Cours d’agriculture (Rozier)/MILLET ou PETIT-MIL

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 548-552).


MILLET ou PETIT-MIL. Tournefort l’appelle millium semine luteo, & le place dans la trente-cinquième section de la quinzième classe des herbes à fleurs à étamines, qu’on nomme graminées, & dont on peut faire du pain. Von Linné le nomme panicum miliaceum, & le classe dans la triandrie digynie.

Fleur. À étamine, composée de trois étamines, & d’une bâle qui ne contient qu’une fleur, & qui est divisée en trois valvules, dont l’une est très-petite : dans la bâle on trouve deux autres valvules ovales, aiguës comme les précédentes, & qui tiennent lieu de corolle.

Fruit. Semences ovoïdes, un peu aplaties d’un côté, luisantes, lisses, renfermées dans les valvules intérieures.

Feuilles. Longues, terminées en pointe, élargies par le bas, revêtues d’un duvet dans la partie de leur base, qui embrasse la tige en manière de gaîne.

Racine. Nombreuse, fibreuse, blanchâtre.

Port. Tiges de deux à trois pieds, droites, noueuses ; les fleurs au sommets disposées eu panicules lâches. Il y a une espèce de millet dont les semences sont noires, & ont la même forme que les autres ; ce qui ne constitue qu’une variété.

Lieu. Originaire des Indes orientales ; aujourd’hui cultivé dans nos champs ; la plante est annuelle.

Propriétés. La semence est farineuse, insipide, peu agréable, peu nourrissante, indigeste, venteuse. Dans quelques provinces de France on en fait du pain ; les Tartares en tirent une boisson, un aliment. On peut en donner aux bestiaux ; mais son principal usage est pour nourrir & engraisser la volaille. On parlera ci-après de sa culture.

Millet des Oiseaux, ou Panis. Tournefort le place dans les mêmes sections & classes que le précédent, & il l’appelle panicum germanicum, sive panicula minore flava. Von Linné le nomme panicum italicum.

Fleur. Caractère de celle du millet. On y trouve une barbe plus courte que la bâle.

Fruit. Semences rondes, plus petites que celles du millet.

Feuilles. De la longueur & de la forme de celles du roseau, plus rudes & plus pointues que celles du millet.

Racine. Forte, fibreuse.

Port. Tiges de deux à trois pieds, rondes, solides, noueuses ; les fleurs naissent au sommet, disposées en espèce de panicule, ou épi composé d’une multitude de petits épis serrés, rassemblés par paquets, mêlés de poils, portés sur des pédoncules velus.

Lieu. Les Indes, l’Italie, cultivé dans nos champs & dans nos jardins : la plante est annuelle.

Propriétés. La farine est fade, peu mucilagineuse ; on la croit un peu dessiccative, adoucissante & détersive.

Usage. Dans le cas de disette on en fait du pain. On mange le panis mondé & cuit, dans du lait, dans du bouillon, ou dans de l’eau. Il sert à nourrir les oiseaux & la volaille.

Grand Millet Noir, ou Millet D’Afrique, ou Sorghum. Tournefort le nomme milium arundinaceum, sub rotundo semine nigrante, Sorgho nominatum, & le place parmi les millets qu’on vient de décrire. Von Linné l’appelle holius sorghum, & le classe dans la polygamie monoécie. Nous avons cru, afin d’éviter la confusion, devoir rapprocher ces trois espèces, à cause des noms françois qu’on leur donne.

Fleur. Sans pétales, à trois étamines, fleurs hermaphrodites & mâles sur le même pied ; les hermaphrodites composées d’une balle à deux valvules, qui renferme une seule fleur velue dans cette espèce. Dans la balle on trouve deux autres valvules velues, molles, plus petites que le calice, l’intérieur plus petit : on peut les considérer comme une corolle… Les fleurs mâles n’ont qu’une balle à deux valvules ; elles sont velues.

Fruits. Les fleurs mâles sont stériles ; chaque femelle porte une semence noire ou blanche, couverte par une espèce de corolle : la couleur ne constitue qu’une variété.

Feuilles. Simples, entières, pointues, évasées dans le bas, embrassant la tige par leur base en manière de gaîne, partant de chaque articulation.

Port. Tige ordinairement unique, haute de cinq à huit pieds, suivant la culture, cylindrique, articulée, droite, un peu penchée à son extrémité supérieure. Les fleurs naissent au sommet, disposées en grosses panicules rameuses. Le sorghum blanc est cultivé à Malte, sous le nom de carambosse.

Lieu. Cette plante est originaire des Indes, & elle est vivace.

Propriétés. La semence nourrit la volaille & le bétail ; les feuilles nourrissent également ces derniers, comme celle du maïs.

Millet d’Inde, ou Gros Millet. Voyez Maïs.

§. I. De la culture des deux premiers millets.

La première espèce est plus communément semée en pleine campagne, & la seconde dans les jardins ; cependant toutes deux peuvent l’être dans les champs ; elles aiment les sols légers, mais substantiels, & pourrissent dans ceux qui sont trop humides. On se contente, pour l’ordinaire, de donner un seul labour, ou deux au plus : mais ce n’est point assez lorsque la terre est un peu forte ; la plante ne réussit que lorsque la terre est bien préparée & bien émiettée. Cette dernière circonstance est essentielle dans tous les cas, autrement la semence qui est fine, seroit enfouie sous des motes de terre qu’elle ne pourroit pas traverser lors de sa germination.

Ces plantes, originaires des pays chauds, & annuelles, craignent les plus petites gelées. Le climat, la saison, indiquent donc l’époque à laquelle on doit les semer ; c’est-à-dire, du moment que dans chaque canton on ne redoute plus les funestes effets du froid. Il n’y a donc aucun jour, aucun mois, qui fixent les semailles ; elles dépendent, & du canton, & des circonstances.

Il est avantageux de semer par tables de trois à quatre rangées de plans, & de laisser un petit sentier entre deux : ce moyen facilite l’enlèvement des herbes & le serfouissage de temps à autre. À mesure que la tige s’élève, le collet des racines se déchausse, & s’il survient une sécheresse, la plante souffre, au lieu qu’en serfouissant, ou labourant, comme il a été expliqué au mot Maïs, on ramène chaque fois la terre vers le pied, on chausse la plante, elle profite beaucoup, & elle craint moins la sécheresse. Si, au contraire, la saison est pluvieuse, ces espèces de petits fossés attirent & éloignent l’eau, & la plante n’est pas pourrie par une humidité surabondante.

La graine de ces millets, & surtout du panis, est très-petite, & il est difficile de ne semer que ce qu’il convient. On est dans l’habitude de mêler du sable avec la graine, afin que la main du semeur contienne moins de graines : cette précaution est peu utile. Personne n’ignore la manière de placer un drap ou un sac au-devant de lui ; il imprime, en marchant, à ce sac & à son contenu, un mouvement continuel. Le sable glisse entre les surfaces polies de la graine, & petit-à-petit gagne le fond ; de manière qu’en semant, une partie du champ est trop recouverte des graines, & l’autre ne l’est pas assez, & la dernière n’a presque que du sable. Il vaut mieux semer tout uniment à la volée, semer clair, & lorsque tous les grains auront germé, enlever les plans surnuméraires lorsqu’on arrachera les mauvaises herbes : c’est l’ouvrage des femmes & des enfans.

Comme la panicule de la seconde espèce de millet est trop grosse, trop longue, & trop pesante, proportion gardée avec sa tige, sur-tout si elle est agitée par le vent, ou chargée d’eau des pluies, il arrive souvent que cette tige plie, se corde, ou est entraînée sur le sol. Alors la maturité du grain devient incomplette, & toute la plante souffre. Afin de prévenir tout accident, on fera très-bien de ramer les plantes ainsi qu’il a été dit au mot Lin ; & au défaut de baguettes, du roseau des jardins, (Voyez ces mots) très-commodes pour cette opération, on se servira de petites perches de saule, ou du bois le plus commun dans le pays, & par conséquent le moins cher, suivant les circonstances. Cette précaution n’est pas à négliger pour la première espèce de millet, quoiqu’il en ait moins besoin que la seconde.

Le changement de couleur de la plante indique qu’elle approche de sa maturité, & qu’elle est mûre lorsque la tige, les feuilles & les panicules sont d’une belle couleur jaune paille. Si on attend une trop grande maturité, on perdra beaucoup de graines, & on infectera son champ pour l’année suivante. Quoique la récolte de ces millets soit mise au nombre de celle des petits grains, elle est cependant d’une grande ressource lorsque les saisons pluvieuses, les froids, &c. ont empêché de semer les bleds aux époques convenables, ou lorsque, par une cause quelconque, ils ont péri pendant c’est-à-dire l’hiver. Cependant, si le sol est convenable, on doit leur préférer le maïs, (Voyez ce mot) bien plus utile pour la nourriture des hommes & celles des bestiaux.

§. II. De la culture du sorghum.

Lorsque la mode & l’enthousiasme de l’agriculture règnoit en France, il y a environ vingt-cinq ans, les écrivains parlèrent beaucoup de cette plante, & ils la vantèrent comme une trouvaille merveilleuse qui devoit enrichir nos campagnes ; d’après le résultat des expériences faites dans des jardins, on a calculé, sans réfléchir, le bénéfice de sa culture dans les champs. Qu’est-il résulté de tous les verbiages des prôneurs ? On a, pour ainsi dire, abandonné cette culture. Cette plante, étrangère à nos climats, & qui n’y est en aucune sorte naturalisée, craint singulièrement le froid, & elle exige une chaleur soutenue pour la maturité de sa semence. Elle réussit donc très-rarement dans nos provinces septentrionales ; & dans celles du midi, la culture du maïs lui est infiniment préférable. Que le sorghum réussisse à Malte, d’où nous l’avons tiré ; qu’il réussisse même en Espagne, ces faits, supposé qu’ils soient aussi vrais qu’on l’a avancé, ne prouvent rien en faveur de la France. Les expériences faites sur le sorghum, ont, en 1760 & 1761, eu du succès dans les environs de Berne. On doit en conclure seulement, que l’année lui a été favorable, Mais, comme je n’aime pas à juger d’après les autres, j’ai répété ces expériences, & dans un jardin & dans les champs. En voici le résultat.

Sur une table de quatre-vingt pieds de longueur, sur vingt pieds de largeur, je semai environ une livre de graine noire & blanche de sorghum confondues. Cette table fut arrosée au besoin, par irrigation ; (Voyez ce mot) son produit fut environ de cinquante cinq à soixante-dix livres de graines, & le quart d’une charretée en tiges & feuilles desséchées. On doit tenir compte de ce dernier produit, puisqu’il devient une excellente nourriture d’hiver pour le bétail. La tige est légèrement sucrée : aussi les animaux ne laissent-ils que la partie qui avoisine la racine, trop dure pour être broyée & mâchée.

Dans le champ, le sorghum livré à lui-même, souffrit beaucoup de la sécheresse, les tiges ne s’élevèrent pas plus de quatre pieds, les panicules de graines furent maigres, & leur produit, sur une même étendue, fut de vingt à vingt-cinq livres. Il ne m’est pas possible d’évaluer au juste le véritable produit. Cinquante-cinq livres du premier, & vingt livres du second, sont effectivement ce que j’ai récolté, & le surplus a été mangé par les moineaux & autres oiseaux à bec court & fort, qui en sont très-friands.

On a avancé que cette plante n’effritait pas la terre. La seule inspection de la multitude des chevelus des racines, suffisoit pour démentir cette assertion. Malgré cela, je puis répondre qu’un pied du tournesol, (Voyez ce mot) n’effrite pas plus la terre de son voisinage que celui du sorghum. Enfin, j’ai été obligé de fumer fortement la planche du jardin destinée à sa culture. Je félicite ceux qui ont eu plus de succès que moi ; mais je dis ce que j’ai vu & suivi de près pendant deux années consécutives. Je le répéte, la culture du maïs est préférable à tous égards.

Si le sorghum réussit dans les pays chauds, c’est parce que l’on n’y craint pas les gelées. On a par conséquent la facilité de semer de très-bonne heure ; la plante profite des pluies de la fin de l’hiver & du printemps pour hâter sa forte végétation, & à mesure qu’elle approche de sa maturité, elle a moins besoin de pluie, & plus besoin de chaleur ; c’est précisément ce qui arrive dans ces climats. Au contraire, dans nos provinces, même les plus méridionales du royaume, quoique l’hiver n’y soit pas rigoureux, le voisinage des Alpes, des Pyrennées, ou de leurs embranchemens & de leur prolongation, ne mettent pas à l’abri des gelées. Il faut donc attendre qu’elles ne soient plus à redouter. Dès-lors la saison s’avance, les pluies cessent, la grande chaleur survient ; enfin, la végétation languit & souffre, &c.

Si malgré ce que je viens de dire on veut tenter cette culture dans l’intérieur du royaume, on doit préparer la terre au moins par deux bons labours croisés, & semer par sillons lorsque l’on ne craindra plus les gelées ; il faut ensuite herser & briser les mottes ; le reste de sa culture comme celle des deux millets précédens. En septembre, ou en octobre, suivant le climat & l’époque des semailles, on levera sa récolte.

Un écrivain assure que l’année d’après on a semé du sainfoin sur le champ qui avoit servi au sorghum ; d’où il conclut que cette plante n’effrite pas la terre ; & je lui réponds d’après mon expérience, que le bled & le seigle y réussissent fort mal. D’où vient donc cette différence ? De la forme des racines du sainfoin & de celles du bled. Les premières sont pivotantes, & les secondes chevelues, & presque horizontales. Celles-ci ont trouvé une terre épuisée, & celles-là une terre neuve en-dessous. Je l’ai déjà dit cent fois, la forme des racines d’une plante désigne quelle doit être sa culture, & celle du grain qui doit être semé ensuite. Le trèffle, le sainfoin, la luzerne, les carottes, les panais, &c., n’effritent point la partie supérieure de la terre, & toutes les graminées laissent intacte celle du dessous, puisqu’elles n’y pénètrent pas.

Voyez ce qui a été dit à la seconde colonne de la p. 226 du second volume. Une gelée survint vers le milieu du mois d’octobre, & tout périt ; cependant j’avois déjà coupé une douzaine de brassées de ce fourrage. L’année suivante cette dernière récolte ne fut presque pas plus abondante, quoiqu’il n’eût pas gelé avant le 10 décembre ; mais le degré de chaleur nécessaire manquoit à la végétation.