Démoniana ou Nouveau choix d’anecdotes/La Main de fer, ou le Revenant apprivoisé


LA MAIN DE FER,

ou
LE REVENANT APPRIVOISÉ.
ANECDOTE.

Voici un trait assez singulier qui a fait beaucoup de bruit dans le dernier siècle. Il s’est passé au village de Fontenoy, à une lieue de Toul.

La dame de Fontenoy étant devenue mère, prit une nourrice dans son château, afin de voir élever son enfant sous ses yeux. Mais, soit par quelque défaut de précaution, soit par un accident naturel, l’enfant se trouva, un matin, mort dans son lit, On en accusa la négligence de la nourrice, qui mourut de chagrin peu de temps après.

Au bout de quelques jours, la femme-de-charge de la maison, qui se nommait, dit-on, mademoiselle Petit, se trouva inquiétée d’un esprit qui la suivait partout. Elle demanda à l’esprit qui il était et ce qu’il voulait ? L’esprit lui répondit qu’elle ne s’épouvantât point, qu’il revenait par l’ordre de Dieu ; et qu’avant d’être reçu en paradis, il était obligé de faire une pénitence dans le château de Fontenoy.

Bientôt cet esprit se rendit si familier avec mademoiselle Petit, qu’il conversait amicalement avec elle, et qu’il lui faisait société jour et nuit, lorsqu’elle était seule. Il montrait tant de sagesse qu’elle s’habitua, sans le moindre effroi, à cette compagnie extraordinaire ; et ce commerce dura environ deux ans.

On savait, dans le château, quelque chose de ce qui se passait ; mais on ne s’en inquiétait point, parce que le revenant paraissait très-pacifique, et que mademoiselle Petit ne réclamait point de secours. On lui laissait donc le soin de se tirer d’affaire avec l’esprit.

À la fin de la deuxième année, cette demoiselle s’avisa enfin de demander à l’esprit où il était, en attendant le ciel.

— Je suis en purgatoire, répondit l’esprit.

— Mais, à présent, continua la demoiselle, souffrez-vous quelques douleurs ?

— Oui, sans doute, répliqua le revenant ; je suis toujours au milieu des flammes. (En même temps il ouvrit sa robe, et fit voir à son amie le feu qui l’embrâsait).

— Donnez-moi quelque preuve de votre chaleur, dit la demoiselle ; car, on commence à douter de ce que je conte de vous ; on m’accuse d’être visionaire ; on prétend que vous n’êtes pas un revenant véritable…

Le fantôme fut assez généreux pour ne pas laisser mademoiselle Petit dans l’embarras. Il lui voulut procurer un moyen de prouver au public qu’elle n’en imposait point ; et comme il était intéressé lui-même à conserver sa réputation d’honnête revenant : — Donnez moi un mouchoir, dit-il, j’y vais mettre un signe où l’on reconnaîtra qui je suis, à votre honneur.

La demoiselle se hâta de présenter un mouchoir ; le fantôme y appliqua sa griffe, et aussitôt parut empreinte, sur le mouchoir, la forme d’une main. On y voyait les cinq doigts et la paume bien marqués, avec toutes les lignes d’usage ; et l’on eût juré qu’on avait appliqué, sur ce mouchoir, la figure d’une main de fer rougie au feu.

Mademoiselle Petit ayant admiré quelques instans ce prodige, se leva bien vite ; (car, c’était le matin) elle s’habilla à la hâte, et s’en alla porter le mouchoir miraculeux à madame de Fontenoy.

Cette bonne dame ne put s’empêcher de reconnaître là une chose surnaturelle ; elle convint que mademoiselle Petit ne s’était point trompée ; qu’elle avait eu bien véritablement la visite d’un esprit ; que c’était peut-être la nourrice ; et elle fit dire des messes pour le repos de l’âme qui brûlait si ardemment en purgatoire.

Le revenant finit, comme tous les autres, par ne plus revenir. Le mouchoir passa bien vite des mains de madame de Fontenoy dans celles du curé, et de celles du curé dans les mains d’un huissier de Toul. Ces trois personnes le firent voir aux dévots et aux curieux pendant quelques mois ; et l’affluence y fut aussi grande que si c’eût été une merveille.

Enfin l’huissier laissa égarer le mouchoir ; et par malheur, pour la sagacité des bonnes gens qui avaient cru toute cette histoire, avec autant de foi que l’évangile, on découvrit que ces prodiges n’étaient qu’un tissu de petites fourberies.

La discrète mademoiselle Petit avait, pour amant, un garçon forgeron assez adroit de sa personne ; et comme elle voulait conserver sa renommée de vertueuse et sage demoiselle, il fallait trouver un moyen de se voir décemment. Pour entretenir avec plus de sûreté un commerce de galanterie, le jeune homme s’avisa de se rendre au château, déguisé en revenant ; et l’on a vu qu’il jouait assez bien son rôle.

Quant à la main de feu, il l’imprima dans sa forge sur un mouchoir blanc, avec un morceau de fer façonné tout exprès. Il le porta à la demoiselle dans la visite qu’il lui rendit ensuite ; et quand il fut las de sa maîtresse, il cessa de l’aller voir pour en prendre une autre : ce qui termina nécessairement les apparitions.

Je ne doute pas, dit ici don Calmet, que si on approfondissait les histoires d’apparitions d’esprits et de fantômes ; et si on les suivait de près, on y découvrirait la plupart du temps de semblables illusions et de pareilles supercheries.