Cours d’agriculture (Rozier)/ANTIMOINE

Hôtel Serpente (Tome premierp. 573-575).


ANTIMOINE, est un minéral d’une couleur métallique, brillante & plombée. Cette substance, composée ordinairement de filets disposés assez réguliérement en forme d’aiguilles appliquées les unes contre les autres, contient un demi-métal connu sous le nom de régule d’antimoine, combiné avec environ un tiers de soufre. Les travaux de la métallurgie, en grand comme en petit, parviennent à dégager ce demi-métal de sa base sulphureuse, & à en extraire le régule pur.

Comme l’antimoine est beaucoup employé en pharmacie, soit par rapport aux hommes, soit par rapport aux animaux, il est important de le faire un peu plus connoître, & d’exposer les procédés les plus simples pour en préparer les différens remèdes.

On débarrasse la partie métallique de l’antimoine de son soufre par la calcination ; il suffit d’exposer de l’antimoine cru, broyé en petits morceaux, dans un vaisseau de terre non vernissé, plat & évasé, à l’action d’un feu modéré. On l’agite perpétuellement ; le soufre s’évapore, & l’on continue de remuer jusqu’à ce qu’il ne s’élève plus ni fumée, ni vapeurs de soufre. Ce qui reste après cette calcination, est la terre métallique, que l’on nomme alors chaux d’antimoine.

Cette chaux renfermée dans un creuset, & poussée au feu, se fond ; & quand elle est refroidie, elle paroît sous une forme vitreuse, cassante, sans goût, sans odeur, transparente quelquefois, & de couleur d’hyacinthe ; on la nomme alors verre d’antimoine. Quand cette chaux fondue n’est qu’une masse opaque, & sans transparence, de couleur brune, elle porte le nom de foie d’antimoine. Ces différences ne sont dues qu’au plus ou moins de principe inflammable & de soufre qui sont restés dans la terre métallique de l’antimoine ; par conséquent, comme dit M. Macquer, elles ne dépendent que de la longueur & de l’exactitude de la calcination.

La chaux, le foie, & le verre d’antimoine, traités dans des creusets fermés, & à un violent feu, avec des matières capables de leur fournir du phlogistique, tels que le flux noir, des matières grasses ou huileuses, se réduisent en une matière demi-métallique, dure, cassante, d’un blanc un peu sombre, composée de facettes brillantes dans la cassure, & susceptible de se cristalliser en refroidissant : c’est le régule d’antimoine.

Les acides, en général, dissolvent difficilement ce régule. L’acide vitriolique ne le dissout que par la voie de la distillation, encore faut-il qu’il soit très-concentré : il forme alors une espèce de vitriol antimonial. L’acide nitreux corrode plutôt qu’il ne dissout le régule pur, il l’attaque plus facilement dans l’antimoine crû, & le convertit en chaux blanche. L’acide marin seul n’agit point sensiblement sur l’antimoine & son régule ; mais à l’aide de la distillation, il se combine avec lui sous la forme d’une matière butireuse, ou qui se fige comme du beurre, ce qui l’a fait nommer beurre d’antimoine. Pour obtenir ce singulier sel métallique, on mêle ensemble du régule d’antimoine, avec du sublimé corrosif dans une cornue, & on distille. L’acide marin abandonne le mercure, & se combine avec le régule d’antimoine. Le beurre d’antimoine se réduit facilement en liqueur dans l’eau. Quand la quantité d’eau est considérable, le régule se sépare du dissolvant, & se précipite sous la forme d’une poudre blanche, à laquelle on a donné le nom de poudre d’Algaroth & de mercure de vie. L’eau régale dissout parfaitement, à l’aide d’une douce chaleur, le régule d’antimoine. Cette dissolution a une belle couleur d’or, qui disparoît cependant insensiblement. L’acide du tartre l’attaque encore, & forme avec lui du tartre stibié, ou émétique.

Il seroit à souhaiter que tous les pharmaciens ou apothicaires suivissent le procédé que M. Macquer donne dans son Dictionnaire de Chimie, pour faire du tartre stibié, sur l’éméticité duquel on peut compter avec raison. On ne sera pas fâché de le trouver ici. Mêlez ensemble parties égales de crème de tartre & de verre d’antimoine porphyrisé, ou même, si l’on veut, un peu plus de ce dernier ; projetez peu à peu ce mélange dans de l’eau bouillante ; continuez à le faire bouillir un peu, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune effervescence, & que la crême de tartre soit entiérement saturée. Filtrez après cela la liqueur : on trouve sur le filtre une certaine quantité de matière sulphureuse, & ce qui n’a pu se dissoudre de verre d’antimoine, & on obtient par refroidissement de très-beaux cristaux de tartre stibié. Ils sont transparens tant qu’ils sont humides, mais ils perdent peu à peu, à l’air sec, une partie de l’eau de leur cristallisation, & deviennent d’un blanc opaque. Ce tartre stibié, ajoute ce savant médecin, a produit constamment un bon effet émétique, depuis un grain, jusqu’à deux & demi ou trois tout au plus, suivant les tempéramens, & suivant la nature de la maladie.

Il conseille encore de substituer au verre d’antimoine, la poudre d’Algaroth ou mercure de vie, le degré d’éméticité de ce précipité étant plus invariable encore que celui du verre d’antimoine, parce que la poudre d’Algaroth est plus homogène & plus une que l’autre préparation, qui peut contenir quelquefois plus ou moins de soufre.

L’alcali fixe en liqueur & en ébullition, se combine avec l’antimoine cru, & forme avec lui du kermès minéral. Comme cette préparation est d’un très-grand usage en médecine, & de la plus grande importance, voyez le mot Kermès minéral.

Le régule d’antimoine peut s’allier avec la plupart des métaux, & forme avec eux de nouveaux régules ; le régule martial d’antimoine, en mêlant du fer & de l’antimoine ; le régule de Vénus, en fondant du cuivre avec du régule martial ; le régule jovial, en fondant parties égales d’étain & de régule martial. En mêlant le régule de Vénus & le régule jovial, on a proprement le régule des métaux ; enfin le régule violet, en fondant parties égales d’étain, de fer, de cuivre & d’antimoine.

La médecine a tiré parti de presque toutes les préparations chimiques de ce demi-métal. Comme il est essentiellement émétique, il perd difficilement cette propriété. Du vin même qui a séjourné quelque tems dans un vase fait de son régule, acquiert cette qualité dans un degré assez éminent pour purger vivement par bas & par haut. Si toutes ces préparations deviennent des remèdes excellens entre les mains d’un médecin habile & éclairé, elles peuvent être la cause d’accidens très-funestes, appliquées mal à propos, ou en doses disproportionnées. L’on ne sauroit donc trop recommander aux praticiens des campagnes, d’être réservés sur l’usage des préparations antimoniales.

Les arts, en général, ont tiré peu de profit de l’antimoine. L’émail jaune de la faïence se fait avec ce demi-métal ; mais ce sont les caractères d’imprimerie qui en absorbent la plus grande quantité. Il entre pour un huitième avec le plomb dans la composition de ces caractères. Le fondeur de cloches l’emploie, mais en petite quantité, pour rendre leur son plus fin ; enfin, le potier d’étain s’en sert encore pour rendre l’étain de vaisselle plus blanc & plus dur. M. M.