprochement des talons de ces pieds et des jarrets qui les surmontent.
Comment le jeune sujet, à partir du sevrage, devient-il long-jointé ?
Lorsqu’il maigrit par suite du mauvais régime auquel il est soumis, il s’affaiblit. Néanmoins, le plus souvent son ventre grossit et lui donne du poids. De cette action combinée du poids du tronc et de la faiblesse croissante des tissus, résultent l’allongement des muscles fléchisseurs et de leurs tendons qui sont les soupentes passives principales dans l’appui et enfin l’abaissement du boulet.
Ces vices se corrigent d’eux-mêmes à mesure que s’achève ou se complète la croissance des dents ou leur remplacement, si surtout l’animal, pour une raison quelconque, reçoit de bons fourrages et de préférence de l’avoine, des farineux ou des graines, en même temps qu’il jouit du grand air et de la liberté, dont l’effet tonique est si puissant ; mais d’autrefois aussi, ils persistent ou tendent à s’aggraver ; c’est alors que d’autres moyens doivent compléter l’action du régime.
Rogner la pince, châtier la mamelle et les quartiers externes, à la fois en hauteur et en largeur placer une lame de fer ayant au plus l’épaisseur de la paroi, attachée au moins avec trois clous et incrustée dans la corne par ses extrémités, tel est le moyen essentiel. Il suffit parfois de se borner à rogner fréquemment tout le côté externe du pied. Quand le sujet est bas-jointé on ne peut trop s’attacher à rogner la pince en hauteur et en longueur. On peut encore, si cela ne donne pas de résultats différents, mettre deux lames de fer de la mamelle aux talons, de telle sorte que ces derniers soient soustraits à l’usure et croissent en hauteur, tandis que la pince non protégée s’use et reste sans cesse d’une faible longueur.
Le bras du levier antérieur est raccourci et les tendons fléchisseurs, moins fatigués par suite, relèvent peu à peu le boulet. En cas d’insuccès ou de succès trop lent, le fer à planche tronqué, à partir des mamelles, est un moyen héroïque. Deux ou trois ferrures de cette sorte amènent, sinon tout le résultat désiré, au moins une très-sensible amélioration.
Comment le jeune sujet devient-il bouleté ?
Deux causes principales nous ont paru engendrer ce vice. Le plus communément, pensons-nous, ce vice presque spécial aux membres de devant, résulte d’une croissance non équilibrée des os de la région métacarpienne et de son appareil tendineux ou ligamenteux postérieur.
Le métacarpien principal croît en longueur plus vite que le ligament suspenseur et que les tendons, d’où le transport du boulet en avant. Ordinairement, sous l’influence de cette cause, le boulet reste droit.
La ferrure à pince prolongée remédie quelquefois à cette affection. »
C’est surtout par l’usage de la bonne nourriture que nous éviterons ces diverses affections et que nous aurons de bons poulains.
Une parfaite corrélation se fait remarquer entre la nature des aliments et le tempérament de nos animaux domestiques ; une alimentation sèche, peu développée, fournit des animaux à tissus fermes, à peau fine, à formes sveltes, à tempérament nerveux et ayant une grande puissance d’action. Au contraire, une alimentation aqueuse, moins alibile que la première sous le même volume, donne des sujets massifs, peu énergiques. L’animal est nonchalant par suite d’une pareille nourriture et toute la force de réaction semble concentrée dans les organes digestifs qui sont doués d’une grande activité fonctionnelle. En effet, si nous comparons le poulain nourri en partie avec du foin, en partie avec de l’avoine, et cet autre poulain entretenu exclusivement avec des fourrages, on verra que le premier est plus régulier dans sa conformation, son train antérieur est bien constitué, sa poitrine est spacieuse, son poitrail large ; les avant-bras sont développés et les rayons inférieurs ont une bonne direction ; de plus, le ventre, sous l’influence de cette nourriture, sera moins volumineux, aura des formes plus gracieuses et ne nuira en rien au développement de la poitrine. Celui, au contraire, nourri exclusivement avec du foin présente une conformation tout à fait irrégulière, l’abdomen est très-distendu et le volume de la poitrine relativement diminué. Cet aliment si peu nutritif fait que le sujet est obligé d’en prendre une grande quantité pour s’entretenir ; il s’ensuit que les viscères digestifs acquièrent un développement excessif. Cet excès de volume presse sur le diaphragme, distend cette cloison musculo-aponévrotique qui, à son tour, presse sur le poumon. La cage thoracique est forcément arrêtée dans son développement.
En définitive, un régime abondant et substantiel est indispensable pour rendre les sujets forts et énergiques ; des rations d’avoine feront ressortir les qualités des élèves et on aura, par suite, soit de bons sujets de service, soit de bons reproducteurs.
Les poulains qui souffrent durant cette période se rapetissent au lieu de prospérer, leurs muscles semblent disparaître, leur constitution s’altère à tel point qu’ils contractent des lésions organiques qui les rendent défectueux. Je le répète, l’avoine doit être donnée pendant le jeune âge et le foin doit être distribué avec mesure afin d’éviter le développement de l’abdomen et la déviation des aplombs.
De même que les poulains doivent être bien nourris, ils doivent être bien logés. Les conditions au milieu desquelles vivent nos animaux, ne sont pas sans action sur leur manière d’être, et leurs habitations, dans notre pays, présentent des défectuosités déplorables. On est indigné de voir le peu de goût que témoignent les propriétaires pour l’installation et l’entretien des habitations ; on voudrait à dessein en inventer de plus défectueuses que l’on serait, je crois, dans l’embarras, et, à part quelques éleveurs, bien peu nombreux il faut le dire, les écuries semblent créées pour engendrer des maladies.
Le sol des écuries est généralement en terre ; il est, par conséquent, facile de l’établir en rapport avec les principes de l’hygiène.
Quand on visite un de ces lieux, on est frappé de voir tout le contraire de ce qui devrait exister : au lieu de posséder un terrain plus élevé que celui qui l’avoisine et d’être disposé légèrement en pente, de manière à donner facilement écoulement aux liquides provenant des déjections des animaux, le sol est presque toujours en contre-bas, et, durant les fortes pluies, l’eau pluviale entre, sans éprouver aucun obstacle, dans la demeure des animaux. Une humidité règne dans l’atmosphère par suite de la présence d’une grande quantité de liquide que la température intérieure volatilise ; de ce liquide qu’on entretient en fermentation s’échappent des miasmes méphitiques, d’autant plus nuisibles que l’aération est, en général, insuffisante, et que le défaut d’exercice ralentit le mouvement d’élimination.
Pour que l’air puisse exercer sa bienfaisante action, il faut augmenter le nombre des ouvertures des habitations.
La porte d’entrée des élèves doit être suffisamment large et haute ; à défaut de ces conditions, les jeunes animaux rentrant ou sortant le plus fréquemment avec une vitesse mal calculée, risquent de se porter de graves atteintes.
La bonne disposition des ouvertures entraînera comme conséquence l’arrivée dans les boxes de la lumière, qui exerce une influence manifeste sur les aptitudes des animaux. L’obscurité, au contraire, leur est défavorable. Par suite d’un séjour très-prolongé dans un lieu obscur, les yeux ne fonctionnent pas ; ils acquièrent une irritabilité excessive. Quand les animaux quittent ces locaux pour passer au-dehors, ils ne peuvent se rendre un compte exact de ce qui se passe autour d’eux ; la vue de tous les objets les inquiète ; ils paraissent étonnés, surpris, ils sont même effrayés par certains corps avec lesquels ils ne sont pas familiarisés ; la respiration s’accélère, se trouble même ; l’animal fait des écarts qui peuvent lui être funestes. Les yeux vivement impressionnés par ce passage sans transition dans un milieu éclairé, acquièrent parfois une prédisposition maladive. On évitera tous ces inconvénients en donnant accès à la lumière. Il n’y a d’exception que pour le plein jour, pendant les journées chaudes de l’été ; une lumière trop vive attirerait alors les insectes qui pullulent et nuisent sous bien des rapports.
L’exercice au grand air purifie le sang, il le vivifie : il développe tous les organes en volume et en force. Sans doute, tous les éleveurs ne sont pas en mesure de fournir à leurs poulains le bénéfice de la pleine liberté ; mais beaucoup disposent de quelques ares de prés, de bois, de prairies artificielles ; à défaut ils pourront au moins construire de petits parcs très-près des écuries, en communication avec elles. Il convient que le poulain puisse y agir, s’y ébattre à sa guise toutes les fois que le temps le permet.
L’expérience devant laquelle s’inclinent tous les raisonnements démontre que les animaux qui ont joui de l’exercice ont une poitrine ample, des membres forts, des articulations larges, les muscles bien nourris et qu’ils ont dans les mouvements une facilité, une souplesse, une agilité, une énergie remarquables. Tout l’inverse s’observe sur ceux qui ont été élevés en captivité. Si quelque chose domine chez eux, c’est un excès de graisse plus nuisible qu’utile.
En toute saison, mais surtout en hiver, où les élèves sont fortement privés de la liberté, il est encore utile de les faire sortir en les dirigeant avec le licol et la longe ; on les rend ainsi plus maniables. On prendra des précautions pour qu’ils ne s’effrayent pas ; en leur prodiguant des caresses et en leur donnant quelques friandises on parvient aisément à éviter toutes sortes d’accidents.
Une fois qu’ils ont l’habitude du licol, on essaye de les attacher. Pendant les premières tentatives, on doit d’abord les assujettir à l’anneau sans nœud ; ils ne doivent demeurer que fort peu de temps à l’attache et être toujours surveillés. Ce procédé est immensément utile ; s’il est négligé, le poulain que l’on voudra mettre à l’attache, lorsqu’il aura pris des forces, fera des dépenses, il voudra se délivrer et dans ses efforts il pourra se nuire gravement.
Dans bien des pays on laisse les jeunes élèves réunis ; mais cela est un mauvais procédé, surtout s’il s’agit de poulains, car, ils sont exposés à des accidents ; en outre, les forts et les vigoureux empêchent les autres de prendre leur part à la ration qui leur est distribuée. On devra, si cela se peut, séparer les élèves ou bien ne les mettre ensemble que par paires ou trois au plus et on choisira ceux qui sont les plus familiers entre eux et de sexe semblable. Mais s’il s’agit de produits ayant une grande valeur et surtout de mâles qu’on destine à la reproduction, on doit forcément les isoler et leur donner un logement très-vaste.
Avant de clore ce chapitre, je crois utile de mettre en parallèle les divers modes d’élevage à l’écurie, au pâturage et mixte qui sont encore l’objet de nombreuses dissidences ; je m’efforcerai d’en faire ressortir les avantages et les inconvénients et de mettre en relief la préférence que mérite le système mixte sur les deux autres.
Élevés à l’écurie, les poulains contractent de mauvaises habitudes, ils deviennent parfois tiqueurs, ont un caractère hargneux et possèdent une grande irritabilité.
Les habitations destinées à les loger, bien que rationnellement établies, ne sont pas toujours parfaitement saines. Qu’est-ce donc lorsqu’elles sont construites contrairement à toutes les règles ? De l’altération de l’air vicié ou insuffisamment assaini qu’y respirent les animaux peuvent résulter des maladies variées qui ont quelquefois de la gravité. Nous avons vu que des pentes mal ménagées favorisaient la stagnation des urines, causes de maladies du pied, et qu’en outre ces pentes défectueuses pouvaient vicier les aplombs. Leur plus grand inconvénient est de priver de l’exercice indispensable au développement régulier de l’appareil locomoteur ; les membres sont grêles et les sabots antérieurs souvent encastelés, presque toujours trop longs, ainsi que les postérieurs, d’où une faiblesse des tendons et les boulets droits ou bots à l’excès.
Toutefois, l’obligation de prendre l’aliment au râtelier fait que l’encolure est plus longue, la tête plus légère et mieux soutenue.
Les formes, en général, sont moins anguleuses, la graisse arrondit les régions et donne un air gracieux auquel se laissent prendre ceux qui ignorent les caractères de la véritable beauté.
Le poulain d’écurie, peu familiarisé à la locomotion, se trouve fatigué à la moindre course, et il est prédisposé aux efforts des tendons, des boulets, aux exostoses, aux hydropisies nommées molettes, vessigons, etc.
L’élevage à l’écurie ne peut donc être suivi ; car, le plus souvent, il annule les qualités acquises pendant la lactation ou empêche le développement de celles dont le sujet portait le germe à sa naissance.
On a vu des poulains présenter, durant toute la période d’allaitement une belle conformation, posséder des allures magnifiques tant qu’ils ont joui de la liberté ; plus tard, une stabulation presque permanente les a rendus malingres, chétifs : un travail un peu pénible et peu prolongé les a bientôt mis hors de tout service.
Les sujets élevés à l’écurie ne produisent rien de bon, ce sont pour la plupart des bêtes à chagrin, comme on dit vulgairement, tandis qu’ils auraient pu être d’excellents chevaux.
Ce mode d’élevage a, du reste, un inconvénient bien plus grave ; il compromet les intérêts du propriétaire ; il exige plus de nourriture, plus de personnel, et jamais, à la vente, les sujets les moins manqués n’arrivent au même prix que ceux de même origine, élevés dans de bonnes conditions.
L’élevage au pâturage n’est pas non plus exempt de reproches.
Dans certains pays les poulains se trouvent constamment en liberté, tandis que dans d’autres, comme les contrées des départements de la Haute-Garonne et de l’Ariège, les plus rapprochées des Pyrénées, les élèves habitent les pacages une partie de l’année, l’été et la moitié de l’automne. Cette période de temps écoulée les animaux sont ramenés à leurs propriétaires.
Chaque année, au commencement de la belle saison, les produits mâles et femelles sont emmenés pêle-mêle dans des pâturages communs. Le contact continu des deux sexes réveille prématurément l’appareil génital ; les poulains en sautant sur les pouliches s’épuisent, se ruinent le train postérieur, parfois leurs saillies sont fécondes : aussi voit-on des femelles qui mettent bas à l’âge de trois ans, au grand préjudice de leur développement ultérieur.
Pendant le mauvais temps, les poulains sont obligés de supporter les pluies, les giboulées, la neige même ; alors on les voit tremblottants, leur corps est ramassé, leur poil hérissé, ils cherchent à s’abriter derrière les haies, sous les arbres, contre les rochers ; ce qui ne les empêche pas toujours de contracter des maladies de diverses sortes : rhumes, gourmes, fluxions, rhumatismes, etc. Il arrive que, pendant un été sec, les sources se tarissent, la pelouse se dessèche et ces jeunes élèves se trouvent ainsi privés d’une partie de leur nécessaire. Aussi les voit-on au retour des pâturages, maigres, chétifs, complétement délabrés ; ils n’ont pas d’énergie ; leurs yeux n’étincellent plus comme autrefois pendant l’allure, leurs membres défaillants et leur poil long et sans lustre indiquent qu’ils ont gravement souffert. C’est dans cet état de débilitation qu’ils sont exposés aux maladies parasitaires : œstres, vers, acares, et à diverses maladies contagieuses ; enfin, des accidents de toutes sortes, par suite de coups de pieds, de chutes, d’attaques de bêtes fauves, sont encore les conséquences de ce mode d’élevage.
L’abandon des poulains à travers les montagnes est un bien mauvais procédé. Vu les désagréments qu’il occasionne chaque année, il doit être rejeté. Mais là ne se bornent pas tous les désavantages : délabrés comme ils le sont à leur retour, les poulains ont peu de valeur alors même qu’ils ne sont pas tarés. Ajoutons que des mortalités se sont produites, et il sera facile de voir que, tout compte fait, cet élevage est loin d’être économique.
Après ces considérations rapides sur l’élevage au pâturage, mais suffisantes pour en faire ressortir les désavantages, je passe à l’élevage mixte.
L’élevage alterne ou mixte, pratiqué d’une manière journalière, doit être préféré à ceux qui précèdent. Quand il est adopté, les poulains sont conduits au pacage pendant la journée, et ils sont renfermés à l’écurie la nuit et les jours défavorables ; ils jouissent de tous les avantages qui se rattachent aux deux autres modes sans en subir les inconvénients.
Les élèves doivent être conduits dans d’excellents pâturages qui devront être tantôt artificiels et tantôt naturels. De retour à leur habitation, ils recevront une ration d’avoine ou d’orge si les chaleurs se font sentir. On s’apercevra bientôt que par de semblables soins les poulains acquièrent un embonpoint et un développement extraordinaires. Ils ont beaucoup d’énergie. Comment concevoir qu’il en puisse être autrement lorsque l’on se rend compte de tous les effets physiologiques que cette méthode produit ? Arrivé au pâturage, le poulain cède à son ardeur, se livre à des mouvements qu’il ne peut maitriser ; on le voit tantôt à l’allure du trot, tantôt à celle du galop ; il bondit, franchit les obstacles.
Sous l’influence d’une pareille gymnastique toutes les fonctions de l’économie sont activées. L’exercice de la respiration développe la poitrine ; son ampleur rend le devant de l’animal agréable. L’agitation de la circulation exerce le cœur et le rend plus énergique ainsi que tout l’appareil circulatoire ; de là, par suite d’une étroite solidarité, l’activité de la nutrition, un système nerveux plus actif, une musculature plus puissante, un squelette mieux organisé pour la résistance, un pied mieux proportionné, plus résistant, plus élastique ; une contractilité musculaire plus développée et une locomotion arrivant à toute la perfection qu’il lui soit donné d’atteindre.
Dans quelle mesure les poulains doivent-ils être conduits au pâturage ? Cela varie suivant les saisons. En été, on peut sans crainte les y conduire aussitôt que le jour commence à poindre. Ils sont ensuite reconduits à l’écurie et y demeurent pendant la forte chaleur. On les soustrait ainsi aux attaques des insectes et à une insolation trop persistante.
Le contraire doit avoir lieu en automne. À cette époque on ne doit mettre le poulain en liberté que lorsque les rayons solaires ont réchauffé le sol et dissipé l’humidité. De la sorte, les plantes seront moins aqueuses, elles auront du goût, elles seront mangées avec appétit, et rien ne pourra compromettre ou altérer la santé de l’élève.
Le soir arrivant, on devra rentrer les poulains avant le coucher du soleil ou peu après ; parce qu’alors la rosée commence à tomber, et nous savons que les aliments couverts de rosée sont souvent nuisibles à nos animaux domestiques.
Les poulains ne devront pas pâturer avec des ruminants, car bien des dangers peuvent en être la conséquence. Les produits forts et vigoureux sont la plupart tracassiers, ils inquiètent les bestiaux et s’exposent à se faire blesser.
Les poulains, avons-nous dit plus haut, doivent être pendant leur âge tendre suffisamment nourris ; nous avons fait ressortir les avantages d’un bon régime. Mais, sous tous les rapports, il doit être donné avec mesure, quel qu’il soit ; il ne peut sans l’aide du temps précipiter la croissance de manière à ce qu’elle soit achevée avant le terme marqué dans l’ordre établi. La fermeté des abouts articulaires, la soudure des épiphyses, la résistance des muscles, l’endurcissement et la ténacité des ligaments sont des phénomènes qui se produisent toujours graduellement et selon l’ordre peu variable propre à chaque espèce et à chaque race.
Toutefois, en douant au plus vite les poulains de la force et de la taille qu’ils doivent acquérir, une bonne nourriture permet de les utiliser.
On voit beaucoup de petits propriétaires qui attellent des poulains de deux ans et demi à trois ans à des véhicules à deux roues, lesquels sont très-volants ; ils les ont bientôt dressés à ce mode d’attelage et avec des ménagements ils en tireront des services très-rémunérateurs sans leur nuire. Au contraire, cela constitue pour les poulains un exercice qui développe leurs formes et forme le moral, qui ne gagne pas toujours par le fait de l’exercice en liberté.
TROISIÈME PÉRIODE
De deux ans et demi à quatre ans.
Je n’ai pas à revenir ici sur les moyens d’entretien ; ils doivent être les mêmes que ceux que j’ai signalés précédemment ; mais il faut à cette période augmenter la ration d’avoine et cela parce que les poulains sont plus âgés et plus forts, et en raison de l’exercice auquel ils sont contraints à cause du dressage.
Les élèves de deux ans et demi à quatre ans n’ont pas atteint l’âge voulu pour qu’on exige d’eux un travail continu ; on devra principalement, à cette période, s’occuper de leur éducation afin que plus tard ils puissent être attelés ou montés sans danger. À cet âge, les poulains sont plus faciles à manier ; ils n’ont pas cette force de résistance qui, plus tard, les rend difficiles à dompter.
L’homme chargé de leur éducation étudiera leur caractère : sont-ils timides, il les encouragera par de bons traitements, se gardant bien de les rudoyer de peur de les rendre craintifs et ombrageux ; sont-ils impatients du frein, colères, emportés et, en même temps, fiers et sans méchanceté, il redoublera avec eux de ménagements, attendant patiemment que leur fougue soit passée. Comme moyen extrême, pour rendre, sinon faciles, au moins possibles les premiers enseignements, on pourra diminuer la ration ou n’exercer qu’avant le repas ; il faudra même parfois se résigner à les priver, pendant une ou plusieurs nuits, de repos et de sommeil. On ne saurait croire combien un certain affaiblissement obtenu par ces moyens facilite la tâche de l’éducation.
Celui qui est chargé de dresser les poulains doit savoir se faire comprendre de ses élèves ; il emploiera le châtiment à propos et seulement à la dernière extrémité ; il punira sans cris, sans colère ; d’un grand sang-froid ; après ces rares corrections, il doit revenir d’un air caressant à son système de douceur. Le même procédé est applicable pour réformer le caractère des poulains naturellement fiers, devenus méchants pour avoir été excédés ou battus. En effet, il en est certains qui, ayant été maltraités pendant leur première jeunesse, ont acquis un caractère brutal et emporté, ils arrivent à prendre en haine tous les hommes indifféremment. En pareille circonstance, il est plus difficile de maîtriser les élèves ; mais il ne faut jamais désespérer, car, tôt ou tard, on parvient à triompher de leur caractère vicieux. Aucun poulain ne deviendrait méchant s’il était dans les mains de personnes intelligentes ; si le hasard fait qu’on en rencontre quelqu’un, c’est toujours chez des propriétaires qui, peu familiarisés avec le cheval, veulent, néanmoins, se livrer eux-mêmes à leur éducation. En résumé, il faut, pour l’éducation des poulains, beaucoup de patience, d’adresse et de sang-froid.
Le dressage des élèves n’a pas seulement pour but de modifier leur caractère, en les rendant maniables et paisibles ; il a une importance bien plus considérable ; bien dirigé, il devient une espèce de gymnastique propre à augmenter les forces et l’énergie en général. À son aide, on parvient même à donner à certaines parties le volume, les proportions et en même temps à les relever de leur faiblesse relative.
Nos éleveurs ne sont pas assez pénétrés du désavantage qu’ils trouveraient à présenter à la vente des animaux sans aucune éducation, alors même qu’ils auraient été bien dirigés sous les autres rapports.
La maladresse des poulains, le décousu, le raccourci de leurs allures, leurs défenses, impressionnent désagréablement l’acheteur et le disposent peu à donner d’un poulain, bon d’ailleurs, ce qu’il vaut en réalité. À plus forte raison si le sujet, sans aucun élément de dressage, a été élevé au repos absolu. Ses sabots, en général serrés ou cerclés, ses membres grêles, sans souplesse, un air hagard, des tissus mollasses et souvent chargés de graisse, tout cela refroidit singulièrement le connaisseur et le fait ordinairement renoncer à l’achat.
Combien différent se montre le poulain qui a reçu une certaine éducation, qui déjà s’est livré à un certain travail dans la mesure rigoureusement utile ! Chez les sujets soumis à un exercice modéré, les allures sont relevées, gracieuses, les articulations pleines de souplesse ; en même temps, le regard dénote un calme énergique. La poitrine spacieuse annonce une respiration puissante ; ses membres sont forts, les aplombs, en général, réguliers : toutes conditions indispensables pour résister à un service quelconque.
Tout en lui est séduisant, non-seulement il plaît à l’œil, mais encore il remplit d’espérance quant à des services futurs. Un pareil animal trouve facilement acquéreur, qui le paye un bon prix. Que de raisons pour l’éleveur de s’imposer comme règle l’élevage mixte, opéré d’après les bons principes, au lieu de persister dans les errements irrationnels au bout desquels ils ne trouvent que déception !
Avant de clore ce travail, nous reviendrons un instant sur le pansage qui complète si bien l’ensemble des qualités par lesquelles l’élevage devient rémunérateur.
Du pansage et de ses effets sur l’économie.
Je ne m’arrêterai pas à décrire les instruments qui servent à effectuer le pansage, ils sont connus de tous ; je recommande en passant le couteau de chaleur, si utile pour faire écouler la sueur dont la peau se couvre assez souvent aux premières épreuves sérieuses de dressage.
Les poulains doivent être pansés au dehors de leur habitation, en plein air quand la température est douce, ou bien dans un lieu abrité s’il en est autrement ; on les préserve ainsi de la poussière qui s’élève de la surface cutanée et qui nuit à la bête, et à l’homme à la fois, en pénétrant dans les voies respiratoires. En cas de nécessité absolue, on doit au moins aérer l’écurie pour que les courants emportent toutes les particules en suspension.
Le pansage se pratique le matin d’habitude et, s’il est possible, deux fois par jour, le soir et le matin ; mais pour nos élèves, il suffit de le bien faire une seule fois.
On ne doit pas abuser de l’étrille sur les poulains ; cela peut avoir lieu pour les gros chevaux à peau épaisse, à poils longs et rudes, chargés de matière pulvérulente. Chez les jeunes sujets on devra se servir plus particulièrement de la brosse, car la plupart, dans nos contrées, ont trop de sang pour supporter l’étrille sans s’irriter ou sans se défendre.
Pour bien apprécier l’importance du pansage et son heureuse influence sur la santé des animaux, il suffit d’examiner les effets qu’il produit.
La peau des animaux régulièrement pansés devient souple et perméable ; en la débarrassant des malpropretés qui obstruent ses pores, on facilite ses fonctions éliminatrices ; on prévient, on guérit même les maladies telles que l’herpès, le pityriasis ou dartre sèche, elles qui engendrent les parasites de diverses espèces du règne animal ou végétal.
En favorisant les sécrétions cutanées, il excite indirectement les absorptions intérieures et amène la disparition des tumeurs molles, réticulaires, œdémateuses.
Nous ne reviendrons pas sur d’autres effets généraux précédemment signalés ; nous ajouterons seulement : Le sujet bien pansé acquiert de la distinction, de l’élégance ; il est ardent, agile ; la vue est flattée par le lustre, la fraîcheur, le brillant de son poil, la finesse et la souplesse de sa peau. Du reste, pour se faire une idée des effets du pansage sur la beauté des solipèdes, il suffit de constater la différence qui existe entre les poulains appartenant à un éleveur intelligent, soigneux, et ceux appartenant à un éleveur ou à un propriétaire insouciant qui n’a ni goût ni estime pour le cheval.
Chez les premiers, tout plaît, tout séduit ; les autres n’inspirent que répulsion.
Rien, du reste, de plus propre à faire ressortir les bons effets du pansage que ce vieil adage populaire : Le jeu de la brosse équivaut à un picotin d’avoine.
Cependant il est bon de faire observer que le pansage ne doit pas être pratiqué à l’excès, il faut le proportionner aux déperditions que subit le sujet.
S’il est exercé sans mesure, l’appareil tégumentaire devient très impressionnable aux agents extérieurs, et par conséquent ses troubles peuvent réagir désavantageusement sur la plupart des autres appareils : preuve nouvelle que parmi les modificateurs de l’organisme aucun n’est absolument bon et qu’il faut savoir les faire agir dans une juste mesure.
Je ne m’étendrai pas davantage sur ce point ; les considérations qui précèdent me paraissent en démontrer suffisamment l’importance.
Si nous avons réussi à mettre en relief dans notre modeste travail les véritables principes qui doivent guider dans l’élève du cheval de nos contrées, nous avons quelque espoir de les faire adopter par les personnes qui se livrent à cette industrie. Nous aurons ainsi atteint deux buts : favoriser les intérêts de nos propriétaires, tout en concourant à doter la consommation générale et l’armée de meilleurs chevaux. De pareils résultats nous dédommageraient amplement de nos peines.