Décharge par les rayons de Röntgen, Effet métal

Décharge par les rayons Röntgen. Effet métal.

Par M. JEAN PERRIN.

Dans des recherches antérieures, déjà publiées en partie dans ce Journal, j’avais obtenu les résultats suivants :

a) Les rayons de Röntgen peuvent décharger, sans les rencontrer, des corps électrisés situés dans un gaz en repos. Pour abréger, j’appelle cette décharge effet gaz.

b) Cet effet gaz se poursuit jusqu’à décharge complète des corps intéressés. Incidemment, j’en ai déduit une méthode pratique pour mesurer les différences de potentiel apparentes dues au contact de deux métaux dans un gaz. La décharge complète par les rayons Röntgen prouve que ces rayons n’agissent pas exclusivement en rendant conductrices les régions qu’ils traversent dans un gaz : il se produirait alors un effet de condensation, et non une décharge totale.

c) L’effet gaz n’est pas dû à une convection ou à une diffusion du gaz directement atteint par les rayons : Il se produit à l’intérieur de chaque tube de force coupé par ces rayons ; tout le long de ce tube, le gaz acquiert des propriétés conductrices, tandis que ce gaz reste isolant dans un tube de force immédiatement contigu, mais non rencontré. En d’autres termes, là où des rayons traversent un gaz, apparaissent des charges égales et contraires : c’est ce que j’appellerai l’ionisation du gaz. Puis ces charges, sous l’influence du champ, se meuvent le long des tubes de force qui les contiennent jusqu’à ce qu’elles rencontrent un métal, qu’elles déchargent, ou une surface isolante solide ou liquide, qu’elles chargent.

d) L’ionisation est indépendante du champ qui la révèle. L’ionisation à l’intérieur d’un certain volume est mesurée par la limite qu’atteint, quand le champ croit, le débit d’électricité produit par les rayons dans ce volume.

e) L’ionisation en un point varie proportionnellement à la pression, et reste indépendante de la température. Elle varie comme l’inverse du carré de la distance entre le point et la source, ce qui permet de fixer une unité de quantité pour les rayons de Röntgen.

f) Le coefficient d’ionisation d’un gaz est le nombre par lequel se trouve multipliée l’ionisation en un point, quand l’air y est remplacé par ce gaz.

Effet métal.

1. Les lois précédentes ne suffisent plus à expliquer les phénomènes quand les rayons rencontrent les corps chargés. Pour s’en assurer, il suffit de se rappeler les observations déjà anciennes de MM. Benoist et Hurmuzescu qui, par exemple, montrèrent qu’un disque de platine, frappé par les rayons, se décharge plus vite qu’un disque d’aluminium géométriquement identique. J’ai tenté de faire l’analyse du phénomène dans le cas où les corps chargés sont ainsi rencontrés par les rayons. J’appelle effet métal ce qui vient alors s’ajouter à l’effet gaz pour obtenir l’effet total. J’ai étudié cet effet métal dans le cas d’un condensateur plan où les rayons entrent perpendiculairement aux armatures, et j’ai pu suivre une méthode analogue à celle qui m’avait servi pour l’effet gaz.

2. J’ai d’abord comparé les deux effets par une méthode de compensation. ABCD est un condensateur plan. La région centrale ce de l’armature AB est séparée par un sillon du reste de cette armature, qui forme anneau de garde. Cette plaque alpha beta, longue de plusieurs centimètres dans la direction perpendiculaire au plan de figure, a seulement 1 centimètre dans le sens des flèches. Un pinceau de rayons, figuré par ces flèches, traverse le condensateur sans en toucher les armatures, puis entre dans un deuxième condensateur A’B'C’D', perpendiculairement aux armatures, par une fenêtre KL, percée dans l’armature C’D' et couverte d’une feuille très mince d’aluminium battu. L’épaisseur du deuxième condensateur est exactement égale à alpha beta, soit à 1 centimètre. Enfin les plaques A’B' et alpha beta, liées d’une manière fixe à l’aiguille de l’électromètre, sont liées au sol et à l’anneau de garde AB par un pont que l’on coupe avant de faire passer les rayons, en sorte qu’elles sont d’abord au potentiel de AB. Soit zéro ce potentiel ; C’D' et CD sont portées par une pile de charge soit à des potentiels de même signe, soit à des potentiels de signe contraire (± 120 volts) de manière que les quantités d’électricité débitées par A’B' et par alpha beta s’ajoutent ou se retranchent sur l’électromètre. Par construction, chaque rayon du pinceau employé est intéressé sur la même longueur par les tubes de force émanés de 4 et par ceux qui émanent de A’B'. L’effet gaz est donc le mémo dans les deux condensateurs. Soit g cet effet. Soit m l’effet métal produit dans le deuxième condensateur ; par définition de m, l’effet total dans ce condensateur est m + g ; il est ± g dans le premier condensateur. L’opposition des deux condensateurs sur l’électromètre donnera donc m par la lecture directe ; leur addition donnera m + 2g, d’où m et g.

3. J’ai ainsi vu que l’effet métal est nul quand, pour chacune des armatures A’B' et C’D' la face tournée vers l’intérieur du condensateur est badigeonnée de pétrole, d’alcool ou d’eau ; même il suffit de badigeonner les parties qu’atteignent les rayons, l’état du reste de ces surfaces n’influant pas : alors tout se réduit à l’effet du gaz. Mais l’effet métal prend une valeur mesurable si l’une des parties atteintes par les rayons sur ces faces internes est, par exemple, une surface propre et sèche d’or, ou, plus généralement, d’un métal quelconque. Ici encore, les parties atteintes par les rayons interviennent seules, et par leur surface immédiatement contigüe au gaz ; les couches sous-jacentes n’influant pas. J’ai vérifié que le signe de la charge de A’B' n’intervient pas. Il est de même indifférent qu’on relie à l’aiguille la plaque A’B' ou la plaque C’D', ce qui était probable, l’électricité perdue par l’une devant être gagnée par l’autre.

4. Si deux portions de surface, atteintes séparément par les rayons, donnent des effets métal m et m’, il m’a toujours semblé que, lorsqu’elles sont atteintes ensemble, elles donnent l’effet métal m + m’. Par exemple, partant du cas où, les faces internes de A’B' et CD’étant pétrolées, l’effet métal y est nul, j’ai d’abord couvert par une feuille d’or battu la face interne de A’B', et obtenu un certain effet métal (67 divisions de l’échelle) ; puis, j’ai aussi couvert par une feuille d’or la face interne de CD’(en sorte que les rayons rencontraient de l’or aux deux extrémités des tubes de force qu’ils intéressaient dans le deuxième condensateur) et j’ai obtenu un effet métal sensiblement double (131 divisions). Cette expérience montre le caractère additif de l’effet métal.

5. Ce caractère additif s’accuse encore lorsqu’on fait varier l’épaisseur d’un condensateur frappé en bout par les rayons. De part et d’autre, et à égale distance d’une plaque A, au potentiel zéro, et liée à l’aiguille d’un électromètre, je disposais deux plaques A et A’portées par une pile de charge à des potentiels de signe contraire. Les rayons entraient perpendiculairement aux plaques par les fenêtres K’L' et KL couvertes de feuilles minces d’aluminium. Alors la plaque A débitait, par exemple, de l’électricité positive par sa face antérieure et de l’électricité négative par sa face postérieure. Les deux condensateurs AA’, AA « sont géométriquement identiques : l’effet gaz y a donc même valeur. D’autre part, dans le premier (AA’) les deux faces internes des armatures sont pétrolées, en sorte que l’effet métal y est nul. L’électromètre accuse donc seulement l’effet métal produit dans le deuxième condensateur AA » (et dû à ce que la face interne de A" est formée par une feuille de plomb). J’ai ainsi constaté que, pour des épaisseurs de 1, 2, 3 et 6 centimètres, cet effet métal était représenté par 41, 43, 42 et 39 divisions de l’échelle graduée. Bref, dans un condensateur d’épaisseur e, frappé en bout par le rayon, l’effet total sera de la forme a + be, a et b désignant deux constantes, le terme a désignant l’effet métal, et le terme be désignant l’effet gaz.

6. J’ai réalisé une expérience qu’on pourra comparer à celle qui m’a permis de reconnaître le rôle des tubes de force dans l’effet gaz et qui prouve que l’effet métal se localise entièrement sur la surface frappée par les rayons. J’employais un condensateur PQ formé par deux plaques métalliques écartées de 2 centimètres, l’une P en aluminium, l’autre Q en plomb. Une pile de charge établissait une différence de potentiel constante entre P et Q. Si alors on coupait la communication entre P’ et P, la plaque P’ se trouvait isolée, et pourtant au même potentiel que le reste de la plaque P qui jouait le rôle d’anneau de garde. On faisait alors pénétrer dans le condensateur, perpendiculairement aux armatures, un pinceau de rayons qui, dans sa partie la plus large, avait 0, 5 cm, pénombre comprise. Ces rayons y produisaient un effet gaz, et, à cause du plomb de la face Q, un effet métal. Or la décharge accusée par la plaque P’, rapide quand les rayons passaient en a (120 divisions de l’échelle), sensiblement la même quand ils passaient en a’, devenait pratiquement nulle (moins d’une division) quand ils passaient en b. D’autre part, sur les 120 divisions indiquées sur l’échelle où se lisaient les déplacements de l’aiguille quand le rayon passait en a’, 40 disparaissaient, quand je pétrolais la face Q. L’effet métal décelé par la plaque P’était donc au moins divisé par 40, quand le rayon passait de a’en b. Un déplacement de 0, 5 cm suffisait pour cela, alors que, l’épaisseur du condensateur étant 2 centimètres, tout ce qui aurait pu être dû à un effet de fluorescence, à une convection ou à une diffusion n’aurait pu être sensible : ment altéré par ce déplacement. Mais les extrémités, sur le plomb de la face Q, des lignes de force issues de P’, extrémités qui, pour la position a’, étaient atteintes par les rayons, ne l’étaient plus pour la position b. Cette expérience entraîne l’énoncé suivant :

7. Ionisation superficielle. — En tous les points qu’atteignent des rayons Röntgen dans la surface de séparation d’un gaz et d’un métal, se tonnent des quantités égales d’électricité positive et négative, ou, d’une manière abrégée, une ionisation superficielle. S’il existe un champ électrique, les charges d’un certain signe sont aussitôt absorbées par le métal, et les charges de signe contraire s’éloignent de ce métal, en décrivant les tubes de force aux extrémités desquelles elles se trouvaient d’abord.

8. Comme pour l’effet gaz, j’ai vérifié que la quantité d’électricité débitée par l’effet métal dans un condensateur donné atteint rapidement une valeur limite, quand le champ électrique grandit. Le résultat permet, en suivant une marche analogue, de définir et de mesurer ce qu’on appellera ionisation superficielle en un point.

9. A une même distance de la source, l’ionisation par unité de sur-face m’a paru indépendante de l’inclinaison sur le rayon. J’inclinais à 45° sur le rayon le condensateur A’B'C’D' (seul conservé), où la fenêtre KL était assez large pour n'intercepter aucun des rayons utilisés dans la première position. Le volume intéressé par les rayons dans ce condensateur et, par conséquent, l'effet gaz étaient donc multipliés par racine de 2. D'autre part, j'ai vérifié à moins de 1/100 près que l'effet total était multiplié par racine de 2. L'effet métal, différence de ces deux effets, était donc aussi multiplié par racine de 2, précisément comme la surface frappée par les rayons. De même, j'ai vérifié, quand la distance à la source varie, que l'ionisation par unité de surface varie comme l'inverse du carré de cette distance. Ou, ce qui revient au même, un cône de même angle solide produit, à toute distance, le même effet métal dans un condensateur BB' laissé normal aux rayons. Cela, bien entendu, dans les limites où l'absorption est négligeable. Bref, l'ionisation superficielle en un point varie comme l'inverse du carré de la distance entre le point et la source. Cette loi permettrait de fixer, d'une manière indépendante de celle qui m'a été fournie par l'effet gaz, l'unité de quantité de rayons Roentgen. Je crois préférable de garder la première définition, c'est-à-dire de prendre pour unité la quantité de rayons qui, dans l'air, sous la pression de 76 centimètres, libère dans une couche sphérique centrée sur la source et de 1 centimètre d'épaisseur, une unité électrostatique C. G. S d'électricité positive.

10. Soit donc Q la quantité de rayons supposée rayonnée uniformément dans l'angle solide omega; l'ionisation superficielle dans l'élément de surface ds, pris dans la surface de séparation du gaz a et du métal b sera, sous la pression de 76 centimètres et à la température ordinaire,

M(a,b)*(Q/omega)*(ds/(r^2)).

Je propose d'appeler coefficient d'ionisation superficielle les coefficients M(a,b) qui, pour chaque couple gaz-métal, caractérisent l'effet métal. Ils formeraient une classe de constantes qu'on pourrait comparer, à certains égards, aux tensions superficielles ou aux forces électromotrices de contact. Quelques-uns d'entre eux, mesurés grossièrement, sont rassemblés dans le tableau suivant:

  • M(Au,air) = 0,9;
  • M(Zn,air) = 0,70;
  • M(Zn,CO(2)) = 0,80;
  • M(Zn, H(2)) = 0,5;
  • M(Pb, air) = 0,6;
  • M(Al,air) = 0,0;
  • M(Al,CO(2)) = 0,0;
  • M(Al,H(2) = 0,2. 11. L'influence des variations de température m'a paru faible ou nulle. Les variations de pression agissent d'une façon plus complexe, que je n'ai pu encore exprimer par une loi simple. De même, et cela en est une conséquence, je ne connais pas de loi simple qui exprime d'une façon générale l'influence de la pression sur l'effet total, somme de l'effet gaz et de l'effet métal.

12. En définitive, si nous supposons connue l'influence de la pression sur l'effet métal, on pourra calculer, dans tous les cas, la quantité d'électricité perdue par un corps sous l'influence des rayons de Röntgen. Imaginons, par exemple, un condensateur plan d'épaisseur l centimètres, perpendiculaire aux rayons qui y pénètrent par une armature en aluminium, l'autre armature étant en sine, et supposons que l'on cherche la quantité d'électricité positive qui passe d'une armature à l'autre quand une quantité de rayons Q entre dans le condensateur. L'application des lois élémentaires que j'ai données montre que, dans l'hydrogène, cette quantité sera, en unités électrostatiques C. G. S. :

Q(M(Al,H(2)) + l.G(H(2)) + M(Zn,H(2)) = Q (0,2 + l.0,026 + 0,5);

G(H(2)) étant le coefficient d'ionisation de l'hydrogène, que des mesures directes m'ont prouvé égal à 0,026. Dans l'air, elle serait :

Q (M(Al,air) + l.G(air) + M(Zn,air)) = Q (0,0 + l.1 + 0,7).

Ainsi le phénomène complexe de la décharge par les rayons Röntgen résulte de la superposition de deux phénomènes, l'effet gaz et l'effet métal, séparément régis par des lois simples.