Démoniana ou Nouveau choix d’anecdotes/Le Spectre qui gronde


LE SPECTRE QUI GRONDE,

ou
LES DEUX URNES.
ANECDOTE.

Un fermier de la Champagne trouva, en fouillant une monticule, deux vases précieux, dont l’un contenait les cendres d’un mort, et l’autre des pièces d’or et des médailles antiques. Il emporta ces deux vases dans sa maison, et ne fit part qu’à son compère de l’heureuse trouvaille qu’il venait de faire.

Il s’attendait à en jouir tranquillement. Mais la nuit suivante, il lui apparut un spectre qui lui fit les reproches les plus violens sur la faute qu’il avait commise, en enlevant deux vases consacrés par la cendre d’un mort, dont ce spectre lui dit qu’il était l’âme.

Le fermier eut quelque frayeur ; mais le désir de devenir riche l’emporta sur la crainte, et il garda ses deux vases. Au bout de trois jours, le fantôme se montra de nouveau ; il gronda plus fort que la première fois ; et après avoir fait beaucoup de bruit, il annonça au fermier que s’il ne reportait pas les deux vases avec ce qu’ils contenaient dans la monticule où il les avait pris, son fils aîné mourrait dans la semaine.

Le fermier, effrayé de ces menaces, prit la résolution de renoncer à son trésor ; mais le jour ayant dissipé ses terreurs, il se moqua du spectre et garda ses vases.

Cependant, sur la fin de la semaine, son fils aîné fut trouvé étranglé dans son lit. — Le fermier consterné voulait consulter quelqu’un sur ce qu’il avait à faire, lorsque le spectre lui apparut de nouveau. Après l’avoir gourmandé d’une voix terrible, le fantôme lui dit que s’il parlait à quelqu’un de sa découverte, et s’il ne reportait pas le lendemain les deux vases à leur place, son second fils serait étouffé, et qu’il mourrait lui même dans trois jours.

Le pauvre fermier n’hésita plus. Il remit les vases en terre, et fut débarrassé des visites et des menaces du spectre.

Si l’on eût pris la peine d’examiner cette affaire, on eût reconnu que le rôle du spectre était joué par le compère à qui le fermier avait confié son secret. Ce compère, qui était un scélérat, avait étranglé lui-même le fils aîné du fermier. Quand les deux vases furent remis à leur place, il les enleva la nuit, en acheta une métairie, et devint le plus riche de son canton. Mais il se cacha si bien qu’on ne se douta de rien, parce qu’il fit passer l’augmentation de sa fortune pour une succession qu’il venait d’avoir. — On place cette anecdote au 16e. siècle.