Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8650

Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 190-191).
8650. — À MADAME DE SAINT-JULIEN[1].
17 octobre.

Je ne sais où vous êtes actuellement, madame. Des députés de ma colonie m’apportent une petite boite pour vous. Je l’envoie à M. d’Ogny ; c’est lui seul qui soutient cette colonie, approuvée et abandonnée par monsieur le contrôleur général.

Nous vous demandons en grâce d’employer votre éloquence et votre art de persuader à nous conserver la bonne volonté de M. d’Ogny. Je suis honteux des peines que je lui donne tous les jours, et de la quantité énorme de boites dont je charge ses courriers.

Nous vous supplions de vouloir bien lui parler de ses bienfaits et de notre reconnaissance, et de faire valoir auprès de lui-même le prix de toutes ses bontés. Ferney est fort augmenté ; il s’accroît tous les jours : il devient une petite ville ; mais il périra si on ne le soutient. Il est bien juste que ce soit la sœur de notre commandant[2] qui nous protège. Cet établissement est bien supérieur à un opéra-comique.

Je souffre plus que jamais de l’opération par laquelle monsieur le contrôleur général débuta : il se saisit de la plus grande partie de mon bien, qui était en dépôt chez M. Magon. Il n’y a pas de jour où je ne sente cette privation ; elle arrête tous nos progrès, qui, sans ce malheur, auraient été plus considérables et plus rapides. C’est le plus violent chagrin que j’essuie, après la douleur de voir que votre ami[3], qui est à la campagne comme moi, s’imagine que je lui ai manqué : cette plaie est la plus cruelle, et elle saigne toujours.

Mme Denis vous présente ses très-humbles obéissances.

Racle n’a pas plus d’argent au mois d’octobre qu’il n’en a eu au mois de juillet.

On prit deux montres pour le roi dans notre colonie, au mariage de madame la dauphine ; mais elles ne sont point payées, et l’impératrice de Russie paye les siennes, malgré sa guerre avec les Turcs.

Continuez vos bontés, madame ; elles me consolent de tout. Soyez heureuse, portez-vous bien. Daignez vous souvenir d’un petit coin du monde où vous êtes adorée.

Le vieux Malade de Ferney.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Le marquis de La Tour-du-Pin.
  3. Choiseul.