Dans la rue (Bruant)/Gréviste

Aristide Bruant (Volume Ip. np-189).


GRÉVISTE

Parigo, quoi !… des Batigneule’,
Toujours prêt à coller un paing,
Mais j’comprends pas qu’on s’cass’ la gueule
Pour gagner d’ quoi s’y fout’ du pain.
El’ travail… c’est ça qui nous crève,
Mêm’ les ceux qu’est les mieux bâtis,
V’là porquoi que j’m’ai mis en grève…
            Respec’ aux abattis.


J’tiens à ma peau, moi, mes brave homme,
Tous les matins j’en jette un coup
Dans les journal et j’y vois comme
Les turbineurs i’s s’cass’ el’ cou…
Moi !… j’m’en irais grossir la liste
Ed’ ceux qu’on rapporte aplatis ?..
Pus souvent… ej’ suis fataliste…
            Respec’ aux abattis.

Tenez, ya quéqu’ chos’ qui m’dépasse :
C’est les travail à la vapeur,
Tôt ou tard i’ faut qu’on y passe,
Là, c’est réglé, gnya pas d’erreur :
Des gens qui n’est mêm’ pas malade !
L’matin i’s s’lèv’nt, les v’là partis…
El’ soir i’s sont en marmelade…
            Respec’ aux abattis.


Ben ! et ceux qu’on voit su’ la Seine
Enfoncer des pieux… qué métier !…
En v’là des gonciers qu’ont d’ la peine :
I’s tir’ à six su’ un bélier !
Moi, ces travails-là, ça m’épate,
J’touchr’ai jamais un pilotis,
J’aurais peur de m’casser eun’ patte.
            Respec’ aux abattis.

Au lieu d’ gueuler après les mines
D’fair’ des discours et d’ discuter
Su’ les fabriqu’ et les usines,
Moi j’dis qu’on f’rait mieux d’inventer
Des travails dont qu’ personne n’crève…
Jusque-là, vous êt’ avertis,
J’marche pas… J’continu’ ma grève…
            Respec’ aux abattis.