Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/1/25

Texte établi par Maurice Tourneux, Garnier frères (1p. 179-182).
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XXV

M. de La Place qui avait acquis quelque réputation par la traduction qu’il avait faite, et qu’il continue, du Théâtre anglais, ne la soutient pas par les ouvrages qu’il compose. Il y a environ un mois qu’il donna une tragédie intitulée Jeanne d’Angleterre, et qui n’eut qu’une représentation ; et il vient de publier un petit poëme sur la paix où il n’y a nulle netteté dans le plan, point d’élévation dans les pensées. Les images y sont le plus souvent burlesques, et les vers plats quand il veut les faire tendres, et durs quand il veut les rendre forts. Deux morceaux plus passables que les autres de cette poésie sont copiés l’un de Voltaire, l’autre de Despréaux. Voici un lieu commun qui m’a paru ce qu’il y a de plus passable dans l’ouvrage que je vous annonce :


Peuples, par des concerts et des cris d’allégresse,
Célébrez le retour de l’aimable déesse ;
Relevez ses autels, rendez-lui ses honneurs,
Et goûtez à l’envi le prix de ses faveurs.
Ô vous, jeunes beautés, qu’un nœud rempli de charmes
Attache à des guerriers, sujets de vos alarmes,
Des myrthes de Vénus parez-vous en ce jour :
Le règne de la paix est celui de l’amour.
Famille désolée, épouse languissante,
Et vous, fille craintive, et vous, mère tremblante,
Vous que le sort d’un fils, d’un père, d’un époux,
Sous les ordres de Mars retenus loin de vous,
Touchait d’une douleur aussi juste que tendre…[1]
Vous tous qui, par état, par honneur ou par choix,
Des fureurs de la guerre avez senti le poids ;
Vous, humbles laboureurs, et vous, race intrépide.
Du trône de vos rois appui ferme et solide,
Héros, reprenez tous, dans les bras de la paix,
Ce calme que loin d’elle on ne trouve jamais.


— J’eus l’honneur de vous annoncer les Mœurs dès qu’elles parurent, et le jugement que j’en portais alors ne paraît pas avoir été confirmé par l’idée qu’en ont les vrais connaisseurs. Le magistrat, en faisant brûler cet ouvrage, a, comme cela ne manque jamais d’arriver, augmenté la curiosité de le lire. Il en paraît aujourd’hui une critique assez bien écrite, mais qui n’est remplie que de choses étrangères au livre critiqué ou de choses communes qui n’avaient pas échappé aux lecteurs les moins éclairés. Cette critique est d’un certain Meusnier de Querlon, qui n’est connu que par quelques petits ouvrages de cette nature[2].

— Je ne sais pas si vous connaissez les Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains de M. de Montesquieu, auteur des Lettres Persanes. C’est un ouvrage où il y a de la politique, beaucoup de philosophie, et un grand sens. La nouvelle édition qu’on vient de publier de ce livre me donne l’occasion de vous en parler. Toute la grandeur de Rome, suivant ce profond écrivain, vint de ce que les Romains n’eurent jamais la pensée de fonder plusieurs villes ; mais de plusieurs villes, de plusieurs peuples, de plusieurs empires, ils pensèrent toujours à ne faire qu’une ville. Ils voulurent établir dans Rome un centre à l’univers par leur industrie, il n’y eut qu’un foyer dans le monde, et ce foyer, qui était Rome, échauffait tout. Mais dès que les centres du gouvernement, les foyers se multiplièrent au préjudice de l’unité et de l’union, lorsque les gouverneurs perpétués dans leur emploi se regardèrent comme indépendants, Rome déchut de son ancienne grandeur. Voilà la clef de ce livre où chaque mot dit souvent plus d’une chose, et qu’il faut plutôt méditer que parcourir. On a beaucoup écrit sur les Romains, et peut-être était-il réservé au seul président de Montesquieu de les connaître.

M. de La Font, auteur des excellentes Réflexions sur la peinture, vient de publier une lettre critique sur l’Histoire du Parlement d’Angleterre[3]. Il règne beaucoup de modération dans cette critique qui, d’ailleurs, est sans ordre et mal écrite,

— L’Électeur de Cologne ayant fait écrire au poète Roy qu’il souhaitait de voir de ses ouvrages, celui-ci, en les lui envoyant, lui a adressé les vers suivants :


Par le goût des beaux-arts Votre Altesse guidée.
Sur la foi des bienfaits dont me comble mon roi,
Sur la À peut-être conçu de moi
Sur la Une trop grande idée.
J’apprends que vous voulez en juger par vos yeux.
Sur la Que cet ordre m’est précieux !
L’offrir et l’annoncer porte un air d’assurance.
Sur la L’hommage qui nous sied le mieux
Sur la Est celui de l’obéissance.
Vos souverains font grâce aux talents nés chez eux ;

Aux talents étrangers on ne doit que justice.
À quel péril mes vers me vont-ils exposer
Sut la Si, par quelque regard propice,
Sur la Prince, vous ne daignez les naturaliser !


— On vient de publier un troisième volume d’un roman intitulé les Confidences réciproques[4]. Le premier volume est mauvais, le second médiocre, et le troisième excellent. Il consiste en cinq ou six jouissances plaisantes, vives, variées, naïves. C’est dommage qu’elles soient quelquefois un peu chargées ; avec ce défaut, c’est un des morceaux les plus amusants qu’on nous ait donnés depuis longtemps.

  1. La Place n’a fait imprimer sa tragédie qu’en 1781, c’est-à-dire trente ans plus tard ; il y a fait des remianiements, car les vers que voici sont supprimés, l’un d’eux manque sur le manuscrit, et nous ne l’avons pas remplacé.
  2. Nous n’avons pu retrouver cette brochure.
  3. 1748, in-12. Il s’agissait du propre livre de Raynal.
  4. Attribuées au compte de Caylus, par Barbier, d’après une note de Van Thol, les Confidences réciproques sont indiquées comme publiées en 1774, trois parties, in-12.