Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8690

8690. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
24 novembre.

Mon cher ange, voici une petite addition qui m’a paru essentielle dans le mémoire de notre avocat[1]. Je vous prie de la mettre entre les mains du président Lekain. Elle est nécessaire, car on jouait au propos interrompu.

Je crains fort les ciseaux de la police. Si on nous rogne les ongles, il nous sera impossible de marcher : d’ailleurs le vent du bureau n’est pas pour nous. On ne veut plus que des Roméo[2] et des Chérusques[3]. Les beaux vers sont passés de mode. On n’exige plus qu’un auteur sache écrire. Hélas ! j’ai hâté moi-même la décadence, en introduisant l’action et l’appareil. Les pantomimes l’emportent aujourd’hui sur la raison et sur la poésie ; mais ce qu’il y a de plus fort contre moi, c’est la cabale. J’ai autant d’ennemis qu’en avait le roi de Prusse. C’est une chose plaisante de voir tous les efforts qu’on prépare pour faire tomber un vieillard qui tomberait bien de lui-même.

Actuellement que le congrès de Foczani[4] est renoué, il n’y a plus que moi en Europe qui fasse la guerre ; mais la ligue est trop forte, je serai battu. Ne m’en aimez pas moins, mon cher ange.

  1. La tragédie des Lois de Minos, que Voltaire donnait comme l’ouvrage d’un avocat qu’il appelait Duroncel ; voyez lettre 8515.
  2. Voyez lettre 8619.
  3. Voyez lettre 8651.
  4. Voyez lettre 8697.