De Pékin à Paris : la Corée, l’Amour et la Sibérie/02


II

De Tien-Tsin à Changhaï.


Le lendemain 21 mai, après avoir réglé mes affaires : caisses à expédier à Paris, passeport, banque, fournisseurs, etc., et pris congé de tous nos amis, qui à l’unanimité nous ont déclarés fous, nous allons, à 10 heures du soir, prendre possession de nos cabines à bord du Lien-Ching, en partance pour Changhaï.

22 mai, — 3 heures du man, départ. Nous sommes à 110 kilomètres de la mer, Nous commençons à descendre le Peï-Ho, particulièrement dangereux pour la navigation à cause de son peu de largeur, de son peu de profondeur, de ses coudes à angle aigu.

À 8 heures et demie du soir, nous passons devant les forts de Takou, qui, à l’heure actuelle, disent les gens du métier, rendent impossible l’entrée du Peï-Ho aux navires ennemis. À 9 heures et demie, nous franchissons la barre. Le temps est superbe, et la mer, unie comme une glace, rassure les cœurs les moins solides. Le lendemain, à 5 heures du soir, nous arrivions à Tché-Fou.

23 mai. — On nous annonce qu’un petit vapeur, l’Owari Maru, partira dans trois jours pour Fou-Sane, en Corée, où il correspondra avec le grand bateau pour Vladivostok. Il est tout peut, commandé par un Japonais. Ni la nourriture, ni les cabines n’en sont vantées. Nous avons peu envie de profiter de l’occasion. Et puis, je crois d’ailleurs qu’il n’y aurait pour nous aucune économie de temps.

Nous ne descendons pas à terre, et à 6 heures nous repartons. Après avoir doublé le cap Chantoung, nous rencontrons une forte houle du sud, et comme malheureusement notre steamer ne contient aucune cargaison, ayant débarqué à Tché-Fou six cents sacs de petits pois, tout son chargement (ceux de mon batelier s’y trouvaient peut-être), nous flottons comme un bouchon. Il y avait bien à l’avant et à l’arrière des caisses à eau pouvant contenir 400 à 500 tonnes, mais on avait laissé celle de l’avant vide, se contentant de mettre dans celle de l’arrière assez d’eau pour que l’hélice eût son action entière. On allait vite, mais on était secoué. La compagnie y trouvait son compte de toutes les façons : économie de temps et économie sur la nourriture des passagers. Marie et moi paraissons seuls à table.

25 mai. — Nous passons devant l’endroit où, en novembre 1870, le 13 je crois, le steamer anglais Lismore, sur lequel je me trouvais, fit naufrage à deux heures du matin. Puis voici les forts de Woosung, devant lesquels sont mouillés des navires de guerre chinois. Il fait nuit lorsque nous arrivons à Changhaï.

Des génerikchas se disputent la faveur de nous conduire. Les élus partent comme des flèches, puis, arrivés devant le pont qui sépare les concessions anglaise et française, ils nous déposent à terre et refusent d’aller plus loin. Leur certificat n’est valable que pour les concessions anglaise et américaine. De mesquines rivalités empêchent les différentes municipalités de s’entendre sur toutes ces minimes questions de détail, et c’est le public qui en souffre.

Heureusement, le Grand Hôtel des Colonies, renommé dans tout l’Orient, n’est qu’à deux pas, et nous y trouvons, comme d’habitude, de belles chambres bien aérées et une cuisine française des plus soignées.

26 mai. — Ma première visite est pour le docteur Jamieson, une célébrité de l’Extrême-Orient, aussi aimable homme qu’excellent médecin, qui, après m’avoir examiné sur toutes les coutures, me dit qu’il ne voit aucun inconvénient à ce que je poursuive l’exécution de nos projets, si nous y tenons absolument. Je suis heureux d’avoir suivi ses conseils.

CARTE POUR LE VOYAGE DE M. VAPEREAU.