Cours de philosophie/Leçon XXIX. La généralisation. Le jugement. Le raisonnement

Leçon XXVIII. L'attention. La comparaison. L'abstraction Cours de philosophie Leçon XXX. Objet et méthode de l'esthétique



Généralisation. Une idée générale est une notion qui convient à plusieurs individus. L'opération par laquelle on obtient ces idées c'est la généralisation.

Deux procédés concourent à la généralisation: la comparaison et l'abstraction. Nous comparons ce que plusieurs individus ont de semblable, et nous l'abstrayons. Ces qualités communes forment alors une idée générale. Ainsi, nous comparons les hommes: nous voyons ce qu'ils ont de commun, nous l'abstrayons et nous nous faisons l'idée générale d'homme. Les qualités aussi abstraites conviennent donc à tous les individus observés. Nous voyons que tous les hommes ont la sensibilité, l'intelligence, l'activité, et nous en faisons des idées générales.

Quelle est la valeur des idées générales? Le moyen-âge surtout a agité cette question. Quelle est la réalité de l'idée générale? Voici comment se pose la question: Certains philosophes ont estimé que les idées générales répondaient à une réalité existante. C'est là la théorie réaliste. D'autres au contraire ont admis que les idées générales étaient purement subjectives. D'après ce système, le terme général n'est rien qu'un flatus vocis. Quand nous énonçons ce mot, nous ne nous représentons même selon eux, rien de réel et de concret. Supprimez le langage, il n'y a plus d'idées générales. Tel est le nominalisme.

Cette doctrine est toujours restée dans la discussion. Condillac, M. Taine se rattachent à cette doctrine. Au contraire, nous trouvons le réalisme dès l'antiquité. Les idées platoniciennes ne sont pas, il est vrai, absolument des genres. Mais elles conviennent à tous les individus. Elles sont, en partie au moins, des genres substantialisés. Platon est donc un réaliste.

De ces deux doctrines, il y en a une dont l'expérience montre l'absurdité; c'est le réalisme. Il n'y a pas de genre en soi. Les ressemblances que l'on rencontre entre les individus s'expliquent suffisamment par la communauté d'origine.

Nous ne pouvons pas admettre davantage le pur nominalisme. Quand nous pensons une idée générale, nous pensons autre chose qu'un mot. Sans doute il y a là une association très forte et qui fait illusion. Mais un mot n'est qu'un signe, et un signe n'est intelligible pour nous que si nous connaissons déjà la chose signifiée.

Le nominalisme, comme le réalisme absolu, sont [sic] donc en opposition avec les faits. Mais il y a entre deux la doctrine d'Abélard, qu'on appelle le conceptualisme. Suivant lui, les idées générales ne sont ni des mots, ni des substances; elles existent, mais dans notre esprit. Elles ont une existence subjective. - En outre les idées générales existent substantiellement dans chaque individu. Par cela même que l'individu appartient au genre, le genre est réalisé en lui. L'idée générale est donc plus qu'un mot.

Il nous reste à traiter la question de savoir si la pensée commence par des idées particulières ou des idées générales. Le philologue Max Müller a cru remarquer que les racines des langues sont des noms communs, par conséquent, que la pensée commence par des idées générales. Il ne s'agit pas de savoir si, dès l'origine de l'expérience, l'esprit avait la notion générale complète, mais si les choses particulières sont pensées comme individuelles ou comme types et genres.

L'observation de Müller est très controversée. La majorité des grammairiens lui est opposée. Mais quand elle serait vrai, cela ne démontrerait pas que les idées générales sont les premières formées. Elle ne prouve qu'une chose, c'est que les premières idées exprimées sont des idées générales. Mais rien ne prouve que les premières idées exprimées soient les premières idées pensées. La faculté de penser est antérieure au langage. L'observation de Müller n'a donc pas de portée.

Or, d'une manière générale, comment se représenter que l'homme commence par penser les idées générales? L'expérience ne donne que des individus. Comment l'homme verrait-il ainsi le genre dans l'individu? On ne peut se l'expliquer.

Nous croyons donc que non seulement les premières idées sont particulières et que nous les pensons comme telles, mais encore que les idées part[iculières] sont aussi les premières exprimées.

Faire remarquer le rôle de la généralisation dans la connaissance serait montrer comment la science satisfait par des procédés au besoin de comprendre. La généralisation ramène la multiplicité des individus à l'unité du genre. Or, comme c'est là la meilleure satisfaction que puisse avoir l'esprit, c'est par la généralisation surtout que l'esprit s'explique la réalité, qui, composée de choses différentes, ne peut trouver d'autre unité.

Jugement. Le jugement est l'opération par laquelle l'esprit affirme qu'une idée (attribut ou prédicat) convient à une autre idée (sujet). Exemple: L'homme (sujet) est mortel (attribut).

Voyons quel est le mécanisme de cette opération. Si nous analysons ce jugement nous verrons qu'il consiste à dire que la classe des hommes est comprise dans la classe des êtres mortels. Le jugement montre donc le sujet comme compris dans l'attribut. D'où résulte que l'attribut doit toujours être plus vaste que le sujet. Kant exprimait ce mécanisme du jugement en disant qu'on subsume le sujet sous l'attribut.

Mais ce n'est là qu'une façon d'examiner le jugement. D'un autre point de vue, l'attribut est compris dans le sujet. La mortalité, par exemple, est une qualité comprise dans le concept plus large d'homme. - C'est que dans le premier cas, nous comparons au point de vue du nombre, les individus désignés par le sujet et par l'attribut, tandis que dans le second cas nous examinons non plus les individus, mais les caractères.

Considéré sous le premier aspect, le jugement est étudié au point de vue de l'extension; sous le second, à celui de la compréhension.

Il résulte de tout ce qui précède que le jugement résulte de la comparaison de deux idées. Or, Cousin distinguait deux sortes de jugements, les uns formés ainsi, et d'autres, faits immédiatement, sans que l'esprit eût examiné les deux idées qu'il rapproche. De ce nombre était, selon lui, le jugement: Je suis. En effet, supposons que j'ai pu séparer les deux termes. L'idée du moi, séparée de l'idée d'existence, n'est plus que l'idée d'un moi possible. Si nous joignons ces deux termes, dit-il, nous aurons le jugement: Je puis être, et non je suis.

Mais de ce qu'on sépare l'idée du moi de l'idée d'existence, il ne s'ensuit pas qu'on pense le moi comme possible. On le conçoit comme en dehors de toute relations avec l'existence. On le pense seulement comme un ensemble de propriétés; ensuite on établit une relation entre cette notion et celle d'existence. On voit qu'elles se conviennent. On forme alors le jugement: Je suis.

Voyons maintenant comment on peut diviser les jugements. On les divise souvent en jugements particuliers et universels. Le jugement universel affirme l'attribut de tout, le jugement particulier d'une partie du sujet.

On a aussi classé les jugements par positifs et négatifs. Mais la division de Kant en synthétiques et analytiques est la plus importante.

Ces derniers sont ceux où la notion de l'attribut nous apparaît comme comprise dans la notion du sujet de telle sorte que, quand nous pensons le sujet, nous pensons immédiatement l'attribut. Par conséquent, dans les jugements analytiques, l'attribut se déduit nécessairement du sujet. Ex.: 2 + 2 = 4.

Dans les jugements synthétiques au contraire, la notion de l'attribut est ajoutée à la notion du sujet. Exemple: Tous les corps tombent selon la verticale. - Cette propriété est quelque chose de plus que ce qui est compris dans le sujet.

Les principes rationnels sont tous des jugement synthétiques. La question que nous nous sommes posée dans la théorie de la raison peut se poser ainsi: Y a-t-il des jugements synthétiques a priori, et s'il y en a comment sont-ils possibles? -- Nous avons résolu la question en admettant que l'esprit y était nécessité par sa nature même.

Le raisonnement est une opération par laquelle l'esprit combine deux jugements anciens pour en tirer un jugement nouveau.

Il y a deux formes de raisonnement: L'induction et la déduction.

Nous reverrons d'ailleurs en logique la théorie du raisonnement.