Couleur du temps (LeNormand)/L’attente déçue

Édition du Devoir (p. 109-111).

L’attente déçue


Mademoiselle Lizette, toute seule, marche sur la grande route qui suit le bord du lac paisible. Les étoiles brillent et la lune, derrière un gros nuage, prépare son entrée dans le soir. Mademoiselle Lizette n’a point peur de marcher ainsi solitaire sur la route à demi obscure. Y eut-il jamais des malfaiteurs dans son village tranquille ?… Et puis, pense-t-elle seulement aux malfaiteurs ? Mademoiselle Lizette, qui est jeune, s’en va gaiement au bureau de poste et elle attend, elle attend sans le moindre doute, une bonne lettre. Aussi, elle trouve qu’au tournant du lac, là-bas, les lumières du chemin qui se reflètent dans l’eau ont l’air d’une file de lanternes chinoises allumées pour une fête. Le soir calme et sa solitude lui plaisent également. Sur la route déserte, elle est heureuse de rester muette et libre de rêver. D’avance, elle savoure le plaisir de recevoir tout à l’heure l’enveloppe qu’elle connaît. Elle voit le maître de poste la lui tendre et elle sourit. Elle est contente, absolument contente…

Au bureau, elle n’avait pas sa lettre, Mademoiselle Lizette. Elle a poussé un soupir, et dehors, malgré elle, frappe du pied et se mord les lèvres pour ne pas pleurer. Puis, elle sent un serrement douloureux à ses tempes. En reprenant la grande route, elle est triste, mécontente. Une feuille qui tombe lui frôle les cheveux. C’est l’automne. Mademoiselle Lizette n’y avait pas pensé : elle y pense maintenant et trouve la route obscure, et regrette d’être isolée à la campagne. Les mêmes lumières se mirent dans le lac encore calme. Elles se suivent au bord du chemin comme sur l’eau, de distance en distance, sans jamais se toucher. Elles n’ont pas changé depuis tout à l’heure. Pourtant, Lizette ne les compare plus à des lanternes de fête…

Elle marche tête basse, préoccupée. Pourquoi n’est-elle pas venue, la lettre espérée ? Lizette sait de façon certaine qu’elle doit être en route depuis la veille. Et, puisqu’elle ne l’a pas eue ce soir, dans cette pauvre campagne, il faudra qu’elle attende toute la longue journée du lendemain avant l’autre courrier.

Mademoiselle Lizette soupire encore. Elle voudrait goûter sa promenade au bord de l’eau, ne plus songer qu’elle est déçue. Elle ne le peut pas. Elle a un poids qui lui écrase le cœur. Sur le trottoir, les criquets et les crapauds sautent à qui mieux mieux et au moment où elle s’y attend le moins, mademoiselle Lizette en a un sous le pied. Les criquets et les crapauds sont noirs dans la nuit et ils arrivent sous la semelle si bêtement qu’on ne peut pas les éviter. Mademoiselle Lizette trouve qu’ils ressemblent à des désappointements.