Coup d’oeil sur l’avenir financier de la France - l’amortissement de la dette

Coup d’oeil sur l’avenir financier de la France - l’amortissement de la dette
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 7 (p. 923-932).
COUP D'OEIL
SUR
L'AVENIR FINANCIER
DE LA FRANCE

L'AMORTISSEMENT DE LA DETTE PUBLIQUE.

Dès 1860, le système qui consiste à amortir la dette publique de la France par voie de compensation avec la nue propriété des chemins de fer appartenant à l’état fut soumis à l’examen du monde financier. J’essayai alors de faire adopter cette idée, ainsi qu’en 1868 à la veille de l’emprunt ; mais je dois reconnaître qu’à ces deux époques elle laissa l’opinion publique indifférente. Toutefois la loi du 11 juillet 1866, en affectant à la dotation de la caisse d’amortissement la nue propriété des chemins de fer, reconnaissait en principe l’application spéciale que peut recevoir dans l’avenir cette portion si importante du domaine public. Il m’a paru qu’au lendemain de ces énormes emprunts qui viennent d’élever à 765 millions[1] l’intérêt de la dette perpétuelle, et en présence des difficultés budgétaires qu’entraîne le service de ces emprunts, il y aurait opportunité à présenter de nouveau le système d’amortissement en lui donnant une forme pratique dont la réalisation pourrait être immédiate. Tel est l’objet des propositions qui vont suivre.

Peut-être m’adressera-t-on le reproche de vouloir dégrever le présent aux dépens de l’avenir. Je dois repousser tout de suite cette objection par une sorte de déclaration de principes financiers. Il convient en effet qu’il ne subsiste aucun doute sur les principes généraux qui m’ont inspiré le nouveau système d’amortissement.

D’accord avec les financiers les plus éminens et en particulier avec l’honorable M. Magne, je reconnais de la manière la plus absolue :

Premièrement qu’un pays qui, dans les temps prospères, n’amortit pas sa dette est à l’état de banqueroute latente, car il en est des états comme des particuliers : qui ne sait épargner dans les jours d’abondance est ruiné infailliblement quand arrivent les jours de l’adversité ;

Secondement que le temps est passé où l’Angleterre et la France croyaient de bonne foi amortir leur dette en remboursant d’une main et en empruntant à nouveau de l’autre ; — il est admis aujourd’hui qu’il n’y a d’amortissement réel que celui qui résulte de l’excédant des recettes sur les dépenses, tout autre mode d’amortissement est fictif et sans aucune valeur ;

Troisièmement que, par suite, tout système financier qui ne contient pas en lui-même le principe de la diminution progressive de la dette publique est dangereux, et doit être repoussé sans autre examen.

Ces vérités proclamées, je soutiens que la valeur de la nue propriété des chemins de fer appartenant à l’état est très grande, et qu’il est injuste de la considérer comme problématique, sous le prétexte que l’entrée en jouissance de l’état ne doit avoir lieu que dans un temps éloigné ; chaque jour en effet rapproche le terme, et qu’est-ce que soixante-quinze ou quatre-vingts ans comparés à la perpétuité de la dette publique ?

Dans ma conviction, cette propriété très réelle peut servir de base à un système financier ; c’est cette conviction que je m’attache à faire prévaloir, persuadé qu’on peut, sans manquer aux lois de la prudence, dégrever le présent d’une portion des charges si lourdes qui pèsent sur lui et affecter dès aujourd’hui soit à des travaux d’utilité publique, soit à la réduction des impôts, une grande partie des ressources qui sont appliquées à l’amortissement de la dette flottante. Les impôts, décrétés et subis patriotiquement sous le coup de la nécessité, sont devenus écrasans ; ils pèsent sur la production, ils entravent la circulation, ils risquent de compromettre nos plus graves intérêts. On parle cependant de les augmenter encore ! Le système que je propose aurait pour effet de les diminuer.


I

La nue propriété des chemins de fer est une valeur réelle, effective. Elle est consacrée par les contrats synallagmatiques qui régissent les concessions. Elle est inscrite déjà dans les comptes de l’état, aux termes de la loi du 11 juillet 1866. À l’expiration de délais que chaque année, chaque jour rapproche de nous, l’état, dès aujourd’hui nu-propriétaire, aura la jouissance complète des chemins de fer, et recueillera, sous une forme ou sous une autre, les fruits de l’exploitation. Ce premier point est incontestable.

Peut-on calculer la valeur de cette propriété ? C’est le second point. J’ai présenté une évaluation en 1860 avec tous les chiffres à l’appui. J’estimais alors qu’en 1959, époque la plus éloignée de la reprise des chemins de fer par l’état, on obtiendrait un produit brut annuel de 750 millions et un produit net de 450 millions. Ce calcul était basé sur des appréciations très modérées. Le produit brut des chemins de fer, tel qu’il résulte du dernier bulletin officiel qui ait été publié, s’est élevé, pour l’année 1873, à plus de 800 millions de francs (801,858,731 fr.). Or on sait qu’au moment où l’état entrera en jouissance, les obligations et les actions seront éteintes, de sorte que le produit brut ne sera réduit que des frais d’exploitation.

Est-il à craindre que les recettes diminuent dans l’avenir, c’est-à-dire que les chemins de fer, à l’expiration des concessions, produisent moins qu’ils ne rapportent aujourd’hui ? Cette appréhension n’est point fondée ; tout au contraire, l’expérience prouve que chaque jour les besoins de locomotion entrent de plus en plus dans les habitudes des populations, et que chaque jour se créent de nouveaux élémens de transport. Il faut en outre tenir compte de l’extension certaine du réseau, et l’on resterait de beaucoup au-dessous de la vérité en estimant à 1,200 millions, soit une augmentation de 50 pour 100, le produit brut du réseau entier, tel qu’il sera constitué en 1959. Si l’on évalue les frais d’exploitation à 50 pour 100 des recettes (moyenne entre 40 et 60 pour 100), c’est un revenu net de 600 millions dont l’état entrera en jouissance à cette époque[2]. Avant l’expiration successive des concessions, des compagnies fermières ou plutôt les compagnies elles-mêmes dont les concessions arriveront à terme offriront, moyennant une rétribution modérée, la continuation de leurs services pour l’exploitation, de sorte qu’il n’y aura à la situation ancienne qu’un seul et unique changement : les recettes se feront au profit du trésor au lieu de se faire au profit des obligataires et des actionnaires, dont les droits auront cessé d’exister.

Il est donc vrai de dire qu’à cette époque l’état se trouvera jouir de revenus considérables, grâce au système des concessions temporaires qui a été adopté pour les chemins de fer en France. Et cependant on a critiqué, on critique encore cette heureuse constitution des grands réseaux français, qui dotera successivement le pays d’un nombre considérable de voies ferrées destinées à faire un jour retour à l’état. Il suffit, pour répondre à ces critiques, d’invoquer deux autorités étrangères considérables : l’enquête devant le parlement anglais et le discours prononcé au parlement belge en 1869 par M. Malou, ministre des finances. Je cite les termes mêmes dans lesquels le ministre rendait un éclatant témoignage à la supériorité du système adopté par la France pour les chemins de fer : « … Les résultats de ce système ont été magnifiques. On se trompe étrangement en croyant qu’une compagnie peut rendre tous les services qu’elle est appelée à procurer au public quand elle est préoccupée du lendemain. Non, l’industrie des chemins de fer doit être prospère pour être utile, pour rendre les services qu’on peut attendre d’elle. C’est ce que la France a admirablement compris ; c’est ainsi qu’elle a organisé son système, c’est ainsi qu’elle marche, comme bonne organisation de cet immense service des transports, à la tête de toutes les nations… On est arrivé en France à placer pour 1 million d’obligations par jour, et cela depuis des années, et ton achève ainsi chaque jour une maille de ce grand travail, qui s’accomplit, j’allais dire sans que la France soit appauvrie ; mais non, la France s’est enrichie dans des proportions énormes, et quand un jour ce réseau ainsi établi, sagement exploité, s’augmentant sans cesse et accroissant la richesse publique, fera retour au domaine public, calculez, si vous le pouvez, quelle fortune la France aura conquise, voyez quelle sera sa situation financière, et calculez aussi quelle sera sa situation politique, quelle sera la force de ce pays[3] ! .. » Cette fortune future de la France, que signale le ministre belge, je soutiens avec une entière conviction qu’on peut sans hésitation l’appliquer à l’amortissement de la dette publique par voie de compensation ; je soutiens que cet amortissement est aussi réel, aussi effectif que l’amortissement par voie de rachat.

En effet, entre l’annulation de rentes rachetées et l’apport au budget de ressources égales aux arrérages de ces mêmes rentes, où est la différence ? C’est une simple question d’écriture en recettes et en dépenses. Toutefois une objection se présente : quels seront les tarifs et par suite les produits des chemins de fer le jour où l’état en aura la libre disposition avec la pleine propriété ?

Il semble évident que l’état n’aura, pas plus que les compagnies dont les concessions sont perpétuelles, intérêt à abaisser des tarifs qui sont modérés, car la raison dit bien haut qu’avant de diminuer le prix d’un service rendu, payé volontairement par la raison qu’on y a intérêt, il faut dégrever les impôts. Il y a en effet une différence capitale à établir entre les impôts proprement dits, obligatoires pour tous, et le prix d’un service rendu, que ne paient que ceux qui en profitent. Se laisser entraîner à supprimer les uns avant les autres serait contraire aux plus élémentaires et aux plus saines notions de l’économie politique ; il n’est pas permis de supposer que les pouvoirs publics commettront une telle faute et voudront sans nécessité détruire une source de richesses attribuée dès 1866 à la caisse d’amortissement pour lui permettre d’éteindre en peu d’années une grande partie, sinon la totalité de la dette publique. Non, les tarifs seront maintenus après comme avant l’échéance des concessions, et les légitimes produits en seront appliqués soit à la diminution effective de la dette, soit à la suppression ou à la réduction des impôts les plus onéreux.

Au surplus nous avons sous les yeux l’exemple des pays où les chemins de fer sont possédés et exploités par l’état. La Belgique, après avoir d’abord baissé les tarifs, n’a point hésité à les relever pour augmenter le revenu qu’elle tire de l’industrie des transports. De même en Allemagne : le gouvernement s’occupe plutôt de relever que d’abaisser les tarifs sur les lignes exploitées par l’état ; il entend que le service rendu lui soit payé comme il serait payé à une entreprise particulière, et qu’entre ses mains la propriété des chemins de fer demeure productive. L’intérêt public conseille en pareil cas de ne point exagérer les frais de transport, mais il ne commande pas de les abaisser au-dessous du taux que peut supporter le travail national, tant pour le développement de la circulation intérieure qu’au point de vue de la concurrence étrangère. Il ne faut donc point admettre comme une objection sérieuse la crainte d’une diminution possible du revenu des chemins de fer par suite d’une réduction excessive des tarifs lorsque le réseau français fera complètement retour à l’état.

S’il est vrai, comme j’espère l’avoir démontré, que l’avenir réserve à la France des ressources considérables, il m’est permis d’exposer avec confiance un projet financier dont le but est de dégrever le présent, si lourdement chargé, et de rejeter une légère partie du fardeau sur cet avenir, qui, au terme des concessions, se trouvera jouir de richesses dont il est possible d’apprécier dès aujourd’hui toute la valeur.

Ce projet consiste, d’une part dans la suppression, au budget des dépenses, des 200 millions affectés annuellement au remboursement de la Banque, — d’autre part dans le remboursement, à leur échéance, des avances de la Banque et de l’emprunt 6 pour 100, dit emprunt Morgan, au moyen d’un emprunt de 1 milliard de francs.


II

La guerre et les malheurs qui l’ont suivie ont révélé à la France l’importance de ses épargnes. On a vu, avec un étonnement mêlé d’admiration, la facilité avec laquelle le pays a supporté des charges qui semblaient devoir l’accabler ; on a vu, contrairement aux prévisions des meilleurs esprits, les billets de banque émis jusqu’à concurrence de 3 milliards, avec cours forcé, se maintenir au pair, et l’or jouir d’une prime inférieure à celle des temps ordinaires, pour tomber bientôt au pair. Les conséquences naturelles d’une pareille situation n’ont pas tardé à se produire ; le crédit public s’est relevé, le 5 pour 100 a atteint le pair, il vient de le dépasser.

Cependant le budget n’était pas en équilibre, et une lutte oratoire, digne de l’assemblée nationale, s’est engagée entre le ministre des finances et le rapporteur de la commission du budget. M. Magne a défendu avec une grande énergie et un talent incontestable le respect des contrats et l’équilibre budgétaire par l’impôt. M. Wolowski de son côté a soutenu avec une grande conviction que, devant le refus de la chambre d’adopter la surélévation, très modérée pourtant, de l’impôt du sel ou de certaines contributions indirectes, il convenait de retarder de quinze à dix-huit mois le remboursement de la dette de l’état envers la Banque, en réduisant les paiemens annuels de 200 à 150 millions, — que ce retard, en raison des changemens survenus dans les affaires, était sans inconvéniens, et permettrait d’atteindre l’équilibre du budget sans recourir à de nouveaux impôts.

On sait le résultat de la discussion, le vote de la chambre et le refus de la Banque de modifier le contrat primitif ; la Banque offrait en même temps d’ouvrir au trésor un crédit de 80 millions, afin de pourvoir aux déficits des budgets de 1874 et 1875.

On ne peut qu’applaudir à cette solution, qui, tout en constatant l’indépendance absolue de la Banque, si nécessaire à son crédit, donne au trésor les moyens de faire face à ses besoins. D’un autre côté, cette solution, si elle donne satisfaction aux nécessités actuelles, ne résout que provisoirement et imparfaitement la difficulté.

Quant à nous, confiant dans la richesse que les chemins de fer réservent au trésor, nous pensons qu’on peut sortir d’embarras par une résolution plus énergique et plus radicale que celle qui a été adoptée par l’assemblée. Nous proposons de décharger le budget non plus de 50 millions, mais des 200 millions affectés aux paiemens annuels à la Banque de France, et, au lieu d’ajourner le remboursement de la créance de la Banque, nous demandons de l’accélérer, ou tout au moins de l’assurer par un emprunt ; nous proposons de rembourser en même temps l’emprunt Morgan, qui, constitué au taux de 6 pour 100, est à la fois onéreux pour nos finances et humiliant pour notre crédit.

Pour obtenir les capitaux nécessaires à ces deux opérations, l’état émettrait, au moment qu’il jugerait opportun, un emprunt dans des conditions particulières, semblables à celles que j’avais proposé d’appliquer en 1872 à l’emprunt de 3 milliards ; ces propositions, avaient eu alors un certain retentissement, et avaient obtenu l’adhésion de plusieurs notabilités financières. Je les soumets de nouveau à la discussion.

L’emprunt devrait produire au trésor 1 milliard en quatre ans par la création de 1 million d’obligations de 2,000 francs, au capital nominal de 2 milliards portant intérêt à 2 1/2 pour 100. Les obligations, émises au prix de 50 pour 100, soit 1,000 francs par obligation, et rapportant 50 francs, soit 5 pour 100 d’intérêt annuel, seraient remboursables dans l’espace d’environ cinquante-sept années, au pair, soit au double du capital versé.

Les obligations émises, jouissance du 1er janvier 1875, seraient payables :

50 francs en souscrivant.
150 francs à la livraison des titres.
200 francs le 1er janvier 1876, moins le coupon échu 10 fr.
200 francs le 1er janvier 1877, moins le coupon échu 20 fr.
200 francs le 1er janvier 1878, moins le coupon échu 30 fr.
200 francs le 1er janvier 1879, moins le coupon échu 40 fr.
1,000 francs.

Elles seraient remboursable à 2,000 francs.

La souscription serait ouverte pendant quatre jours. Les trois premiers jours seraient réservés aux souscriptions d’une à cinq obligations, qui ne seraient réductibles que dans le cas où le nombre des obligations souscrites dépasserait le nombre des obligations à, émettre ; le quatrième jour seraient reçues les souscriptions de toutes sommes, réductibles dans la proportion de l’excédant des demandes.

Le produit de l’emprunt serait employé, comme je l’ai dit plus haut :


1° Au remboursement de l’emprunt Morgan, en chiffres ronds. 250,000,000
2° Au remboursement de la créance de la Banque de France, au fur et à mesure des rentrées de l’emprunt, jusqu’à concurrence de 750,000,000
Somme égale au produit de l’emprunt 1,000,000,000

La créance de la Banque s’élevant à 867 millions, et le remboursement ci-dessus ne s’élevant qu’à 750 millions, il resterait à payer à la Banque 117 millions. Cette somme serait facilement trouvée dans le boni résultant de la différence entre les 50 millions portés immédiatement au budget pour le paiement des intérêts de l’emprunt et les sommes payées à ce titre aux souscripteurs à raison de 5 pour 100 des capitaux versés. En effet, le paiement des intérêts ayant lieu le 1er janvier de chaque année, il n’y aura rien à payer aux souscripteurs en 1875. Donc :


En 1875, il restera une somme disponible de 50,000,000
En 1876, l’intérêt portant sur 200 francs versés s’élèvera à 10,000,000, somme disponible 40,000,000
En 1877, l’intérêt sera de 20,000,000, somme disponible 30,000,000
En 1878, l’intérêt sera de 30,000,000, somme disponible 20,000,000
En 1879, l’intérêt sera de 40,000,000, somme disponible 10,000,000
Total 150,000,000

Ces 150 millions permettront de parfaire le remboursement de la Banque, et de pourvoir largement aux frais d’émission de l’emprunt, qui seront presque nuls comparativement à ceux des deux derniers emprunts. Quant à l’amortissement de l’emprunt de 2 1/2 pour 100, il y serait pourvu au moyen :


1° de l’annuité consacrée a l’emprunt Morgan, intérêt et amortissement 17,759,750 fr.
2° de l’intérêt à 1 pour 100 qui ne sera plus payé à la Banque sur 750 millions remboursés en moyenne en quatre années, environ 7,500,000 fr.
Soit une annuité de 25,259,750 fr.

pendant quatre ans, de 17,759,750 pendant cinquante-trois ans.

qui, appliquée à l’amortissement des obligations 2 1/2 pour 100 remboursables au pair, aurait éteint l’emprunt en cinquante-sept ans environ.

Ce système me paraît offrir plusieurs avantages ; le premier serait de ne pas rouvrir le grand-livre de la dette perpétuelle, et de créer un titre tout nouveau, facilement appréciable par les classes laborieuses, et payable par cinquièmes, soit 200 francs par an, ce qui ne chargerait pas la place au-dessus de ses forces vitales bien constatées, titre effectuant son amortissement en un nombre d’années relativement assez court ; ce nouveau fonds ne nuirait en rien au crédit de la dette inscrite, à laquelle il ne ferait pas concurrence, au moins directement, le 2 1/2 s’adressant surtout aux petits capitaux.

Quant au succès de l’emprunt, il ne paraît pas douteux aux conditions proposées, et la simplicité de la combinaison, facilement saisissable pour l’intelligence la moins familière aux calculs, ne manquerait pas d’attirer énergiquement les épargnes des classes laborieuses ; les petits souscripteurs, certains de ne pas voir leurs demandes réduites, prendraient la plus grande partie, peut-être la totalité de l’emprunt, qui se trouverait ainsi bien classé dès le premier jour.

Supposant mon système adopté, la Banque de France remboursée, l’emprunt 6 pour 100 également remboursé au moyen de l’emprunt 2 1/2 pour 100, quelle serait la situation budgétaire ? D’une part, les 200 millions affectés annuellement au remboursement de la Banque deviendraient disponibles ; d’autre part, il y aurait à inscrire chaque année au budget des dépenses, pour les intérêts du milliard emprunté, une somme de 50 millions (nous avons expliqué que l’amortissement de l’emprunt trouvait ses ressources dans l’annuité affectée à l’emprunt Morgan et dans l’intérêt payé à la Banque).

Il y aurait donc, en supposant le budget en équilibre par l’impôt, une somme disponible de 150 millions. Que si cet équilibre n’était pas atteint par l’augmentation des revenus publics, et si le législateur ne croyait pas devoir recourir à de nouveaux impôts, la somme nécessaire pour couvrir le déficit serait prélevée sur ces 150 millions. — Une somme importante resterait encore pour être appliquée soit au développement des travaux publics, soit au dégrèvement des taxes les plus nuisibles à la circulation et à la richesse publique. Voilà pour le présent. Pour l’avenir, au bout de cinquante-sept ans, nous voyons l’emprunt 21/2 amorti et le budget des dépenses allégé de 50 millions, puis, un certain nombre d’années après, l’état réunir l’usufruit à la nue propriété des chemins de fer, et le budget s’enrichir d’un revenu annuel que j’ai estimé, d’après des calculs modérés, à 600 millions.


J’ai achevé la tâche que je m’étais imposée ; j’ai cherché à mettre en évidence l’importance des richesses que le système adopté en France pour les chemins de fer, à l’opposé des pays où les concessions sont perpétuelles, réserve à l’avenir de nos finances ; j’ai démontré que, l’avenir étant si riche, il est permis, même aux plus prudens, de ne pas surcharger le présent et de renoncer à l’amortissement annuel de la dette publique, cet amortissement s’effectuant par voie de compensation, d’une manière latente, il est vrai, mais néanmoins très réelle. En résumé, la Banque remboursée dans le délai voulu (200 millions par an), et l’emprunt Morgan converti au moyen de l’emprunt proposé, le budget se trouve présenter un excédant important (150 millions), qui s’accroîtra de 50 millions dans cinquante-sept ans et de 600 millions dans soixante-quinze ou quatre-vingts ans.

En des temps plus heureux, M. Guizot a dit : « La France est assez riche pour payer sa gloire ; » nous ne craignons pas de dire aujourd’hui, dans notre rôle modeste de simple économiste : La France est assez riche pour payer ses fautes et se relever de ses malheurs.


FRANÇOIS BARTHOLONY.

  1. En 1869, l’intérêt de la dette perpétuelle était de 350,276,936 francs ; il figure au budget de 1875 pour 705,714,323 francs.
  2. Nous négligeons dans l’appréciation de ce revenu : 1° la disparition ou tout au moins l’atténuation des charges actuelles pour garanties d’intérêt que l’état paie aux compagnies, 2° les chances de remboursement de ces avances, 3° les conditions du partage des revenus au-delà d’un certain chiffre selon les clauses des actes de concessions : trois éventualités favorables qui doivent se réaliser, en tout ou en partie, avec le retour de la prospérité publique.
  3. Dans un remarquable discours, M. le ministre des travaux publics de Belgique a soutenu récemment la même opinion que le ministre des finances, et signalé avec une grande autorité le préjudice considérable dont a souffert la Belgique par la création de lignes parallèles non nécessaires, système dangereux dans lequel la France ne se laissera pas entraîner, je l’espère.