Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8586

8586. — À MADAME LA COMTESSE DE SAINT-HEREM.
À Ferney, 27 juillet.

Madame, vous avez écrit à un vieillard octogénaire qui est très-honoré de votre lettre ; il est vrai que madame votre mère daigna autrefois me témoigner beaucoup d’amitié et quelque estime. Ce serait une grande consolation pour moi si je pouvais mériter de sa fille un peu de ses sentiments.

Vous avez assurément très-grande raison de regarder l’adoration de l’Être des êtres comme le premier des devoirs, et vous savez sans doute que ce n’est pas le seul. Nos autres devoirs lui sont subordonnés ; mais les occupations d’un bon citoyen ne sont pas aussi méprisables et aussi haïssables qu’on a pu vous le dire.

Celui qui a contribué à rendre Henri IV encore plus cher à la nation, celui qui a écrit le Siècle de Louis XIV, qui a vengé les Calas, qui a écrit le Traité de la Tolérance, ne croit point avoir célébré des choses méprisables et haïssables. Je suis persuadé que vous ne haïssez, que vous ne méprisez que le vice et l’injustice ; que vous voyez dans le maître de la nature le père de tous les hommes ; que vous n’êtes d’aucun parti ; que plus vous êtes éclairée, plus vous êtes indulgente ; que votre vertu ne sera jamais altérée par les séductions de l’enthousiasme. Telle était madame votre mère, que je regrette toujours.

Tous les hommes sont également faibles, également petits devant Dieu, mais également chers à celui qui les a formés. Il ne nous appartient pas de vouloir soumettre les autres à nos opinions. Je respecte la vôtre, je fais mille vœux pour votre félicité, et j’ai l’honneur d’être avec le plus sincère respect, madame, votre, etc.