Au pays des ajoncs/Croquis bretons

Au pays des ajoncs. Avant le soirLibrairie Henri Leclerc (p. 77-86).

CROQUIS BRETONS

 

I


La mystique Bretagne est une bonne vieille
Dont la candeur enchante et la grâce émerveille.
Modeste, elle n’a pas toujours de ces grands airs
De cueilleuse de gui, de prêtresse des mers
Qui font que de bien loin la foule s’agenouille.
Parfois elle s’endort, en filant sa quenouille,
Devant l’âtre enfumé qu’habite le grillon.
Adieu le châle vert, adieu le cotillon
Qui la virent, naïve et souple paysanne,
Danser la dérobée au pardon de Sainte-Anne !
Mais ses yeux n’en sont pas devenus plus dolents.

La coiffe sied encore à ses beaux cheveux blancs,
Et dès que la fleur d’or apparaît sur la lande,
Quand un vent de printemps souffle sur la mer grande,
Elle aime à retrouver quelque lai d’autrefois.
Un charme de jeunesse est resté dans sa voix.
Qu’elle évoque saint Yve ou la Vierge Marie,
Qu’elle dise l’horreur de la vague en furie
Ou l’amour, pur et bleu comme le firmament,
On sourit à l’entendre, et rien n’est plus charmant
Que ce rai de lumière aux lèvres de l’aïeule
Que réclame le soir et qui va rester seule.

II


Un pré vert qui reluit dans l’aube transparente,
Un moulin qui tictaque au bord de l’eau courante,
Des fleurs, des fleurs, des fleurs au milieu du cresson,
Et toujours et partout l’idéale chanson,
Puis de petits moutons qui broutent l’herbe drue,
Des enfants piaillant, très sales, dans la rue,
Une nature agreste et sans grand tra la la,
Et je me dis : « Où diable ai-je vu tout cela ? »
Je connais le berger, je connais la bergère.
L’épicière du coin ne m’est pas étrangère.
Le facteur me salue. Il est de mes amis
Et me demande à boire ainsi qu’il est permis

J’aime ces bonnes gens. Ils sont bien de ma race.
Ici rien ne me pèse et rien ne m’embarrasse.
On ne m’accueille pas d’un sourire moqueur.
Même le gris pays est tout près de mon cœur.
À je ne sais quel air, dirais-je, de tendresse
Il m’a semblé revoir encor ma douce Bresse.

III


La mer est bleue et le ciel bleu. Rien que du bleu.
C’est la délicieuse paix du Seigneur Dieu,
La plage rêve. A peine on entend son haleine.
La colline s’endort sans y songer. La plaine
Frissonne doucement au souffle du matin.
Partout la bonne odeur, la fraîche odeur du thym.
Bêtes et gens ont dans les yeux une lumière.
Un grand calme s’est fait au cœur de la chaumière,
Et le marin va boire avec le moissonneur.
C’est la divine paix, c’est presque du bonheur,
Bonsoir au vent mauvais, à la vague méchante.
Seul, au-dessus des genêts d’or, un oiseau chante.

IV


Mais la mer est mauvaise aussi, mauvaise en diable.
Oh ! sa voix rauque au fond de la conque effroyable !
C’est la folle, aux yeux convulsés, aux cris stridents.

Elle écume, elle bave, elle grince des dents,
Elle hurle, elle bout, elle est en male rage.
C’est l’esprit monstrueux qui déchaîne l’orage,
La reine au cœur glacé du royaume des morts,
Celle qui sans pitié, sans haine, sans remords,
Pour engloutir le monde ouvre ses bras de goule.
Et tout est noir, et tout chancelle, et tout s’écroule.
Sur le gouffre infini passe un souffle infernal.
Vite, bon sémaphore, arbore ton fanal.

V


Et des roses, partout, partout des roses blanches,
Roses de tous les jours et roses des dimanches,
Le tranquille pays s’en embaume au lointain !
Roses du soir, roses du jour et du matin,
Roses de l’aurore et du divin crépuscule,
Roses qui précédez la morne renoncule,
Vous fleurissez la lande où je suis prisonnier.
J’entends, ravi, votre langage printanier,
Vous gardez un reflet du gai soleil de France,
Et je sais qu’après tout vous parlez d’espérance.
Roses de la cellule où je suis enfermé,
Vous dites qu’il est toujours bon d’avoir aimé.
Roses, merci. Gardez mon cœur ; je vous le donne.
Roses d’hier, roses d’été, roses d’automne.

Épanouissez-vous et faites des heureux.
Oh ! La Bretagne sombre avec ses chemins creux !
Elle vous apparaît d’abord un peu morose.
Mais qu’elle est douce à voir quand elle tient la rose !

VI


Comme un gardien fidèle au seuil de la maison,
Le rocher du S’Kevel surveille l’horizon.
Il regarde filer au loin les blanches voiles.
Il sait l’heure où le ciel se fleurira d’étoiles
Et quand s’allumera le phare éblouissant.
Lui, le grand immobile, il sourit au passant ;
Le front ceint d’azur clair, de soleil ou de brume,
Il écoute la vie et sans trop d’amertume.
Pourtant quand la tempête éclate au ciel profond,
Il semble las de tout ce que les hommes font.
Il dépouille d’un coup ses allures tranquilles,
Il est hargneux comme la nuit sur les Sept Iles.
On s’imagine voir, échappé de l’enfer,
Quelque monstrueux dogue, en arrêt sut la mer.

VII


Jacoïc m’a guidé parmi les pays verts,
Et nous voici tous deux au bout de l’univers,
En un recoin charmant de l’antique Bretagne,

Entre la mer fleurie au loin et la montagne.
De grands arbres touffus avec un filet d’eau.
Derrière, sans recteur, sicaire ni bedeau,
Une toute mignonne et rustique chapelle,
Saint-Gorgon, c’est l’étrange nom dont on l’appelle.
Dieu ? cette solitude et ce calme enchanté.
Le saint trône au dedans. Il est représenté
Tenant l’épée en main comme un homme de guerre.
« Gorgon, dis-je à Jacquot, je ne le connais guère.
Quel est donc cet élu qu’on ne voit pas ailleurs ? »
Et Jacquot me répond : « Le roi des artilleurs. »

VIII


Un autre brave saint, Duzec, est à deux pas,
Fort aimé de la Vierge et des gens de là-bas.
J’aurais peine, je crois, à conter son histoire.
Mais rien n’est plus joli que son grêle oratoire
Et sa source d’eau vive où s’est baigné le roi.
Nous lui rendîmes nos devoirs, Jacquot et moi.
Pas de près. Le bon saint se celait. Mais qu’importe,
Puisqu’une tirelire était contre la porte,
Qu’on écriteau disait, gaiement peinturluré :
« Donnez à saint Duzec. Il vous en saura gré. »
J’allais obtempérer à ce conseil honnête,
Quand Jacquot : « Oh ! monsieur, oh ! que vous êtes bête !

Saint Duzec est au ciel, il n’a besoin de rien.
Mais moi j’ai toujours soif et je suis bon chrétien.
N’ai-je pas un beau nez au milieu du visage ?
Donnez-moi les deux sous ; j’en saurai faire usage. »

IX


Que je plains saint Guirec ! Il ne sait que sourire.
Mais comment sans pitié dire son long martyre !
Il reste crânement campé sur son rocher.
Oui, mais la mer est basse ; on pourra l’approcher.
Et les mille fleurs d’or et les mille amoureuses,
Les belles sans ami, dame ! elles sont nombreuses,
Lui piquent une épingle au beau milieu du nez.
Certes je suis hostile à ces us obstinés,
Bien qu’un peu parpaillot, ce vieux saint me fait peine.
Mais on se mariera, la chose est très certaine,
Avant qu’il soit un an, à la grâce de Dieu,
Et cela vaut, ma foi, qu’on s’émancipe un peu,
Je crois entendre au loin de merveilleuses cloches
Et l’argent trébuchant et clair qui sort des poches.
Allons, laissons passer ce bon peuple falot,
— Et saint Guirec sourit toujours, les pieds dans l’eau.

X


Au cabaret du coin nous sommes attablés.
Mais qu’allons-nous bien boire en regardant ces blés ?

« Le cidre, que c’est fade ! on n’en a guère envie.
Parlez-moi, s’il vous plait, de la bonne eau-de-vie
Qui grince et vous écorche, en passant, le palais.
Ah ! voilà qui vous met au cœur des oiselets.
Voilà qui vous fera raisonner comme un livre,
Voilà, fussiez-vous mort, qui vous enseigne à vivre.
Vraiment, par saint Guirec, monsieur, je vous le dis,
C’est la benoîte Vierge au seuil du Paradis. »
— « Soit, commandez, mon brave et tant pis pour ma tête. »
Le gwin-ardent coule à pleins bords ; c’est la grand’fête.
Un merveilleux soleil s’allume à l’Orient,
Et Notre Dame nous regarde en souriant
Comment faire nous deux pour retrouver la porte ?
Bah, si nous titubons un tant soit peu, qu’importe ?
Il faut bien, si l’on veut n’être de mauvais ton,
Se griser, quand on a l’honneur d’être Breton.

XI


Francine a la gaieté d’une petite folle,
Francine a la fraîcheur du matin qui s’envole,
Francine a la candeur de la nuit qui descend.
Son tendre cœur, j’en jure, est encore innocent.
Quand sur la lande en friche elle garde ses vaches,
On rêverait, à ses côtés, d’être à l’attache.

Hélas ! déjà ses yeux ne sont plus si fleuris.
Elle tressaille au nom du monstrueux Paris.
Quelque dégoût lui vient du pays des apôtres,
Et le monstre la croquera comme les autres,
Pauvre oiseau que le chien guette après l’oiseleur.
Pourtant, regardez-la, regardez cette fleur ;
Si gentille, elle semble une vierge en prière,
Qui sourit, sans penser, du fond d’une verrière.

XII


Dans l’idéal azur du matin qui s’éveille
Un léger son de cloche arrive à mon oreille.
Est-ce baptême, noce ou bien enterrement ?
Je ne sais. A coup sûr c’est doux infiniment.
On dirait un rayon de soleil dans la brume,
Un peu de joie avec un relent d’amertume.
Ici la mort est bonne et ne fait pas grand’peur,
Et l’amour, oui, l’amour, n’est pas le gai trompeur,
L’enfant malicieux à qui rien ne résiste.
Il garde au fond du cœur quelque chose de triste.
Ainsi la cloche passe, passe en murmurant,
Sur le monde d’en bas qui lui parait si grand.
Elle dit : « Pauvres gens, sortez de l’ombre infâme.
Songez au Paradis qui réclame votre âme.

Et soudain disparaît tout ce qu’on a d’amer.
Oh ! les limpides voix des cloches sur la mer !

XIII


Et la sainte Bretagne est encor là debout,
Celle qui rit et pleure et chante, et qui boit tout.
Celle qui pour un rien boude toute une année,
Celle qui crie aussi, vierge passionnée.
Elle n’est pas tranquille et simple autant qu’on croit.
Elle abrite plus d’un animal sous son toit,
Et ce n’est pas toujours, crois-moi, la blanche hermine.
Mais dans ses yeux mouillés l’avenir s’illumine.
J’ai dit qu’elle était vieille. Oh ! que je suis menteur !
C’est la jeunesse même et l’oiselle et la fleur.
Elle n’est pas toujours en proie au divin rêve.
Elle regarde aussi le soleil qui se lève.