Démoniana ou Nouveau choix d’anecdotes/Le Maillet et le Fantôme
LE MAILLET ET LE FANTÔME,
En 1750, un revenant s’empara d’une maison de Louvain, dont le propriétaire était mort depuis peu de temps, et qui venait d’être vendue par les héritiers. Toutes les nuits, on entendait l’esprit faire un vacarme effroyable ; il frappait à coups redoublés sur les murailles, sur le parquet, sur les boiseries ; ce bruit ressemblait habituellement à de violens coups de marteau.
On commença par s’épouvanter ; on consulta des experts ; et quand on se fut un peu rassuré, on fit des recherches ; mais les perquisitions furent long-temps inutiles.
Un matin, cependant, en parcourant la maison, on trouva, dans une petite chambre du dernier étage que l’on n’habitait point, un maillet de bois posé sur une table. On ne douta point que ce ne fut l’instrument dont se servait le fantôme ; on descendit ce maillet, et on le cacha soigneusement, avec l’espoir que le bruit ne se renouvellerait plus.
Mais, la nuit suivante, l’esprit ne trouvant plus son joujou favori, entra dans une telle colère, qu’il s’en prit à tout ce qui se rencontra sous sa main ; il brisa tout ce qui restait dans la petite chambre, se jeta sur la porte, et l’ayant enfoncée, soit qu’elle fût sans serrure, ou qu’on l’eût mal fermée, il se mit à sauter et à gambader sur l’escalier avec un bruit formidable ; il frappa à tous les murs et heurta à toutes les portes. Vainement deux hommes, un peu plus courageux que de coutume, se levèrent et essayèrent de l’attraper ; ils n’entrevirent qu’un monstre velu, qui fuyait avec une extrême légèreté, et qui renversait tout sur son passage…
Le maître de la maison, plus effrayé que jamais, se décida à rendre à l’esprit son instrument, et aima mieux souffrir un mal supportable que de s’exposer à avoir le cou tordu. On reporta le maillet dans la petite chambre, dont on ôta tous les meubles. On la referma soigneusement ; et la nuit suivante, les coups recommencèrent mieux que jamais. Mais ce vacarme était doux en comparaison du train de la veille ; et, d’ailleurs, l’esprit ne fit pas mine de vouloir descendre.
Cependant on ne pouvait pas toujours souffrir cet être incommode. On résolut de le faire exorciser ; ce qui ne produisit rien de bon ; car l’esprit continua son sabbat, sans s’inquiéter des exorcismes.
Au bout de quelques mois, un nouveau commensal de la maison, plus hardi ou moins sot que les autres, se mit en tête d’affronter le revenant. Il s’enferma dans la petite chambre, muni d’une épée, de bons pistolets, et d’une lanterne sourde dont il cacha exactement la lumière. Après deux heures d’attente dans l’obscurité et le silence, il entendit enfin du bruit à une petite fenêtre qui donnait sur le toit ; on descendit légèrement, et à la suite de quelques gambades, on saisit le maillet ; on commença la musique ordinaire. L’homme qui était aux aguets, ouvrit précipitamment la lanterne et s’élança, le pistolet au poing, sur le bruyant fantôme… C’était un singe du voisinage, qui venait par les toits faire ses farces dans la chambre au maillet…