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DEUXIÈME SECTION.


des qualités du sublime et du beau
dans l'homme en général


L’intelligence est sublime, l’esprit est beau. La hardiesse est sublime et grande, la ruse petite, mais belle. La circonspection, disait Cromwell, est la vertu d’un bourguemestre. La véracité et la droiture sont simples et nobles, la plaisanterie et la flatterie aimable sont délicates et belles. La bonne grâce est la beauté de la vertu. L’empressement désintéressé à rendre service est noble, la politesse et l’honnêteté sont belles. Les qualités sublimes inspirent le respect ; les belles qualités, l’amour. Les personnes qui sont surtout disposées au sentiment du beau ne cherchent des amis sincères, constants et solides, que dans les circonstances difficiles ; elles choisissent pour leur société des compagnons enjoués, aimables et gracieux. Il y a tel homme qu’on estime beaucoup trop pour pouvoir l’aimer. Il inspire l’admiration, mais il est trop au-dessus de nous, pour que nous osions nous approcher de lui avec la familiarité de l’amour. Ceux qui réunissent en eux les deux sortes de sentiments trouveront que l’émotion du sublime est plus puissante que celle du beau, mais qu’elle fatigue et qu’on n’en p~ut jouir aussi long-temps, si elle n’alterne avec la précédente ou ne l’accompagne (1)[1]. Il faut que les grands sentiments, auxquels s’élève parfois la conversation dans une société bien choisie, se changent de temps en temps en plaisanteries légères, et que les figures joyeuses fassent avec les figures émues et sérieuses un beau contraste, qui amène tour à tour et sans effort les deux espèces de sentiment. L’amitié a surtout le caractère du sublime, l’amour celui du beau. Cependant la tendresse et le profond respect qui entrent dans l’amour lui communiquent une certaine dignité et une certaine élévation, tandis que, le badinage et la familiarité lui donnent le coloris du beau. La tragédie, selon moi, se distingue surtout de la comédie, en ce qu’elle excite le sentiment du sublime, tandis que la comédie excite celui du beau. Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/257 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/258 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/259 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/260 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/261 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/262 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/263 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/264 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/265 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/266 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/267 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/268 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/269 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/270 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/271 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/272 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/273 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/274 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/275 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/276 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/277 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/278 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/279 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/280 peut soupçonner ceux qui on ces goûts d'être pointilleux et fantasques dans la science, et de n'avoir pas dans leurs mœurs le sentiment de ce qui est beau et noble en soi.

Nous avons souvent le tort d'accuser ceux qui n'aperçoivent pas la valeur ou la beauté de ce qui nous touche ou nous charme, de ne pas le comprendre. Il ne s'agit pas tant ici de ce que comprend notre intelligenceque ce qu'éprouve notre sensibilité. Cependant les capacités de l'âme sont si intimement liées, qu'on peut le plus souvent juger des dons de l'esprit par la manière dont le sentiment se manifeste. Car c'est en vain que ces dons auraient été prodigués à celui qui n'aurait pas en même temps un vif sentiment de ce qui est véritablement noble ou beau et qui n'y trouverait pas un mobile pour faire de ces dons un bon et légitime usage(1).

On n’appelle ordinairement utile que ce qui peut satisfaire des besoins plus grossiers comme ce qui

(1) On remarque aussi qu'une certaine délicatesse de sentiment passe pour un mérite. Qu'un homme, après un repas copieux, puisse dormir d'un profond sommeil, on dira de lui qu'il a un bon estomac, mais on ne lui en fera pas un mérite. Qu'un autre au contraire sacrifie une partie de son repas au plaisir de la musique, qu'il trouve dans un tableau une agréable distraction, ou qu'il aime à lire des choses ingénieuses, ne fût-ce que de petites poésies, il passera aux yeux de presque tout le monde pour un homme distingué, et on aura de lui une opinion avantageuse. Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/282 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/283 pour qui l’intérêt personnel est un grand axe autour duquel ils voudraient tout faire tourner, sont des plus nombreux ; et il ne pe11t’rien y a~oi~·de plus &vanta~ul. :, oàlC8 ·sont·les· plus a~li&, ·les··miéu~ réglés et les plus· prudents. —Ils clonmrhnm : ioui dü fa c1>nsistance et de la : so1idit~, ert con : courant ;’~n ·s le vouloir, â rutilitë gfuiérille~ èr°eh ft : fürnissanitdf matériaux et le !  ! fohdements i : Jur Ièsqoels ·d~àtti~ plus’délicat.es penvënt répandre· la be.t$t6· ~t —t’hàrw nionie. Enfin l’amm)r —’e· l ~ho1.1, neur ~I dans f$ÙS les cœurs, quoique· dhersemënt pa.riagé·, —ce qlli· —~ oii donner à l’en~mbfe une ·beauté· raTil8aflteJ Oa » ; bien que l’ambiiion soit one foliè, qu&ind"OJll8ll•fai, 1ll règle ·unique-’à la.quelle pn ·rapporte tou~ sei iiutres inolinatit>ns, lrlU, èst ·eepericl~nt:euelleltè œmme mobile auxiliaire. En effet·, en agi-ssaut~ur Ctl grand théâtre confMmément à·SQS inclinatioris ; do..i. mioantès, chacun obéi’teo·m@me·tempsàiùnmobi• Ï, ecret qui le pousse ! se· placer à un poiet de vue étranger, pour’pou, —oir’juger l’impression que sa conduite doit produirt, sùr les —autres. Ceat ainsi tJuè les diYers· groupes ee; réuniEent eu.un tableau d~uri:magnifique ·effet,. ciù; r unité 1:règne au· milieti de la w.riété, et da-na reDll8mhlf)’doqueh1clarteotda; l, eauté et la dignité de la nature humaipe.



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Notes de Kant modifier

  1. (l) Le sentiment du sublime tend davantage les forces de l’âme, et, par conséquent, la fatigue plus tôt. On lira plus longtemps de suite un poëme pastoral que le paradis perdu de Milton, et Labruyère que Ioung. Il me semble même que ce dernier a eu tort, comme poête moral, de rester trop uniformément sur le ton sublime, car on ne peut renouveler la force de l’impression que par des contrastes avec des passages plus doux. Dans le beau, rien n’est plus fatigant que de sentir le travail pénible de l’art. Nous supportons avec peine et impatience les efforts que l’on fait pour charmer.

Notes du traducteur modifier