Dans la rue (Bruant)/Fantaisie Triste

Aristide Bruant (Volume Ip. np-83).


FANTAISIE TRISTE

FANTAISIE TRISTE


I’ bruinait… L’temps était gris,
On n’voyait pus l’ciel… L’atmosphère,
Semblant suer au-d’ssus d’Paris,
Tombait en bué’ su’ la terre.

I’ soufflait quéqu’chose… on n’sait d’où
C’était ni du vent, ni d’la bise,
Ça glissait entre l’col et l’cou
Et ça glaçait sous not’ chemise.


Nous marchions d’vant nous, dans l’brouillard,
On distinguait des gens maussades.
Nous, nous suivions un corbillard
Emportant l’un d’nos camarades.

Bon Dieu ! qu’ça faisait froid dans l’dos !
Et pis c’est qu’on n’allait pas vite ;
La moell’ se figeait dans les os,
Ça puait l’rhume et la bronchite.

Dans l’air yavait pas un moineau,
Pas un pinson, pas un’ colombe,
Le long des pierr’i’ coulait d’l’eau,
Et ces pierr’s-là… c’était sa tombe.

Et je m’disais, pensant à lui
Qu’j’avais vu rire au mois d’septembre
Bon Dieu ! qu’il aura froid c’tte nuit !
C’est triste d’mourir en décembre.

J’ai toujours aimé l’bourguignon,
I ’m’sourit chaqu’fois qu’i’ s’allume ;
J’voudrais pas avoir le guignon
D’m’en aller par un jour de brume.


Quand on s’est connu l’teint vermeil,
Riant, chantant, vidant son verre,
On aim’ ben un rayon d’soleil…
Le jour oùsqu’on vous porte en terre.