Défectuosité des aplombs

ÉCOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE


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DÉFECTUOSITÉ DES APLOMBS


─ DE SON INFLUENCE DANS LA GENÈSE DES MALADIES ─


Moyens de la prévenir dès le Jeune Age.


PAR

E. CEYSSET
De Loudière-Haute (Cantal).
D. PÉBERNAD
De Montclar (Aude).


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THÈSE POUR LE DIPLOME DE MÉDECIN VÉTÉRINAIRE


Présenté le 24 Juillet 1877

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TOULOUSE


TYPOGRAPHIE MÉLANIE DUPIN ─ ROUX, SUCCr


28, RUE DE LA POMME, 28
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1877.



À NOS PARENTS




À NOS AMIS




À NOS MAÎTRES


AVANT-PROPOS



Si c’est un sujet que je n’entende pas, à cela même je m’essaie, sondant le gué de bien loin, et puis, le trouvant trop profond pour ma taille, je me tiens à la rive.
(Essais de Montaigne).

Pour les amateurs qui cherchent à s’instruire, beaucoup se contentent de la connaissance extérieure du cheval ; combien peu étudient l’animal intérieur et se rendent compte de ces associations sympathiques qui donnent à tous les instruments de la vie une unité d’action et de résultat ! Et cependant, ce n’est que par la connaissance de la loi de subordination et de coordination des fonctions, que l’on peut élucider certaines questions, expliquer certains problèmes confus au premier abord ; celui, par exemple, que nous avons essayé de résoudre et qui est ainsi formulé : Influence de la défectuosité des aplombs dans la Genèse des maladies.

Prenant la synergie fonctionnelle pour base de nos démonstrations, il nous a été possible de prouver que, lorsque l’égalité de répartition du poids du corps sur les membres est altérée ou détruite, cette machine vivante qui s’appelle cheval se ruine de bonne heure, si bonne soit la trempe de ses ressorts. À l’appui de notre dissertation, nous citons quelques exemples, recueillis, pour la plupart, à la clinique de l’École.

Convaincus que les vices d’aplomb sont ordinairement le résultat de soins mal entendus pendant le jeune âge, nous nous sommes appesantis sur la nécessité d’une bonne hygiène pour prévenir le mal. C’est, du reste, ce que nous avons constaté durant nos années d’études, sur des poulains victimes, sitôt après leur naissance, de soins hygiéniques irrationnels.

Les leçons cliniques de notre professeur, M. Lafosse, ont été pour nous d’un grand secours ; nous les avons mises largement à contribution pour faire voir les avantages et tout le mérite qu’il y a à pratiquer l’élevage avec discernement et en dehors d’une aveugle routine.

Prenant pour règle de rester autant que possible sur le terrain solide des faits, nous avons tenté de grouper en un seul tout quelques principes d’hygiène que n’unissaient jusqu’ici aucun lien dogmatique, aucun rapport d’ensemble. Cela nous a permis de présenter, méthodiquement enchaînés et logiquement déduits, quelques préceptes restés trop souvent sans signification pour la science pratique.

Trop heureux si nous pouvons faire ressortir l’importance de l’aplomb régulier des membres chez le cheval qui travaille, faire comprendre au propriétaire-éleveur que, tant qu’il marchera à tâtons, ses intérêts seront compromis ; qu’au contraire « une fois sur d’avoir trouvé le vrai sens des choses, loin d’avoir contre lui les forces de la création, il aura pour ainsi dire, avec le temps, les forces de Dieu lui-même ».

Dans une première partie divisée en deux chapitres, nous étudions les désordres qu’entraîne la défectuosité des aplombs dans les fonctions de l’économie ; dans une deuxième partie, nous indiquons les moyens de les prévenir.

Tel est le sommaire de notre travail.

D. P.                                                  E. C.


PREMIÈRE PARTIE




CHAPITRE PREMIER


INFLUENCE EXERCÉE PAR LA DÉFECTUOSITÉ DES APLOMBS SUR :

1o L’Économie en général ;

2o Les Organes des Cavités thoracique et abdominale.


I


On peut avec raison comparer la machine animale à une machine artificielle dont les rouages, méthodiquement agencés, sont solidaires les uns des autres, tout en ayant chacun un rôle propre. L’économie, elle aussi, à sa loi de subordination et de coordination des fonctions et des organes, en vertu de laquelle un lien de solidarité se forme entre toutes les parties du corps vivant, de manière à grouper toutes les actions pour les diriger vers un but commun : la conservation de l’individu ; mais, par contre, toutes les parties subissent le retentissement des actions auxquelles se trouve soumise l’une d’entre elles. Plus les fonctions chez les animaux deviennent définies, plus aussi elles sont dépendantes les unes des autres, se combinent entre elles, s’intègrent. Le travail, comme on dit en économie politique, est divisé ; mais il est centralisé aussi et coordonné. Un organe ne travaille pas exclusivement pour lui seul ; il a une fonction spéciale, mais cette fonction sert à faciliter, même à rendre possible la fonction spéciale d’un autre ; de là, cette conséquence qu’un dérangement dans les aplombs entraînera une perturbation dans les divers départements de l’économie.

Sous cette rubrique : Bons, beaux Aplombs, on doit entendre la direction des membres la plus capable de garantir pendant le repos la stabilité de la machine animale, sans l’emploi des forces motrices, et qui, pendant l’exercice, permet à ces mêmes forces de déployer la plus grande somme d’énergie. Instabilité du corps, augmentation des efforts musculaires, telle sera la réciproque quand il s’agira d’aplombs défectueux.

Toujours en vertu de la loi du rythme universel, la conséquence de l’excès de fonction c’est l’excès d’usure ; celle-ci apparaît surtout dans les muscles. Leur continuité d’action devenant nécessaire, l’éréthisme s’emparera de ces organes moteurs, lequel, contenant les abouts articulaires, s’opposera peu à peu à cette obliquité qui garantissait la douceur et le moelleux des mouvements, s’il en restait encore des traces. D’un autre côté, l’instinct de conservation porte le cheval à calculer la direction qu’il doit donner à ses membres, soit pour en alléger la fatigue, soit parce qu’il lui est impossible de prendre une autre direction ; il doit alors se trouver lui-même des aplombs de calcul, non-seulement à l’état de repos, mais aussi quand la masse du corps sera déplacée ; il ne le pourra que grâce à des efforts musculaires continuels : de là, souffrance, ruine prématurée, épuisement enfin. Voyez, en effet, un de ces chevaux mal favorisés par la nature : au repos, ses muscles se contractent pour s’opposer à la flexion des leviers osseux, et, si on le force à se mouvoir, il semble hésiter, calculer la direction des premiers pas, et son hésitation à se déplacer serait longue peut-être si le fouet de son maître ne le tirait de cette léthargie nécessaire. Énergie, vivacité, expression dans le regard, tout cela disparaît chez lui ; et pourquoi cela, sinon parce que le corps est épuisé. Chez les animaux, comme chez l’homme, la santé du corps est la condition indispensable au développement régulier des facultés ; pour qu’elles puissent se manifester librement, le corps ne doit être ni malade, ni fatigué, ni souffrant : mens sana in corpore sano.

L’épuisement progressif, voilà la conséquence du travail outré ; et si l’on considère que, la plupart du temps, à cette destruction de l’organisme, ne correspond pas une nourriture suffisamment réparatrice, le dépérissement du sujet n’en sera que plus assuré ; car, n’oublions pas que si c’est par son fonctionnement que l’organisme s’use et se détruit, « c’est par la nutrition qu’il se répare et dure ; que le muscle est une machine qui, non-seulement brûle son combustible, mais renouvelle sa charpente, une machine qui se détruit et se refait à chaque instant ».

L’excès de fonction, avons-nous dit, c’est l’excès d’usure ; mais l’excès de fonction d’un organe A (membre) ne pourra avoir lieu d’une manière permanente qu’à la condition d’un surcroît de fonction dans un ou plusieurs autres organes B, C (poumon, cœur), de l’activité desquels la science dépend. Si cette augmentation s’exagère, il en résultera une perturbation dans les équilibres internes.

Chez le cheval panard, par exemple, les muscles devant agir plus souvent et avec plus d’intensité qu’à l’état physiologique, se fatigueront outre mesure. D’après le principe ci-dessus, un plus grand nombre de mouvements respiratoires sera nécessaire ; de là, prédisposition aux arrêts de transpiration, pleurites, etc. La respiration devenant plus grande, la circulation le deviendra aussi, et, comme ces deux fonctions commandent toutes les autres, des troubles plus ou moins sensibles se feront sentir dans tous les départements de la machine vivante. Si vous attelez au brancard un cheval panard, sa poitrine étroite ne sera pas capable de garantir et de défendre les poumons de l’effet des secousses plus ou moins vives portées sur les côtes par le brancard de la charrette, par suite des cabotages, soit de la part des pierres, des ornières, de l’inégalité des chemins, etc. Chez notre sujet, le resserrement de la poitrine portera en arrière les viscères abdominaux qui nuiront singulièrement au développement du fœtus au moment de la gestation, et si la nourrice a un ventre volumineux, l’élévation des côtes sera plus difficile, la contraction des muscles respiratoires sera plus énergique ; d’où, pression sur le fœtus, pression modérée, si vous le voulez, mais capable de déterminer à la longue l’avortement.

Prenez un à un tous les défauts d’aplomb, et vous verrez que tous entraînent des troubles plus ou moins manifestes dans l’économie entière.

Avons-nous besoin de rappeler que chez les chevaux bas du devant le garrot est exposé à être blessé par la sellette, la queue par le culeron ? que ces animaux sont enclins à tomber, à se couronner, par conséquent ? que les défauts d’aplomb désignés par ces mots : sous lui du devant, panard, cagneux, etc., sont autant de causes qui prédisposent le cheval à se couper, à se blesser, etc. ?

À l’état physiologique, le poids du corps se partage également entre les différentes parties constituantes des colonnes de soutien : os, tendons, muscles. Quand, ces colonnes ne sont pas d’aplomb, cette répartition n’est plus régulière ; de là, surcharge des os, tiraillement des tendons, et le plus souvent ostéite ou nerf-ferrure, synonymes de boiterie. Le cheval n’étant qu’une machine à laquelle on demande la plus grande somme de travail, il est évident qu’il ne sera d’aucune utilité pour nous dès l’instant où la fonction locomotrice sera troublée. Par suite de cette surcharge des os, de ce tiraillement des tendons, l’animal souffre, et à l’écurie, on le voit choisir les interstices du pavé pour appuyer la pince et soulager les tendons, ou bien fléchir tour à tour ses membres pour les laisser reposer, toutes positions que la plupart des propriétaires attribuent à sa paresse, mais auxquels on pourrait appliquer à bon escient ces mots de Laocoon : Quæ tanta insania cives ! Cette souffrance qu’il éprouve, le cheval ne peut l’exprimer ; mais il digère mal, on le voit maigrir, ses forces diminuent, et si, à cette cause, se, joignent l’excès de travail et l’insuffisance de nourriture, l’animal, jeune encore, est usé, décrépit : il appartient à l’équarrisseur. »

Le sujet souffre donc. Or, qu’arrive-t-il lorsque la sensibilité s’exagère, sinon une perte de substance appréciable pour les nerfs ? Le système nerveux épuisé, les vaisseaux se relâcheront ; les globules passant dès lors trop vite, ne céderont point une quantité suffisante d’oxygène aux éléments des tissus et ne leur enlèveront pas assez d’acide carbonique. Ainsi s’expliquent, chez ce cheval, le peu d’activité de la nutrition, l’insuffisance de la circulation et cet état d’abrutissement qui le caractérise ; car, n’oublions pas que le système nerveux n’est pas seulement chargé de porter le mouvement aux autres tissus et de recevoir les excitations, il est aussi le siège des facultés instinctives et intellectuelles. M. Colin a remarqué que le déplacement des forces musculaires n’arrive à son maximum qu’autant que les animaux sont stimulés par la douleur, la crainte, les menaces, les besoins impérieux de la conservation ; ces conditions se trouvent réalisées en une certaine mesure chez le cheval dont les aplombs sont défectueux. Or, quand la contraction des muscles a atteint son plus haut degré, il peut y avoir rupture de ces organes, fracture des os…

Après un repos peu prolongé parfois, ce cheval sera pesant, paresseux, sans forces ; ses membres seront engourdis, ses articulations raides ; il sera bientôt harassé de fatigue, hors d’haleine, suera, se refroidira avec la même facilité, sera en danger imminent de la fourbure, de la fluxion de poitrine, etc. Si, d’un autre côté, vous le surmenez un peu, cet excès de travail peut occasionner la mort subite en déterminant la rupture de l’estomac, du diaphragme ou de quelques gros vaisseaux, même l’asphyxie. Plus que tout autre, il sera exposé aux fièvres aiguës, à cette affection cérébrale, presque toujours mortelle, nommée vertige abdominal. Ce sont surtout les organes locomoteurs qui souffriront de cet exercice ; les articulations perdront leur force et leur souplesse ; les muscles seront frappés d’un genre d’inflammation lente, souvent intermittente, qui constitue un rhumatisme chronique, cause la plus ordinaire, si elle n’est pas la seule, de ce que l’on nomme boiterie de vieux mal sans tares apparentes. Si l’on réfléchit, en outre, que très souvent l’aplomb des membres est le résultat de l’aplomb vicieux du pied, on comprendra que la fatigue des extrémités puisse déterminer l’inflammation lente des capsules articulaires de ce dernier organe (pied) et tant d’autres lésions graves dont le raisonnement seul peut expliquer l’existence.

La rectitude des aplombs est donc chose toujours importante à rechercher. Du reste, tous les auteurs qui ont écrit sur le cheval : Virgile, Pline, Xénophon, Varron, etc., s’en sont préoccupé. Ainsi, Varron, qui vivait à peu près à la même époque que Columelle, veut « pour qu’un cheval soit bon, qu’il ait les jambes droites et égales, les genoux ronds, ni trop grands, ni trop en dedans, et des sabots durs » : cruribus et æqualibus genibus, rotudis ne magnis, nec introrsus spectantibus, ungulis doris. Dans un mémoire de Noyés de Mirepoix, couronné par la société royale de médecine de Prague en 1808, on trouve bon nombre de préceptes relatifs aux aplombs ; entr’autres recommandations, celle de rechercher, sur les chevaux de travail surtout, « des jambes qui garderont l’aplomb autant que possible, » et cela au point de vue de la santé et de la solidité de ces animaux.[1] — Plus près de nous, Perrier et Laisné ont écrit sur ce sujet ; mais ils ne se sont occupés que de l’aplomb du pied dans ses rapports avec la ferrure. Enfin, M. Sanson avoue que « ce serait l’objet d’une belle étude à faire que celle de l’influence qu’exercent sur la conservation, non seulement de l’intégrité des agents locomoteurs de la machine animale, mais encore de l’exécution absolue de ses autres fonctions, les bonnes conditions de l’aplomb de ces mêmes agents. » — L’irrégulière répartition du poids du corps sur les membres est donc nuisible : au service des animaux, à leur solidité, à l’intégrité des fonctions, à la santé en un mot. À la santé, me direz-vous, quand on voit des personnes excessivement mal conformées se porter aussi bien que possible ? Mais réfléchissez, vous répondrons-nous, que le travail, et un travail parfois outré, est la condition sine qua non de l’existence du cheval auquel on ne saurait appliquer ces vers si connus de Lafontaine :

… Qu’on me rende manchot, cul-de-jatte, impôtent …

Telle est, d’une manière générale, l’influence de la défectuosité des aplombs sur l’économie. Malheureusement, il faudra long-temps pour faire adopter ces idées, surtout aux personnes étrangères à la médecine. On ne s’étonnera donc pas si, pour les étouffer, on lance sur elles l’anathème, on les accable de ridicule. Rassurons-nous, car une cause qui n’est combattue que par l’ironie est gagnée devant la science et la raison. A l’expérience et au temps de faire le reste.


II


Spécialisons et voyons les troubles qui surviennent dans les cavités thoracique et abdominale.

Cavité thoracique. — La plupart des personnes à qui l’on dirait : votre cheval n’a dû sa fluxion de poitrine, par exemple, qu’au dérangement des aplombs, se révolteraient à l’idée qu’une cause en apparence aussi inoffensive fût capable d’atteindre ce résultat. « Le vétérinaire seul, habitué à juger les effets sympathiques, comprendra comment des fatigues qui n’ont presque pas de relâche peuvent faire éclore telle ou telle maladie, selon les dispositions où se trouvent les organes ». Mais si vous dites à l’incrédule : tout effort musculaire s’accompagne dans les muscles d’un surcroît de mouvement et de décomposition pour l’entretien duquel un apport plus abondant d’oxygène est nécessaire et par suite une suractivité des mouvements respiratoires devient indispensable ; si, ensuite, vous lui faites comprendre que ces conditions se trouvent réalisées au plus haut degré chez les chevaux dont les aplombs sont vicieux, il finira peut-être par vous croire. Peut-être, dirons-nous, car on a vu des hommes faisant autorité dans la science vétérinaire pousser l’incrédulité au point de dire que, verraient-ils les faits, ils ne croiraient pas. Sans doute, le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable ; mais, en présence des faits, peut-on douter encore ?

Prenons, comme exemple, le cheval panard. Le rétrécissement du thorax, aura pour conséquence le rapprochement des coudes. Or, comme chez lui il y a une dépense plus grande de forces, les mouvements respiratoires seront plus nombreux, plus accélérés et plus pénibles, vu la gêne du poumon ; aussi cet organe sera-t-il impressionnable ; le cheval sera court d’haleine, disposé à contracter des affections de poitrine, des maladies aiguës ou chroniques, sujet aux arrêts de transpiration et souvent destiné à périr de phthisie pulmonaire. Un très grand nombre de chevaux panards amenés à la consultation de l’École se trouvent dans ce cas. Interrogez les propriétaires de ces chevaux ; ils vous diront que leurs animaux se fatiguent au moindre exercice, suent au moindre travail, alors même que la bonté de leur appétit ne se dément pas, sont impressionnés par le moindre courant d’air.

Le thorax resserré, le poumon ne petit plus se dilater et s’affaisser comme s’il était libre ; et comme la puissance et le volume du contenu sont en rapport avec l’étendue du contenant, la quantité d’air admise dans les organes respiratoires sera trop faible et il arrivera ce qui a lieu dans le cas de tympanite alors que les viscères abdominaux empêchent le poumon de se dilater : il y aura emphysème. Si avec cette étroitesse de poitrail existent des viscères volumineux, ceux-ci pousseront le diaphragme en avant et gêneront ainsi la respiration. Cette fonction sera donc difficile après chaque repos, et quand la nourriture sera trop abondante, les sujets seront essoufflés et incapables de résister à un travail pénible. La compression si énergique exercée dès lors dans le reste de l’appareil respiratoire, aura pour résultat « de faire refluer l’air vers les trompes, les poches gutturales, la cavité tympanique, d’augmenter la tension de la membrane du tympan au point de déterminer parfois une surdité momentanée. »

D’un autre côté, la plupart des muscles qui font mouvoir les rayons antérieurs prenant leur origine sur une poitrine étroite, ne pourront imprimer aux membres que des mouvements peu étendus. Comme, en outre, le développement des membres est en rapport direct avec la grandeur de la poitrine, nous aurons là autant de causes qui, en rendant la locomotion difficile, prédisposeront les chevaux aux arrêts de transpiration, pharyngite, laryngite, emphysème pulmonaire, pleurite, etc., dernière affection qui attaque de préférence les animaux à poitrine peu spacieuse, ceux surtout que l’on soumet, dans la campagne, aux travaux fatigants de l’agriculture. « Ces animaux (animaux panards) ne sont susceptibles d’aucun travail pénible ; ils sont toujours plus ou moins maigres, secs et exténués. Et comment pourraient-ils, en effet, acquérir de l’embonpoint lorsque les poumons, qui sont le principal organe de la sanguification ~ sont gênés ? ~ L’étroitesse du thorax s’oppose au développement des poumons, et des poumons trop petits annoncent de suite la faiblesse de l’individu, parce que ses organes incluent singulièrement sur l’organisation musculaire.[2] »

Le cheval panard a le pied rejeté en dehors et l’appui ne se fait que d’un seul côté. Le pied souffrira nécessairement de cette répartition inégale de la masse à supporter. Or, Bracy- Clark a vu, dans ces conditions, le poitrail se rétrécir et les organes thoraciques en souffrir ostensiblement. La pratique, du reste, nous montre assez souvent des faits de cette nature.

La capacité de la poitrine étant aussi la mesure du volume du cœur, cet organe, comme le poumon, sera gêné aussitôt que des efforts accéléreront la circulation ; une compression se fera sentir dans toutes les parties de l’arbre circulatoire et, dès lors, pourront se développer des dilatations anévrysmatiques dans les ventricules coïncidant parfois avec l’emphysème pulmonaire. La rentrée du sang veineux dans le thorax et le cœur devenant difficile, les vaisseaux superficiels se gonfleront et, dans les plus grands nombre des cas, les battements de cet organe seront excessivement énergiques. Or, les battements violents du cœur ne sont-ils pas la preuve irréfragable de son fonctionnement pénible, et les maladies dont il est le siège ne sont-elles pas dues le plus souvent à un excès de travail, toutes conditions, on le voit, qui se retrouvent ici ?[3] En médecine humaine, les douleurs morales sont réputées causes efficientes les plus ordinaires des maladies de cœur ; mais le cheval, placé dans les conditions qui nous occupent, souffre lui aussi et souffre moralement ; cette souffrance, il ne peut nous la faire connaître, mais elle existe en réalité.

Quoi de surprenant alors que de regarder un ou plusieurs vices d’aplomb comme cause prédisposante dans la genèse des affections de cœur ? Et puis, lors même que le poumon seul se trouverait compromis, cela ne suffirait-il pas pour apporter le trouble chez son voisin, attendu que chaque partie du corps agit sur les autres par des dérangements moléculaires qu’elle diffuse autour d’elle comme des ondulations ?

En même temps que la circulation veineuse est gênée, il y a reflux du sang vers le sinus crânien et rachidien, lequel soulèvera plus ou moins le cerveau et la moelle ; d’où, apparition de ces affections nerveuses si mal connues jusqu’à ce jour. Si à cela on ajoute cette crainte presque continuelle de butter, on aura peut-être une des causes qui engendrent ces hypersthénies, cette fièvre inflammatoire et autres maladies dont la vraie causalité nous échappe. Ne sait-on pas qu’elle se montre souvent chez des animaux qui ont été en proie à la frayeur et dont l’action des organes moteurs est longtemps soutenue ? Nous ferons encore remarquer que les chevaux étroits de poitrail ont une force de réaction excessivement faible. Témoin un cheval du Gers, confié aux soins de notre confrère M. Lacoste : atteint de bronchite, il passa deux mois et demi dans les infirmeries de l’École, et ne put s’en retourner guéri que grâce aux soins qui lui furent constamment prodigués ; témoin encore un cheval ariégeois qui mit un mois et demi pour jeter ses gourmes. Nos professeurs attribuèrent ce long état maladif à son manque de réaction, que nous mettons, avec raison peut-être, sur le compte de sa mauvaise conformation.

Une autre remarque essentielle à faire est la suivante. On sait que la continuité qui existe entre les squelettes des membres et du tronc s’effectue au moyen de parties molles, musculeuses ou fibreuses qui forment au thorax une sorte de soupente élastique destinée à supporter le premier effort de la pesanteur au moment mi le corps vient à atteindre le sol. Chez le cheval panard, dont les coudes s’appliquent directement contre le thorax, cette connexion entre le membre antérieur et le tronc par voie de continuité du squelette se trouve en partie réalisée ; de là, des ébranlements dangereux pour la structure des viscères intérieurs dans les chocs de la masse du corps contre le sol.

Quelques amateurs se consolent du défaut qui nous occupe dans la persuasion que le cheval n’en est que plus léger ; mais rien ne prouve qu’ils auront raison, alors même qu’ils s’autorisent du grand nombre de chevaux anglais que l’on rencontre panards. Mais, peu nous importe en ce moment la conformation des coursiers d’outre-mer, puisqu’il ne s’agit ici que du cheval qui peut rendre quelque service à l’agriculture.

Achetez un cheval panard, étroit de poitrine, et vous serez bientôt convaincu de votre mauvais choix par le premier travail un peu pénible que vous en exigerez et auquel cet animal n’aura pu résister en aucune manière.

Les mêmes considérations peuvent s’appliquer au cheval cagneux, bas, sous lui du devant, long jointé, en un mot ; tous les défauts d’aplomb porteront plus ou moins le trouble dans la cavité thoracique, soit directement, soit par sympathie. Nous nous attachons surtout aux défauts du premier groupe, et cela, pour faire comprendre à l’acheteur l’importance de la bonne conformation des membres et de la poitrine, lui faire voir combien est juste le précepte des Arabes relatif au choix du cheval : « Choisis-le large et achète ; l’orge le fera venir ». C’est qu’en effet, la force des muscles, le volume des abouts articulaires sont en rapport direct avec la capacité de la poitrine. Ces conditions, tous les chevaux remarquables par leurs bons services les remplissent ; « et si tous ceux qui les remplissent ne parviennent pas à une grande vieillesse en travaillant beaucoup cela dépend, ou de ce qu’ils ont été exposés à des causes particulières de maladies, ou de la faiblesse de quelques-uns de leurs organes secondaires. »

Les défauts d’aplomb diminuant la vitesse (car les pieds, en se portant eu avant, décrivent des arcs de cercle et non des lignes droites), la locomotion devient plus pénible ; par suite, il se fait une plus grande dépense d’éléments anatomiques qui appelle une augmentation de la circulation, et celle-ci, à son tour, entraîne, comme corollaire obligé, l’accélération des mouvements respiratoires ; de là, prédisposition à ces maladies dont une rapide énumération a été faite plus haut.

Il serait intéressant d’enregistrer, au moyen de la méthode graphique, ces troubles de la respiration et de la circulation ; de prendre, par exemple, deux chevaux de même taille, de même sang : l’un, panard, étroit de poitrine ; l’autre, bien d’aplomb, à large poitrail, et de comparer ensuite, à l’aide des tracés, les modifications fonctionnelles ci-dessus produites chez les deux.

Voyons, d’autre part, ce qui se passe du côté de la cavité abdominale.

Cavité abdominale. — Il est manifeste que plus un organisme est complexe et plus la coordination en fait un tout dont chaque partie se sert des autres en même temps qu’elle sert aux autres. Or, la physiologie nous apprend que, pour que la nutrition se fasse d’une manière régulière, il faut que l’oxygène de l’air pénètre dans le torrent circulatoire avec les matières organisables puisées dans le tube digestif. Qu’arrivera-t-il dans le cas de cheval panard, serré de poitrine ? C’est que la circulation et la respiration qui tiennent tout sous leur dépendance se faisant mal, aucun phénomène important de l’économie ne pourra s’accomplir, et de ce nombre est la nutrition. Chez ce cheval, il y a une grande somme de travail dépensée ; aussi, l’oxydation destructive, qui est la condition de la synthèse régénératrice, ne pourra plus être convenablement réparée. Inutile de rappeler les expériences de MM. Andral et Gavarret, prouvant que le sang s’appauvrit par le travail excessif. En même temps que le thorax sera comprimé, les viscères de la poitrine subiront une compression plus ou moins grande ; par suite, l’estomac pourra laisser échapper des liquides ou des gaz par l’œsophage, son contenu passera plus vite dans l’intestin, celui-ci se videra avec la même promptitude et ainsi les aliments ne pourront plus subir les métamorphoses nécessaires aux phénomènes nutritifs. Mais, à la longue, il y aura épuisement du côté des puissances respiratoires et de l’intestin ; partant, ralentissement, voire même séjour des aliments dans ce dernier organe ; de là, gastrites, entérites, pelotes stercorales, etc.

Nous avons remarqué, à l’École de Toulouse, que la majorité des chevaux amenés pour des pelotes stercorales avaient, outre une certaine irrégularité dentaire, le vice d’aplomb dont il s’agit… Des hernies inguinales, la chute du rectum, la déchirure de la vessie peuvent aussi se produire. Ignore-t-on qu’une pression violente et soutenue exercée sur les muscles expirateurs peut déterminer l’avortement ? que l’inertie du plan charnu de la matrice est cause parfois du séjour éternel du fœtus dans cet organe, et par suite de cette affection utéro-péritonéale appelée plus vulgairement métro-péritonite ? Et la vaginite, ne l’observons-nous pas sur des chevaux malingres, sujets à des arrêts de transpiration ? Toutes conditions se retrouvant chez le cheval en question.

Il n’y a pas que l’intestin qui soit comprimé ; les organes appendiculaires de l’abdomen, eux aussi (foie, rate, reins), se trouveront dans ce cas et leurs fonctions seront compromises. Pour ne citer qu’un exemple, cette affection, connue sous, le nom de vertige par altération du sang, n’est-elle pas due (c’est ce que l’on croit, du moins) au séjour des aliments dans l’intestin et l’estomac qui, en comprimant le foie, l’empêchent de séparer du sang les éléments de la bile ? Cette compression se fera également dans le cas où le cheval sera sous lui du devant : ici, le diaphragme, refoulé par la masse intestinale, comprimera à son tour les poumons et le cœur.

La compression exercée sur le foie, la veine porte, la veine cave, expliquerait la gêne mécanique de la circulation, et partant la présence d’œdèmes sur certains chevaux mal conformés.

Un cheval sous lui du derrière, long jointé, sera exposé aux renversements du vagin et du rectum, surtout si à ces défauts naturels se joint une mauvaise disposition de l’écurie ; je veux parler de ces trottoirs placés devant la crèche qui rehaussent forcément le train antérieur.

On voit, d’après ce simple exposé, que ce ne serait pas aller trop loin de dire qu’un cheval « dont la cavité thoracique est spacieuse possède toutes les autres conditions de la bonne et belle conformation ».

On peut se demander si les aplombs des membres postérieurs n’ont aucune influence favorable ou défavorable sur la durée de la gestation et le mécanisme de la parturition.

L’observation démontre qu’une jument ouverte du derrière a un large bassin, ce qui est propice au développement régulier du fœtus. Est-elle sous elle et basse du derrière ? « Dans ce cas, le poids du fœtus, entraîné par la déclivité, exerce sur le col de la matrice une action incessante qui le porte à se dilater prématurément, et du col rayonne sur toute la tunique musculaire de l’organe l’influence excito-motrice qui la sollicite prématurément à entrer en contraction (Bouley). De là, avortement. Cette action dilatatrice aura tout son effet si l’écurie est en pente. Nous ajoutons que quand le fœtus aura pris un certain accroissement, il aura à souffrir une certaine gêne de la part des os du bassin sur lesquels il vient se heurter ; que si la bête est sous elle du devant et haute du derrière, la matrice se portera du côté du diaphragme et troublera ainsi les organes thoraciques. On nous objectera peut-être que le plus grand nombre de juments, quoique basses du devant (et les trois quarts le sont plus ou moins), ont mené à bonne fin leur gestation ; mais cette position déclive du train antérieur n’implique pas l’étroitesse de la poitrine. Si cette cavité est ample, les poumons et les autres viscères logés dans son intérieur auront peu ou point à souffrir du refoulement du diaphragme.

Quand un muscle se fatigue outre mesure, il y a tiraillement de ce muscle sur la moelle sous-périostique. Voilà, d’une manière générale, ce qui se produit dans le cas de défectuosité des aplombs. On peut donc admettre que ce fait aura également lieu dans quelques parties du bassin. Il en résultera à la longue la formation de trabécules osseux qui, augmentant en nombre et se groupant, finiront par constituer une exostose capable, à un moment donné, d’entraver la marche régulière de la gestation. À ce point de vue, il serait donc intéressant de faire l’autopsie des juments dont la parturition a été impossible, afin de s’assurer si la difficulté de la mise-bas ne réside pas dans la production d’exostoses sur les os du bassin, de remarquer, en outre, si chez celles dont la mise bas est difficile, il n’existe pas des vices d’aplomb.

Si on observe le cours d’une maladie chez des sujets dont les aplombs sont mauvais, chez ceux surtout dont l’aplomb du pied est vicieux, on observera que la période de convalescence est lente à se dérouler. Un cheval de quatre ans, panard, étroit de poitrail, traité pour un phlegmon au membre antérieur gauche, nous en a donné un exemple. Nous savons bien que ces idées paraîtront banales, d’autant plus que la responsabilité morale de tout vétérinaire ne lui permettra pas, lors d’une affection quelconque, de porter son attention sur la viciation de l’aplomb des membres ou du pied, à l’exclusion des moyens médicinaux réputés les plus souverains dans le traitement des maladies ; mais ce qu’on ne pourra jamais révoquer en doute, c’est l’importance du maintien de l’aplomb des membres et surtout du pied, dont les sympathies qu’il réveille dans les systèmes musculaires et nerveux, les organes digestifs et respiratoires en font une partie du plus grand mérite.

Nous avons établi qu’un cheval panard, long jointé, etc. souffre. La souffrance nuit aux sécrétions. Qu’il nous soit permis de faire observer que si de profondes douleurs, comme l’ont démontré les travaux de Clément, chef de service de chimie à l’école d’Alfort, peuvent modifier l’état du sang, il est tout naturel de penser que la sécrétion laiteuse, par exemple, qui n’a pas d’autre source que ce liquide, devra nécessairement se trouver viciée comme le sang. Crainte de butter, efforts pour s’y soustraire, faux pas la plupart du temps, voilà de quoi faire naître, chez les animaux, ces douleurs morales capables de troubler la lactation et de compromettre même la vie du, jeune sujet… « Les sabots allongés et recourbés, que l’on rencontre souvent chez les vaches laitières qui ne sortent jamais de l’étable et dont on néglige de rogner les pieds, nuisent aux aplombs de ces animaux, tiraillent les tendons par l’allongement du bras de levier que forme l’onglon et déterminent une gêne qui ne fait que nuire à la sécrétion du lait. » — (Lecoq).

N’en serait-il pas de même pour la jument qui nourrit ?

« Peut-on espérer qu’une femelle qui souffre, qui mange et digère mal, nourrira convenablement le fœtus et qu’elle aura assez de lait pour bien nourrir sa progéniture ? » (Magne).

Du reste, ouvrez les collections modernes ou anciennes de différents journaux ; consultez l’ouvrage du Petit-Radel, — Essai sur le Lait ; — le travail de Bertholet (Claude-Louis), — de Lacte anonalium medicanaentoso, — et vous trouverez nombreux faits de cette nature. Enfin, la physiologie enseigne que les modifications opérées par le travail dirigent de préférence, sur les organes dont le jeu fonctionnel a été longtemps continu, les éléments fibrineux dont le lait devra, partant, se trouver dépourvu. Voilà un fait physiologique que l’observation démontre en pathologie chez les animaux à aplombs défectueux et qui a donné lieu à cet aphorisme si connu, principe de toutes les théories sur la révulsion : Duobus doloribus simul obortis et non in eodem loto vehementior trahit alterum.


CHAPITRE II


EFFETS DU DÉRANGEMENT DES APLOMBS SUR LES MEMBRES, LES ARTICULATIONS, LES LIGAMENTS SUSPENSEURS, LES TENDONS FLÉCHISSEURS DU PIED ET LEURS GAINES, etc.


C’est surtout sur les membres que se révèle l’influence fâcheuse de la défectuosité des aplombs : les os, les tendons, les muscles en souffriront. Nous allons plus loin, et nous disons qu’un défaut d’aplomb peut en entraîner un second, et que cet autre ou les deux réunis sont capables d’en amener un troisième : Prenons un exemple.

Qu’arrive-t-il quand le cheval est long jointé ? C’est que le bras de levier inférieur est investi d’une somme de forces assez grande qui fait que le ligament suspenseur du boulet et les tendons fléchisseurs ont à supporter un poids plus considérable. Voilà une cause destructive pour ce ligament, ces tendons, etc. ; une cause prédisposante à ces affections appelées arthrites, vessigons, molettes, voire même rétraction des muscles et des tendons quand les animaux auront été soumis à des travaux pénibles. Ce résultat n’est pas surprenant ; car, bien que l’angle du boulet et celui des articulations qui lui sont inférieures soit plus aigu, la longueur des ligaments et des tendons n’est pas pour cela augmentée. Enfin, « le boulet éprouve une flexion beaucoup plus grande, se fatigue plus par conséquent et devient très sujet aux entorses. » — (Lecoq).

Ce cheval souffre donc. Voyez-le pendant l’acte de la locomotion. Chaque pas amenant un trop grand allongement des tendons, il se trouve dans le cas d’un homme qui fait des armes et qui, s’étant trop fendu, ne se relève qu’avec effort. Au repos, pour prévenir la fatigue des muscles et donner quelque relâche aux ligaments et aux tendons, il change souvent son appui en portant ses boulets plus en avant. À la longue, il deviendra, par conséquent, droit sur ses membres, et voici une nouvelle cause d’usure pour les tendons, les ligaments capsulaires, les os, etc.

En effet, ce redressement des pièces osseuses ne peut se faire sans qu’il y ait irrégularité de leur coaptation ; aussi, le bord inférieur du paturon dépasse un peu l’os de la couronne qui, parfois, s’avance lui-même sur l’os du pied, et le bord du canon se porte en avant du paturon. Pareillement, le jarret tend à devenir droit. Quoi qu’il en soit, autre le froissement des ligaments, cette juxtaposition forcée des facettes articulaires des os favorise le développement des tares de la couronne, du boulet, du jarret, amène des boiteries[4].

Il est aisé de comprendre que, dans ces conditions, le fonctionnement des muscles est exagéré ; on peut donc en induire que dans l’intérieur de ces organes, il doit se produire une certaine quantité d’acides inosique et sarcolactique capable de leur donner une réaction acide. Cette acidification aura pour effet de coaguler la myosine, et alors les muscles se contracteront. Or, cette rétraction n’est-elle pas capable d’entraîner l’arqure, vice d’aplomb dû au travail outré des muscles épitrochlo et épicondylo phalangiens ? Le cheval arqué se fatigue énormément. Mais ne sait-on pas que la fatigue l’expose à se couper, à se couronner, à contracter de bleimes ; en un mot, à le rendre boiteux, et partant, d’aucune valeur pour le propriétaire ? Et les bleimes, à leur tour, ne peuvent-elles pas rendre le poitrail étroit et faire ainsi un sujet panard ?

Voilà donc un cheval long jointé qui est devenu droit sur ses boulets, arqué et panard, et qui a contracté une foule de tares nuisibles, non seulement aux organes locomoteurs, mais aussi aux appareils internes. Ce n’est pas à dire pour cela qu’un sujet long jointé passe nécessairement par toutes ces phases ; mais ce vice d’aplomb entraînera tôt ou tard ce résultat final : la claudication.

Si le cheval est droit sur ses boulets, les secousses résultant des allures ne sont pas suffisamment amorties, et les réactions très dures qui ont lieu occasionnent la ruine précoce du membre.

Est-il panard ou cagneux ? Il sera exposé à se couper avec l’éponge ou la mamelle du fer, ce qui détermine une prompte fatigue et des blessures à la partie inférieure des membres. Sur un sujet panard, il nous a été possible de constater des jardes, des molettes, des vessigons et pas moins de sept suros sur l’un des canons.

Quand le cheval sera campé du devant, le poids du corps sera rejeté sur les jarrets ; l’appui ayant lieu principalement sur le talon, « cette partie flexible et sensible du pied sera fatiguée et les bleimes seront plus fréquentes. » S’il est campé du derrière, c’est le bipède antérieur qui sera surchargé, et cette impulsion constante du corps en avant tendra à faire devenir le cheval sous lui du devant.

Dans l’un comme dans l’autre cas, toujours ou presque toujours les membres se ruineront.

L’appui se fera sur le talon, disions-nous ; c’est là une des causes les plus fréquentes de la perte des colonnes de soutien. Alors, plus que jamais, le levier inférieur est investi d’une somme de forces qui agit d’une manière destructive sur les ligaments suspenseurs et capsulaires de l’articulation des membres.

C’est pourtant ce que ne veulent pas comprendre la plupart de nos maréchaux qui, dans l’espoir que les mouvements de l’animal seront plus moelleux, s’acharnent à abattre les talons. Il en est même qui font preuve de mauvais vouloir en dédaignant les bons conseils ; orgueil mal placé, il faut l’avouer, car ils ne savent pas que « la maréchalerie… ne consiste pas seulement à fixer sous le pied du cheval un fer plus ou moins grossier destiné à empêcher l’usure de la corne. — Dès que son influence est si grande sur la bonté du cheval, sur sa conservation, sur les services qu’on peut en attendre, il y a nécessairement beaucoup de mérite pour celui qui la pratique avec discernement. » — Rey. — Traité de Maréchalerie.

Nous affirmons que les formes, les vessigons, les molettes, les huit dizièmes de fourbures et de seimes, la fatigue des ligaments et des tendons ont surtout pour cause prédisposante le rejet de l’appui sur les talons. Et cela se conçoit, car le cheval use continuellement de toutes ses forces pour rapprocher l’inclinaison des pièces articulaires de la direction qui peut le plus aisément remettre les ligaments et les tendons le plus près possible de leur longueur naturelle. Au repos, il cherche alors un enfoncement du pavé pour y placer les pinces de ses pieds et suppléer ainsi à ce qu’on a voulu lui ôter ; enfin, il ne meut ses membres que d’une seule pièce, pour que, le pâturon restant dans une direction perpendiculaire, le pied soit le plus élevé possible en talons et ne repose que sur la pince.

Qui ne sait qu’un cheval sous lui du devant rase le tapis, est exposé à butter, à des faux pas, à des chutes fréquentes et. À se couronner par conséquent ? que chez les chevaux à genoux de bœuf, le poids du corps « au lieu de se répartir également sur tous les points des surfaces articulaires, appuie fortement sur une de leurs parties seulement » et qu’ainsi les articulations se trouvent de fait endommagées ?

Il est aisé de comprendre que, dans ces deux cas, la part du poids du corps dévolue, soit aux os, soit aux muscles, étant trop considérable, fait éprouver aux abouts articulaires des compressions trop fortes, rend les réactions dures, et par cela même nécessite un plus grand effort musculaire. Du reste, ce que la théorie nous fait admettre, l’expérience le confirme. « Voyez, en effet, trotter ou galoper un cheval sous lui du devant, et vous constaterez facilement qu’il fait de grands efforts pour mouvoir ses membres antérieurs, qu’il embrasse peu de terrain et que ses allures sont peu rapides. » — Vallon.

Chez le cheval arqué, le genou, tendant toujours à pousser en avant, oblige les extenseurs du métacarpe à une action plus intense. De plus, ce cheval « rase le tapis, bute souvent, s’abat et porte aux genoux, quelquefois au bout du nez et à la face interne de la lèvre supérieure, des blessures qui témoignent hautement de sa faiblesse. » — Vallon.

Analysez, si vous le voulez, tous les défauts d’aplomb ; mais soyez sûr que la théorie et l’expérience vous prouveront que tous, sans exception, nuisent plus ou moins aux organes locomoteurs.


DEUXIÈME PARTIE




MOYENS HYGIÉNIQUES CAPABLES DE PRÉVENIR DANS LE JEUNE AGE LES VICES D’APLOMB.


Ces moyens sont nombreux. Nous n’examinerons ici que

L’usure régulière du pied ;
L’exercice modéré ;
La nourriture.


Pour agir sur un phénomène, le provoquer ou l’empêcher, il faut intervenir dans sa cause ; le premier point est donc de connaître cette cause ; car, quand elle cesse d’agir, le phénomène doit cesser d’apparaître.

Supposons un cheval panard, long jointé, etc… ; nous considérons ces défauts comme étant le plus souvent postérieurs à la naissance et nous les attribuons : 1° à ce que le poulain, privé de sa liberté, s’est trouvé dans l’impossibilité d’user la corne de ses pieds et a habité un sol trop en pente ; 2° à ce qu’on ne l’a pas exercé modérément depuis le sevrage jusqu’à l’âge de deux ans et demi à trois ans ; 3° à ce qu’on n’a pas mis assez d’empressement pour bien nourrir le poulain et la mère. Le défaut d’aplomb des membres étant le plus ordinairement la conséquence immédiate de l’aplomb vicieux des pieds, il est tout naturel de rechercher la cause de ce dernier vice d’aplomb pour en déduire ensuite quelques moyens prophylactiques.

A. — Usure régulière du pied. — État de l’écurie. — Voyez-vous, dans les pâturages, des poulains arqués, à tendons faillis, par exemple ; demandez à leurs propriétaires quelles sont les causes qui, selon eux, ont amené ce résultat. Sans crainte de se tromper, ils vous répondront que ces défauts sont toujours originels. Tel n’est pas notre avis, car, en réfléchissant un peu, on reste convaincu que tout naturel vicieux des membres n’a le plus souvent pour cause première que l’imperfection de l’aplomb du pied, « soit que la longueur de celui-ci ait précédé la naissance (ce qui peut arriver dans tout part trop tardif), soit que le poulain ait été plus tard dans l’impossibilité d’user convenablement la corne de ses pieds par l’état de domesticité où l’homme l’a tenu. » Cette dernière circonstance est la plus commune.

Le cheval long jointé, par exemple, ne doit ce défaut qu’à la longueur de ses pieds, qu’à l’excès d’inclinaison qu’en retire le bras de levier inférieur qui, réagissant alors avec trop de force sur les tendons, les étend outre mesure. Du reste, la physiologie générale nous enseigne que la direction des phalanges doit faire un angle de 45° avec le sol pour que les colonnes de soutien réunissent toutes les conditions de solidité et de souplesse. Elle fait voir, en outre, que plus le paturon et le sabot sont longs, plus les tendons supportent de poids par l’augmentation du bras de levier phalangien, et plus vite s’éteignent les actions utiles de la machine vivante ; de là, l’obligation de ne pas laisser allonger démesurément le sabot sous peine de la ruine précoce du cheval, et partant, nécessité de l’usure de la corne.

Voyez le fils de l’arabe. Sitôt après sa naissance, il suit la nourrice au pâturage et, sous la tente, il peut, à toute heure de la journée, se livrer à quelque exercice et user ainsi la corne de ses pieds. Aussi, quelle rectitude dans les aplombs ! C’est ce qui se fait aussi en Angleterre. La plupart du temps, il existe autour de l’habitation des clôtures qui ne sont, en définitive, que des prairies naturelles de bonne qualité, très soignées, favorisées par un ciel généralement brumeux, souvent arrosées par des pluies douces. C’est là où les poulains sont mis en liberté. Ils s’y livrent à l’exercice, ne sont troublés par rien, mangent quand ils ont faim, boivent quand ils ont soif, reposent quand ils veulent, toujours traités avec douceur par des gens qui, par goût, aiment les animaux et sont soucieux de leur bien-être. Le plus ordinairement c’est une petite cour ou paddock où ils vont assouplir leurs membres et user la corne de leurs pieds encore vierges. C’est là ce qui fait la valeur de ces chevaux demi-sang anglais ou hunters ; c’est là encore la principale cause de la belle conformation que l’on remarquait autrefois sur les chevaux gaulois, célèbres au temps de César, dans le monde romain, et sur ceux que la Normandie fournissait aux preux du bel âge de la chevalerie. Une gravure de Girardet, représentant un centaure monté par Cupidon, offre une imitation parfaite du bel aplomb du pied et des membres antérieurs du cheval de ces temps reculés. La cause de cette supériorité est peut-être due à l’état de division où se trouvent de nos jours les propriétés ; mais nous devons nous réjouir de voir l’éleveur revenir à de meilleurs principes et l’industrie chevaline être en ce moment en pleine renaissance dans notre pays.

Il est aussi permis de croire que le poulain qui a les jarrets coudés, la croupe avalée, par exemple, doit cette imperfection à une écurie trop inclinée. Le poids du corps, ainsi déversé sur l’arrière-main, l’obligera à se tenir de profil, à choisir les interstices du pavé pour y placer les pinces, à appliquer contre le mur qu’il a derrière lui ou les poteaux des stalles, les talons des pieds de derrière.

La disposition déclive de la crèche que l’on trouve parfois dans les écuries n’est pas moins funeste aux aplombs. Le port outré de la tête vers le sol forcera le cheval à fléchir continuellement les membres antérieurs, à les écarter de la ligne d’aplomb ; la bête deviendra arquée, panarde même. Une personne nous a affirmé avoir eu un exemple de ce genre. Ceci nous indique que le sol de l’écurie ne devra avoir qu’une pente suffisante pour donner écoulement aux urines. Il y a bien quelques propriétaires qui, plus intelligents que les autres, laissent à l’écurie le poulain continuellement libre ; mais, en voulant éviter un inconvénient, ils tombent dans un pire, car le fumier sur lequel ils laissent croupir pendant tout l’hiver le jeune sujet favorise l’évasement de l’ongle et en altère son organisation par la malpropreté.

Ces poulains, bien conformés à la naissance, mais se trouvant aussitôt après dans les conditions ci-dessus, examinez-les six, sept mois après, et vous serez convaincu qu’ils portent déjà aux membres, à la croupe, au poitrail le stigmate de l’altération de l’aplomb du sabot.

La persistance de l’aplomb naturel des pieds, voilà, selon nous, une des causes principales de la conservation de l’aplomb des membres. Avec des étalons de choix et des juments médiocres, on pourra toujours obtenir des produits d’un assez grand mérite, si tous les jours on laisse parcourir à la mère d’assez grands espaces pour que le poulain puisse maintenir ses pieds à l’état naturel d’aplomb. C’est ce que l’on fait en Pologne, où, pendant la mauvaise saison, on abandonne pêle-mêle les poulains dans de vastes granges, exemple que la plupart de nos éleveurs devraient imiter ; ils n’auraient pas ainsi la mauvaise fortune de voir leurs poulains, laissés à l’écurie pendant l’hiver, devenir malingres, chétifs, étroits de poitrail et contracter des vices de conformation qui mineront tôt ou tard leur tempérament, tout en s’opposant au développement de leurs facultés. Buffon n’avait-il donc pas raison de dire « qu’à moins que le cerf ne soit dans de grands espaces, ses jambes se déforment et se courbent ? » La cause immédiate de cette déformation, le célèbre naturaliste la passe sous silence ; on la devine sans peine.

Nous allons plus loin et nous disons que c’est au défaut d’usure du sabot que sont dus, peut-être, certains vices réputés héréditaires, voire même, en partie du moins, la dégénération de quelques types.

a. — Si le poulain est encastelé dès le jeune âge, c’est qu’il est sédentaire obligé comme la mère ; donnez-lui la facilité d’user la corne, et vous verrez disparaître les maux que sa mère semblait lui transmettre.

b. — On est surpris de la dégénération chez nous des races importées d’Afrique ; la cause existe dans le dérangement de l’aplomb du pied quand son usure n’est pas en rapport avec son accroissement. Dès que le fils de l’étalon arabe a vu le jour, il est exposé à l’agent destructeur qui avait épargné les siens, et, pareille décadence frappant sa progéniture, s’accroîtra dans les successeurs qui, abâtardis de plus en plus, n’auront en eux aucun vestige des qualités qui distinguaient l’aïeul. La preuve, c’est que l’espèce reste toujours dans son état de belle nature chez l’arabe errant ; le contraire a lieu chez l’arabe sédentaire.

La longueur de la corne cimente donc dans les membres du poulain une défectuosité qui, sans être le plus souvent naturelle, n’en est pas moins regardée toujours comme telle. Plus heureux que lui, le cheval libre trouve dans sa vie nomade les moyens de conserver le pied immuable dans sa forme et ses qualités ; aussi possède-t-il jusqu’à sa plus grande vieillesse une membrure irréprochable.

La vache nourrie à l’étable peut-elle être comparée, quant aux aplombs, à celle qui va journellement aux pâturages ? Et le bœuf que l’on engraisse a-t-il les mêmes qualités que celui qui mène une vie presque sauvage sur les montagnes de l’Espagne ? A-t-on oublié que Daubenton apprit à conserver chez nous la pureté de la race mérine en conseillant de faire sortir et marcher tous les jours les moutons mérinos ?

Enfin, les dispositions physiologiques du pied témoignent de la nécessité de cette déperdition de corne. Ainsi, la distribution des liquides se fait avec une telle sagesse dans la substance du sabot, que la corne qui le forme se dessèche d’autant plus qu’elle s’éloigne des tissus vivants, devient plus dure et s’use avec une plus grande rapidité, parce que la force de cohésion diminue avec les progrès de sa dessiccation. « La nature avait prévu qu’un excès de longueur du sabot pouvait porter atteinte à l’intégrité des aplombs, et qu’il fallait augmenter l’usure de la corne relativement à son éloignement des parties vives, pour maintenir le pied dans les conditions les plus normales ».

Les sabots ne s’usent pas toujours régulièrement dans le jeune âge ; ils peuvent s’écailler ou se déformer suivant la nature du sol ; aussi, conviendra-t-il de faire tailler légèrement les pieds des poulains tous les mois, pour enlever l’excédant de corne qui n’a pas été usée.

B. — Exercice modéré. — Il ne suffit pas, pour le maintien de ses aplombs, d’avoir laissé libre le poulain jusqu’au moment du sevrage ; le propriétaire doit encore, après cette époque, le livrer à quelque exercice jusqu’à l’âge de deux ans et demi ou trois ans. Généralement ce principe n’est pas mis en pratique ; aussi le poulain perd-il les qualités qu’il promettait avant. Voilà un très mauvais système d’élevage que tout propriétaire, un peu soucieux de son œuvre, devrait faire disparaître de sa pratique. Tous les inconvénients signalés jusqu’ici en résultent dès lors.

L’expérience démontre qu’un léger exercice, continué pendant ce temps, favorise le développement des organes, assouplit les articulations et les muscles et maintient ainsi l’aplomb naturel du sabot. Ajoutons que les métamorphoses de la nutrition se font plus régulièrement. Si vous faites de votre poulain un prisonnier, ses aplombs se fausseront et sa santé sera compromise. En effet, quand à l’âge convenable vous le soumettrez au travail, il suera facilement, se fatiguera beaucoup, se rebutera parfois, forçant ainsi son conducteur à le violenter. — Tel est cet habitant de la ville délicat, fragile, prenant mal au moindre courant d’air, suant au moindre exercice. — Ce ne sera donc pas dans une écurie, la plupart du temps sombre, mal aérée, que l’hématose se fera bien ; ce sera en plein air, cri plein champ que l’on pourra aussi respirer à pleins poumons ; et cela contribue pour une large part, soyez-en sûrs, à conserver intacte la tonicité des muscles, condition in dispensable au maintien des aplombs.

Il est des propriétaires qui tombent dans l’excès contraire en livrant leurs poulains aux plus rudes travaux à l’âge de dix-huit ou vingt mois ; c’est là, nous l’avouons, l’économie la plus mal entendue. Si l’on considère, en effet, la faiblesse des tissus à cet âge, on conçoit qu’il doit en résulter forcément l’allongement des muscles fléchisseurs et de leurs tendons, ainsi que l’abaissement du boulet : en voilà assez pour porter le désordre dans les aplombs. Vous aurez là bientôt un cheval chétif, sans résistance, rempli de tares, ce que l’on appelle un cheval épuisé, un caput mortuum. Jusqu’à deux ans et demi au moins, nos races chevalines sont trop faibles pour être livrées à un travail un peu pénible ; les abouts articulaires n’ont pas la consistance voulue et les ligaments leur ténacité. Nous ne contestons pas l’avantage de faire travailler les chevaux de trait à l’âge de deux ans et demi, car nous dirons avec M.Magne « que c’est cette pratique qui fait que nous avons un si grand nombre de bons chevaux pour les omnibus, le roulage et les diligences » ; mais ce que nous blâmons, c’est cet abus de forces des animaux. N’imitez donc point cette propriétaire des environs de Toulouse qui, sous prétexte que son cheval était maniable et docile, le faisait travailler depuis l’âge de neuf mois ; comme elle, vous seriez obligé de conduire tous les quinze jours votre animal au vétérinaire pour l’application du feu.

L’exercice modéré est donc nécessaire ; les hommes de l’antiquité qui se sont occupé de donner des soins aux chevaux ne manquent pas de nous dire que, « de même qu’il faut donner aux pieds une attention très scrupuleuse, on doit aussi fortifier le corps du cheval par des exercices bien ménagés. » On devrait même, à l’âge de dix-huit à vingt mois, familiariser le poulain à nos travaux domestiques, l’atteler avec sa mère pour l’employer au hersage, par exemple, ou à tout autre travail léger d’agriculture. On voit, dans certaines parties de la Normandie, des poulains de dix-huit mois attelés d’abord comme surnuméraires, traînant ensuite la herse et à trois ans agissant comme bêtes de labour ; sinon, ils suivent la mère au travail et gambadent autour d’elle. En quelques pays d’élève, on voit même un enfant accompagner l’attelage dans les premiers jours pour badiner avec le poulain et l’empêcher de déranger la nourrice.

Les préceptes auxquels doivent s’astreindre ceux qui élèvent des chevaux sont les suivants : soumettre après le sevrage les poulains à un léger exercice, ne pas les faire travailler jeunes sous peine de ruiner leurs reins, leurs articulations et faire naître ainsi des défauts d’aplomb ; ne pas oublier enfin que — si plus un organe fonctionne, plus il se développe — ce fonctionnement a des limites qu’on ne doit pas outrepasser. Les jeux publics dans lesquels la Grèce et le moyen-âge célébraient la force physique ne sont-ils pas des hommages rendus à cette loi de la nature ?

On peut résumer de la manière suivante tout ce qui rient d’être dit :

a. — Autant un exercice modéré dans le jeune âge est propre à augmenter et à conserver les forces musculaires et parlant la rectitude des aplombs, autant un travail excessif ou seulement prématuré est capable de les diminuer ou de les abattre pour toujours.

c. — Conclusion. — Pour conserver de bons aplombs, on doit rendre les mouvements des muscles énergiques, faciles et durables, et pour cela l’exercice modéré dans le jeune âge est indispensable.

C. — Nourriture. — L’alimentation, voilà ce que l’on doit placer en première ligne quand il s’agit de la conservation des aplombs, voire même de leur rectification, car, comme le dit fort justement le proverbe, nourriture passe nature.

Nous établissons en principe que les aplombs se ressentent, non-seulement du genre de nourriture donné à la mère pendant et après la gestation, mais aussi de celui que l’on fournit au petit avant comme après le sevrage.

Le tableau suivant rendra plus compréhensible l’exposé qui va suivre :

ALIMENTATION
À DONNER
Avant la naissance, — à la mère.
Après la naissance Avant la sevrage à la mère
au nourrisson
après le sevrage. — au poulain.

A. — Si pendant la vie intra-utérine vous nourrissez mal la mère, il pourra en résulter pour le produit ce que l’on est convenu d’appeler vices d’aplomb congéniaux. En effet, une ingestion habituelle d’une grande quantité d’aliments grossiers fera dilater outre mesure le gros intestin qui, comprimant la matrice, gênera le développement du fœtus. Donnez-vous, au contraire, une trop forte proportion de grains ? La tonicité des tissus sera augmentée, et par suite l’abdomen ne se dilatera pas en raison de la croissance normale du fœtus ; de là toutes ces déviations congéniales dont l’énumération a été donnée par M. Lafosse dans le n° 1 de la Revue vétérinaire. N’oublions pas qu’à cette cause s’en ajoute parfois une autre non moins funeste : je veux parler de la disproportion des accouplements. — Bon foin et grains, telle sera la nourriture de la jument pendant la gestation. On comprend déjà le bien fondé de cet axiome de nos voisins : « Pour avoir du beau et du bon, trois choses sont nécessaires : le père, la mère, le coffre à avoine. »

B. — a. — C’est surtout pendant, la lactation qu’il est nécessaire de donner à la mère une bonne nourriture ; celle-ci devra, par la nature de ses principes digestifs, se rapprocher autant que possible du liquide qu’elle contribue à former. Aussi distribue-t-on aux juments des provendes, des grains, des graines, tels que : avoine, orge, fèves, comme complément de la nourriture herbacée qu’elles trouvent dans les pâturages. C’est que l’expérience apprend qu’un aliment trop aqueux rend le lait peu nutritif, augmente le volume des organes digestifs et dispose le poulain à contracter des défauts d’aplomb ; nous expliquerons bientôt le mécanisme de leur développement.

Foin de bonne qualité et grains, voilà encore l’aliment auquel il faudra surtout s’attacher. Ainsi se trouvera dans le lait la quantité de sels nécessaires au poulain pour la constitution de son squelette. N’est-ce pas l’avenir futur du produit en ce moment en cause qui fait dire aux Arabes : « Mettez de l’or dans le ventre de la mère et vous en retirerez de l’or ; mettez-y du cuivre et vous en retirerez du cuivre ? »

b. — Préserver le poulain de l’amaigrissement dans le cas où la mère viendrait à être malade ou à mourir, suppléer à l’insuffsance du lait, éviter surtout la transition brusque d’un régime très alibile à un autre qui, l’étant peu, augmenterait le volume de certains organes et fausserait les aplombs : telles sont les raisons qui expliquent la nécessité de donner aux jeunes produits, durant la lactation, un supplément de nourriture. La dernière considération seule va nous occuper.

Voici un poulain nourri jusqu’à présent avec un lait très riche ; on substitue tout à coup un régime (paille, foin) qui, sans être aussi nutritif, est plus abondant. Son appareil digestif ne sera-t-il pas placé dans des conditions défavorables à son activité et ses aplombs n’auront-ils pas à souffrir de ce changement de régime ? Nous répondons par l’affirmative. Le sujet maigrira, son ventre augmentera tout à coup de volume, le thorax se rétrécira, les coudes et les talons se rapprocheront, les pinces se dirigeront en dehors et nous aurons là tout ce qu’il faut pour le rendre panard. Le rétrécissement des fesses, le rejet des grassets en dehors seront aussi la conséquence de cet amaigrissement et de l’augmentation du ventre. C’est là ce qui arrivera au poulain si, par une nourriture donnée avant le sevrage, vous ne lui ménagez pas la transition qui l’attend plus tard. Voilà un fait sur lequel notre professeur, M. Lafosse, attirait dernièrement l’attention des praticiens. De ceci ressort cette considération pratique, à savoir que dans la composition d’une ration « il ne faut pas se préoccuper exclusivement des matières alimentaires, il faut aussi songer aux viscères digestifs et chercher à les placer dans les conditions les plus propres pour qu’ils mettent en œuvre les aliments qu’on leur confie. » Doit-on, en effet, ne tenir ici aucun compte de l’état des organes masticateurs du poulain, de la forme de ses viscères, de leur contraction, de leur élasticité, de leurs sécrétions ?… « Ce tube digestif, vierge de tout aliment grossier, forcément étroit, car il appartient à un jeune sujet, sera-t-il placé dans les mêmes conditions de forme, d’énergie que ce tube digestif déjà accoutumé à une ration volumineuse et grossière ? »

C’est pourquoi il importe d’habituer de bonne heure le poulain à une nourriture artificielle qui, sous un petit volume, contienne une grande masse de principes alibiles. Au début, on donnera un peu de farine dans de l’eau d’orge ; plus tard, on lui fera prendre des grains. C’est ce que font les Arabes, et ceci nous explique les perfections que l’on trouve dans la membrure de leurs coursiers.

Ammon, ancien directeur des haras en Allemagne, fixe à une livre la quantité d’avoine que le poulain doit consommer par jour jusqu’au moment du sevrage. En Autriche, on donne de l’avoine dès l’âge de huit jours, et cette pratique a donné des résultats surprenants. Quoiqu’on le distribue en rations légères, cet aliment seconde admirablement la nature qui, dans la première année, travaille avec plus de force qu’elle ne le fera dans la suite au développement du corps.

C. — Avoir convenablement préparé le jeune sujet au sevrage n’est pas chose suffisante pour atteindre le but désiré ; il faut persévérer après cette époque dans un régime substantiel, car les modifications fâcheuses signalées tout à l’heure surviendraient infailliblement.

Voici un poulain que vous avez bien nourri jusqu’au moment du sevrage ; on substitue au lait et à l’avoine de la paille et un foin artificiel de médiocre qualité équivalent pour équivalent. Son appareil digestif ne sera-t-il pas placé dans des conditions aussi défavorables que tout à l’heure, et ses aplombs n’auront-ils pas à souffrir de cette pratique continuée pendant longtemps ? Oui, évidemment. Vous détruisez ainsi tout le bien que vous avez fait ; vous aviez bien commencé, mais vous finissez mal. Sachez que la nature ne fait rien par saut et brusquement : Natura non facit saltus.

Cette transition entre des aliments très nutritifs et d’autres qui le sont peu fera opérer dans les aplombs du cheval les changements signalés plus haut. À un poitrail ouvert, à un ventre cylindrique, à une grande énergie musculaire, succéderont un poitrail étroit, un ventre volumineux, la faiblesse et l’allongement des muscles et des tendons ; le poids des viscères digestifs va augmenter, l’animal va maigrir, toutes choses qui agiront pour détruire les aplombs normaux s’ils existent, et pour les rendre plus défectueux s’ils le sont déjà. Cette influence de la nourriture est tellement, évidente, qu’une bonne lactation suffit pour corriger l’horizontalité du paturon que l’on rencontre parfois chez les nouveaux-nés et qui est due à la faiblesse musculaire. Sans doute, cette force qu’on pourrait appeler rectiligne et qui semble agir sans cesse sur le jeune sujet pour rétablir les directions normales, peut être invoquée ; mais c’est surtout dans la lactation que réside la cause de ce redressement. Nous ajoutons qu’un régime substantiel corrige souvent les vices d’aplomb originels[5], preuve évidente que la nature se montre souple et docile à nos vues toutes les fois que notre volonté est d’accord avec les lois fondamentales qu’elle a posées elle-même.

Par suite du mauvais régime, le jeune sujet, disons-nous, maigrit ; à y a faiblesse croissante des tissus, les muscles fléchisseurs et les tendons s’allongent, d’où résulte l’abaissement du boulet, Voilà comment, à partir du sevrage, le cheval peut devenir long et mieux bas-jointé. Le rejet des grassets en dehors, le rapprochement des talons et des jarrets seront aussi la conséquence de cet amaigrissement et du développement excessif du ventre. — Deux poulains de même origine, de même conformation, l’un bien nourri, l’autre mal nourri après le sevrage, diffèrent bientôt entre eux tout autant que ces chiens, Laridon et César, dont parle Lafontaine. Chez celui-ci nous verrons la défectuosité ; chez celui-là, au contraire, la rectitude des aplombs.

Les belles qualités physiques du cheval étaient jadis entretenues par le genre de nourriture qu’on lui donnait : orge, paille. Quand les chevaux ont eu la même nourriture que les bœufs, les formes ont perdu de leurs beautés.

Autrefois la rectitude des aplombs était chose recherchée partout et toujours chez les chevaux de l’agriculture, chez ceux surtout destinés aux voyages ; mais depuis que le bœuf sert aux exploitations, que la vapeur est devenue le géant Briarée, capable de tout oser, de tout entreprendre, on n’élève des chevaux que pour les vendre. Aussi, sitôt après le sevrage, on leur donne une nourriture parcimonieuse, dans la crainte que les dépenses ne soient au-dessus des profits. Si on nourrit bien, c’est aux approches de la vente ; il est trop tard. Les lois de l’accroissement ont des périodes que nos caprices ne sauraient modifier, et si par avarice ou ignorance nous en faisons mépris, la nature se montre rebelle et nous en punit.

Il faudra donc, après le sevrage, continuer à bien nourrir. Bonne paille, bon foin et avoine, telle devra être la nourriture du poulain. C’est qu’en effet ces substances contiennent au plus haut degré le principe vraiment agissant de toute alimentation, c’est-à-dire la protéine ; c’est ce qui résulte du moins des expériences récentes des Allemands, répétées en 1876 par le directeur de la station agronomique de Nancy. Mais faut-il conclure que ces substances sont toutes les trois indispensables à l’existence du cheval ? Non, sans doute. L’orge peut remplacer l’avoine sans la valoir pourtant ; ceci résulte de l’expérience. Les Arabes ne disent-ils pas « donne de l’orge et abuse ? » « Si nous n’avions vu que les chevaux proviennent des chevaux, nous aurions dit : c’est l’orge qui les enfante. » — Général Daumas. — On peut aussi substituer à l’avoine le maïs. Du reste, les propriétés excessivement nutritives de ce grain sont connues depuis longtemps, quoique n’étant pas généralement admises. Ainsi, à San Luis de Patosi, les mulets ne mangent que du maïs et de la paille, travaillent dix heures par jour, et cependant ils sont bien conformés. À Paris et à Londres, les chevaux des omnibus sont nourris avec ce grain.

Notre défaut, c’est de ne nous attacher qu’à la quantité. Avons-nous un cheval à nourrir ? Nous lui donnons beaucoup de fourrage, pensant suppléer à la qualité par la quantité. Qu’advient-il alors, sinon les inconvénients que nous énumérions plus haut ? Nous ne sommes contents que quand nous avons obtenu de grands produits ; mais avant de rehausser la taille, on devrait améliorer le fond.

Voulez-vous donc faire de votre poulain un bon cheval capable, grâce à ses aplombs, à sa bonne conformation en un mot, de se prêter à toutes les exigences que comporteront sa taille et son énergie ? Nourrissez-le toujours bien, surtout dès son jeune âge. On sait que celui qui a peu de terres arables les réserve pour sa famille, récolte peu ou point de grains et n’en donne presque jamais à son élève ; aussi, ferons-nous appel à l’homme fortuné. Ce sera à lui à faire comprendre que la machine vivante que nous avons appelée cheval perd beaucoup de sa valeur quand elle poche par la base ; que la prospérité de l’agriculture dépend surtout du mode d’élevage des poulains ; à faire voir, enfin, que ce n’est ni par des exorcismes, ni par des invocations à des puissances imaginaires que l’on peut conserver ou rectifier les aplombs dès le jeune âge, pas plus qu’on ne peut faire disparaître les maladies contagieuses, mais bien par l’alimentation : nous voulons dire une alimentation bien entendue.

E.C. D. P.



Toulouse, typ. Mélanie DUPIN — RHOUX, succr, rue de ta Pomme, 28.

  1. La question à résoudre était la suivante : « Quelles sont les défectuosités apportées en naissant ou contractées plus tard, qui, d’après les principes physiologiques, mécaniques, anatomiques, rendent le cheval de selle, de trait et de bat impropre au service militaire ? »
  2. Noyés, mémoire déjà cité.
  3. Après la guerre de 1870, un très grand nombre de chevaux prussiens moururent à la suite de maladies de cœur. La mortalité fut plus grande chez les chevaux étroits de poitrine.
  4. Nous avons vu un sujet chez lequel la ténotomie ne put remédier à la bouleture, et cela, à cause de la coaptation nouvelle des facettes articulaires. Sur un autre cheval d’expérience, nous avons constaté l’existence d’une gorge transversale creusée par le bord antérieur de la première phalange sur le tiers antérieur de la surface articulaire du canon. La section du tendon n’avait pu rétablir les aplombs, même d’une manière passagère.
  5. Des faits de ce genre nous ont été signalés par M. Lafosse dans ses leçons cliniques.