Couleur du temps (LeNormand)/Girouette

Édition du Devoir (p. 74-77).

Girouette


Je connais une girouette extraordinaire, la plus sensible, la plus mobile, la plus souple, et cependant aussi la plus opiniâtre des girouettes ; une girouette comme pas une !

En effet, les girouettes qui marquent le sens du vent, au-dessus des églises paroissiales, ne remuent que si la brise vaut la peine qu’elles se dérangent, que leur fine pointe passe du nord au sud et montre un paysage plutôt qu’un autre.

La girouette que je connais, différente de celles-là, tourne, tourne sans cesse. C’est un caprice vivant. Elle va, sans que vous ayez senti un souffle dans l’air, du beau au mauvais. Ou encore, lorsque le plus pur vent du nord se promène, elle garde la direction des jours de pluie ; et alors, elle s’obstine à souffrir comme sous un ciel gris, — oui, c’est une girouette qui souffre ! — Et, elle gémit à ces heures ; elle sait que le temps est beau et qu’elle devrait le regarder ; mais on dirait que tout à coup le clou qui la tient la paralyse ; ses efforts pour se retourner sont nuls ; elle reste là, sa pointe sentant l’orage. Ne la plaignez pas pourtant. Car, contrairement, il arrive à certains jours qu’une tempête menace, semble inévitable, s’annonce assez terrible pour bouleverser les éléments autour de l’étrange petite girouette ; et elle y voit clair, elle mesure l’énorme flot, elle comprend les conséquences qu’il peut entraîner, et miracle ! les perspectives les plus désolantes ne la troublent point dans sa sérénité ; sa pointe marque le beau fixe. Haut les cœurs ! La girouette est forte en cet heureux jour. Que tous les mauvais vents se donnent rendez-vous, ils ne l’abattront pas, ils n’attaqueront pas son optimisme. Elle est tournée vers un aimant divin qui la garde ferme et brave ; rien ne prévaudra contre elle ; il y a de la lumière qui l’attire et l’éclaire, et la soutient dans l’orage.

Cette girouette est tout simplement une girouette faussée, croira-t-on : quand le vent est nord, elle regarde le sud, quand il est sud, elle se tourne au nord.

Non, elle n’est pas seulement faussée ! Des fois, elle voudrait l’être, elle ne peut pas. Le vent est mauvais, et bon gré mal gré, elle le marque ; elle a beau chercher à se retourner vers l’aimant divin qu’elle sait si bien où trouver, elle est impuissante ; sa volonté n’agit plus ; maintenant c’est un aimant malin qui l’appelle et la torture.

Elle lutte, elle lutte tellement que parfois, dans un éclair, malgré le têtu vent mauvais, elle gagne le nord. Quelle joie alors pour la pauvre girouette ; elle a vaincu la peine qui la crispait, elle voit du bleu, elle montre enfin le dos aux nuages gris. Qu’elle va bien se tenir ! Elle rassemble ses forces, elle s’attache à quelque joli point de vue qui l’occupera, la fascinera, l’empêchera de retourner sous l’emprise du vent méchant. Mais, ô faiblesse de la girouette qui veut être brave, ô faiblesse extrême ! Passe, devant elle une plume, moins qu’une plume, une aile de papillon noir, ou moins encore, une poussière charbonneuse et la girouette la suit, vire brusquement. La voilà qui regarde l’orage, qui craint l’orage, qui se plaît à en souffrir d’avance.

Folle girouette ! À d’autres jours, quand le vent n’est ni trop bon, ni trop mauvais, elle oscille de l’un à l’autre. Il faut la voir trembler d’allégresse pour un rayon de soleil un peu plus vif, une brise douce, un parfum, un nuage léger. Mais, hélas ! il faut la voir aussi s’immobiliser tout à coup, parce qu’ayant tourné dans un saut irréfléchi sa pointe vers le sud, elle a vu passer un oiseau blessé, ou entendu monter jusqu’à elle un bruit de querelle ou une plainte.

Folle girouette ! Pauvre petite girouette ; girouette trop mobile, trop sensible, trop faible qu’est cet esprit qui préside à ma bonne ou triste humeur. Girouette faite pour toujours s’attacher à l’aimant divin, et qui, comme tous les esprits humains, est trop souvent privé de cette force qui l’empêcherait de tourner ainsi, tourner et retourner sans cesse.