Députés contre Parlement/I

Paul VAILLANT-COUTURIER et Raymond LEFEBVRE


Députés contre Parlement


Le Crime du Parlement de la Guerre.


Pendant la Guerre capitaliste, nous tous, prolétariat militaire, prolétariat des champs, prolétariat des faubourgs, nous avons appris la haine et le mépris du Parlement.

Que les généraux aient fait merveille de niaiserie et prodigué notre sang pour rien, que les financiers, les journalistes, et les diplomates aient prolongé notre agonie — leur tranquillité — et combiné des enrichissements aussi énormes que notre souffrance, nous nous y attendions. Mais beaucoup d’entre nous, ceux surtout qui connaissaient mal la doctrine socialiste et le jeu de la lutte de classes, espéraient que le Parlement, « issu du suffrage universel », élèverait la voix en faveur d’une paix juste et rapide ; qu’il interviendrait effectivement contre les crimes des cours martiales et des conseils de guerre, contre les crimes des offensives inutiles, contre les crimes des discours « jusqu’au boutistes » que les chefs des États belligérants échangeaient joyeusement comme des toasts, chacun aidant ainsi son adversaire et collègue à remonter le moral chez lui.

Oui, beaucoup d’entre nous attendaient du Parlement un secours. « Issu du suffrage universel », ne se devait-il pas d’écouter la voix du peuple, d’agir conformément aux intérêts de la nation et, dans un conflit entre la caste exploitante et la masse des travailleurs, se faire le champion des travailleurs.

L’intérêt de la France — les événements actuels le prouvent — voulait que les Alliés offrissent (offrir n’est pas demander) aux Empires Centraux de traiter sur les bases d’une paix juste, respectueuse du droit des peuples, sans annexion, sans indemnités, et ne laissant derrière elle ni rancune, ni orgueil, ni armées.

Que Guillaume eût refusé, cela paraît certain. Mais « son » peuple (les soldats français faits prisonniers l’attestent)[1] voulait la paix. La perspective d’en finir vite et sans se ruiner l’aurait si bien réduit qu’au lieu de ne faire sa révolution qu’en octobre 1918, il n’y aurait pas tardé.

Nous savons aujourd’hui pourquoi les Alliés n’ont pas adopté cette politique. Non seulement de honteux traités secrets les entravaient, mais aussi, et surtout ils redoutaient une révolution allemande. Liebknecht, d’ailleurs, fut de tous les Allemands le plus injurié par notre presse de droite. Les secours qu’en ce moment prodigue l’État-Major français au militarisme de Noske dans sa lutte contre le socialisme communiste, sont l’aveu. L’égorgement des peuples par eux-mêmes, en une immense opération de police réciproque — jusqu’au bout — voilà quel fut le but véritable de la guerre du Droit.

Dans ce long crime, la complicité du Parlement français « souveraine expression du suffrage universel », fut l’inexpiable trahison. Certes, un jour viendra où la Révolution, traînera les coupables — M. Poincaré en tête — devant une Haute Cour. Et cette Haute Cour ne sera pas un salon de vieillards incompétents, dociles aux ordres officiels, ce sera une Haute Cour d’anciens soldats et de travailleurs, qui jugera sans égards aux grades, sans faiblesse. Mais la certitude même de ce châtiment ne peut pas nous ôter notre dégoût du Parlement. Car il n’y eut pas seulement une trahison. Il y eut surtout une faillite. Servilité devant une succession de ministères sordides, style mielleux, cérémonial encombrant, suranné, lenteurs, incompétences, prodigalité en lois incohérentes — et d’ailleurs inappliquées dès leur promulgation — déchéance de la loi elle-même… c’est pire, tout cela, que le manquement des individus. C’est la carence d’un régime. On peut aller jusqu’à prédire que le Parlement qui va encore être élu, le dernier avant la Révolution, sera périmé dès sa naissance, et outrera les sénilités de son prédécesseur qu’il fera regretter. La gangrène gagne…

Le socialisme seul peut sauver la France.

  1. Voir les volumes de souvenirs écrits par des soldats retour d’Allemagne : le livre de Jacques Rivière, écrivain nationaliste, est le plus caractéristique, le plus net. Voir aussi Rieu.