Démoniana ou Nouveau choix d’anecdotes/Le Fantôme qui saute


LE FANTÔME QUI SAUTE.

ANECDOTE.

Un jeune Suédois qui passait sa vie dans la débauche et la dissipation, fut ramené à la vertu par une aventure assez singulière, qui fit quelque bruit au 17e. siècle.

Ce jeune homme, dont la conduite désolait sa famille, ayant passé la nuit dans les plus sales plaisirs avec plusieurs des compagnons ordinaires de son intempérance, revenait au logis dans l’ivresse, vers quatre heures du matin. En rentrant dans sa chambre, il vit, auprès de son lit, un fantôme qui lui ressemblait exactement pour la figure et la contenance. C’était son air, son visage, tous ses traits ; seulement le spectre était pâle et avait les yeux hagards.

Le jeune Suédois, plus qu’étonné de cette rencontre, jeta les yeux sur un grand miroir, où il vit sa propre figure pâlie par la peur, si semblable à celle du fantôme, qu’il pensa en tomber à la renverse. Il ne pouvait concevoir comment il se trouvait double dans sa chambre…

Le fantôme ne disait mot. Il se contentait de regarder le jeune homme d’un œil fixe et égaré ; il sautait aussi continuellement, et toujours à pieds joints.

Le jeune Suédois épouvanté ne sut bientôt quelle contenance faire, devant l’ombre qui gambadait autour de lui, avec une agilité peu commune.

À la fin, le spectre sauta devant le jeune homme, en levant une main vers le ciel, et étendant l’autre au-dessus de sa tête, comme pour le saisir et l’enlever par la chevelure. Le malheureux, au comble de la terreur, et complètement revenu de son état d’ivresse, se jeta à genoux, et jura qu’il renonçait à ses vicieuses habitudes. Aussitôt le fantôme lui sauta par-dessus la tête et s’enfuit… Le jeune homme se mit au lit, tomba malade, et mourut des suites de l’effroi que lui avait causé le spectre.

Voici l’explication de cette aventure. Les parens du jeune Suédois, désolés de sa mauvaise conduite, avaient chargé un de leurs amis de lui donner une frayeur salutaire. À la faveur d’un masque de soie bien ressemblant à la figure du jeune homme, cet ami s’était habilement acquitté de son rôle. Mais le moyen avait été funeste, et les parens durent se désespérer d’y avoir eu recours, puisque la peur fit mourir ce fils qu’ils ne voulaient que corriger.