Cours d’agriculture (Rozier)/RÈGLES

Hôtel Serpente (Tome huitièmep. 560-563).


RÈGLES, Médecine rurale. La nature, toujours occupée de la reproduction des êtres animés, a soumis les femmes à une hémorragie quï survient tous les mois aux parties de la génération. C’est même à cet écoulement périodique qu’elle a attaché la fécondité, quoiqu’il y ait plusieurs exemples de femmes qui sont devenues grosses sans avoir leurs règles. Hippocrate cite à ce sujet la femme de Gorgias.

La première apparition des règles varie beaucoup, tant à cause de la différence des climats & des pays froids ou chauds que les femmes habitent, que du genre de vie qu’elles mènent. En France, elles sont ordinairement réglées depuis l’âge de treize jusqu’à celui de quinze & seize ans ; dans les pays très-chauds, elles le sont quelquefois à l’âge le plus tendre : on lit dans les Mémoires de l’Académie des sciences, qu’une fille eut ses règles trois mois après sa naissance.

Mandelshof a vu une fille aux Indes qui fut réglée à trois ans, & accoucha à cinq. Il faut avouer que ces sortes de prodiges sont très-rares, & qu’il faut des siècles pour en produire de semblables. Rarement conçoit-on avant d’être réglé ? Rien de plus précoce, pour la fécondité & les règles, que les femmes des pays chauds ; on sait qu’elles éprouvent cet écoulement à sept, huit ou neuf ans : c’est d’autant plus vrai, que dans des climats froids, on a vu des femmes mériter le nom de mère à neuf ans. Joubert, célèbre médecin de Montpellier, & l’un des savants hommes de son temps, a vu, en Gascogne, Jeanne de Peirie, qui fit un enfant à la fin de la neuvième année ; Saint Jérôme nous assure qu’un enfant de dix ans engrossa une nourrice avec laquelle il coucha quelque temps, On lit encore dans l’écriture sainte, qu’Achas engendra Ézéchias à l’âge de dix ans.

Dans les pays froids, au contraire, les femmes sont à peine réglées à vingt, vingt-cinq ans ; & dans d’autres régions encore beaucoup plus froides, comme dans le nord, elles le sont rarement ; & dans le Groenland, elles ne le sont point du tout, à ce qu’on prétend.

Cet écoulement ne dure pas toute la vie ; mais il n’a pas un terme fixe. Elles en sont débarrassées à quarante, quarante-cinq, & même cinquante ans. Ce n’est pas qu’on ne l’ait observé dans quelques-unes, dans un âge plus avancé ; on en a vu qui ont fait des enfans à cinquante, cinquante-cinq, & même à soixante ans ; ce fait se trouve consigné dans les papiers publics.

Il est bien difficile de fixer la juste quantité de sang que les femmes perdent pendant le temps de leurs règles. Hippocrate la fait monter à vingt onces ; Gorter à six, en Hollande ; on l’a portée de quatorze à seize, en Espagne ; & à une, en Allemagne : Astruc étend en général cette évacuation depuis huit onces jusqu’à seize, quoiqu’il y ait des femmes qui perdent moins, & qu’il y en ait d’autres qui perdent davantage sans être malades ; & Sennac assure que les femmes du Languedoc perdent le plus communément de huit dix onces. La durée de cette évacuation périodique n’est point la même chez toutes les femmes, ni dans tous les pays ; Sthaal prétend que les règles coulent en Allemagne pendant une semaine, en Angleterre trois jours, & en Hollande quatre. Il est rare qu’elles ne soient pas de trois jours ou qu’elles aillent au-delà de six en France ; on les regarde comme une maladie, lorsqu’elles durent moins de trois jours ou plus de six.

Il est prouvé que les femmes qui travaillent beaucoup perdent moins.

Galien a observé que celles qui ne sont point réglées sont très-robustes & ont le pouls très-fort. Sennert nous apprend que les danseuses & les sauteuses ne sont point sujettes aux règles comme les autres femmes.

Sans doute que les fréquens exercices qu’elles font déterminent chez elles une transpiration des plus abondantes qui leur tient lieu de règles.

Voyons à présent quelle est la cause de ce flux périodique, & par quel méchanisme il a lieu. 1°. Certains médecins en ont attribué la cause à l’influence de la lune ; ce sentiment est démenti par l’expérience, qui fait voir les règles arrivées à certaines femmes de quinze en quinze jours, & à d’autres plus tard.

2°. Certains physiciens l’ont rapportée à un ferment dans la matrice ; Galien, au contraire, à la plénitude ; le sentiment de ce dernier paroît plus vraisemblable ; aussi les médecins modernes l’ont-ils adopté, & M. de Lamure, célèbre professeur de l’Université de Montpellier, y a eu recours, tant pour expliquer la cause que le méchanisme qui s’excite dans la matrice, pour opérer le retour & le flux périodique des règles.

Il pensoit que la véritable cause de ce flux étoit la pléthore, qui est universelle & particulière dans le temps des règles : il ajoute que la matrice est un corps spongieux, vers le fonds duquel il y a des cavités ou des sinus, qui d’une part communiquent avec les veines & les artères de ce viscère, & qui, de l’autre ; s’ouvrent par de petits orifices dans sa cavité. Outre ces sinus qui, hors le temps des règles, ne laissent échapper qu’une lymphe, on apperçoit dans le fonds de la matrice, tant en dedans qu’en dehors, des fibres musculaires qui entourent ces mêmes sinus, qui reçoivent le sang des vaisseaux les plus foibles. Le sang qui y aborde ne sera point_repoussé avec la même force qu’il y est arrivé, il se ramassera ; ces sinus acquerront un plus grand volume, jusqu’à ce que les fibres musculaires entrent en contraction ; alors le sang se trouvant pressé par des contractions très-fortes, passera dans les vaisseaux veineux qui sont dans des orifices qui s’ouvrent dans la cavité de la matrice. D’après cette explication il est aisé de voir & de sentir comment les règles peuvent être retardées, accélérées ou supprimées.

La première éruption des règles est presque toujours précédée d’un écoulement lymphatique plus ou moins abondant, & de quelques autres symptômes douloureux, tels que des douleurs dans les reins & les lombes, & au pubis. Il se fait un gonflement dans les parties génitales. Les femmes éprouvent dans le vagin un degré plus considérable de chaleur, de tension & de sensibilité ; elles pissent fréquemment, & l’urine excite sur les bords intérieurs des grandes lèvres un sentiment de chaleur & de cuisson : le sang se porte à la tête ; leur visage devient plus rouge ; elles sentent un battement extraordinaire dans les artères carotides & temporales ; le sein acquiert un plus gros volume ; les mamelles acquièrent de la dureté. Il y en a qui ont un penchant au sommeil, & d’autres sont tourmentées par l’insomnie ; & si elles goûtent le sommeil, ce n’est que pour se réveiller en sursaut, ou pour être agitées par des longes effrayans. Cette évacuation une fois établie revient tous les mois, & ne revient jamais qu’une fois le mois, du moins c’est là la règle commune ; car d’ailleurs il y a des femmes, comme l’observe très-bien M. Astruc, qui, sans être malades, sont naturellement réglées deux fois le mois, ou du moins trois fois en deux mois.

La nature semble en quelque sorte avoir affranchi les femmes grosses & les nourrices de cette évacuation périodique, en réservant le sang menstruel à la nourriture des enfans ; cependant il y a des femmes qui sont réglées pendant les trois premiers mois de leur grossesse, parce que chez elles la plénitude des vaisseaux n’est pas diminuée par les sucs qui entrent dans le fœtus ; & si les règles continuent de couler jusqu’au neuvième mois, les enfans qu’elles mettent au monde sont foibles, délicats & valétudinaires ; ils se ressentent toute leur vie du défaut de nourriture dont ils ont été privés dans le sein de leur mère, & qui leur étoit si nécessaire pour opérer leur accroissement.

Les évacuations qui se font dans quelques femmes par les hémorroïdes, par le nez, les yeux & les pores de la peau, peuvent remplacer quelquefois celles qui le sont par la matrice ; & quand elles ne le sont point, ou du moins très-imparfaitement, la saignée est le moyen le plus efficace pour prévenir les suites fâcheuses d’une pareille suppression.

Enfin, il est prouvé que les dérangemens que la suppression & l’évacuation immodérée des règles peuvent produire, sont infinis : nous ne traiterons point ici de ces différentes maladies, nous renvoyons le lecteur aux mots Perte & Emménagogue. M. AMI.