Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8630

Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 174-175).
8630. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
21 septembre.

Mon cher ange, je suis dans l’extase de Lekain. Il m’a fait connaître Sémiramis, que je ne connaissais point du tout. Tous nos Genevois ont crié de douleur et de plaisir ; des femmes se sont trouvées mal, et en ont été fort aises.

Je n’avais point d’idée de la véritable tragédie avant Lekain ; il a répandu son esprit sur les acteurs. Je ne savais pas quel honneur il faisait à mes faibles ouvrages, et comme il les créait ; je l’ai appris à six-vingts lieues de Paris. Il est bien fatigué ; il demande en grâce à M. le duc de Duras, et à M. le maréchal de Richelieu, la permission de ne se rendre à Fontainebleau que le 12. Il mérite cette indulgence. Je vous prie d’en parler ; j’écris de mon côté et en son nom ; un mot de votre bouche fera plus que toutes nos lettres. Vous n’aurez donc que le 12 le code Minos ; vous le trouverez un peu changé, mais non pas autant que je le voudrais.

Je ne suis plus si pressé que je l’étais. J’ai dompté la fougue impétueuse de ma jeunesse ; mais je crois qu’on pourra fort bien publier ce code au retour de Fontainebleau.

On parle d’une pièce de M. le chevalier de Chastellux, qu’on répète[1] ; je lui cède le pas sans difficulté. Son livre de la Félicité publique [2] m’a rendu heureux, du moins pour le temps que je l’ai lu ; il est juste que j’en aie de la reconnaissance. De plus, il faut laisser les Welches dégorger leur Roméo et leur Juliette[3].

Je me mets toujours sous les ailes de mes divins anges.

  1. Le chevalier de Chastellux, à qui sont adressées les lettres 6740, 8197, et quelques autres, avait fait jouer quelques pièces au château de la Chevrette, à trois lieues de Paris ; mais il ne paraît pas qu’il ait été question de les faire représenter sur un théâtre public. (B.)
  2. Voyez lettre 8703.
  3. Voyez une note sur la lettre 8619.