Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8569

Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 120-121).
8569. — À M. D’ALEMBERT.
1er juillet.

« J’en appelle aux étrangers qui ont poussé les hauts cris, qui ont répété, après des Français, que nous étions une nation frivole qui savait rouer et ne savait pas combattre. Qui a donné le plus grand scandale, ou un enfant indiscret, ou des juges qui le font périr dans les plus affreux supplices ? La mort de l’infortuné chevalier de La Barre est un bien plus grand crime que celle de Calas. Au moins, dans celle-ci, un juge peut alléguer d’avoir été séduit par des présomptions et par le cri public ; dans celle-là, c’est une indécence punie comme le prétendu parricide de Toulouse.

« Obscurs fanatiques, qui du fond de vos tanières, où vous rongez les os et sucez le sang des sages, apprenez à l’univers que vous êtes les colonnes des mœurs et du culte ; phraseurs mitrés ou sans mitres, avec un capuchon ou sans capuchon, quand cesserez-vous de faire des homélies sur la charité, pour apprendre que c’est au bourreau d’instruire, et non pas au savant ? »

Voilà, mon cher philosophe, ce qui a été prononcé à Cassel le 8 d’avril[1], en présence de monsieur le landgrave, de six princes de l’Empire, et de la plus nombreuse assemblée, par un professeur en histoire que j’ai donné à monseigneur le landgrave. J’espère qu’il ne lui arrivera pas la même chose qu’à l’abbé Audra. On peut chez vous faire pendre des philosophes, mais la philosophie subsistera toujours.


Virtutem videant, intabescantque relicta[2].

M. Marmontel vous a-t-il montré les Systèmes ? Quel profane a si cruellement estropié les Cabales ?

C’était un bizarre effet de la destinée, qui préside au petit comme au grand, qu’on travaillât en même temps à Paris et à Ferney au sujet des Druides[3], sous des noms différents, et qu’on fit les mêmes difficultés à ces deux ouvrages.

Il faut que les Français écrivent, et que l’étranger les imprime.

Le parti est pris d’écraser les lettres.

Tenez-vous bien. Adieu, Platon ; vivez chez vos barbares.

    mort de J.-B. Rousseau, sans lui dire qu’elle était de Lefranc de Pompignan, Voltaire la trouva admirable ; mais il continua d’en parler de la même manière, après avoir su de qui elle était, et se l’être fait répéter. (Cl.)

  1. Par Mallet Du Pan, dans son Discours de l’influence de la philosophie sur les lettres ; voyez lettre 8528.
  2. Perse, satire iii, vers 38.
  3. Voyez page 35.