Traduction par Jules Barni.
Librairie philosophique de Ladrange (IIp. 52-56).


§. LXIX.


Exposition de celle antinomie.


En tant que la raison s’applique à la nature, considérée comme l’ensemble des objets des sens extérieurs, elle peut se fonder sur des lois qu’en partie l’entendement prescrit lui-même a priori à la nature, et qu’en partie il peut étendre à l’infini au moyen des déterminations empiriques que présente l’expérience. Dans l’application de la. première espèce de lois, à savoir des lois universelles de la nature matérielle en général, le Jugement n’emploie aucun principe particulier de réflexion, car il est alors déterminant, puisqu’un principe objectif lui est donné par l’entendement. Mais, quant aux lois particulières qui peuvent nous être révélées par l’expérience, on y peut trouver une telle variété et une telle hétérogénéité que le Jugement doit se servir à lui-même de principe, uniquement pour chercher une loi dans les phénomènes de la nature : car il a besoin de cette loi comme d’un fil conducteur, pour peu qu’il lui soit Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/64 tifs de la possibilité des choses mêmes, il faudrait les énoncer ainsi :

Thèse : toute production de choses matérielles est possible d’après des lois purement mécaniques.

Antithèse : certaines productions naturelles ne sont pas possibles d’après des lois purement mécaniques.

Sous ce dernier point de vue, comme principes objectifs pour le Jugement déterminant, ces propositions se contrediraient, et par conséquent l’une des deux serait nécessairement fausse ; il y aurait alors une antinomie, qui ne serait pas une antinomie du Jugement, mais une contradiction dans la législation de la raison. Mais la raison ne peut prouver ni l’un ni l’autre de ces principes, car nous ne pouvons avoir a priori sur la possibilité des choses, en tant qu’elles sont soumises à des lois empiriques, aucun principe déterminant.

Quant à la maxime du Jugement réfléchissant, que nous avons citée d’abord, elle ne contient pas en réalité de contradiction. Car quand je dis : je dois juger possibles d’après des lois purement mécaniques tous les événements de la nature matérielle, par conséquent aussi toutes les formes qui en sont des productions, je ne veux pas dire que ces choses ne sont possibles que de cette manière (à l’exclusion de toute autre espèce de causalité) ; je veux seulement indiquer que je dois toujours réfléchir sur ces choses suivant le principe du pur mécanisme de la nature, et par conséquent étudier ce mécanisme aussi profondément que possible, puisque, si on n’en fait le principe de ses investigations, il ne peut y avoir de véritable connaissance de la nature. Cela n’empêche pas d’employer la seconde maxime, quand l’occasion s’en présente, c’est-à-dire de chercher, pour quelques formes de la nature (et, à l’occasion de ces formes, pour toute la nature) un principe de réflexion entièrement différent. de l’explication par le mécanisme de la nature, à savoir le principe des causes finales. En effet cette dernière maxime n'oblige pas la réflexion à abandonner la première ; il lui est ordonné au contraire de la poursuivre aussi loin que possible. On ne veut même pas dire par là que ces formes ne seraient pas possibles par le mécanisme de la nature. On affirme seulement que la raison humaine, en se bornant à ce principe, pourra bien acquérir d’autres connaissances des lois physiques, mais n’arrivera jamais à se faire la moindre idée de ce qui constitue spécifiquement une fin de la nature ; et on laisse indécise la question de savoir si, dans le principe intérieur, à nous inconnu, de la nature, le mécanisme physique et la finalité ne peuvent pas s’accorder de manière à ne plus faire qu’un. Seulement, notre raison est incapable d’opérer elle-même cet accord ; et, par conséquent, le Jugement est obligé, comme Jugement réfléchissant (au moyen d’un principe subjectif), et non comme Jugement déterminant (conformément à un principe de la possibilité des choses eu soi), de concevoir, pour expliquer la possibilité de certaines formes de la nature, un autre principe que celui du mécanisme de la nature.


§. LXX.


Préparation à la solution de la précédente antinomie.


Nous ne pouvons démontrer l’impossibilité de la production des êtres organisés par un simple mécanisme de la nature, car nous ne pouvons apercevoir dans leur premier principe interne l’infinie variété des lois particulières de la nature, et, par conséquent, nous sommes absolument incapables d’atteindre le principe interne, et suffisant à tout, de la possibilité d’une nature (lequel réside dans le supra-sensible). qu’on né demande donc pas si la puissance productrice de la nature ne suffit pas aux choses dont nous jugeons la forme ou la liaison d’après l’idée de fins, tout aussi bien qu’à celles pour lesquelles nous croyons pouvoir nous contenter d’un simple mécanisme, et si, en réalité, les choses que nous considérons comme de véritables fins de la nature (que nous devons nécessairement juger ainsi) ont pour principe une


Notes de Kant modifier


Notes du traducteur modifier