D’Egmont[1]. Il y a dans ce livre une pensée politique juste et grande, une idée que l’histoire justifie, à quelque heure et chez quelque nation qu’on la prenne et l’étudie, le développement fatal et irrésistible de la liberté, la nécessité inévitable du triomphe lent ou rapide, facile ou douloureux pour les principes que le temps a posés, que les choses ont révélés aux hommes, et qui doivent se réaliser à tout prix.

Or, l’auteur de ce livre qui a fait un roman pour démontrer son idée, ce dont il faut le remercier, n’a pas voulu remonter bien loin dans le passé, dans la crainte sans doute que les analogies d’événemens et de rôles ne fussent pas assez frappantes, et puis aussi par un besoin naturel d’originalité, d’indépendance, qu’il eût trouvé difficilement à satisfaire par une autre méthode. En plaçant la scène et les personnages à trois ou quatre siècles de distance, il aurait peut-être coudoyé sur sa route quelques entêtés douteurs, pour qui la vérité la plus vraie n’est jamais assez évidente, qui ne voient pas volontiers dans un passé lointain une leçon pour le présent.

Ayant appelé l’imagination au secours de la raison, contre l’usage ordinaire, ayant cherché une enveloppe vivante et réelle pour une pensée intérieure et longuement méditée, il devait se trouver entraîné, par un penchant involontaire, vers l’histoire moderne, l’histoire que nous pouvons toucher du doigt ; il a choisi le 18 brumaire. On sait comment le vainqueur d’Italie sacrifia la liberté à son ambition ; comment, après avoir promené ses aigles triomphantes dans toutes les capitales de l’Europe, il expia sur le rocher de Saint-Hélène le crime de Saint-Cloud.

En regard du principe militaire et despotique, l’auteur, quel qu’il soit, puisqu’il a eu la modestie de ne pas révéler son nom, a placé un cœur enthousiaste et pur, un cœur à qui les misères de la vie et les bassesses de la société n’ont pas encore appris le découragement, et qui, au moment même où l’exil le relègue loin de sa terre natale, ne renonce pas à toute espérance ; qui, loin d’insulter, comme Brutus, à la réalité de la vertu, garde à l’avenir de la liberté une foi sincère et profonde. Ce héros, c’est d’Egmont.

Sauf quelques légers anachronismes dont l’auteur anonyme s’accuse ingénument, l’histoire est fidèlement retracée. Tous les détails du récit sont écrits avec une sévère conscience. Le style est clair et pur : seulement il manque parfois d’essor et de souffle. Trop souvent la parole concise et sentencieuse du publiciste déguise et masque l’imagination du romancier. La pensée, sous ce vêtement solide et serré, n’a pas toujours ses coudées franches, et doit souvent imposer silence à ses fantaisies ; mais, à tout prendre, et tel qu’il est, d’Egmont est un livre plein de substance et d’idées, un livre nourri, qui sent, comme les pages de l’orateur grec, la lampe et l’étude. C’est un beau début.

  1. Chez Fournier, rue de Seine.