De l’Étude et de l’Enseignement des langues germaniques

DE L’ÉTUDE ET DE L’ENSEIGNEMENT
DES LANGUES GERMANIQUES

La Revue de linguistique me paraît fort heureusement inspirée lorsqu’elle s’engage, dans son prospectus, à demeurer, aux premiers temps de sa publication, une œuvre d’initiation élémentaire. En Allemagne, la linguistique, la philologie comparée se sont affirmées depuis bien des années déjà comme sciences constituées : elles ne sont une révélation pour aucun esprit quelque peu lettré. Je ne prétends pas, en vérité, que tout Allemand soit linguiste ou philologue, mais je constate que, parmi les faits courants des connaissances classiques, de l’autre côté du Rhin, il faut ranger la notion de l’unité des langues de l’Europe et de l’Inde (avec exception du basque, du finnois, du magyare), le classement général de ces langues en familles collatérales, l’idée, sommaire au moins, du caractère propre à chacune.

Tout homme qui se respecte assez, n’est pas, en France, sans ignorer qu’il y a une science nommée « l’astronomie, » que cette science reconnaît des lois, explique la cause des mouvements apparents, des mouvements réels, donne le moyen de constater les époques historiques, formule la mécanique céleste. Puis, à ces notions générales, s’ajoutent certaines connaissances particulières, assez vagues encore, j’en conviens, mais dont l’on rougirait à juste titre de se trouver privé : l’attraction des corps célestes, l’emprunt de la lumière planétaire, la périodicité des phénomènes.

Des notions équivalentes sur la linguistique et la philologie comparée sont, je le répète, monnaie courante en Allemagne ; il faut avouer qu’en France ces données, si vagues pourtant, si peu développées, loin de faire partie du domaine public, ne sont que le partage d’un nombre bien restreint d’esprits curieux. Oserait-on dire qu’il n’y a pas là une lacune des plus déplorables ? Je ne prends pas à tâche de démontrer ici que la linguistique a bouleversé, ou pour mieux dire, a élargi d’une façon tout autant inespérée que merveilleuse la science historique ; et cela pourtant serait presque nécessaire à la masse considérable de ces prétendus lettrés, dogmatiques du statu quo, tout aussi bien fermés aux résultats de la linguistique qu’à ceux, par exemple, de la géologie, et, pour tout dire, de chacune des sciences naturelles. Je ne donnerai qu’un exemple de cette crasse et monstrueuse ignorance, et pour ces deux épithètes je ne prétends pas m’excuser ; lisez plutôt :

« ....... Cette religion est le bouddhisme ; elle remonte peut-être aussi loin dans les temps que le christianisme, car l’homme qui passe pour son fondateur, Çâkia-Mouni, et qui vivait à peu près en même temps que Mahomet, n’en a été réellement, comme ce dernier l’a été pour l’islamisme, que le réorganisateur et législateur suprême. Le monde, où le levain chrétien venait d’être mis depuis quelques siècles, fermentait puissamment quand ces deux hommes parurent. Dieu, pour des desseins que lui seul connaît, permit qu’ils prévinssent la religion du Christ auprès des nations de leur race. Ils lui fermèrent ainsi presque entièrement l’accès de l’Asie, mais ce ne fut pas sans lui emprunter quelque chose l’un et l’autre, Çâkya-Mouni surtout. »

Cela est tiré du Correspondant, tome XXX de la nouvelle série, page 1034 ; cela a été écrit en 1865, cela est signé par ce même critique pour qui les recherches de M. Bréal sur certains rapprochements mystiques et religieux (Hercule et Cacus), sont « une sorte d’ivresse scientifique pardonnable à un débutant. » (Ibid., XXII, p. 875).

On me saura gré de ne pas insister et de passer rapidement sur d’aussi tristes errements. Tristes est bien le mot, et, pour ma part, je plains profondément le public mystifié de la sorte.

J’ai hâte au surplus de quitter ce terrain un peu général et d’apporter aux rédacteurs de la Revue de linguistique mon faible contingent à la partie de leurs études purement initiatives. Je ne vais donc ni discuter, ni controverser, ni supposer, ni révoquer en doute, ni m’attaquer aux points encore obscurs : je tâcherai simplement de faire comprendre que les études élémentaires germaniques, et spécialement celles de l’anglais et de l’allemand, puisent dans la méthode scientifique la plus évidente facilitation.

D’ailleurs, je me plais à rappeler au lecteur que cette question toute pratique s’est trouvée, plus d’une fois déjà, soulevée avec non moins de talent que de conviction, notamment par deux rédacteurs de la Revue. En premier lieu je citerai un article de M. Chavée, dans la Revue germanique du 31 mai 1860, puis, du même professeur, une esquisse, un véritable programme d’études pratiques de philologie classique, dans l’Opinion nationale du 17 octobre 1863. Enfin, j’appellerai tout particulièrement l’attention sur la vigoureuse et catégorique brochure de M. de Caix de Saint-Aymour : La Question de l’enseignement des langues classiques et des langues vivantes au Sénat et devant l’opinion publique. — Leur avenir par la méthode comparative ; 1866.

J’entre de suite en matière.

« ..... Se créer un centre autour duquel on vient grouper les faits de façon à ce que la pensée puisse toujours les retrouver à un certain ordre et à une certaine place, n’est-ce pas là tout le mécanisme de la mémoire. Or la philologie comparée n’a rien fait autre chose que créer ce centre, ce type, dans la reconstitution du parler primitif indo-européen. » Ainsi s’exprime l’auteur de la brochure que je viens de citer, p. 13.

« Or, et ici je m’adresse à l’article de l’Opinion nationale, de même que la reconstitution de la langue aryaque a été le terme suprême et le but de tous les efforts de la philologie indo-européenne contemporaine, l’organisation intime de cette même langue, son anatomie et sa physiologie doivent être le point de départ de toute étude rationnelle d’une langue indo-europénne quelle qu’elle soit. »

Je reviens à l’auteur de la brochure : « Toutes nos langues actuelles sont plus ou moins malades, c’est-à-dire que les radicaux communs se sont usés, que les désinences sont devenues frustes, qu’en un mot le vocable a perdu sa primitive et parfaite organisation ; le latin, le grec, et le sanskrit lui-même, n’ont pas échappé à cette dégradation pathologique qui fait de tous les idiomes indo-européens des êtres toujours vivants, mais plus ou moins malades, tandis que l’aryaque n’est autre chose que la langue indo-européenne bien portante. »

Je crois indispensable de prévenir ici l’objection que soulèverait tout naturellement l’idée de retard dans la marche vers le but, et de complication dans cette étude préalable de la langue-mère. Sans aucun doute, la restitution de toutes les formes aryaques peut présenter en maintes circonstances des cas difficiles, des passages délicats, mais ce n’est point la discussion de ces reconstitutions périlleuses dont il est à présent question ; on ne demande à l’étudiant que la connaissance de la morphologie de ce type tout restitué. Ce type admirable de simplicité, si nous le considérons dans son essence même, ne nous offre que deux parties du discours : en premier lieu quelques dix pronoms simples, racines pronominales, par exemple twa, indiquant la seconde personne, puis quelques trois cents verbes simples, racines verbales, par exemple da, donner. C’est l’affaire de quelques heures, je ne crains pas de l’affirmer, que la possession parfaite de la théorie de la dérivation, base de tout le système linguistique ; par dérivation, j’entends la production par la racine pronominale, unie à la racine verbale, 1o des noms, soit substantifs, soit adjectifs, soit participes, PAtr, le nourrisseur ; 2o du verbe conjugué PAmi, je nourris.

On comprend que je ne puisse insister sur ce point ; je répéterai seulement que la simplicité de cette étude préliminaire est telle, que quelques heures d’attention et d’exercices de décomposition et de recomposition de vocables suffiront amplement à mettre en possession de ce fonds essentiel.

En ce qui concerne les trois cents racines verbales, l’usage les aura bientôt gravées dans la mémoire, et sans le moindre effort d’intelligence ; elles sont souvent si peu déguisées, même dans les mots appartenant à des langues de troisième ou quatrième degré : par exemple STA, se tenir, dans obstacle ; GNA , connaître, dans ignoble : I, tendre vers, aller, dans ambition, et l’on voit que je m’adresse à des mots composés dans lesquels la difficulté est augmentée à dessein.

Pour tout dire, c’est presque un jeu à un individu parlant une langue indo-européenne, Français, Hollandais, Italien, Allemand, Polonais, Grec, que de se rendre maître de cette donnée fondamentale, type des données secondaires.

Ce qui différencie les unes des autres chacune de ces données secondaires, ce sont les procédés différents appliqués au traitement du type commun. C’est presque une naïveté que de parler ainsi, mais si l’on considère que je ne m’adresse qu’aux personnes absolument étrangères à la méthode comparative, l’on me saura gré d’appuyer sur les choses les plus simples. Chaque idiome a son mode caractéristique de devenir : l’aryaque, pour passer au français, a recours à des procédés tout autres que ceux dont il se sert pour passer à l’irlandais, au breton, au polonais.

Étant connue la forme première aryaque, l’examen des lois effectuant le passage de cette forme aux formes germaniques, aboutira forcément à la connaissance des vocables allemands et anglais, ce qu’il faut démontrer.

Nous commencerons par écarter deux des quatre branches germaniques, à savoir : le gotique[1] éteint sans représentant, et le scandinave, dont les fils actuels, suédois, danois, islandais, ne nous sont de rien pour l’instant. Restent le haut allemand et le bas allemand.

Et d’abord, pour montrer la puissance de la méthode comparative, convenons de ne l’appliquer dans cette étude qu’à grands traits, à grandes lignes ; laissons de côté bien des formes intermédiaires, celles, par exemple, du moyen haut allemand qui relie l’allemand moderne, ou nouveau haut allemand, à l’allemand de Charlemagne, vieux haut allemand ou tudesque. Ces formes, auxquelles nous ne nous arrêterons pas dans un coup d’œil général, méritent bien entendu de la part du savant le plus scrupuleux respect ; elles sont le gage de la véracité de ses déductions, la base même de ses restitutions. Mais ici, où je ne discute ni ne soulève les difficultés, l’on voudra bien me croire sur parole, quitte à contrôler mes assertions, et cela ne demandera pas beaucoup de peine.

Je viens de donner, il y a six ou sept lignes, la suite complète de la tige haute allemande ; on voit que cette progression est de la plus absolue simplicité. Une seule observation est ici nécessaire. Je veux parler de cette orthographe déplorable, l’orthographe dite de Luther, véritable calamité étymologique, sur laquelle je n’insiste pas, dont on peut se rendre compte par ces exemples : Friede, paix, zielen, viser, ne sont que des fautes d’orthographe légalisées par l’usage, pour Fride, zilen, et que l’usage d’ailleurs révélera en peu de temps.

Le devenir du bas allemand commun est plus compliqué. Deux divisions s’établirent de bonne heure dans son sein, le frison d’une part, d’autre part le saxon ; ce dernier se sépara en deux tiges : l’anglo-saxon, d’où l’anglais, et le saxon proprement dit, d’où, par une nouvelle division, le plattdeutsch et le néerlandais ; celui-ci s’individualise à son tour en hollandais et en flamand.

Au premier coup d’œil, cette énumération peut sembler confuse ; il suffit, pour la rendre claire et frappante, de dresser au moyen de six ou sept traits un arbre généalogique.

J’ai promis de mettre à jour les résultats de la méthode comparative d’après les traits les plus généraux et en quelque sorte à vol d’oiseau ; je tiendrai cette promesse. Je ne m’occuperai donc pas de la marche des voyelles de l’aryaque à l’allemand et à l’anglais, je m’en tiendrai aux consonnes, et, parmi celles-ci, ne m’adresserai-je encore qu’aux explosives, à savoir : k, t, p ; g, d, b ; gh, dh, bh ; les autres consonnes étant fixes en principe.

C’est qu’en effet la grande caractéristique du procédé germanique est le renforcement des explosives. L’explosive aspirée devient explosive faible : all. gieszen, verser ; gusz, fusion ; rac. GHU (ϰύ-μα) ; angl. to do ; holl. et flam. docn, faire ; rac. DHA (τί-θη-μι, sansk. da-dhâ-mi) ; angl. to bear, porter ; all. (ge)-bär-en, porter, enfanter ; rac. BHṚ (φέρω, sansk. bharâmi).

L’explosive faible devient forte : all. koennen, angl. to can, holl. kunnen, pouvoir, rac. GAN ; angl. to tame, holl. temmen, dompter, rac. DAm (dom-are, dom-inus, δαμάω, sansk. dâmyâmi).

Quant à l’explosive forte organique, comment la faire progresser ?… Tout simplement en la sifflant : k deviendra h ; t, th (à la façon anglaise) ; p deviendra f. On rattachera donc herz au latin cor, thou au latin tu, fusz à pes, ainsi de suite, et cette comparaison est trop simple pour qu’il soit nécessaire d’insister.

Tel est le principe, telle est la loi fondamentale. Sous cette loi se groupent trois séries de faits secondaires qui la complètent.

1o Tandis que l’Anglais maintenait ferme son sifflement th, les Néerlandais, Flamands et Hollandais, l’affaiblissaient en un simple d. Le fait est universel, a. thorn = h. doorn, épine, a. the = h. de, le, a. thief = h. dief, voleur. Ce phénomène, purement physiologique, ne doit causer aucun étonnement ; c’est un fait qui se produira à un jour donné dans la langue anglaise elle-même, et rien ne serait plus aisé que de rencontrer dans la classe britannique illettrée une foule de personnes prononçant l’article à la manière flamande et hollandaise.

2o Le sifflement à la fin de la syllabe, tantôt a résisté, tantôt n’a pu se maintenir, tantôt a transigé. Ainsi il a résisté dans la ligne dentale ; l’anglais leath-er, cuir, peau, en est un exemple ; d’après le principe no 1 nous lui opposerons le holl. led-er. Tantôt, ai-je dit, il n’a pu se maintenir et la simple explosive forte a reparu ; donc, là où un mot allemand possède un f terminant la syllabe, nous aurons en bas allemand un p : all. werf-en, jeter = flam. werp-en ; all. helf-en, aider = angl. to help, holl. help-en ; all. lauf-en, courir = angl. to leap. J’ai ajouté qu’en certains cass il y avait eu transaction, cela concerne la ligne k-h ; ce h à la fin d’une syllabe devenant un simple sifflement timide, à savoir le ch doux allemand : cela se présente dans la terminaison -lich, ursprünglich primordial, sterblich mortel, weiblich féminin, qui, pour être correcte, devrait se trouver -lih, et de la sorte répondrait rigoureusement au latin -lic-us, d’où -lix (lic-s) et -lis, mortalis, etc. Mais, à un jour donné, l’explosive forte reparaîtra : un Autrichien, par exemple, ne prononce-t-il pas déjà *ursprünglik, détruisant ainsi toute l’œuvre caractéristique de sa langue. Le Hollandais dit oorspronkelijk, openlijk. L’Allemand est donc encore relativement correct dans östlich oriental ; le Hollandais l’est beaucoup moins dans oostelijk ; l’Anglais, enfin, est complètement gâté easterly, puisqu’il perd jusqu’à la trace du k primitif !

3o Voici qui est de la dernière importance : tandis que dans le bas allemand, tout comme en gotique et dans les langues Scandinaves, un renforcement est la règle, il arrive que dans le haut allemand un second renforcement a lieu en ce qui touche du moins aux dentales, d, t, th. Ainsi le haut allemand renforce les dentales du germanisme commun, c’est ce qui le caractérise d’une façon toute spéciale. Ce renforcement a lieu d’une manière bien simple : le t d’abord devient z, de la sorte la racine DAm (vide suprà) ayant donné au bas allemand, grâce à une première progression, l’angl. to tame, le holl. temmen, voici que le haut allemand renchérit et aboutit au moderne zähmen ! Le zwanzig, vingt, répond rigoureusement à twenty, holl. twintig, et ainsi de suite. Secondement, le dh aryaque avait donné au bas allemand un d, c’est donc un t qu’amène la seconde insistance : ainsi trinken, boire, holl. drinken, angl. to drink ; ainsi treiben, pousser, holl. drijven, angl. to drive, indiquent une racine aryaque commençant par dh.

Voici bien le moment de déplorer ces monstrueuses fautes d’orthographe que je signalais plus haut : au lieu d’un simple t, ne s’est-on pas avisé, à une époque relativement moderne, d’écrire un th ! Ainsi DHA, faire, est représenté en allemand, par thun au lieu de *tun, angl. to do, holl. doen. De même, à côté de l’angl. deer, thier bête, est pour *tier (δὴρ). Et ce ne sont pas là malheureusement les seuls exemples à regretter. Au moins cela est restreint à l’orthographe ce th, n’est point sifflé, et l’on prononce tout simplement *tier et tun. Troisièmement ; aryaque t, bas allemand th (ou d). Comment pensez-vous que s’y prit le haut allemand pour insister ?… Reportez-vous au 1o : le même phénomène se reproduit ici pour la seconde fois.

Le t aryaque, avons-nous vu, devient un th bas allemand, et ce sifflement fut conservé par l’anglais, tandis que le flamand et le hollandais échouèrent en un d. Eh bien, le haut allemand avorta dans son entreprise de seconde progression ; ce th, que nous montre l’anglais et qui avait été le partage du germanisme commun, non-seulement le haut allemand n’arriva pas à le renforcer d’une manière quelconque, mais il ne put même pas s’y arrêter. Chez lui, cette sifflante s’avachit piètrement comme elle l’avait fait en hollandais, en flamand. Il est donc bien entendu que là où nous avons un th anglais, là nous devons trouver un d, non-seulement néerlandais, mais encore, hélas ! allemand : tri, trois, angl. three, holl. drie, all. drei ; tasa, celui-ci-même, angl. this, holl. deze, all. diese(r) ; rac. TAn, retentir, ang. thunder, holl. donder, all. donner, tonnerre ; TAtra, là, devant, angl. there, holl. daar, all. dar ; rac. TṚ, tordre , tourner, angl. to throng, holl. dringen, all. dringen.

J’ajouterai encore une ou deux remarques à ces observations générales. La première a trait au passage du b terminal attendu dans le bas allemand, en un v : ainsi, en face de geben nous aurons to give, et holl. geven, donner ; en face de leben, to live, et holl. leven, vivre ; puis ce sera graben, to grave, (be)graven, creuser ; haben, to have, avoir ; heben, to heave, élever ; weben, to heave, holl. weven, tisser.

La seconde concerne la représentation, en allemand, du d final par les substituts de z, qui sont sz et s dur, ss. Ainsi, angl. foot, holl. voet = non pas Fud, mais Fusz, pied ; angl. to hate, holl. haten = hassen, haïr ; angl. to wit = wissen, savoir ; angl. white, holl. wit = weisz, blanc ; angl. to split, holl. splijten = spleiszen, fendre, angl. heart, holl. hart = herz, cœur ; angl. holt = holz, bois ; angl. to lot = losen, tirer au sort. Dans ces différents cas, nous restituerons donc un D aryaque à la fin de la syllabe ou du mot ; partant, nous aurons un d latin ou grec, vid-eo, ϰαρδ-ία, ped-s ( = pes), etc.

Il est bon de remarquer, en passant, l’antériorité linguistique des formes du bas allemand sur celles du haut allemand ; non qu’on ait parlé bas allemand avant de parler haut allemand, mais bien d’après ce fait peu à l’avantage du dernier, à savoir, la seconde insistance sur quelques articulations du moins. Rien de plus faux donc, rien de plus erroné que cette dérivation linguistique : « l’anglais, le flamand, le hollandais viennent de l’allemand. » Nous venons de voir qu’il n’y a entre les trois premières de ces tiges et la dernière qu’un rapport de fraternité, et que, s’il fallait trancher la question du plus ou moins de pureté et de conservation, ce ne serait point l’allemand qui se trouverait favorisé.

Je terminerai par deux observations importantes.

La première a trait à l’allemand das, cela, et dasz, conj. « que, » auxquels correspondent angl. that, holl. dat. On s’étonnera, au premier coup d’œil, en apprenant que l’un et l’autre proviennent du pronom démonstratif aryaque, au neutre, à savoir, TAt. Les règles semblent infirmées en ce qui concerne le t final. Il faut admettre forcément que, dès la période primitive, ce t s’est affaibli en d, d’où TAd, puis régulièrement das, dasz, that, dat, et cela n’est rien moins qu’une hypothèse gratuite, puisque le latin, de son côté, nous amène avec (is-) tud à la même conclusion. Même observation à l’égard de was le relatif, angl. what, holl. wat, s’accordant avec le latin quod, à restituer un KAd, d’après toutefois un KAt primitif.

En second lieu, je ferai remarquer que l’angl. what contient de son côté une grosse faute orthographique. Le type est KAt, renforcé en KWAt, secondairement , comme nous venons de le voir, KWAd : régulièrement, nous eussions eu hwas en allem., hwat en holl. et en anglais. Malheureusement, l’aspiration tomba dans les deux premiers de ces idiomes, ce qui se comprend d’ailleurs par la nature du w : persistant dans l’anglais, elle y fut graphiquement déplacée.

Mais, si l’écriture porte what, la prononciation donne hwat qui plus est avec une grande énergie d’aspiration au commencement du mot. Voilà tout à fait l’analogue de ce phénomène indiqué plus haut, au sujet de thun et autres mots allemands d’une orthographe vicieuse et d’une prononciation correcte. Au surplus, what n’est pas en anglais le seul vocable soumis à un aussi regrettable procédé ; comparez white au holl. wit, à l’allem. weisz, puis au latin castus, pour *cadtus, candor au grec ϰαθαρός, rac. KAdh, briller ; comparez while, temps, loisir, à l’all. weile, au holl. wijl ; le got. hveila indique bien, et à sa place, le k de la racine ; comparez whether, lequel, à l’all. weder, au got. hvathar, aryaque KWATARA, dérivé du pronom relatif, en latin uter pour *cuter (unde est bien pour *cunde, témoin alicunde) ; comparez enfin à leurs équivalents allemands les mots anglais commençant par wh.

J’en ai dit suffisamment, me semble-t-il, pour montrer la simplicité et la régularité extrême de la progression des explosives aryaques sur le terrain du germanisme pratique. Je n’ai pas eu recours, veuille le lecteur s’en bien convaincre, à quelques exemples s’accordant au hasard dans la foule des mots allemands et anglais. Je ne crains pas de le dire, tous les vocables peuvent passer à l’examen analytique, d’après les principes que je me suis efforcé d’exposer. De temps à autre, je ne dis pas qu’on ne puisse penser avoir devant les yeux quelque exception, mais cela tiendra uniquement au manque d’explication de quelques lois secondaires, auxquelles je n’ai pu m’arrêter dans un coup d’œil aussi rapide. Ces lois secondaires sont analogues à celle que j’ai indiquée, et d’après laquelle le t aryaque ne peut progresser dans le groupe st : rac. STA (stare) stehen ; rac. STIgh (instig-are) steigen.

Je ne veux abuser ni de l’hospitalité de la Revue, ni de l’attention du lecteur. Puisse cette esquisse à grands traits éveiller la curiosité de quelques personnes étrangères jusqu’ici aux résultats de la philologie comparée ! Quant à moi, je tiens pour évident que la méthode comparative appliquée à l’étude des langues n’a contre elle qu’un ennemi sérieux : le peu de notoriété. En ce qui concerne la routine, elle a beau faire, elle aura beau faire, elle cédera ici comme elle a cédé, comme elle cédera sur tant d’autres points. Lorsque j’entends accuser la méthode comparative de vouloir apporter dans les études classiques le retard et la complication, en vérité, je demeure stupide : j’ai bien peur, là encore, d’avoir affaire au critique de Çâkya-Mouni.

Max Fuehrer.
  1. J’écris gotique et non gothique, d’après le « goticus » de Tacite et des auteurs latins. Ceux-ci reproduisaient fidèlement, comme il est facile de s’en convaincre, la prononciation germanique. En effet, le th gotique est une sifflante au même titre que le th dur anglais : ce n’est point une explosive.